18 mars (1871). La commune, lieu des solidarités de toujours
Tous les 18 mars, mon père, voix tremblante et œil mouillé, honorait à sa manière le souvenir de la Commune de Paris. Il y allait de son Temps des cerises, cette si belle et fameuse chanson que Jean-Baptiste Clément, son auteur[ref] Avec Antoine Renard pour la musique.[/ref], dédia à « À la vaillante citoyenne Louise, l'ambulancière de la rue Fontaine-au-Roi, le dimanche 28 mai 1871. » Il y aura bientôt 150 ans, en 2021. Pas de similitude directe, qui serait abusive et a-historique, avec l’actualité. Rappelons cependant des constantes, celle qui relèvent d’une résistance au Pouvoir et à ses représentants – en l’occurrence, en 1871, ceux d’une Assemblée nationale à majorité monarchiste… Ah ! nous voilà tout de même ramenés à notre « monarchie républicaine », cet oxymore par lequel ont été dévoyés les idéaux d’autonomie, d’autogestion, et jusqu’au mot même de communisme. De cette Commune de Paris – et avant elle de la Commune de la révolution communale du Moyen äge –, jusqu’à cette « décence commune » chère à George Orwell, le beau nom de Commune s’est ajouté au patrimoine de l’humanité. C’est ce que nous rappelle ci-contre Gérard Bérilley. [GP]
Le beau nom de Commune
Par Gérard Bérilley
La commune. Les élections. Elections communales ou municipales ? Comment dit-on déjà ? Municipales. Elections mu-ni-ci-pa-les. Mais Municipalité n’est pas Commune, Municipalité est moins que Commune. Les Municipalités, les « équipes municipales » passent, mais la Commune reste. Municipalité est à Commune ce qu’Environnement est à Nature. A chaque fois une déperdition, une perte de notre rapport immédiat aux autres, au Monde. La Commune je ne l’ai point faite, pas plus que la Nature ; c’est, à part la famille, la communauté première des hommes, ce que nous avons en commun, l’héritage inaliénable de notre appartenance commune à l’humanité, ce qui fait de nous des « prochains ».Même l’école n’est plus communale. La Communale disait-on. La laïque, l’obligatoire et gratuite avec son Certificat d’Etudes qui certifiait que chacun, mes parents, mes grands-parents, pouvait se débrouiller alors seul dans la Vie, obtenir un métier pour le moins manuel, ancré dans le concret de la Vie. Même cette école n’est plus « communale » : la Maternelle, l’Elémentaire… Et en combien de villages est-elle devenue cantonale, répartie sur plusieurs communes. Finie la Communale dans les hameaux, les petites communes. Cette école d’Alain Fournier, et d’Augustin Meaulnes cet être d’amitié, de Marcel Pagnol et de la Gloire de son père.
La commune. Les communes. Rurales ou urbaines.
Rurales, petites, issues de ces communautés villageoises qui parsemaient au Moyen Âge toute l’Europe, bases de la production agricole et artisanale qui permit la Vie de nos ancêtres. De cette propriété grandement collective du sol, de la terre, il en reste ici et là des traces : les pacages, les bois communaux où les hommes vont l’hiver aux affouages. Dans ma jeunesse encore des chemins, des sentes à peine mentionnées sur le cadastre, les lavoirs et certains puits étaient communaux. Tout alors n’était pas marchandise en puissance, soumis à commerce.
Urbaines, plus grandes, plus populeuses, issues de l’émancipation des villes au Moyen Âge jalouses d’échapper au pouvoir des nobliaux, voire du clergé. Par le commerce, les échanges, les systèmes d’entraide[ref]Pour une étude plus précise de l’entraide dans la cité du moyen âge, voir les chapitres V et VI de L’Entraide, un facteur de l’évolution* de Pierre Kropotkine, et pour la déconstruction des communes par l’Etat, voir du même auteur sa forte et si importante brochure L’Etat, son rôle historique** qui complète son étude sur l’Entraide.
* Première édition, en anglais, 1902. Plusieurs éditions françaises récentes.
**Première édition 1906. Plusieurs éditions modernes, consultable aussi sur Internet http://kropot.free.fr/Kropotkine-Etat.htm[/ref] à l’intérieur même des corporations, des corps de métiers. D’abord refermées sur leurs enceintes fortifiées, puis s’élargissant hors-les-murs, dans des faubourgs.
Cette longue histoire de la commune, des communes, contrepoids au pouvoir de l’Etat.
La commune. Paris. La Commune de Paris. Le soulèvement du peuple parisien pour la liberté et la justice. Les Fédérés fusillés par les versaillais, ces ennemis de la Commune. La Guerre civile en France. Louise Michel déportée en Kanaky.
Cette utopie du socialisme libertaire, des ouvriers proudhoniens, jurassiens ; de la Première Internationale. L’individu et sa liberté pleine et entière, la commune, la région, le pays, la Fédération Universelle des Peuples, le tout de bas en haut comme il se doit, à la manière de Bakounine.
La commune habite notre histoire à tous. Ne pas en perdre le nom, ne pas en perdre le sens.
La commune, actuelle, lieu des solidarités premières, immédiates, non partisanes, non idéologiques, humaines tout simplement. Mon voisin, ma voisine, sont malades. Que m’importe qu’ils pensent comme moi (quelle horreur : vouloir que l’autre pense comme soi !), qu’ils votent comme moi, qu’ils soient soi-disant du même bord que moi, que m’importe tout cela (je le laisse à d’autres, aux sectaires). Ils ont besoin. Je suis là. C’est suffisant. Aujourd’hui c’est moi qui les aide, demain ce sera eux, envers moi ou envers d’autres, ce serait même mieux ainsi, je ne suis pas comptable. C’est la solidarité vécue, cette générosité simple qui nous ouvre à la liberté. C’est cela la commune : la générosité commune qui ne m’appartient pas, dans laquelle je me coule. Nous avons tous besoin les uns des autres, et il ne m’est point blessure narcissique de le savoir ; je n’ai nulle velléité d’être un dieu, c’est-à-dire d’à moi me suffire.
La commune, lieu des solidarités de toujours, d’hier, d’aujourd’hui et de demain. La commune – qui donne à Vivre – et que nous avons à faire Vivre, et les petites parfois à aider à faire revivre, la commune comme lieu à taille humaine où l’humanité a à relever les immenses défis qui l’attendent avant la fin de ce siècle. La commune, pour l’avenir et pour nos enfants.
Juste pour signaler que je suis de ceux qui n’ont pas oublié La Commune, au point d’avoir éprouver le besoin d’écrire un texte rappelant leur importance dans notre histoire : « Les Communards » que l’on peut retrouver sur le blog « Bribes d’info » (Humeurs d’un colibri) dans la section « invités ». Si vous êtes intéressé je peux vous l’envoyer ou, car vous êtes plus doué que moi en informatique, vous pouvez le « repiquer » si vous le souhaitez.
Marius Vinson
Merci Marius. Ton poème, beau et lyrique, est en effet disponible sur le blog Bribes d’info. En voici le lien : https://bribesdinfo.blog4ever.com/les-communards
Formidable article sur ces solidarités véritables que l’on s’ingénie à nous faire perdre au profit d’un « vivre/ensemble », enfant d’une fumeuse et triste novlangue
Merci beaucoup. Vous avez exprimé en une phrase, et si intelligemment, le cœur de mon propos, mieux que je n’aurais su le faire moi-même.