Nucléaire. Pour effacer un lourd passé industriel… et médiatique, Areva devient Orano…
Par Stéphane Lhomme
Directeur de l’Observatoire du nucléaire
[dropcap]Areva[/dropcap] devient donc Orano. Changer de nom, une bonne vieille méthode utilisée depuis qu’existent la corruption, les faillites, les échecs industriels. Le nucléaire en a d’ailleurs souvent usé : en Grande-Bretagne, après un très grave accident en 1957, le site de Windscale est devenu Sellafield. En Corée du Sud, en 2013, deux centrales ont changé de nom pour moins nuire à l’économie locale.
En France, en 2001, les noms sulfureux de Framatome et Cogéma ont été effacés au profit d’une trouvaille d’agence de com, Areva, sous la houlette d’une "grande prêtresse" de l’atome, Anne Lauvergeon. En 15 ans, cette dame a probablement battu tous les records en matière de désastre industriel et financier. Pour ne pas lasser, nous n’évoquerons ici que les plus fameux de ses "exploits".
En 2003, celle que la majorité des médias vénèrent brade pour 3 milliards à la Finlande un réacteur de type EPR, assurant le construire en 4 ans et demi. Nous sommes en 2018 et le chantier ne voit toujours pas son terme, la facture dépasse les 10 milliards et la justice internationale s’apprête à condamner la France à rembourser plusieurs milliards aux Scandinaves.
En 2005, Areva lance à grands frais aux USA la construction d’usines pour fabriquer les composants des "nombreux" EPR qui vont "sous peu" être vendus aux Américains. Des dépenses ruineuses pour rien : aucun EPR vendu.
En 2007, Mme Lauvergeon fait acheter pour 3 milliards par Areva la désormais fameuse Uramin, une entreprise propriétaire de mines d’uranium… sans uranium. Aujourd’hui, la dame et son mari, M. Fric le bien nommé, sont mis en examen dans cette tentaculaire affaire de corruption.
En 2011, "Atomic Anne" est exfiltrée d’Areva, le soin d’annoncer la faillite de l’entreprise étant laissé à ses successeurs. Pourquoi le président Sarkozy a-t-il pris soin de dédouaner Mme Lauvergeon de son bilan catastrophique ? Et pourquoi l’affaire Uramin traine-t-elle en longueur ? Assurément parce que la dame en sait long sur beaucoup de turpitudes et menace d’entrainer du beau monde dans son éventuelle chute…
Aujourd’hui, Areva a été scindée en trois parties :
• l’une a été renommée (ironiquement ?) Framatome et bradée à EDF ;
• la deuxième est une structure de défaisance sur le modèle du fameux consortium qui a autrefois repris la dette abyssale du Crédit Lyonnais : une fois encore, ce sont les citoyens qui vont honorer la douloureuse facture ;
• la troisième se voit donc désormais appeler Orano pour tenter d’enterrer le sulfureux passé industriel d’Areva.
Lourde responsabilité de nombreux médias
Mais il est une corporation qui se dépêche aussi d’enterrer Areva pour faire oublier ses propres errements, il s’agit de ce que l’on appelle "les médias". Bien sûr, tous les journalistes et tous les médias n’ont pas été complices d’Anne Lauvergeon et d’Areva mais, pendant 15 ans, beaucoup l’ont été et certains de façon plus que dithyrambique. Voici d’ailleurs un petit florilège très loin d’être exhaustif :
Challenges - 1er janvier 2004
Anne Lauvergeon, l’énergie du nucléaire
Sous sa féminité, qui a séduit la gauche comme la droite, une poigne de fer au service d’un pari : la relance de l’industrie atomique française.
Le Figaro du 11 novembre 2004
Anne Lauvergeon, de l’Élysée à Areva
Les pionnières qui ont marqué le XXe siècle
Les Echos - 04/11/2005
Anne Lauvergeon, femme puissante
Anne Lauvergeon, quarante-six ans, la présidente du groupe nucléaire, reste bien la femme d’affaires la plus puissante dans le monde, hors Etats-Unis
Le Monde - 07.07.06 - Jean-Michel Bezat
Anne Lauvergeon, la forte tête du nucléaire
Tout la sert, son passé de sherpa, ses voyages réguliers avec le président de la République, son rôle d’ambassadrice du nucléaire made in France.
L’expansion - 01/01/2008
Anne Lauvergeon, l’électron libre
Fonceuse et obstinée, la dirigeante d’Areva n’a besoin de personne pour bâtir un géant mondial du nucléaire. A bon entendeur...
Challenges - 28.02.2008
Comment « Atomic Anne » a imposé Areva
Regrouper les acteurs au nucléaire français dans une même entité ? Le pari était osé. Retour sur ce tour de force d’Anne Lauvergeon, aujourd’hui à la tête du groupe français le plus prometteur.
Télégramme - 30 octobre 2008
Anne Lauvergeon, la reine de l’atome
Présidente d’Areva depuis 1999, « Atomic Anne », comme la surnomme la presse américaine, a réussi à rendre le nucléaire respectable.
Les Echos - 25 février 2009
Le mystère Lauvergeon
Adulée par les uns, détestée par les autres, cette femme à poigne, qui présente aujourd’hui les résultats de son groupe, confirme qu’elle est une figure à part du patronat français.
TF1 - 20 août 2009
Anne Lauvergeon, Française la plus puissante du monde !
Le Parisien - 10 mars 2010
Un jour avec...Anne Lauvergeon, PDG du groupe AREVA
Une pression que l’ancienne sherpa de François Mitterrand, saluée comme l’une des femmes les plus influentes du monde dans les palmarès internationaux, absorbe avec flegme et distance.
Marianne - 21 mai 2011
Anne Lauvergeon, la femme que personne n’arrive à atomiser
Portrait de la reine de l’atome.
La palme pour Dominique Seux...
La palme revient très certainement à l’inénarrable Dominique Seux, éditorialiste ultra-libéral des Echos qui bénéficie de façon inexplicable, et depuis de longues années, de l’antenne du service public (France Inter) pour infliger son idéologie partisane aux auditeurs, sans personne pour le contredire.
Le plus incroyable est que, au nom justement de son idéologie ultra-libérale, il devrait condamner le nucléaire qui ne (sur)vit que sous perfusion d’argent public, de recapitalisations par l’Etat, etc. Or M. Seux a été depuis le début du siècle l’un des plus fidèles zélateurs d’Areva et d’Anne Lauvergeon, allant jusqu’à écrire des choses stupéfiantes comme
"L’Etat doit tenir compte du fait que dans la durée Areva est une vraie réussite qui a un carnet de commandes plein et qu’Anne Lauvergeon a un charisme assez exceptionnel." (Les Echos, 19 janvier 2010).
Hélas le ridicule - dans la durée ! - ne tue pas et du coup M. Seux, loin de faire amende honorable, est encore là et entonne aujourd’hui exactement le même refrain, comme s’il ne s’était pas déjà tant trompé et déconsidéré. Ainsi, lors de la récente visite de M. Macron en Chine, comme au bon vieux temps de Sarkozy et Lauvergeon, il a célébré la prétendue vente d’une usine de retraitement des déchets radioactifs le 10 janvier sur France Inter. Voyez un peu :
"Pour Areva, ce sont 10 à 12 milliards d’euros garantis, c’est beaucoup", "ces contrats, quoi que l’on pense du nucléaire, sont la reconnaissance de la qualité des ingénieurs français", "on espère bien sûr que les autorités de sûreté nucléaire chinoises sont aussi sérieuses qu’en France".
En réalité, comme annoncé le jour même par l’Observatoire du nucléaire, et confirmé par Le Monde le 23 janvier, la vente de cette usine est plus que virtuelle et n’a servi qu’à égayer la visite de M. Macron (les Chinois sont des ôtes prévenants… avant d’être des négociateurs intraitables).
Il n’y a donc aucune reconnaissance d’une prétendue "qualité des ingénieurs français" dans le nucléaire alors que, faut-il le rappeler, les désastres des chantiers des EPR de Finlande et Flamanville et le scandale des milliers de pièces défectueuses produites pendant des décennies par Areva au Creusot ont démontré la nullité de l’industrie nucléaire française et l’incompétence (ou la complicité) de l’Autorité de sûreté nucléaire qui n’a rien vu (ou rien dit) de ces malfaçons.
... désormais dépassé par Axel de Tarlé
Mais, malgré son zèle, Dominique Seux est assurément dépassé par un concurrent plus jeune et plus ridicule encore, Axel de Tarlé (Europe 1) qui, toujours le 10 janvier 2018, a battu tous les records comme vous pouvez le constater :
"La France est le pays de l’excellence en matière nucléaire et les Chinois le prouvent. ", "Le fameux EPR que nous avons du mal à faire démarrer, en Chine il fonctionne", "Et puis surtout, il y a eu ce méga-contrat de 10 milliards d’euros pour une usine de retraitement des déchets", les Chinois sont en train de sauver cette filière française aussi bien sur le plan financier que dans nos têtes".
Or personne ne peut prouver que la France serait "le pays de l’excellence nucléaire" puisqu’elle est au contraire celui du ridicule et de l’incompétence atomique, les Chinois ne sauvent rien puisqu’ils n’achètent pas cette usine (et s’ils l’achètent finalement, cela coûtera des milliards… à la France !), quant à l’EPR, il ne fonctionne pas plus en Chine qu’en France ou en Finlande et présente là aussi des milliards de surcout, des années de retard et des cuves défectueuses (car livrées par Areva !).
A défaut de changer de nom comme leur chère (très chère !) Areva, MM Seux et de Tarlé devraient être renvoyés à l’école de journalisme[ref]Axel de Tarlé est issu de l'École supérieure de commerce de Toulouse, ceci expliquant peut-être cela… Note de GP.[/ref], et M. Fric et Mme Lauvergeon relogés à Fleury-Mérogis.
Stéphane Lhomme
Directeur de l’Observatoire du nucléaire
http://www.observatoire-du-nucleaire.org
Excellent article ! A diffuser tous azimuts !
La liste des « cirages de pompes » établie ici par Stéphane Lhomme à propos d’Anne Lauvergeon est significative du comportement moutonnier de la gent médiatique. Ce comportement s’étend évidemment au-delà du secteur nucléaire, et il tend à s’aggraver. D’une part du fait d’internet, propice à la propagation rapide et étendue des « mêmes » ; d’autre part, en raison des concentrations des médias de masse et des obligations de rendement capitaliste imposées aux rédactions avec, pour conséquence, la raréfaction des sources d’information. Le métier d’informer est de plus en plus assigné aux « journalistes assis », au détriment des reporters et enquêteurs. C’est ainsi que le mimétisme gagne sur l’ensemble des comportements et pratiques journalistiques et que l’on retrouve les mêmes sujets traités de la même manière. On pourrait penser que les « réseaux sociaux » compensent cette dégradation par une offre augmentée et diversifiée en sources. J’y vois plutôt une illusion. En effet, les médias professionnels retrouvent sur la toile numérique les mêmes limitations en moyens d’investigation, tandis que le foisonnement des sites et blogs exposent à la propagation de « nouvelles » non vérifiées selon les règles de l’art, ouvrant la voie aux « fake news », rumeurs, complotisme et théories fumeuses. Un débat sur le sujet serait bienvenu.