Du harcèlement des femmes, de la question du pouvoir, de la sexo-politique
Et le harcèlement médiatique alors ? Oui, on n’est pas forcés de suivre le feuilleton… un peu quand même. Trop ! Quand on ouvre son poste, ses écrans, son canard et tout, ça dégouline de harcèlement sexuel. Les choses tendent à se calmer, alors que surgissent, heureusement, les questions de fond. Dont celle, et non des moindres, de la place de la femme dans les sociétés, ce marqueur de civilisation. Questions de fond, mais quelles réponses ?
[dropcap]Cette[/dropcap] affaire, il fallait bien qu’elle partît d’Hollywood pour atteindre un tel sommet spectaculaire. Le risque était, de ce fait, qu’elle demeurât dans la sphère du showbiz, dans l’entre-soi de ces vedettes soudain affectées à des rôles de néo-guerrières du sexe féminin, ayant débusqué le Diable en personne, symbole honni du porc à balancer. Mais non, ces happy few auront provoqué une révolution inattendue, à la manière dont les « bourgeois à talent »[ref]Expression qu’affectionnait l’historienne Madeleine Rebérioux †.[/ref] avaient contribué à déclencher la Révolution française. N’avaient-ils, pour autant, profité des largesses de l’Ancien régime ? N’avaient-elles aussi, ces égéries du star-system, un peu trop joué avec le feu de leurs charmes qu’elles eurent – parfois (attention aux généralisations coupables) – la faiblesse de monnayer sur le marché des écrans, des scènes, de tous ces lieux du paraître ? La question peut sembler osée, provocante, dangereuse, en ces jours de l’ordre nouveau qui voudrait remettre les sexes davantage à leurs places.
Davantage, c’est le mot, qui relativise la portée du changement, selon les temps, les lieux, les mœurs. Ici même, il reste à inclure la femme, dans cette France « des droits de l’homme ». Quand par exemple – ce 31 janvier 2018, exactement – un avocat de meurtrier[ref]« Présumé meurtrier», qualificatif de rigueur légale. Même si la procureure déclare : « Cela ne fait aucun doute, il y a bien eu meurtre », on n’en connaît pas l’auteur tant que la Justice n’aura pas « tranché », si on ose dire.[/ref] de sa femme anticipe la défense de son client sur le registre d’une épouse « à la personnalité écrasante ». Ce serait alors lui la victime… Comment ne pas évoquer aussi les qualifications de « crime passionnel » pour atténuer pénalement les responsabilités des criminels. Oserait-on encore user d’un tel sophisme, maintenant que notre société se dirige peu à peu vers une réelle égalité des sexes ? Justement, c’est une direction, pas un état de fait établi, reconnu, pratique, « entré dans les mœurs ». D’ailleurs, comme souligné ci-dessus, les choses sont à relativiser selon les lieux, les époques et lesdites mœurs.

Ainsi, dans les régimes théocratiques ou, peu ou prou, sous la coupe des religions et de leurs clergés, la route reste à tracer ! Les progrès, quand il y en a, demeurent minimes – toujours bons à prendre, certes. Comme en Arabie saoudite, pays féodal, où les femmes (du moins celles de la société dominante) viennent d’obtenir de leurs tyrans mâles (par la grâce du prince mâle héritier…) le droit d’aller au concert… en restant sagement entre elles, certes. Elles peuvent aussi désormais apprendre à conduire les voitures – derrière la fente étroite de leurs burqas. Un début de progrès.
Ailleurs, dans au moins les deux tiers des pays du monde, les femmes continuent à avoir le droit de perpétuer l’espèce, de porter les enfants dans le dos en même temps qu'un bidon d'eau sur la tête, ou des fagots pour le chauffage et la cuisine. Et le droit suprême de la fermer. « Que ne mettent-elles tout ça par terre ? » comme aurait dit Molière ! Si, pour parodier un célèbre prédicateur, la libération des femmes sera l’œuvre des femmes elles-mêmes, les hommes doivent tout de même se poser la question de leur dominance, interroger leur histoire, et cela depuis le paléolithique avec le passage du matriarcat des « chasseurs-cueilleurs » au patriarcat des débuts d’une civilisation agraire et marchande, prémices de l’agriculture intensive dont nous sommes les héritiers survivants et maladifs – ce dont nous n’aurons conscience qu’au début du XXe siècle ! Tandis qu’entretemps, dans ce « long temps d’une courte histoire », hommes et femmes auront perdu le lien commun qui les reliait aux mêmes joies vitales, une communion (qu’on me passe le mot, à prendre dans ses racines : union commune) avec la Terre. C’est la guerre désormais, celle qui, avant de tuer, éventre les sols comme un violeur la femme ; laboure dans la haine de la nature, son asservissement par la technique triomphante et, pour comble, la domination de l’homme par l’homme, de l’homme sur la femme. La survie sur la vie.
Réharmoniser les rapports homme/femme, quel plus beau, bref et impérieux programme ? Celui sans lequel toutes les Conférences des parties, de la COP 21 à la 2000e, resteront lettre creuse.

Re-prendre les rênes, pour les femmes, pour leur propre compte, pour leur vie… Cela présuppose qu’elles aient pu tenir un rôle déterminant dans l’histoire longue de l’homo sapiens, au moins à égalité dans la répartition des tâches, autant que dans la prééminence de la fonction maternelle – celle de donner la vie. Fonction plus magique encore que biologique, dont l’homme a pu se sentir dépossédé, au point de s’en plaindre auprès des divinités qu’il allait invoquer, après les avoir inventées… S’ensuivront bientôt les cohortes séculaires vouées aux dominations religieuses organisées, régentées par des textes sexistes et spécialement anti-féminins – les trois monothéismes ayant parachevé en « Loi du Livre », chacun le sien, cette condamnation de la Femme à la souffrance coupable.
C’est dire – en raccourci extrême – à quel point la rébellion féminine a pu – et peut encore – macérer sous la chape de la domination masculine. Aujourd’hui elle ressurgit dans un contexte de reconquête bien plus avancée – dans les sociétés occidentales surtout, où les femmes peuvent affirmer leur plus grande autonomie : biologique, sexuelle, économique, sociale, culturelle. La « femme moderne » a le vent en poupe. Ses représentations dans le Spectacle universalisé – en particulier dans la publicité – la montrent triomphante et dominatrice, mue par le désir, l’intelligence, l’affirmation. Cependant qu’elle demeure objet sexuel marchandifié, dûment tarifé – je souligne le terme –, avec acmé hollywoodien. Cinglant paradoxe : c’est là, dans cette Mecque de l’artifice filmé et friqué, que le scandale a jailli. Comme s’il avait soudainement manqué à « la femme archétypale » cette égalité sexuelle qui lui permettrait de mettre les hommes au tapis – l’imparable coup bas dans les génitoires (restons corrects…) L’un est resté KO, cloué au sol et voué aux gémonies mondialisées – l’Affreux, le Porc… Je n’irais pas jusqu’à le montrer innocent, non, mais naïf, con, …couillon quoi ! Car « la chose », comme le sexisme, n’était-elle pas aussi vieille que le monde des studios et surtout de leurs coulisses ? De ce thème, ils ont même fait un film, Promotion canapé (1990), selon une métaphore franchouillarde du harcèlement d’aujourd’hui.
Les mecs en rabattent donc[ref]Là encore, il y a lieu de relativiser… Des millénaires de mâlitude dominante ne sauraient s'évaporer du jour au lendemain… Voir ici par exemple.[/ref]. Certains même se rabougrissent, sous le poids d’une culpabilité remontant aux dernières générations. Comme pour la colonisation des ancêtres, certains pourraient se risquer dans la repentance. Des femmes s’engouffrent dans la brèche, à l’occasion se font castratrices – stade radical du coup de genou… Ce serait la réponse inversée à la violence subie, une continuation de la guerre. Et l’amour dans tout ça ? c'est-à-dire cette intelligence des cœurs, des corps, des esprits (dans n’importe quel ordre, et plutôt tous à la fois !) ?
Mais les femmes ont-elles le désir du pouvoir ? De quel pouvoir s'agit-il ? Parle-t-on de la domination sur l'autre, ou seulement de l'affirmation de soi selon ses propres désirs ? Autant de questions sexo-politiques par excellence et, en particulier celle, précisément, de la dissolution de la question du pouvoir ! C'est-à-dire de la fin de la domination des uns par les autres. Qu'en est-il plutôt des impératifs de coopération, de solidarité, d’entraide, d’empathie et aussi de coévolution comme on dit de nos jours ? Celles invoquées depuis plus d’un siècle par des penseurs positivement engagés[ref]Formule générale pour évoquer, entre autres et pêle-mêle, Pierre Leroux, Charles Darwin, Piotr Kropotkine, Émile Durkheim, Léon Bourgeois, Jean Piaget… – que des mâles pensants, relayés à leurs manières, c'est-à-dire autrement par les Christine de Pisan, Olympe de Gouges, Louise Michel, Simone de Beauvoir, et toutes leurs descendantes.[/ref] Les « revanchardes du harcèlement » n’en sont pas, semble-t-il, à vouloir pacifier la lutte des sexes – pas plus que la lutte des classes n’a généré la paix sur terre. Il y a lutte, certes, mais doit-on s’y complaire ? Ou chercher d’autres voies, vers la recherche de solutions plutôt que la perpétuation des problèmes.
« Les femmes » ne sauraient constituer une entité, pas plus que « les hommes ». Les généralisations qui s’affrontent finissent dans des impasses. Comment en sortir ?
Comment en sortir ?
La question va être cruciale, désormais.
Mais…
Comment y entrer ? C’est pour dire : Dans le vif du sujet… Sans s’y perdre ici ou là… Où chercher d’autres voies ? « Respect », le mot, est devenu vieux, voire obsolète, au XXème s. « Séduction », « Désir » et « Plaisir » vont-ils suivre cette nouvelle censure, harcelant au quotidien le tout un chacun ?
Oui. Telles sont bien les bonnes questions d’aujourd’hui !
La possibilité de changer les comportements harceleurs et les vengeances injustes passe semble-t-il par l’éducation, très tôt en primaire, avec des cours de séduction réciproque et des TP de compréhension psychologique tout aussi symétrique : apprendre aux filles à pisser débout, aux garçons, accroupis. Entre autres.
Les femmes réagissent sans doute dans l’excès et surtout en s’engouffrant dans les travers masculins. Elles réagissent comme les peuples colonisés contre les peuples colonisateurs. Et bien entendu la presse adore. Cela fait vendre. L” homme de la rue se délecte …
Si les hommes pouvaient regarder les femmes comme des égales et si les femmes se considéraient à leur juste valeur, nous vivrions en bonnes relations.
Mon âge me permet d’avoir, hélas, connu la domination du mari sur son épouse, l’agrégation féminine, la répression si nous avions l’idée de limiter le nombre de nos grossesses… Comme beaucoup, Il a fallu se libérer petit à petit, avoir le cran de dire : Je demande le divorce. Non je regrette mais je choisis mes partenaires. Mais en prenant toujours soin de ne pas se mettre en danger. Parfois renoncer à une réussite sociale. Alors je comprends le déferlement de colère .
Merci à mon père, un asiatique, qui a su nous donner notre place et notre fierté de femme. Il nous a poussé à faire des études et à avoir un métier. C’est par là que tout commence , l’éducation familiale. Mais combien d’hommes sont ils heureux d’avoir des filles ? Combien de mères sont elles fières d’avoir des filles ?
J’ai entendu, dimanche à la télé, l’actrice Carole Bouquet rappeler qu’elle avait, jadis, été sifflée et interpellée (pour sa beauté) en Italie, sans pour autant s’être sentie harcelée. J’ai alors pensé à cette photo de Ruth Orkin.
Les rapports hommes-femmes… vaste sujet pour un blog. Je m’en tiendrais ici à deux remarques lapidaires mais invitant à la réflexion.
—-
1) Il y a une quarantaine d’années, quand j’étais étudiant, je suis tombé sur un bouquin qui a changé ma vie : « Dialectique du moi et de l’inconscient » de CG Jung. Je sais, le titre est pompeux, mais je ne livrerai ici que la brève et fulgurante conclusion que j’ai tiré à l’époque de sa lecture :
==> le monde se porterait mieux si les hommes (les mâles) cultivaient la part féminine de leur psyché (que Jung appelle « anima ») et si, inversement, les femmes entamaient un dialogue avec leur part masculine (« l’animus).
==> Enfin… ça, c’est ma conclusion d’hier. Ma conclusion d’aujourd’hui, c’est que ces mots (« psyché », « inconscient », « anima »…) ne signifient rien parce qu’ils relèvent de l’intériorité, terme qui, à lui-même, ne signifie plus rien, tant le monde d’aujourd’hui est devenu addict au « façonnage de l’extériorité » par 1001 moyens techniques.
—-
2a) Statistiquement, un homme est plus puissant physiquement qu’une femme. Les femmes sont déconsidérées par rapport aux hommes parce que « la Puissance » (la bagnole, la 4G, les « effets spéciaux » et autres artifices… tout ce qui fait Spectacle) constitue aujourd’hui la valeur suprême.
2b) Les femmes « donnent la vie », pas les hommes. La nature est déconsidérée parce qu’écrasée par la puissance. Notre planète est polluée, « violée », par les « moyens de production ».
==> Le monde se porterait mieux (bis) si les humains (hommes et femmes, ensemble) tournaient la page du productivisme et si, plus largement, ils cultivaient ce que Jacques Ellul appelle « l’éthique de la non-puissance ». L’impuissance, c’est « vouloir faire et ne pas pouvoir faire ». La non-puissance, c’est « savoir faire mais décider de ne pas faire ».
—-
On trouvera tout çà peut-être très « philosophique »… Pour ma part, je pense que le monde irait mieux si chacun était philosophe : aimer (philein) la sagesse (sophia) n’est jamais que le point de départ de toute vie concrète sensée.