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Chronique d’un été (le mien). 3) Entre « punition du ciel » et bonne vision de la vie…

Temps de lecture : 4 mn env.

Sera-t-il possible, climatiquement parlant[ref]L’expression est moche, la chose l’est devenue aussi…[/ref], de choisir l’exil de son choix ? On en était là, dans ce repli montagneux et (plus) frais des Hautes-Alpes, dans ce terroir dit du Champsaur, aux portes du massif des Écrins encore tacheté du blanc de quelques névés. Les soirées y sont souvent foudroyantes, de quoi rafraîchir l’atmosphère et grossir les torrents et les lacs. On ne s’y lasse pas de humer l’air du temps – enfin d’un temps compté, ou plutôt décompté.

Comme une précieuse anomalie… (Ph. gp)

[dropcap]Saint[/dropcap]-Bonnet-en-Champsaur, 2 000 âmes, tous commerces, son marché. Et son ciné, le Central, ancienne salle paroissiale. Un monument historique, style La Dernière séance. Bien que sis rue de la Trésorerie, ses recettes restent exactement proportionnelles au nombre de spectateurs, à 5 euros la place. Faites le calcul, et retenez que cette lanterne magique est tenue par des bénévoles fondus de cinoche. Programme choisi[ref]On y a vu Au poste ! de Quentin Dupieux, avec Benoît Poelvoorde et Grégoire Ludig. Un poilant régal.[/ref], projection numérique et son impeccables. Bref un trésor en terre sauvage.

Terre sauvage, ouais, sous conditions touristico-marchandes. L’air du temps n’échappe pas aux profanations ordinaires à base, entre autres, de « motos vertes »[ref]Oxymore poussé à l’extrême, jus de concept de l’industrie des loisirs et des moteurs à explosions.[/ref] capables d’injurier toute une vallée ou un paisible lac et leurs pratiquants. La liberté de l’échappement… Jusqu’où donc, devrons-nous grimper dans l’arbre du « Progrès », vaillants résistants, pour célébrer la beauté de « ce monde où nous sommes venus mourir »[ref]Selon l’auteur japonais Natsume Soseki, dans Oreiller d’herbes.[/ref] sans avoir rien demandé.

« Pourtant, que la montagne… » est sublime. De nos jours, oui, sous le regard du tourisme insouciant. Nombreux sont les villages abandonnés, tel ce hameau de Navette, au-dessus de la vallée de la Séveraisse et de La Chapelle en Valgaudemar, un village perdu en bordure du torrent de Tempier, qui plonge ensuite dans les impressionnantes et dangereuses gorges des bien nommées Oules du Diable – c'est dire.

Alpes-Guide décrit ainsi les lieux : « Navette était autrefois une localité presque entièrement tournée vers l'activité pastorale grâce à la présence de nombreux terrains d'alpages, sur lesquels on envoyait bêtes et troupeaux. Relié par un petit chemin de terre à peine carrossable, rendu difficile par les descentes d'avalanches fréquentes du printemps, Navette formait après la première guerre mondiale, une petite communauté d'une vingtaine de fermes recouvertes de chaume. […] La vie s’y déroulait entre chapelle et école (une vingtaine d’élèves sur 90 habitants), loin du monde et de ses tumultes. »

Jusqu’à « la punition du ciel » tombée lors de crues dévastatrices, en 1928/29. En quelques mois, sous les énormes précipitations, le torrent déborda, inondant la plaine, les cultures, déversant ses gravières sur cette verte vallée. Pour Navette, ce fut le commencement de la fin.

« Ces crues, comme l’a raconté un des derniers habitants du hameau, ont donné le signe du départ. On n'avait presque plus rien et les routes n'étaient plus entretenues. Toutes les gravières que l'on voit aujourd'hui, recouvrent les champs d'autrefois. Quant aux ponts, ils avaient été emportés. […] Quand la première famille a quitté Navette, les autres ont suivi rapidement. […] Des 17 familles recensées en 1914, elles ne seront plus que 12 en 1929 puis aucune à la fin de 1937. « […] « Nous y sommes tous passés ! Nous avons essayé de faire un peu de résistance. Mais en vain. On ne pouvait rien face aux Eaux et Forêts qui plantaient leurs arbres. Alors, 15 jours avant la Noël, nous sommes partis avec nos bêtes et quelques affaires sur un traîneau, abandonnant notre maison. Nous étions tous en pleurs en descendant vers la Chapelle. »

Aujourd'hui, le village n'est que ruines, à l’exception de la petite chapelle, restaurée. Les maisons sont désormais livrées à la végétation. Donc, avis aux futurs réfugiés : s’éloigner du niveau de la mer, mais pour autant ne pas grimper trop haut ! Trouver enfin le juste milieu dans un monde en totale instabilité.

L’ont-ils trouvé ce subtil équilibre, Charles et Édouard, deux frères inséparables, paysans montagnards vivant de quelques brebis et d’un potager dans un petit village situé entre la Matheysine et l’Oisans, dans les Alpes françaises ? Cinéaste, Bernard Boyer les a filmés dans leur quotidien hors du temps – du moins de ce temps de la modernité.

Dans leur pauvre ferme, l’horloge marque la mesure, comme on marche, un pas après l’autre. L’intitulé du film donne bien le ton : Un jour pousse l'autre. Rien ne presse. Quand ils ont fini leur soupe, ils passent un coup de torchon au fond de l’assiette et la remettent dans le buffet. Pareil pour le verre, qu’ils secouent d’un geste vers le sol pour chasser la dernière goutte de rouge. Leur télé, c'est elle qui semble les regarder.

Ils échangent peu, dans un parler difficile à saisir, mais assez pour s’interroger sur ce que deviendra leur ferme à la mort de l’un d’eux. Ce qui s’est produit depuis le film, que l’auteur a ainsi projeté à Saint-Bonnet, au Central, justement. On n’en apprendra guère plus de la part du cinéaste, à la fois proche et éloigné de ses personnages, réduits à leur représentation, un peu comme s’ils n’avaient pas d’histoire, juste un vécu brut. Leur photo [ci-dessous], au fond, les représente au plus cru de leur existence. À chacun de la lire, selon sa propre vision.

Un jour pousse l’autre. Rien ne presse. © Bernard Boyer [Cliquer sur la photo]
Où se trouve donc le juste milieu ? Qu’il s’agisse de la bonne humeur du climat ; de la bonne hauteur de vue et de la bonne vision de la vie…

À suivre

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Gerard Ponthieu

Journaliste, écrivain. Retraité mais pas inactif. Blogueur depuis 2004.

7 réflexions sur “Chronique d’un été (le mien). 3) Entre « punition du ciel » et bonne vision de la vie…

  • eliette gensac

    Il n’y a plus de juste milieu !!! Tu rêves !
    Tu vou­drais mettre 1 mil­liards 500 indi­vi­dus à la même hau­teur géo­lo­gique sur Terre ???
    Mâ ! où ???
    Manger, boire, dormir …
    On fait comment ???
    bizzz

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  • Gérard Bérilley

    Beau texte.
    Je suis allé une fois en Valgaudemar, en juin 2001. A Saint-Maurice-en-Valgodemard : immense tilleul de Sully près de l’é­glise. Le cir­caète en Saint-Esprit devant le Pic d’Olan. Balade à pieds dans la Vallée de la Navette. Magnifique région. Je me suis replon­gé dans l’al­bum pho­tos de ce voyage. Souvenirs. Merci.

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  • « …jus de concept de l’industrie des loisirs… »
    Il y aurait une liste bien plus impor­tante que seuls les motards dits verts.
    Ah ! Important pour le pho­to­graphe que je suis : Où se trouve le juste milieu de la bonne vision de la vie … Dois-je m’y tenir ?

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    • Oui, j’aime bien l’i­mage du pho­to­graphe cher­chant à régler sa vie par la bonne dis­tance (focale = au foyer de l’es­sen­tiel), la bonne ouver­ture (sur le monde), le bon cadrage (éli­mi­ner le hors champ), la bonne vitesse (le temps passe si vite…) Tout ça de pré­fé­rence d’un seul œil, l’autre gar­dant le contact direct avec le monde. Je parle des vrais pho­to­graphes, dans votre genre, pas les nar­cisses du selfie.
      Quant aux motos « vertes », oui, il y a de quoi allon­ger la liste ! Et la vôtre, de moto, quelle couleur ?-)

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      • Gris froid argen­té, avec une pointe de noir. BMW R1200C. Pas de quoi mon­ter aux arbres, ni dans les grailles. Encore moins faire les foins.
        « …Terre sau­vage, ouais, sous condi­tions touristico-marchandes… »
        Oui, une liste de Chronique 4 déve­lop­pe­rait les sous-entendus.

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      • Gris froid argen­té, avec une pointe de noir. BMW R1200C. Pas de quoi mon­ter aux arbres, ni dans les grailles. Encore moins faire les foins.

        …Terre sau­vage, ouais, sous condi­tions touristico-marchandes…”
        Oui, une liste de Chronique 4 déve­lop­pe­rait les sous-entendus.

        Répondre
  • Superbes les chro­niques de ton été…
    Je lis avec grand plaisir !
    Quant aux motos vertes, là je m’au­to­rise une paren­thèse, il est vrai que les émis­sions sonores fla­tu­lentes (130dB) d’i­celles pour­raient nous induire en erreur, pen­sant que le car­bu­rant sale a été rem­pla­cé par du cas­sou­let Toulousain bio !

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