Chronique d’un été (le mien). 3) Entre « punition du ciel » et bonne vision de la vie…
Sera-t-il possible, climatiquement parlant[ref]L’expression est moche, la chose l’est devenue aussi…[/ref], de choisir l’exil de son choix ? On en était là, dans ce repli montagneux et (plus) frais des Hautes-Alpes, dans ce terroir dit du Champsaur, aux portes du massif des Écrins encore tacheté du blanc de quelques névés. Les soirées y sont souvent foudroyantes, de quoi rafraîchir l’atmosphère et grossir les torrents et les lacs. On ne s’y lasse pas de humer l’air du temps – enfin d’un temps compté, ou plutôt décompté.
[dropcap]Saint[/dropcap]-Bonnet-en-Champsaur, 2 000 âmes, tous commerces, son marché. Et son ciné, le Central, ancienne salle paroissiale. Un monument historique, style La Dernière séance. Bien que sis rue de la Trésorerie, ses recettes restent exactement proportionnelles au nombre de spectateurs, à 5 euros la place. Faites le calcul, et retenez que cette lanterne magique est tenue par des bénévoles fondus de cinoche. Programme choisi[ref]On y a vu Au poste ! de Quentin Dupieux, avec Benoît Poelvoorde et Grégoire Ludig. Un poilant régal.[/ref], projection numérique et son impeccables. Bref un trésor en terre sauvage.
Terre sauvage, ouais, sous conditions touristico-marchandes. L’air du temps n’échappe pas aux profanations ordinaires à base, entre autres, de « motos vertes »[ref]Oxymore poussé à l’extrême, jus de concept de l’industrie des loisirs et des moteurs à explosions.[/ref] capables d’injurier toute une vallée ou un paisible lac et leurs pratiquants. La liberté de l’échappement… Jusqu’où donc, devrons-nous grimper dans l’arbre du « Progrès », vaillants résistants, pour célébrer la beauté de « ce monde où nous sommes venus mourir »[ref]Selon l’auteur japonais Natsume Soseki, dans Oreiller d’herbes.[/ref] sans avoir rien demandé.
« Pourtant, que la montagne… » est sublime. De nos jours, oui, sous le regard du tourisme insouciant. Nombreux sont les villages abandonnés, tel ce hameau de Navette, au-dessus de la vallée de la Séveraisse et de La Chapelle en Valgaudemar, un village perdu en bordure du torrent de Tempier, qui plonge ensuite dans les impressionnantes et dangereuses gorges des bien nommées Oules du Diable – c'est dire.
Alpes-Guide décrit ainsi les lieux : « Navette était autrefois une localité presque entièrement tournée vers l'activité pastorale grâce à la présence de nombreux terrains d'alpages, sur lesquels on envoyait bêtes et troupeaux. Relié par un petit chemin de terre à peine carrossable, rendu difficile par les descentes d'avalanches fréquentes du printemps, Navette formait après la première guerre mondiale, une petite communauté d'une vingtaine de fermes recouvertes de chaume. […] La vie s’y déroulait entre chapelle et école (une vingtaine d’élèves sur 90 habitants), loin du monde et de ses tumultes. »
Jusqu’à « la punition du ciel » tombée lors de crues dévastatrices, en 1928/29. En quelques mois, sous les énormes précipitations, le torrent déborda, inondant la plaine, les cultures, déversant ses gravières sur cette verte vallée. Pour Navette, ce fut le commencement de la fin.
Aujourd'hui, le village n'est que ruines, à l’exception de la petite chapelle, restaurée. Les maisons sont désormais livrées à la végétation. Donc, avis aux futurs réfugiés : s’éloigner du niveau de la mer, mais pour autant ne pas grimper trop haut ! Trouver enfin le juste milieu dans un monde en totale instabilité.
L’ont-ils trouvé ce subtil équilibre, Charles et Édouard, deux frères inséparables, paysans montagnards vivant de quelques brebis et d’un potager dans un petit village situé entre la Matheysine et l’Oisans, dans les Alpes françaises ? Cinéaste, Bernard Boyer les a filmés dans leur quotidien hors du temps – du moins de ce temps de la modernité.
Dans leur pauvre ferme, l’horloge marque la mesure, comme on marche, un pas après l’autre. L’intitulé du film donne bien le ton : Un jour pousse l'autre. Rien ne presse. Quand ils ont fini leur soupe, ils passent un coup de torchon au fond de l’assiette et la remettent dans le buffet. Pareil pour le verre, qu’ils secouent d’un geste vers le sol pour chasser la dernière goutte de rouge. Leur télé, c'est elle qui semble les regarder.
Ils échangent peu, dans un parler difficile à saisir, mais assez pour s’interroger sur ce que deviendra leur ferme à la mort de l’un d’eux. Ce qui s’est produit depuis le film, que l’auteur a ainsi projeté à Saint-Bonnet, au Central, justement. On n’en apprendra guère plus de la part du cinéaste, à la fois proche et éloigné de ses personnages, réduits à leur représentation, un peu comme s’ils n’avaient pas d’histoire, juste un vécu brut. Leur photo [ci-dessous], au fond, les représente au plus cru de leur existence. À chacun de la lire, selon sa propre vision.
Où se trouve donc le juste milieu ? Qu’il s’agisse de la bonne humeur du climat ; de la bonne hauteur de vue et de la bonne vision de la vie…À suivre
Il n’y a plus de juste milieu !!! Tu rêves !
Tu voudrais mettre 1 milliards 500 individus à la même hauteur géologique sur Terre ???
Mâ ! où ???
Manger, boire, dormir …
On fait comment ???
bizzz
Beau texte.
Je suis allé une fois en Valgaudemar, en juin 2001. A Saint-Maurice-en-Valgodemard : immense tilleul de Sully près de l’église. Le circaète en Saint-Esprit devant le Pic d’Olan. Balade à pieds dans la Vallée de la Navette. Magnifique région. Je me suis replongé dans l’album photos de ce voyage. Souvenirs. Merci.
« …jus de concept de l’industrie des loisirs… »
Il y aurait une liste bien plus importante que seuls les motards dits verts.
Ah ! Important pour le photographe que je suis : Où se trouve le juste milieu de la bonne vision de la vie … Dois-je m’y tenir ?
Oui, j’aime bien l’image du photographe cherchant à régler sa vie par la bonne distance (focale = au foyer de l’essentiel), la bonne ouverture (sur le monde), le bon cadrage (éliminer le hors champ), la bonne vitesse (le temps passe si vite…) Tout ça de préférence d’un seul œil, l’autre gardant le contact direct avec le monde. Je parle des vrais photographes, dans votre genre, pas les narcisses du selfie.
Quant aux motos « vertes », oui, il y a de quoi allonger la liste ! Et la vôtre, de moto, quelle couleur ?-)
Gris froid argenté, avec une pointe de noir. BMW R1200C. Pas de quoi monter aux arbres, ni dans les grailles. Encore moins faire les foins.
« …Terre sauvage, ouais, sous conditions touristico-marchandes… »
Oui, une liste de Chronique 4 développerait les sous-entendus.
Gris froid argenté, avec une pointe de noir. BMW R1200C. Pas de quoi monter aux arbres, ni dans les grailles. Encore moins faire les foins.
“…Terre sauvage, ouais, sous conditions touristico-marchandes…”
Oui, une liste de Chronique 4 développerait les sous-entendus.
Superbes les chroniques de ton été…
Je lis avec grand plaisir !
Quant aux motos vertes, là je m’autorise une parenthèse, il est vrai que les émissions sonores flatulentes (130dB) d’icelles pourraient nous induire en erreur, pensant que le carburant sale a été remplacé par du cassoulet Toulousain bio !