Alerte en Méditerranée, par Edgar Morin
Notre monde part en miettes. Vers où se tourner pour y puiser quelque espoir de mieux ? À l'inverse des prophètes de l'apocalypse, Edgar Morin fait partie de ces rares penseurs qui refusent la fatalité. Ce qui ne lui interdit pas la lucidité, bien au contraire ! Dans sa remarquable conférence prononcée le 16 décembre à l'iInstitut du monde arabe, à Paris, il n'élude aucune des complexités – un terme qui lui est cher – caractérisant tout le bassin de la Méditerranée. Et en particulier ce qu'il a appelé "le cancer" pour désigner la situation de la Palestine. Une lucidité qui met en cause la politique coloniale de l'État d'Israël, au point de s'être fait accuser d'antisémitisme !
Cette conférence est intégralement accessible ci-dessous. C'est un grand moment d'histoire, de culture, d'analyse. C'est aussi un exploit quasiment sportif, s'agissant d'un athlète de 92 ans parcourant, sans notes, un marathon de la pensée.
Voici par ailleurs un extrait du discours qu'Edgar Morin avait prononcé à Barcelone en 1994 sous le titre Alerte en Méditerranée.
Je dis alerte, parce que l'Europe tend à se détourner de la Méditerranée au moment où justement en Méditerranée s'accroissent les problèmes et périls.
Les processus de dislocation, dégradation, renfermement qui se développent un peu partout affectent particulièrement la Méditerranée.
Plus encore : la mer de la communication devient la mer des ségrégations, la mer des métissages devient la mer des purifications religieuses, ethniques, nationales.
Les grandes villes cosmopolites, véritables "cités-monde", creusets de la culture méditerranéenne se sont éteintes les unes après les autres dans la monochromie: Salonique, Istambul, Alexandrie, Beyrouth. Sarajevo agonise.
Après 89, l'Europe de l'ouest, en se tournant vers l'est qui s'ouvrait, s'est détournée des problèmes fondamentaux de la Méditerranée qui la concernent vitalement. L'économie européenne s'est tournée vers les marchés potentiels de l'est, regardant au delà l'énorme marché chinois. La Méditerranée est de plus en plus oubliée.
Les pays du sud européen, particulièrement de l'Arc Latin, n'ont pas élaboré une conception commune pour une politique méditerranéenne.
L'Europe ouverte tend à redevenir l'Europe du rejet. Au moment où avaient commencé les processus d'intégration européenne de l'Islam, posthumes comme en Espagne qui réintègre en son identité, son passé maure, modernes comme en France et en Allemagne avec les immigrés maghrébins et turcs, voilà que revient le vieux démon européen: refouler, exclure l'Islam. L'offensive serbe en Bosnie n'est pas seulement un accident, elle est la poursuite d'une reconquête.
Partout, le partenaire nécessaire est de plus en plus considéré comme l'adversaire potentiel et cela de chacun des quatre cotés de la Méditerranée: nord sud et est ouest.
La Méditerranée s'efface comme dénominateur commun.
Nous pouvons aujourd'hui espérer, sans certitude aucune, en une progressive pacification au Moyen-Orient, notamment par l'accession de la Palestine à l'indépendance nationale, mais le trou noir géo-historique y demeure(…)
Pourrons-nous sauver la Méditerranée? Pourrons nous restaurer mieux développer sa fonction communicatrice? Pourrons-nous remettre en activité cette mer d'échanges, de rencontres, ce creuset et bouillon de culture, cette machine à fabriquer de la civilisation ?
Il y a des solutions économiques, mais les solutions seulement économiques sont insuffisantes et parfois font problème: ainsi le FMI met les États dans la nécessité d'obéir à ses exigences pour avoir des crédits, mais aussi dans la nécessité de leur désobéir pour éviter le clash politique et social (…). Il faut du développement, mais il faut aussi entièrement repenser et transformer notre concept de développement lequel est sous-développé. Ainsi il n'y a pas que l'économie industrielle à installer, il y a aussi à réinventer une économie de convivialité.
© Edgar Morin
Nous redonne l’envie d’ouvrir une fenêtre vers le levant d’un autre possible potentiel : une communauté humaine qui prioriserait la coopération sur la compétition …?
Même si l’histoire peut sembler probablement déjà écrite, nous possédons la capacité d’exprimer notre avis.
Et les choses pourraient alors en être changées …?
Vous avez dit sérendipité !
Quand j’étais gamin, il y a un demi-siècle, je me baignais l’été sur une grande plage du Golfe du Lion, les poissons n’étaient pas farouches et venaient folâtrer entre mes jambes. Les dauphins occasionnels faisaient les pitres à quelques mètres, dans une eau aussi translucide sur des dizaines de mètres qu’on le voit dans les reportages sur Bora Bora. Une nuit sans lune, j’ai pris un bain dans le plancton phosphorescent, c’était Goldfinger ! Et pour le goûter, j’avais sous les pieds dans le sable des couteaux charnus et gratis. Il y avait un parasol tous les cent mètres, soit une densité d’1 estivant/500 m².
Aujourd’hui, et l’été toujours, la densité est d’1 estivant/5 m² à condition d’arriver tôt, et il n’y a plus de poissons, ni de dauphins, ni de plancton dans l’eau turbide.
C’était ma rubrique « métaphore en Méditerranée ».