Air France. Sans-chemises et sans-culottes
Une chemise déchirée, et même deux. Une agression contre des personnes – fussent-elles des « patrons ». Certes, le geste est moche. Ou plutôt « non esthétique ». C’est le geste du désespoir, le dernier geste du condamné avant l’exécution. Il n'est rendu beau qu'au cinéma. Perdre son emploi de nos jours, c’est une exécution. C’est passer du statut de « chanceux », pour ne pas dire privilégié – du privilège d’avoir un travail, qui est souvent une torture… – à celui de déclassé, de déchu.
Alors, quand la direction d’Air France annonce la suppression de 2.900 emplois, cela signifie 2.900 vies déchirées (bien davantage, en fait). À côté desquelles deux chemises déchirées, même blanches et bien repassées, c’est une violence très modérée !
Une vidéo révèle les négociations chez Air France par BuzzVid
La vidéo ci-dessus a été prise quelques minutes avant les incidents qui forceront les dirigeants Xavier Broseta et Pierre Plissonnier à s'échapper du siège d'Air France. Des employés tentent d'interpeller et d'ouvrir le dialogue.
Cette vidéo est poignante, montrant le courage et le désespoir d’une femme affrontant la morgue des cols blancs, mains dans les poches ou bras croisés, tripotant leurs portables, touillant leur café, l’air goguenard pour ne pas dire niais, et finalement muets comme des tombes. « On nous a demandé de faire des efforts, on les a faits ! » lance cette femme au bord du sanglot dans un monologue pathétique.
Face à elle, l'indifférence, le mépris. Les cadres regroupés discutent entre eux, feignant d'ignorer l'interpellation. L'un d'eux lâche enfin : « On n'est pas habilités, on n'est pas habilités ».
Ils n’ont rien à répondre au réquisitoire. Car ils ne sont même pas responsables et ne peuvent répondre de rien… Minables pantins cravatés du capitalisme planqué, sans visage, suite de chiffres et de pour cents, jouant dans les casinos financiers à l'ombre des paradis fiscaux, fixant de loin, « off shore », les taux de rendement de leur sale pognon dont ils se goinfrent jusqu’à l’intoxication.
Des violences autrement plus radicales, la dégradation générale des conditions socio-économiques nous en promet ! Les « voyous » et la « chienlit » se souviendront peut-être des sans-culottes et ne s’en prendront plus seulement aux chemises.
Sur son blog, le militant encore socialiste Gérard Filoche a ressorti pour la circonstance un discours de Jean Jaurès devant la Chambre des députés le 19 juin 1906. Ces paroles sont d’une actualité brûlante :
« Le patronat n’a pas besoin, lui, pour exercer une action violente, de gestes désordonnés et de paroles tumultueuses ! Quelques hommes se rassemblent, à huis clos, dans la sécurité, dans l’intimité d’un conseil d’administration, et à quelques-uns, sans violence, sans gestes désordonnés, sans éclats de voix, comme des diplomates causant autour du tapis vert, ils décident que le salaire raisonnable sera refusé aux ouvriers ; ils décident que les ouvriers qui continuent la lutte seront exclus, seront chassés, seront désignés par des marques imperceptibles, mais connues des autres patrons, à l’universelle vindicte patronale. […] Ainsi, tandis que l’acte de violence de l’ouvrier apparaît toujours, est toujours défini, toujours aisément frappé, la responsabilité profonde et meurtrière des grands patrons, des grands capitalistes, elle se dérobe, elle s’évanouit dans une sorte d’obscurité. »
Et Filoche de commenter : « Malheureusement, Manuel Valls traite les salariés de « voyous » et prend fait et cause pour la direction d’Air France. Il est vrai qu’il se réfère plus souvent à Clémenceau, le briseur de grèves, qu’à Jaurès… »
Et tous les médias à ce moment de souffler dans le même clairon. « Ils ont déchiré la chemise du patron ». Les clebs du pouvoir. J’entends trop souvent autour de moi, ça va péter ! Et bien que ça péte et que ça déchire. Oui ! Putain de riches. Quand les pauvres sont en slips…
Encore merci pour tous vos articles dont je ne peux que recommander la lecture à tous mes amis. J’aurais voulu commenter votre « La maltraitance gynécologique, variante du viol » oh combien émouvant et révoltant. Mais rien ne m’étonne provenant du corps médical. J’ai bien dit « corps » et non « âme » médicale. La plupart des médecins le sont pour de bien mauvaises raisons : le sadisme est à la base même du « désir » de « guérir » l’autre, c’est pourquoi les rapports médecins/malades sont le plus souvent , sinon toujours, des rapports de pouvoir, exécrables. Encore une fois, le grand, l’immense Wilhelm Reich avait raison : tout est dans la peste émotionnelle qui pervertit la sexualité saine. D.H. Lawrence, pour qui j’ai aussi le plus grand respect, la plus grande admiration, avait dit à peu près la même chose dans ce livre si beau, si merveilleux ; « L’amant de Lady Chatterley » ou dans « L’homme qui était mort », chef-d’œuvre de la littérature. Paix et gloire à ces deux hommes, si oubliés, si méconnus, si censurés. Il faut relire « L’analyse caractérielle » de Wilhelm Reich et tous ses autres livres, beaucoup de choses alors s’éclairent, deviennent lumineuses.
Une enquête conduite il y a quelques années auprès des étudiants en médecine, quant à leurs motivations pour être toubibs, donnait, à hauteur de la moitié d’entre eux : « le fric ».
L’unanimité (ou quasi) des réactions médiatiques et politiques, indique une convergence lourde de sens ; je veux dire que ceci explique aussi cela : être maltraité par des patrons, c’est quasiment plus normal, dan l’ordre des choses ; mais ça ne l’est pas de la part des médias (je ne dis pas « des journalistes », non, on doit nuancer, ne pas généraliser) qui seraient censés observer une certaine neutralité, pour ne pas dire objectivité, qui est une tarte à la crème. Mais les médias, justement, sont désormais embarqués dans la même course à la survie dans l’océan néolibéral. Les journalistes du Monde, de Libé, du Figaro,TF1, L’Express et même la Provence (Tapie) etc. sont nourris par des industriels milliardaires qui, en plus de leurs pognon planqué, se doivent d’apparaître quand même sur la scène politico médiatique, sinon, ils n’existeraient pas vraiment, pas assez pour se sentir courtisés, même dans leur propre milieu. Un canard, ça te donne une sacrée « visibilité », une super carte de visite, le prestige du vernis : de quoi faire briller l’égo là où ça fait le plus grand bien ! Et puis donner dans l” »info », ça fait tout de même plus évolué que d’être marchand d’armes, de pinard, de liquettes même luxueuses. Bon, voilà. Et merci pour ce magnifique coup de gueule contre la bien-pensance!!!!
C’est encore une affaire de demi-mesure : les prolos sont à poil, les patrons seulement à moitié. C’est pas juste ! encore un effort si vous voulez être révolutionnaires ! Mais le voulez-vous ?
Apparemment, non : v. mon com”.
« On nous a demandé de faire des efforts, on les a faits ! »: pathétique… de la pure servitude volontaire ! Quand est-ce que les asservis comprendront qu’en s’écrasant ils ne font que se désigner comme les victimes du sacrifice à venir ! Plus tu te soumets, plus tu incites l’oppresseur à te soumettre encore davantage ! Quand tu veux te montrer conciliant avec celui qui commence à t’agresser, tu ne fait que l’exciter, car lui interprète çà comme de la peur, et il va poursuivre l’escalade. Depuis des décennies, les travailleurs s’écrasent, atomisés qu’ils sont dans leur déni du réel et la superstition de la loterie (« Pourvu que le prochain – brimé, licencié, accidenté,.. – ce ne soit pas moi ! »). Alors, quel est le sens de ce darwinisme social (qu’il faudrait rebaptiser « spencérisme », pour ne pas désobliger Darwin), sinon l’élimination des plus faibles dans l’inhumaine jungle de l’ultralibéralisme destructeur du vivant ?
NB : Clemenceau, sans accent, c’est du vendéen.
Nos gouvernants n’ont pas saisi l’incohérence sociale de leur action : ça pète de partout, même les policiers portent plainte (!!!) pour harcèlement.
La cohérence de l’esprit social a évolué en peu de temps, même si les gens n’en sont pas encore à la révolte, l’intelligence commune entend les choses différemment et saisi l’injustice de leur situation, comme en Turquie où le dictateur auto-désigné veut gouverner par la terreur et fait un coup dans l’eau dont les éclaboussures remontent contre lui la population qui n’est plus dupe de ce que signifie cette « terreur » : muselage du peuple.
Arrêter les gens dans leur lit (l’affaire Tarnac) pour ce qui est au final un simple fait de délinquance demandant une convocation pour vérification, dépasse une mesure dont la classe politique se fait la porte parole, c’est dire : il faut calmer les gens de leur indignation !
D’ici à ce que ces gens retourne leur culpabilité existentielle pour saisir que ce sont leur gouvernants qui sont indignes, il n’y a qu’un pêt de bureaucrate !
Bof… Le capitalisme va protéger ses ouailles fermement mais sans faire trop de vagues, il a l’habitude… Le DRH à 10000 balles par mois continuera de collaborer à l’abri dans son cocon… Les 2500 salariés seront vite oubliés : un peu de foot, un philosophe mal mené, une émission débile de plus à la TV et le tour est joué !
Une question : pourriez-vous être DRH à 10000 balles par mois ?
Quelques condamnations là-dessus et la situation devient autrement plus incontrôlable que dans un CE chahuté ! « Ne sens-tu pas monter la révolte qui gronde ? » (Les canuts)