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Bonne année ! et qu’on n’en parle plus

Comme pour les œufs de Pâques, le sapin, le père Noël, les rituels sont devenus des automatismes aux origines perdues dans les affres de la surconsommation. Le Nouvel an, lui, correspond à une convention de calendrier, lequel change à l'occasion selon les us et coutumes. Tandis que le Renouveau vrai se trouve signifié dans l'ordre cosmologique des solstices. Lesquels sont symboliquement fêtés par les feux de la Saint-Jean, au printemps, et Noël en hiver. À l'origine, Noël est une fête romaine célébrée dans la nuit du 24 au 25 décembre. Jusqu'à la christianisation de l'Occident, elle était appelée Dies Natalis Solis Invicti et correspondait au jour de naissance de la divinité païenne Sol Invictus. Le petit Jésus s'est ainsi glissé dans la crèche ecclésiale, comme le coucou dans le nid d'autrui.

bonne année ça va passer
Glané sur la toile.

Qu'on se souhaite la bonne année à tout va, ça ne mange pas de pain – ou alors, pour la « bonne santé ! », avec huîtres et muscadet. Certains en profitent pour dispenser des pelletées de vœux sans conséquences. D'autres se font le coup des « bonnes résolutions » qui s’affalent dans la semaine, au plus tard à l’Épiphanie, ses galettes, ses fausses fèves, et encore un p’tit coup de blanc ou de pétillant. Et la vie passe. Passons à autre chose…

D’autres encore se rebiffent. Prenons le cas de feu l’iconoclaste Pierre Desproges :

« Qu’est-ce que le premier janvier, sinon le jour honni entre tous où des brassés d’imbéciles joviaux se jettent sur leur téléphone pour vous rappeler l’inexorable progression de votre compte à rebours avant le départ vers le Père Lachaise…

« Cet hiver, afin de m’épargner au maximum les assauts grotesques de ces enthousiasmes hypocrites, j’ai modifié légèrement le message de mon répondeur téléphonique. Au lieu de dire « Bonjour à tous », j’ai mis « Bonne année mon cul ». C’est net, c’est sobre, et ça vole suffisamment bas pour que les grossiers trouvent ça vulgaire. » (Pierre Desproges, Chronique de la haine ordinaire, Seuil, 1987).

Rien à redire, c’est taillé dans le diamant.

Plus étonnant l’aphorisme 276 de Nietzsche dans son Gai savoir (1882) :

Nietzsche bonne année « Pour la nouvelle année. Je vis encore, je pense encore : je dois encore vivre, car je dois encore penser. Sum, ergo cogito ; cogito, ergo sum. Aujourd'hui, chacun ose exprimer son vœu et sa pensée la plus chère : soit ! Je veux donc dire moi aussi ce qu'aujourd'hui je me souhaitais à moi-même et quelle pensée a cette année été la première à traverser mon cœur – quelle pensée doit être le fondement, la garantie et la douceur de toute pensée à venir ! Je veux toujours plus apprendre à voir la nécessité dans les choses comme le beau – ainsi serai-je l'un de ceux qui rendent belles les choses. Amor fati : que cela soit à présent mon amour ! Je ne veux mener aucune guerre contre le laid. Je ne veux pas accuser, je ne veux pas même accuser les accusateurs. Que détourner le regard soit mon unique négation ! Et, en tout et pour tout, et en grand : je veux, en n'importe quelle circonstance, n'être rien d'autre que quelqu'un qui dit oui. »

méditation bonne année
[© Ph. DR] Cliquer dessus
Étonnant, non ? comme aurait dit notre Desproges, en l’occurrence plus nietzschéen que l’auteur de Zarathoustra, plus nihiliste que lui, le dynamiteur de la culture occidentale moderne. Lequel traversait alors sa période dite positiviste, illustrée par cette franche affirmation vitale. Si tant est qu’on puisse « périodiser » une telle pensée, sinueuse et foisonnante. N’empêche, cette célébration du Nouvel an résonne sur l’air de l’Éternel retour, notion aussi ambiguë qu’empreinte de mysticisme. En tout cas, elle rejoint celle du Soleil invaincu des Romains, d’ailleurs déjà vénéré par les Égyptiens antiques et leur barque céleste.

 

Les incrédules se borneront à la succession des crépuscules et des aurores, avec terminus final – « tous les voyageurs descendent ». En fait, dans notre voyage, on ne sait jamais ce qui nous attend. Comme pour ce bouquetin qui, par bonheur royalement insouciant, ne se pose même pas la question. Il est. Il est hic et nunc, ici & maintenant dans son absolue présence au monde. Il n’y avait que le photographe, et nous, voyeurs, pour s’interroger sur la précarité de la vie côtoyant une sorte d’éternité. Étourdissant, non ?

 

Bonne année quand même, bonne année surtout !

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Gerard Ponthieu

Journaliste, écrivain. Retraité mais pas inactif. Blogueur depuis 2004.

19 réflexions sur “Bonne année ! et qu’on n’en parle plus

  • Et comme je l’ai lu quelque part : « J’sais jamais, on avance ou on recule d’une année ? »

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    • Pour vrai­ment savoir (mais le faut-il alors ?), y a qu’à regar­der le sablier… On voit les grains se dépê­cher d’au­tant plus vite qu’il en reste peu…

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  • Bérilley Gérard

    Tout d’a­bord : Bonne Année à tous !
    (Je ne crois pas que l’ab­sence de conven­tions, de rites, de repères anni­ver­saires dans le pas­sage du temps soient obli­ga­toi­re­ment un pro­grès, ni des preuves de liber­té d’es­prit ou de rela­tions humaines plus authen­tiques, moins alié­nées. Il n’y a pas de liber­té ni de vie sans structures.)
    Le texte de Nietzsche est abso­lu­ment sublime : il nous invite à ne plus perdre notre temps dans la cri­ti­co­ma­nie, dans le res­sen­ti­ment et tout ce qui s’en suit. Il est plus néces­saire, vital, d’af­fir­mer ce qui a valeur que de pas­ser son temps à cri­ti­quer ce qui est sans valeur. La voie de la néga­ti­vi­té, de la cri­tique, est sans fin, et ne nous dit en rien ce qu’est notre iden­ti­té véri­table, ce qu’est notre désir. On ne fait pas une vie sur le res­sen­ti­ment. On fait une vie, une vie riche, sur l’af­fir­ma­tion, quand on fait vivre ce qui en nous demande affir­ma­tion, demande à vivre en affir­ma­tion. Le sens de l’Eternel Retour chez Nietzsche, et Gilles Deleuze montre bien cela dans son petit livre sur Nietzsche dans la col­lec­tion « Philosophes » des Presses Universitaires de France ( ce livre est-il encore édi­té ?), est d’ex­pul­ser par force cen­tri­fuge les forces réac­tives de res­sen­ti­ment et de mau­vaise conscience. Ce dont on veut le retour éter­nel c’est for­cé­ment ce que l’on aime véri­ta­ble­ment, et c’est la preuve même que là on aime et désire vraiment.
    Un autre de mes « héros », Robert Hainard, a dit : « Les seuls gens heu­reux sont ceux qui jouissent de la beau­té du monde ». C’est une phrase magni­fique qui dit la même chose au fond que Nietzsche. Montaigne disait aus­si, dans le der­nier cha­pitre des Essais, De l’ex­pé­rience : « Pour moi donc, j’aime la vie et la cultive telle qu’il a plu à Dieu nous l’oc­troyer. […] Tout bon, il a fait tout bon. »
    Chez ces trois hommes : ce qui compte c’est l’af­fir­ma­tion de la Vie et de la volon­té de vivre au mieux cette Vie, cette Vie là. C’est la beau­té de la Vie, c’est la Beauté du Monde. C’est ce que je sou­haite à tous en ce début d’an­née et chaque jour.

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    • graille bernadette

      J’adhère com­plè­te­ment à cette pensée
      merci

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    • Comme à Bernadette, je fais obser­ver que l’ou­trance de Desproges relève du second degré – qui peut tou­jours être pris au pre­mier, la preuve. Bien sûr que les rites rem­plissent des fonc­tions – dont on peut d’ailleurs dis­cu­ter après les avoir obser­vées et décrites (objet de l’an­thro­po­lo­gie). Quant à « jouir de la beau­té du monde », certes c’est un beau pro­gramme – quand il peut s’appliquer…

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      • Bérilley Gérard

        Non Gérard, « jouir de la beau­té du monde » n’est pas et ne peut pas être un pro­gramme. D’ailleurs Robert Hainard ne donne pas cela comme une injonc­tion, il constate un fait (consta­ta­tion que je crois très juste). Pour jouir de la beau­té du monde il faut « seule­ment » être en ouver­ture au monde, et tant de gens n’y sont pas, vivent en aveugles. J’entends quel­que­fois des qui se targuent de phi­lo­so­phie dirent qu’il faut réen­chan­ter le monde, mais le Monde a tou­jours été enchan­té ! (Il n’y a qu’eux qui ne le savent pas !) C’est nous qui ne voyons pas sa beau­té, à force d’être obnu­bi­lés par nos pen­sées, par nos sou­cis, et sur­tout par nos ambi­tions. Ouvrir les yeux c’est déjà jouir de la beau­té du monde : regar­der le vol du cor­beau dans le vent, la lumière sur les toits, la vio­lette qui sort de terre, la beau­té d’un arbre, d’un visage, et tout et tout… Tout cela est gra­tuit, et c’est notre propre vide inté­rieur, notre propre pau­vre­té inté­rieure, qui nous poussent à consom­mer pour rem­plir ce vide. Krishnamurti a dit plus d’une fois que si nous étions en contact avec la beau­té nous irions moins dans les musées, les expo­si­tions, pour ten­ter de la trou­ver. Je res­sens cela tout à fait. Je suis hor­ri­fié de consta­ter à quel point des amis, des connais­sances, sont si peu atten­tifs au monde, à la Nature, à ce qui est. Je me rap­pelle par exemple une balade avec un copain dans un endroit mer­veilleux, balade mas­sa­crée car ce copain n’y avait pas arrê­té de me par­ler de ce qui n’a­vait rien à voir avec là où nous étions. C’est ain­si que nous détrui­sons notre vie, nos vies. Je crois qu’il faut en reve­nir à des maîtres de vie : Montaigne, Thoreau, Hainard et com­bien d’autres aus­si, célèbres ou ano­nymes comme mon vieux voi­sin jar­di­nier qui savait si bien vivre le moment pré­sent sur ce qu’il était lui, authen­ti­que­ment. « Vivre à pro­pos », c’en était un maître autant que Montaigne. Chapeau bas !
        Je ne peux m’empêcher de joindre deux pen­sées qui vont à la ren­contre de ce que dit Nietzsche :
        « Nous appe­lons beau ce qui est simple, sans acces­soires super­flus, et qui répond exac­te­ment à sa destination. »
        Ralph Waldo Emerson (1803 – 1882)

        « Je ne nie rien, que ce qui nie. »
        Robert Hainard (1906 – 1999), dans son livre « Défense de l’image. »

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    • Aqua

      Une Piste aux Etoiles .…… que j apel­le­rai de Tous Mes Voeux 2018 !!

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  • gaby

    Pour moi, ce sera bon an. Inclusivons ! C’est obligatoire !

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  • graille bernadette

    Merci Geai de nous avoir offert comme carte de vœux, ce magni­fique bou­que­tin en médi­ta­tion au des­sus de l’im­men­si­té du vide. La séré­ni­té de cet ani­mal dans cette situa­tion périlleuse, nous force à trou­ver belle cette pho­to qui nous parle même un jour de l’an.
    Surtout un jour où la liesse s’ex­prime avec force alcool et paillettes. On touche là à l’es­sen­tiel en sou­hai­tant pour la nou­velle année : séré­ni­té et beau­té à tout le monde.
    Ceci dit, j’aime rece­voir des cartes de vœux car les mots choi­sis sont autant de liens noués ou renoués avec des gens que j’aime.
    Je ne suis pas du tout en phase avec la réac­tion de Desproges.

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    • Hmmm ! Tu oublie­rais donc la dimen­sion « second degré » et pro­voc de cet artiste du genre ?

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      • graille bernadette

        Il y a des second degrés que je n’aime pas.
        Provoc ? oui mais pour dire quoi ?
        J’aime les pro­vocs qui bous­culent dans le but de faire avancer.
        Là ?

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  • gaby

    J’aime à lire Pierre Dac, Pierre Desprosges, Jean Yanne…Dont per­sonne ne nous oblige à pen­ser qu’ils étaient de gauche. J’aime à lire les écri­vains de droite, ou comme dit tels, Antoine Blondin, Marcel Aymé… Je connais pas tout… Ah oui, pen­dant qu’on y est… D’Ormesson – Jean… Et Borgès, bien sûr (L’Anarchiste modé­ré) Jûnger ? Je m’in­ter­roge. J’aime à lire les écri­vains de droite qui m’o­bligent à à l’in­tel­li­gence. Existe-t-il encore des pen­seurs de gauche qui pour­raient obli­ger à l’intelligence ?
    J’ai des doutes.

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    • Pourquoi tes doutes ? Pourquoi n’y en aurait-il pas ?! Cherche mieux (trouve tout seul). Pour le reste, OK. Ne pra­ti­quons pas l’entre soi idéo­lo­gique : les faits, les idées d’a­bord ; puis libre inter­pré­ta­tion, cha­cun sa par­ti­tion, sa musique. Jusqu’au concert qui devrait nous ras­sem­bler. « Nous », dont les dif­fé­rences nous enrichissent.

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  • Topart

    Les mots ont pour moi une vie et une force par­ti­cu­lière et même au second degré ils sont percutants

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  • la pie

    J’aime les tra­di­tions comme j’aime feuille­ter un album et retrou­ver les visages de mes anciens.
    Alors, bien que chez moi le nou­vel an ne sera qu’en février : Têt de l’an­née du chien, je vous dis Chúc mừng măm mới

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