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Cologne, suite. L’écrivain algérien Kamel Daoud  « fatwatisé » par des intellectuels français

Une deuxième fatwa vient de frapper l’écrivain et journaliste algérien Kamel Daoud [voir ici et ], à propos de son analyse des violences sexuelles du Nouvel an à Cologne. Cette nouvelle condamnation émane d’une sorte de secte laïque rassemblant une poignée d’« intellectuels autoproclamés » à qui Le Monde a prêté ses colonnes.

Les signataires du "Collectif"Noureddine Amara (historien), Joel Beinin (historien), Houda Ben Hamouda (historienne), Benoît Challand (sociologue), Jocelyne Dakhlia (historienne), Sonia Dayan-Herzbrun (sociologue), Muriam Haleh Davis (historienne), Giulia Fabbiano (anthropologue), Darcie Fontaine (historienne), David Theo Goldberg (philosophe), Ghassan Hage (anthropologue), Laleh Khalili (anthropologue), Tristan Leperlier (sociologue), Nadia Marzouki (politiste), Pascal Ménoret (anthropologue), Stéphanie Pouessel (anthropologue), Elizabeth Shakman Hurd (politiste), Thomas Serres (politiste), Seif Soudani (journaliste).

Dans l’édition du 12 février, sous le titre « Les fantasmes de Kamel Daoud », ce « collectif » lançait son anathème, excluant de son cénacle « cet humaniste autoproclamé ». Le mépris de l’expression dévoilait, dès les premières lignes de la sentence, l’intention malveillante des juges. Les lignes suivantes confirmaient une condamnation sans appel : « Tout en déclarant vouloir déconstruire les caricatures promues par " la droite et l'extrême droite ", l'auteur recycle les clichés orientalistes les plus éculés, de l'islam religion de mort cher à Ernest Renan (1823-1892) à la psychologie des foules arabes de Gustave Le Bon (1841-1931). »

Que veulent donc dire, ces sociologisants ensoutanés, par leur attendu si tranchant ? 1) Que Daoud rejoint « la droite et l’extrême droite »… 2) …puisqu’il « recycle les clichés orientalistes les plus éculés, de l'islam religion de mort »… 3) clichés anciens « chers » à Renan et Le Bon… 4)… ces vieilleries datées (dates à l’appui) et donc obsolètes… 5)… tandis que leur « sociologie » à eux, hein !

Nos inquisiteurs reprochent au journaliste algérien d’essentialiser « le monde d’Allah », qu’il réduirait à un espace restreint (le sien, décrit ainsi avec condescendance : « Certainement marqué par son expérience durant la guerre civile algérienne (1992-1999) [C’est moi qui souligne, et même deux fois, s’agissant du mot expérience, si délicatement choisi] Daoud ne s'embarrasse pas de nuances et fait des islamistes les promoteurs de cette logique de mort. »), selon une « approche culturaliste ». En cela, ils rejoignent les positions de l'essayiste américano-palestinien Edward Saïd pour qui l’Orient serait une fabrication de l’Occident post-colonialiste. Comme si les cultures n’existaient pas, jusqu’à leurs différences ; de même pour les civilisations, y compris la musulmane, bien entendu.

"Que se cache donc derrière le mysticisme des fascistes, ce mysticisme qui fascinait les masses ?" W. Reich
"Que se cache donc derrière le mysticisme des fascistes, ce mysticisme qui fascinait les masses ?" W. Reich

À ce propos, revenons aux compères Renan et Le Bon, en effet contemporains et nullement arriérés comme le sous-entendent nos néo-ayatollahs. Je garde les meilleurs souvenirs de leur fréquentation dans mes années « sexpoliennes » – sexo-politiques et reichiennes –, lorsque l’orthodoxie marxiste se trouva fort ébranlée, à partir de Mai 68 et bien au-delà. Pour un peu je relirais cette Vie de Jésus, d’Ernest Renan, dont Reich s’était notamment inspiré pour écrire Le Meurtre du Christ ; de même, s’agissant de Psychologie des foules, de Gustave Le Bon, dont on retrouve de nombreuses traces dans Psychologie de masse du fascisme du même Wilhelm Reich. Les agressions de Cologne peuvent être analysées selon les critères reichiens du refoulement sexuel et des cuirasses caractérielle et corporelle propices aux enrôlements dans les idéologies fascistes et mystiques. Ces critères – avancés à sa manière par Kamel Daoud – ne sont pas uniques et ne sauraient nier les réalités « objectives » des conditions de vie – elles se renforcent mutuellement. Tandis que les accusateurs de Daoud semblent ignorer ces composantes psycho-sexuelles et affectives.

Traité comme un arriéré, Daoud est ainsi accusé de psychologiser les violences sexuelles de Cologne, et d’« effacer les conditions sociales, politiques et économiques qui favorisent ces actes ». Lamentable retournement du propos – selon une argumentation qui pourrait se retourner avec pertinence !

Enfin, le journaliste algérien se trouve taxé d’islamophobie… Accusation définitive qui, en fait, à relire ces compères, se situe à l’origine de leur attaque. Ce « sport de combat » désormais à la mode, interdit toute critique de fond et clôt tout débat d’idées.

Le « double fatwatisé » pourra cependant trouver quelque réconfort dans des articles de soutien. Ainsi, celui de Michel Guerrin dans Le Monde du 27 février. Le journaliste rappelle que Kamel Daoud a décidé d’arrêter le journalisme pour se consacrer à la littérature. « Il ne change pas de position mais d’instrument. » « Ce retrait, poursuit-il, est une défaite. Pas la sienne. Celle du débat. Il vit en Algérie, il est sous le coup d'une fatwa depuis 2014, et cela donne de la chair à ses convictions. Du reste, sa vision de l'islam est passionnante, hors normes, car elle divise la gauche, les féministes, les intellectuels. Une grande partie de la sociologie est contre lui mais des intellectuels africains saluent son courage, Libération l'a défendu, L'Obs aussi, où Jean Daniel retrouve en lui “toutes les grandes voix féministes historiques”. […] Ainsi va la confrérie des sociologues, qui a le nez rivé sur ses statistiques sans prendre en compte “la chair du réel”, écrit Aude Lancelin sur le site de L'Obs, le 18 février. »

Ainsi, cette remarquable tribune de la romancière franco-tunisienne Fawzia Zouari, dans Libération du 28 février, rétorquant aux accusateurs :

« Voilà comment on se fait les alliés des islamistes sous couvert de philosopher… Voilà comment on réduit au silence l’une des voix dont le monde musulman a le plus besoin. »

 


Fawzia Zouari : "Il faut dire qu'il y a un... par franceinter

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Gerard Ponthieu

Journaliste, écrivain. Retraité mais pas inactif. Blogueur depuis 2004.

11 réflexions sur “Cologne, suite. L’écrivain algérien Kamel Daoud  « fatwatisé » par des intellectuels français

  • Gérard Bérilley

    Très bon article, vrai­ment néces­saire. Les articles de Fawzia Zouari et de Michel Guerrin sont aus­si à lire abso­lu­ment. Ce lyn­chage média­tique dont Kamel Daoud et la liber­té de pen­ser et de publier sont les vic­times, me fait pen­ser une fois de plus à la magni­fique phrase de Nietzsche : « On a tou­jours à défendre les forts contre les faibles ».

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    • J’ai ajou­té l” « objet du délit » comme pièce à conviction…
      Merci pour la phrase de Nietzsche ; comme presque tou­jours le concer­nant, elle mérite atten­tion, notam­ment en ce qu’elle ren­voie à la notion si mal com­prise de sur­homme comme héraut de la vie pleine – et non l’in­verse mor­ti­fère des nazis et, aujourd’­hui, des hordes de Daech.

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      • Gérard Bérilley

        Oui, oui ! Le « fort » selon Nietzsche c’est celui (ou celle) qui affirme la Vie, qui est dans une rela­tion créa­trice au Monde, et qui, ce fai­sant, se déter­mine non pas par l’ex­té­rieur mais par ce qu’il porte en lui. Le « fort », c’est par exemple Montaigne, Robert Hainard, et dans les per­son­nages lit­té­raires Alexis Zorba. Le faible, au contraire, ne vit qu’en fonc­tion de ce qu’il n’est pas, il oppose d’a­voir un non alors que le fort affirme un oui, il est cet homme du res­sen­ti­ment qu’il a si bien ana­ly­sé dans sa « Généalogie de la morale ». Alors oui, il faut tou­jours défendre les forts contre les faibles, car le faible a en haine le fort, le faible c’est jus­te­ment l’homme gré­gaire, l’homme du lyn­chage, de la haine sour­noise ou affi­chée. Il est un très beau petit livre qui éclaire tout cela, c’est le « Nietzsche » de Gilles Deleuze qui était publié au PUF dans la col­lec­tion Philosophes. Je ne sais s’il est encore trou­vable, publié, actuel­le­ment. La « peste émo­tion­nelle » concep­tua­li­sée et ana­ly­sée par Wilhelm Reich est très proche du concept de res­sen­ti­ment de Nietzsche. Wilhelm Reich avait com­pris Nietzsche.

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      • Gérard Bérilley

        J’ai oublié : j’ai enten­du Fawzia Zouari ce matin à France Inter, avant 8 heures, concer­nant Kamel Daoud. (Je n’ai pu entendre que la fin de ses propos.)

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  • Merci Gérard, ça fait du bien de voir qu’il reste des esprits libres dans ce pays
    et que tout le monde ne sombre pas dans le déni de réalité.
    Comme au temps du sta­li­nisme, les « men­teurs déconcertants »
    et les « idiots utiles » sont les alliés zélés des intégristes.

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  • Nous avons, hélas, adop­té la posi­tion de Daoud plu­tôt que celle de Charb : s’é­cra­ser, sinon réduire consi­dé­ra­ble­ment la voi­lure. Les isla­mistes sont en train de gagner. Il ne reste qu’à parier sur la guerre civile.

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    • Développe, car je ne te com­prends pas ! Et ton pari me fait peur„ sur­tout si on devait s’y résigner.

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      • Faire court abrège aus­si l’en­ten­de­ment… Mon « nous » dési­gnait plu­tôt la bien-pen­sence ; et il faut bien recon­naître que de Charlie à Daoud, il y a une forme de rési­gna­tion face à la peste émo­tion­nelle isla­miste (v. mon « Islamisme vs liber­té d’ex­pres­sion, une guerre asy­mé­trique »). Quant à la guerre, bien qu’­haïs­sable, que faire quand on est dési­gné comme chien à abattre par des fous furieux qui ne dis­cutent pas ?

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