Le Nobel à Svetlana Alexievitch, écrivaine du courage
En attribuant le Nobel de littérature à Svetlana Alexievitch, le jury de Stockholm honore une magnifique écrivaine et s’honore lui-même. Un choix courageux qui consacre une femme elle-même vouée à témoigner du courage face au terrible quotidien de "héros ordinaires". Un choix qui s’inscrit dans un contexte géo-politique et écologique des plus troubles, affectant toute l’humanité.
[dropcap]Je[/dropcap] suis d’autant plus sensible à cette reconnaissance que je dois à Svetlana Alexievitch deux livres qui m’ont particulièrement bouleversé : La Supplication (1997) et La Guerre n’a pas un visage de femme (1985).Le premier, sous-titré Tchernobyl, chronique du monde après l’apocalypse, témoigne avec force de l’univers terrifiant d’après la catastrophe ; les témoignages rassemblés donnent au drame sa dimension pleinement humaine, dépeinte sans artifice aucun par les témoins et acteurs directs. Une « réalité noire », signification littérale de « Tchernobyl », ainsi que le souligne un photographe, expliquant pourquoi il ne prend pas de photos en couleur…
Plus loin, un liquidateur raconte comment se bloquaient les dosimètres étalonnés jusqu’à deux cents röntgens, tandis que des journaux écrivaient : « Au-dessus du réacteur, l’air est pur » ! « On nous donnait des diplômes d’honneur. J’en ai deux. Avec Marx, Engels, Lénine et des drapeaux rouges. »
Une femme, épouse d’un liquidateur, raconte l’agonie de son homme : « Un matin, au réveil, il ne pouvait pas se lever. Et ne pouvait rien dire… Il ne pouvait plus parler… Il avait de très grands yeux… C’est seulement à ce moment-là qu’il a eu peur… […] Il nous restait une année. […] L’homme que j’aimais tellement […] se transformait devant mes yeux… en un monstre… » Le reste de ce témoignage, oui, c’est une supplication ; elle est insupportable et pourtant on se doit de la lire jusqu’au bout.
Pour l’Union soviétique, cette catastrophe a sonné le début de la fin, qui eut lieu trois ans après. Ses causes en sont autant politiques que techniques, contraction implosive d’un système dément et d’une inconséquence scientiste.
Ce livre constitue aussi le plaidoyer le plus implacable contre l’énergie nucléaire dite « pacifiste ». Rappel : Il y a plus de 400 réacteurs nucléaires dans le monde – dont 58 en France.
Autre grand livre : La guerre n’a pas un visage de femme… mais les femmes ont été de toutes les guerres. En particulier les femmes russes enrôlées dans l’Armée rouge et envoyées au front contre les Allemands : auxiliaires de toutes sortes, de toutes corvées, blanchisseuses de linge gorgé de sang, infirmières, brancardières, médecins, cuisinières, puis combattantes, tireurs d’élite. Des héroïnes au même titre que les liquidateurs de Tchernobyl. Avec leurs témoignages tout aussi insupportables.
• Svetlana Alexandrovna Alexievitch, écrivaine et journaliste russophone, ukrainienne par sa mère et biélorusse par son père, est une dissidente irréductible, tant sous le régime soviétique que dans la Russie poutinienne et la Biélorussie du dictateur Loukachenko.
On lui doit aussi Cercueils de zinc (1991), sur la guerre soviéto-afghane, Ensorcelés par la mort, récits (1995), sur les suicides de citoyens russes après la chute du communisme et Derniers Témoins (2005), témoignages de femmes et d'hommes qui étaient enfants pendant la Seconde Guerre mondiale. Enfin, en 2013, La Fin de l’homme rouge ou le temps du désenchantement, recueille des centaines de témoignages dans l’ex-URSS (prix Médicis essai et « meilleur livre de l'année » par le magazine Lire.)
Le prix Nobel de littérature la consacre pour « son œuvre polyphonique, mémorial de la souffrance et du courage à notre époque ».
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Le féminisme… Il y a celles qui y réfléchissent, celles qui le prêchent, et celles qui le vivent et en témoignent. Comme cette exemplaire nobelisée.
Ben dis donc, elle fait pas trop dans les sujets marrants… Ce qui plus sérieusement m’interroge : à faire (dénoncer) exclusivement dans les registres catastrophiques (pollutions, pullulement humain, Médiator, hécatombes animalières et végétales, vaccin 6‑en‑1, Daech, etc.), ne participe-t-on pas à l’accélération de son autodestruction ? Certes, s’en foutre c’est prendre aussi des risques. J’ai pas de réponse.
Pas de réponse non plus. Les faits parlent pour nous – dans le noir obscur.
Bons bouquins… C’est vrai que le comique n’est pas la principale activité de la dame…
C’est bien d’écrire sur ces graves sujets… L’humain a la mémoire courte !
La Supplication, bouquin lu sur ton conseil, Ponthieu. Pas un bouquin de plage, certes. Plutôt de naufrage. Oui, essentiel. Une pudeur dramatique qui mérite. La Svetlana mérite la médaille du cœur. Pour ce qui est du Nobel et autre breloque, rien à battre. Ne pas jouer dans la même cour que les merdeux.