De Brubeck à Niemeyer, même source même soupe
Mort de Dave Brubeck et Oscar Niemeyer, jazz et architecture.
Le premier, pianiste assez avant-gardiste, s’est surtout fait connaître avec Take Five, cette composition en cinq temps qui n’était justement pas de lui mais de son comparse de longue date, le sax-altiste Paul Desmond. Radios et télés, pas manqué, se sont fait fort de célébrer le cher disparu avec ce Take Five, tube oblige.
Le second, aussi brésilien que stalinien, s’était appliqué à bétonner Brasilia et le siège du PC français. Estampillé peuple autant que célébré par l’élite mondiale, tout comme le géomètre suisse Le Corbusier, ce fut aussi un familier du dictateur Castro. Point à la ligne (de fuite).
Une fois de plus, le spectacle médiatique fait entendre sa même musique, celle qui parcourt les rédactions d’une même vague conformiste, venue de la même source, le plus souvent unique – celle de Wikipedia matinée d’AFP pour le coup. De Libé à Ouest-France ou au Monde [honneur sauf, toutefois, avec une bio par Sylvain Siclier], les deux morts du jour sont célébrés avec les mêmes ornements journalistiques à base de répétitions et de clichés invérifiés.
La soupe est servie, en sachet. Même goût pour tout le monde, ingrédients passe-partout, chimiques et insipides ; ça remplit le vide et ne nourrit pas, surtout pas l’esprit. Mais on peut somnoler tranquille sans trop se demander qui, de Dave Brubeck ou de Paul Desmond, était pianiste ou saxophoniste. Qui dans le quartet indissociable tenait la contrebasse (Eugene Wright) et qui la batterie (Joe Morello, mort l’an dernier) ?
C’est vrai qu’on peut fort bien vivre sans « tout ça », du superflu dans ce monde à la dérive. On peut se passer de culture, s’il ne s’agit que de survivre. On peut ne travailler qu’à engraisser son ego. Et vogue la galère ! À l’opposé, ce matin dans le poste, on faisait dire à Niemeyer que « le seul sens de notre passage sur terre, c’est la solidarité ».
La culture comme attention à l’autre. Le reste est littérature.
eh oui, savoir bien s’entourer, c’est ça le secret 🙂
et là on a un modèle du genre…
Je sens que tu penses à la batterie de Joe Morello… Eh !
Bah en fait je pensais surtout à Desmond qui a toujours été un de mes saxophonistes favoris. Un son exceptionnel de volupté, une super musicalité et un compositeur hors pair…
Joli coup de gueule, cher Ponthieu. Et tandis que JM Ayrault joue de la flute et les 2 zêbres de l’UMP font des claquettes, il y a comme une envie de taper sur la grosse caisse.
L’harmonie en politique… on peut rêver. Mais ça reste un modèle d’inspiration. De l’harmonie municipale à l’harmonie sociale, quel programme !
Le toulousain chantait « Quand le jazz est là, la java s’en va ». Un peu de jazz s’en est allé et la java de la politique et des médias demeure. Une composition à cinq temps perdue et une nouvelle preuve de l’accélération des mots « pour parler ». Un tourni à mille temps (de temps perdu). Nous sommes orphelins de sens et vide de sang dans cette centrifugeuse qui, si l’on n’y prend garde, va nous aspirer sur ses parois râpeuses en enlevant notre contenu humain pour ne garder de nous qu’une pulpe desséchée. Grand Jacques, nous somme loin de ta valse des amants, car à ce rythme là ne nous pourrons plus écrire notre beau roman-vie.
Ö poèt‑e, tu fais bien d’évoquer le grand Toulousain, un de nos seuls chanteurs de jazz – et à ma connaissance le seul occitan avé l’assent.
Nougaro a notamment donné sa version de « Blue Rondo à la Turk » sous le titre « À bout de souffle », en clin d’oeil à Godard. Et sur l’album’Embarquement immédiat, l’un de ses derniers, l’introduction à la batterie de « Jet Set » est celle de « Take Five ».
Mais, bon sang, j’oubliais ! « Le jazz et la java » dont tu parles, sort directement de « Three To Get Ready » du même Dave Brubeck, lequel l’avait pompé d’une valse de… Haydn, en l’arrangeant à sa sauce, bien sûr. Le jazz, la java, le classique et la musique-tuyau-de-poële…
Sympa d’avoir mis cette vidéo, Take the « A » Train. C’était au fond un musicien populaire, ce Brubeck ?
Oui, sous des allures parfois savantes pour ce qui est des rythmiques. Il avait côtoyé Schönberg et Milhaud, mais ce n’est pas vraiment marquant dans sa musique. Bartok un peu plus. Quand à « Take the « A » Train », c’est une composition du pianiste et arrangeur Billy Strayhorn écrite en 1941 pour Duke Ellington, qui l’utilisa comme indicatif des concerts de son orchestre. Le « A Train » est le métro qui va du centre de New York à Harlem et au-delà.
Moi j’aime bien la soupe surtout en hiver, certaines portes entrouvertes permettent de pénêtrer dans un monde plus complexe, à 16ans jem’essayai à jouer TAKE FIVE avec mes copains sur ma guitare.
Quand à Niemeyer , comme Aragon ( et beaucoup d’autres) staliniens aussi, l’aveuglement politique, dont je fut également une victime consentente et active, manifestement n’a pas tué le génie.
L’explotation et la médiocrité médiatico-marchande ne doit pas nous conduire à cracher….dans la soupe.
Tu as raison, René. Je suis vache et injuste avec Niemeyer. C’est ma tendance dès qu’il y a adoration, célébration, hagiographie, imagerie et tout le toutim. Niemeyer, stalinien certes, fut de l’avis général un architecte de talent. Même s’il y en a plein d’autres, des vivants et des enterrés, rendons à César, etc. Mais, un peu comme avec Dave Brubeck, on lui attribue des mérites indus. Par exemple, on dit qu’il a construit Brasilia. Non, il y a bâti pas mal d’édifices et bâtiments (une dizaine) mais n’a pas conçu la ville, car il n’était pas urbaniste. (On dit d’ailleurs que Brasilia, comme ville, pas terrible, surtout la nuit… Au moins un « mérite » qui ne revient pas à l’Oscar…)
Comme toi, je reconnais aussi le talent d’Aragon, même si… Et je voudrais bien tâter de ton talent à la gratte. Quand tu veux, avec Take five !
Ecouter cet excellent jazz en lisant de l’excellent Ponthieu, trop le pied ! A bas les uniformisateurs !
😉