Pédophilie. Comment la chute de Matzneff ouvre le procès sexo-politique de l’après-68
ATTENTION ! Ce qui suit n’est pas un article au sens ordinaire, surtout pour un blog comme C’est pour dire. Il s’agit, à partir de cette « affaire Matzneff » d’en reconstituer une généalogie à base d’analyses, de réflexions et de documents. Et, autant que possible, d’en faire surgir la complexité ainsi que son importance et sa portée actuelle. Je ne saurais aucunement m’exclure d’une implication dans cet « air du temps » – que nous respirons encore, en grande partie –, ayant été fondateur et directeur de la Revue Sexpol de 1975 à fin 1980. Laquelle revue s’étant proposée d’explorer en termes sexo-politiques, les coins et recoins de la société des humains, ces drôles d’animaux… Gérard Ponthieu.
TEMPS DE LECTURE : 60 mn. Vous voilà prévenus !
[dropcap]L’[/dropcap]affaire Matzneff, déclenchée par un livre à charge contre un dandy pédocriminel, jette un trouble épais sur notre société. De ce trouble jaillit l’image du prédateur mâle à l’affût d’enfants et d’adolescents asservis à ses pulsions et perversions, le plus souvent au nom de l’« amour » ou sous couvert d’un consentement postulé, ou parfois réel, mais obtenu sous influence et en négation du libre-arbitre des jeunes proies.
Jusqu’à maintenant, l’opinion commune avait plutôt manifesté de l’indifférence, pour ne pas dire une complicité de fait envers ces pratiques, les considérant de loin comme de sordides faits-divers, ou bien relevant des vices de riches, voire d’une certaine élite. Cette opinion a commencé à se retourner il y a quelques années, mais ce n’est que tout récemment que ce fléau est apparu au grand jour avec ses horreurs, entraînant réprobations et condamnations outrées.
Un retournement, certes, mais après de si longues années de latence passive – plusieurs décennies parfois, comme pour Vanessa Springora, l’auteure du Consentement, et de nombreuses autres victimes, frappées d’« amnésie traumatique », comme disent les psychologues. Ce n’était pourtant pas la première fois que les abus sexuels, harcèlements, viols, exploitations éhontées et meurtres – autant de déviances anciennes et même ancestrales – étaient révélés au grand jour, parfois sans lendemain, car sans bruit médiatique, sans buzz…
Une prise de conscience de la gravité criminelle desdites « affaires » s’est produite tout récemment à partir de cas « spectaculaires » révélés et portés par un ressaut du mouvement féministe, en l’occurence venu des États-Unis sous l’appellation de #MeToo. Les vannes se sont ouvertes, notamment dans le monde hollywoodien du spectacle avec les dénonciations et le procès du producteur Harvey Weinstein.
En France, le relais a été pris par le mouvement #BalanceTonPorc. Aujourd’hui, l’affaire Matzneff en entraîne d’autres, touchant tous les milieux sociaux : au travail, dans les transports et les espaces publics, dans le sport (avec le récent exemple de la patineuse Sarah Abitbol), dans l’édition, dans l’école – et bien sûr dans l’Église, avec ses prêtres abuseurs, si souvent couverts par leur hiérarchie. [ref]Les affaires de pédocriminalité sont innombrables dans les institutions religieuses ; et sans doute plus encore dans l’Église catholique en raison de la règle de célibat imposée aux prêtres. La dernière en date connue concerne le cardinal Philippe Barbarin, archevêque de Lyon, condamné en première instance en mars 2019 pour ne pas avoir signalé à la justice les agissements pédocriminels du prêtre Bernard Preynat (environ 80 scouts sexuellement agressés). Il est relaxé par la cour d’appel de Lyon le 30 janvier 2020. Les parties civiles annoncent un pourvoi en cassation.[/ref]
Donc un phénomène nullement restreint à quelques « vedettes ». L’affaire Matzneff est cependant symptomatique dans la mesure où le prédateur sexuel a pu agir à sa guise auprès d’enfants et ados durant des décennies – il a plus de 80 ans –, non seulement en toute impunité (pas la moindre condamnation !), mais de surcroit avec la très bienveillante complicité des milieux universitaires, éditoriaux, politiques, médiatiques, artistiques – toute une « intelligentsia » protectrice qui l’avait rendu intouchable. Quasi intouchable !
C’en est fini désormais. Derrière le nom de Matzneff, de nombreux autres ressurgissent, vus sous une toute autre facette : Sartre, Beauvoir, Foucault, Hocquenghem, Schérer, Duvert, Sollers, Cohn-Bendit, Pivot, Finkielkraut, Bruckner, July… et Dolto. Beaucoup sont morts, tandis que la liste est bien plus longue de ceux qui ont, peu ou prou, contribué à former cet « air du temps », véritable responsable collectif – d’où l’impunité générale –, dont la généalogie contemporaine remonte à Mai-68 et, plus encore, aux années de l’Après-68. Tel est l’angle de cette enquête.
Un jeu de société dénommé « Interdit d’interdire »
Si dure est la chute du pédocriminel Matzneff ! Le bellâtre Gabriel, l’« archange aux pieds fourchus » brûle en enfer. Déchu magistral par là où il a péché tout une vie durant sur un double tableau[ref]Voir son portrait en fin d’article.[/ref] :
– D’abord la « pédophilie », par détournement même du mot à son propre profit de profiteur, de prédateur sexuel. Il est, au sens plein, celui qui n’aimait pas les enfants, s’en servant comme objets de ses fantasmes et perversions. N’aimant que lui d’abord, lui seul, en son sinistre royaume aujourd’hui cerné, ruiné, devenu une prison dont il aura monté les murs au fil de décennies.
– Ensuite, et en même temps, sa littérature – sa litière à ratures sur laquelle il aura couché ses proies juvéniles, innombrables ; et qu’il couchera sur le papier d’édition, en des maisons complices, proxénètes désormais en quête de repentir. Avec eux et en complicité de recéleurs, ces gens de médias, abusés-abuseurs, rouages nécessaires à la machinerie bien huilée – dont le seul grain de sable sera dû au courage d’une auteure québécoise, Denise Bombardier.
Abuseur impénitent, il aura régné jusqu’à ses 83 ans, entouré de ses juvéniles esclaves sexuels, au nom de leur « consentement volontaire », ou postulé tel ; protégé par une cour de complices éclairés ou même d’adeptes, pratiquants pervers, fréquentant les mêmes lieux troubles. Ce « consentement » aura eu raison de ses abus impunis, de la force d’autorité du Narcisse dominant, éblouissant les regards de ses victimes ainsi livrées à ses fantaisies.
Vanessa S. Le « consentement » de l’adolescente. [dr]
Le couperet est tombé avec le récit d’une de ses proies, abusée à partir de treize ans par le cinquantenaire vénéneux, au terme d’un refoulement de trente années. Ne cherchant pas la vengeance, Vanessa Springora n’en sera que plus tranchante dans son autobiographie[ref]Le Consentement, Grasset, 2020.[/ref] qu’elle présente ainsi en préambule de son récit libérateur : « Au milieu des années 80, élevée par une mère divorcée, V. comble par la lecture le vide laissé par un père aux abonnés absents. À treize ans, dans un dîner, elle rencontre G., un écrivain dont elle ignore la réputation sulfureuse. Dès le premier regard, elle est happée par le charisme de cet homme de cinquante ans aux faux airs de bonze, par ses œillades énamourées et l’attention qu’il lui porte. Plus tard, elle reçoit une lettre où il lui déclare son besoin « impérieux » de la revoir. […] « Depuis tant d’années, mes rêves sont peuplés de meurtres et de vengeance. Jusqu’au jour où la solution se présente enfin, là, sous mes yeux, comme une évidence : prendre le chasseur à son propre piège, l’enfermer dans un livre », (Note de l’éditeur). Pour autant, l’écrivaine ne s’exclut pas de sa part de responsabilité, celle de l’adolescente enamourée, saisie par ses pulsions, séduite et manipulée par un Pygmalion porté aux nues et adoubé par une société déboussolée, par cet air du temps dont on mesure aujourd’hui, un demi-siècle après, toute la toxicité.
Le couperet est tombé. Le vieux loup baveux, malade, a fui ses terres de drague – il se planque dans un hôtel de la Riviera italienne. Son antre de Saint-Germain est cernée par des affiches dénonciatrices ; la Ville de Paris remet en cause son logement à loyer modéré ; ses divers éditeurs retirent ses livres de leurs catalogues ; il est convoqué par la justice. L’ange est à terre.
Cette affaire Matzneff, je me dois d’en parler aussi. À deux titres au moins. Aujourd’hui en tant qu’homme de mon temps, certes. Et aussi en tant qu’homme de mon passé, ex-directeur de Sexpol, revue de sexualité / politique. À ces deux titres également je n’ai pas souhaité rejoindre en précipitation la meute d’indignés, si prompts à condamner sans avoir trop à se regarder au dedans, présent et passé. L’apparition à l’émission télé La Grande librairie du 8 janvier 2020, sur la Cinq[ref]Mis dans une drôle de position, François Busnel, l’animateur a été amené à « faire une mise au point » : « J’ai reçu Gabriel Matzneff une fois, il y a cinq ans. Ce n’était pas pour un de ses livres autobiographiques célébrant ses amours pédophiles […] Même si une fois en douze ans c’est peu, même s’il faut rappeler qu’une invitation n’est pas toujours synonyme de caution, qu’un plateau de télé n’est jamais un tribunal et que cette émission orchestre des débats, je reconnais que cette invitation n’avait pas lieu d’être. Car Gabriel Matzneff, tout écrivain qu’il soit, et tout bon écrivain qu’il soit, a admis avoir commis des actes délictuels ». Dont acte, comme on dit.[/ref], de Vanessa Springora, auteure donc du livre à l’origine de toute l’affaire, m’amène à ce texte qui dépasse le format habituel d’un article pour s’étendre en une sorte de mémoire et tenter ainsi de saisir la complexité de cette profonde question et de ses ramifications dans la société des humains en désarroi.
Je n’ai pas lu le livre de Vanessa Springora mais l’entretien télévisé, par sa qualité et sa richesse, m’a beaucoup touché, tant il a fait surgir chez cette femme, jadis adolescente victime du séducteur-prédateur, les grandes sensibilité et intelligence qui donnent toute sa valeur à son témoignage. Même et surtout si la victime objective qu’elle fut, n’exclut pas, précisément, ce consentement réel, qui fut le sien, refermé sur elle comme un terrible piège. Il lui faudra trois longues décennies de souffrances avant de cicatriser de telles blessures, malgré tout indélébiles. Tel est sans doute le sens premier de son livre, une tentative pour reconstituer une plénitude de son être.
Le cas Matzneff présente cette particularité si questionnante de s’inscrire dans une sorte de « jeu de société » qui aura duré le temps-même des souffrances de Vanessa Springora, entre les années soixante-dix et aujourd’hui. c’est-à-dire dans l’après-Soixante-huit, dans le sillage du chamboulement qui avait secoué les sociétés occidentales repues des Trente Glorieuses – ces années d’après-guerre et de croissance économique débridée, mais toujours des plus inégalitaires, qui allaient conduire à l’avènement de cette société de consommation qui est toujours la nôtre, et à laquelle aspirent les quelque 7 milliards et demi d’humains. La mondialisation qui s’ensuivit, galopant de concert avec le libéralisme effréné, tire en grande partie ses racines de cette frénésie consommatoire et nous aura conduits du même coup, en les accélérant, aux dérèglements planétaires actuels : socio-économiques, géopolitiques et climatiques – mais aussi, pour tout dire, en termes de civilisation.
Réduire une société à son niveau de consommation – à la production de biens matériels liés à la destruction subséquente des ressources naturelles, elle-même assignée à l’injonction capitalistique de la croissance infinie, entretenant le cercle infernal du « toujours plus » –, n’y avait-il pas là de quoi engendrer quelques perturbations dans les modes de vie et entre les êtres ? Soixante-huit avait précisément été excrété à partir de ce hiatus entre une croissance matérielle à fortes disparités – plus de plus riches – et un désarroi moral, politique, social, culturel, esthétique – et sexuel. Rappelons que la rébellion des étudiants de Nanterre était partie d’une revendication portant notamment sur la libre circulation des filles et des garçons dans les résidences universitaires ; puis sur l’accès libre aux dortoirs féminins[ref]Des revendications semblables avaient surgi depuis quelques mois dans d’autres facultés, comme à Aix-en-Provence, Grenoble ou Nantes. À Strasbourg, en 1966 – 67, des étudiants proches des situationnistes détournent les finances de l’Union nationale des étudiants de France (Unef) et publient le pamphlet De la Misère en milieu étudiant – considérée sous ses aspects économique, politique, psychologique, sexuel et notamment intellectuel et de quelques moyens pour y remédier.[/ref]. Le tout dans le contexte d’un système moral à base d’interdits, établi par des mâles dominants arc-boutés à des principes moraux des plus rigides, fruits blets de l’alliance du capital-travail et de la religion et, conséquemment, de l’asservissement de la nature et des corps – souffrance au travail, punition de la femme-pécheresse, malédiction de l’enfantement, domination masculine et violence inhérente. Un ciment s’imposait – causes et conséquences entremêlées – pour rigidifier un tel édifice chancelant : le refoulement de la sexualité.
Ainsi, d’un côté, un débridement économique et consommatoire magnifié comme un horizon de rêve accompli – du moins pour ceux qui pouvaient l’atteindre ! – ; de l’autre, une chape d’hypocrisie rigoriste visant en particulier à contenir et réprimer la jeunesse dans ses pulsions vitales et sexuelles selon des interdits moraux et corporels.
Sans vouloir refaire ici la genèse de Soixante-huit, il y a lieu, quant à l’affaire qui nous occupe aujourd’hui, de bien resituer le contexte de ces années et surtout de celles qui ont suivi la période révolutionnaire, dont nos sociétés d’aujourd’hui ont hérité.
C’est ainsi que les interdits d’alors ont produit un flot de slogans encore restés actuels, tels que « Vivre sans temps mort et jouir sans entraves »[ref]Injonction contenue dans les dernières lignes de la brochure d’inspiration situationniste mentionnée dans la note précédente : « Les révolutions prolétariennes seront des fêtes ou ne seront pas. […] Le jeu est la rationalité ultime de cette fête, vivre sans temps mort et jouir sans entraves sont les seules règles qu’il pourra reconnaître. » Raoul Vaneigem la reprendra dans son manifeste hédoniste, Traité de savoir-vivre à l’usage des jeunes générations. Gallimard, 1967. Par son ambiguïté, le slogan sonne comme une formule totalement creuse, occultant la question du désir et de la liberté des êtres en tant que sujets. Dans son obligation à jouir, il cautionne, tout en la précipitant, une vision libérale et capitaliste de l’économie, celle qui commande l’exploitation du désir, en particulier à travers la publicité et l’industrie du sexe.[/ref] et surtout « Il est interdit d’interdire », le plus ravageur et néfaste d’entre eux puisqu’il nous conduit, de facto, à cette affaire Matzneff. Devenu une sorte de mantra politico-provoc’, cet oxymore, en effet, va en quelque sorte dégoupiller la grenade explosive du « tout est permis », sans plus d’interdits aucuns ni de tabous, dans une dénégation des filiations anthropologiques, historiques et culturelles – la fameuse tabula rasa des nihilistes. Ce rejet puéril de tout interdit annonçait le déferlement du tout-libéral, couronnement de l’individualiste capricieux[ref]Ce tout-à‑l’ego, expression que l’on doit à Régis Debray.[/ref], tapant du pied en exigeant « tout-tout de suite »[ref]Titre du journal maoïste d’alors : TOUT ! Sous-titre : « Ce que nous voulons : tout – Journal révolutionnaire » (1970 – 71). Le numéro 12 est interdit à la vente pour « pornographie », ce qui vaut une inculpation d’outrage aux bonnes mœurs à Sartre, directeur de la publication. Élaboré avec l’aide du Front homosexuel d’action révolutionnaire (FHAR), il revendiquait le « droit à l’homosexualité et à toutes les homosexualités » ainsi que le « droit des mineurs à la liberté du désir et à son accomplissement ». Très annonciateur de notre actualité.[/ref], négateur du bien commun propre à la consolidation d’une société solidaire et pacifique. Ainsi se déchaîna le tsunami des tenants du « laisser-faire généralisé », credo des libéralistes de tout crin, prophètes de la fin des idéologies et de l’Histoire, adorateurs modernes du Veau d’or, de Wall Street, du Marché-Roi, de la Main invisible, magiquement régulatrice. Voilà bien notre héritage !
En s’opposant à l’ordre ancien de manière aussi radicalement frontale, les soixante-huitards prétendaient inventer un monde nouveau ; par leur identification négative à l’adversaire désigné, ils produisaient « du même inversé » : « Au monde bourgeois, opposons le monde… anti-bourgeois ». Une façon de rabouter des extrêmes dans un tout clôturé qui finira par « faire système » – le nôtre, notre « ici-et-maintenant » confronté, encore et toujours, à la domination des mâles, à cette mâlitude que ce XXIe siècle semble vouloir achever, par l’irruption d’un nouveau féminisme, tel que l’a engendré le mouvement MeToo. Par mâlitude, on entendra aussi la position du dominant-séducteur, fût-il inverti sexuel ou vicieux polymorphe, qui assouvira ses perversions sur les plus faibles de ses victimes : les enfants et adolescents, garçons et filles.
Libération des pulsions, libération du Marché-Roi
Voici Matzneff en prototype du pédocriminel intouchable, né et épanoui dans cet après-soixante-huit de toutes les transgressions, adoubé par les transgresseurs patentés, intellectuels en vogue, écrivains et journalistes, universitaires protégés – les René Schérer, Guy Hocqueghem, Tony Duvert, Michel Foucault… rejoints en 1976 dans leurs prises de position, lors d’une affaire d’« attentats à la pudeur sans violence sur mineurs de quinze ans », ce qui à l’époque était qualifié comme un crime.
Les faits : Le 20 octobre 1973, trois hommes dans la quarantaine sont arrêtés pour avoir eu des rapports sexuels avec des filles et des garçons de 13 et 14 ans. Les circonstances sont suffisamment peu claires pour que l’enquête dure plus de trois ans et deux mois, durée de la détention provisoire des inculpés. L’ « affaire de Versailles » prend corps en novembre 1976 à l’occasion de la parution dans Le Monde d’une tribune libre de soutien aux inculpés, titrée « L’amour est-il un crime ? », signée Gabriel Matzneff. Ce dernier, qui ne s’était jusque-là nullement manifesté sur cette affaire, profitant de l’approche du procès, va ainsi saisir l’occasion pour se plaindre amèrement du peu d’appui reçu après sa prestation en septembre 1975 dans Apostrophes, la nouvelle émission télé de Bernard Pivot. Passage qui, en dépit d’un accueil pour le moins convenu, sinon bienveillant, lui avait valu de fortes critiques et la plainte d’un téléspectateur estimant que cette apologie de la pédophilie avait nui à sa famille. Donc, une tribune très opportuniste pour un plaidoyer pro domo.[ref]Extrait : « Les perturbateurs des moins de seize ans ne sont pas les baisers de l’être aimé, mais les menaces des parents, les questions des gendarmes et l’hermine des juges. »[/ref]
Deux mois et demi plus tard, le 26 janvier 1977, soit la veille de l’ouverture du procès à la cour d’assises des Yvelines, les trois inculpés suscitent une pétition de soutien, dénonçant leur détention préventive, affirmant que les enfants en cause n’ont subi « aucune violence », et qu’ils étaient « consentants », ajoutant en outre cet argument : « Si une fille de treize ans a droit à la pilule, c’est pour quoi faire ? »[ref]La pétition semble ainsi ignorer que la Loi Veil de 1974 n’autorise alors la contraception des mineures que sous contrôle des centres de planning familial et sur prescription médicale. Par ailleurs, cette loi ne porte aucunement sur les délits et crimes sexuels. La question sous entendrait-elle que la pilule a été préconisée pour permettre aux jeunes filles d’avoir des relations sexuelles avec des adultes ? Ou bien plutôt pour les préserver, à l’âge de la puberté, d’une grossesse contractée avec un adolescent comme elle ?[/ref]
S’adressant directement au juge, le texte estime que les trois inculpés font face à un acharnement injustifié et qu’il y a disproportion manifeste entre la qualification de « crime » et la nature des faits reprochés.: « Trois ans de prison pour des caresses et des baisers, cela suffit. Nous ne comprendrions pas que le 29 janvier Dejager, Gallien et Burckhardt [les peines encourues étaient de 5 à 10 ans de prison. Ndlr], alors que « la loi reconnaît une capacité de discernement aux adolescents, qui peuvent être jugés et condamnés à partir de l’âge de 13 ans, ne retrouvent pas la liberté »[ref]L’enjeu du procès portait en particulier sur la question de savoir à quel âge des enfants ou des adolescents peuvent être considérés comme capables de donner librement leur consentement à une relation sexuelle. Son actualité est redevenue des plus vives avec le livre de Vanessa Springora.[/ref].
S’ensuit la liste des 69 [sic] signataires dont : Louis Aragon, Roland Barthes, Simone de Beauvoir, Patrice Chéreau, Gilles Deleuze, Félix Guattari, Daniel Guérin, André Glucksmann, Jean-Luc Hennig, Guy Hocquenghem, Bernard Kouchner, Jack Lang, Michel Leiris, Catherine Millet, Francis Ponge, Jean-Paul Sartre, René Schérer, Philippe Sollers et… Gabriel Matzneff, bien sûr, puisqu’il était à l’origine de ladite pétition.[ref]L’auteur de cette pétition est resté inconnu pendant 36 ans. Le 7 septembre 2013, Matzneff revendique la responsabilité et la rédaction du texte dans une chronique de son site personnel intitulée « Couvrez cette pétition que je ne saurais voir ». Il écrit : « J’en suis très fier et, si je l’écrivais aujourd’hui, je n’en modifierais pas le moindre mot, car elle est encore plus actuelle, nécessaire aujourd’hui qu’en 1977. » Mais en 2020, quand la justice demandera des comptes ?[/ref] La quête des signatures fut menée par le même Matzneff, avec l’aide de Guy Hocquenghem. Selon ces derniers, la plupart des personnes contactées se montrèrent favorables. Parmi les refus, trois femmes – Marguerite Duras, Hélène Cixous, Xavière Gauthier – et… Michel Foucault, pourtant porté à la reconnaissance des « sexualités périphériques ». Selon lui, attirer trop l’attention sur la pédophilie aurait risqué, par réaction, de glisser vers l’interdiction de l’homosexualité…
Le lendemain de la pétition, le procès débute, la Cour d’assises ayant décidé de supprimer le huis clos même si les victimes sont mineures, afin que les pétitionnaires sachent pourquoi l’enquête a duré plus de trois ans : les victimes affirmaient certes avoir donné leur consentement, qui s’avère très fragile vu leur âge et l’influence des adultes, comme le révèle l’audience publique. Les témoins y dévoilent aussi des faits plus graves que les simples caresses et baisers évoqués par la pétition de 69 signataires. Si la durée de la détention provisoire était « inadmissible », « là s’arrête l’indignation » écrit l’envoyé du Monde, Pierre Georges, pour qui « ce procès n’est pas » celui « d’une société ultra-répressive » mais de « trois hommes qui ont repris en compte à leur profit, et pour leur plaisir, des pulsions sexuelles » Il « est naturel de ne pas aimer cette forme d’amour et d’intérêt », conclut le journaliste.
Après le verdict de condamnation à cinq ans de prison avec sursis et la libération des trois accusés, une seconde pétition paraît le 23 mai 1977, dans les pages « Opinions » du Monde. 80 intellectuels français parmi lesquels, encore, Jean-Paul Sartre, Michel Foucault, Roland Barthes, Simone de Beauvoir, Alain Robbe-Grillet, Jacques Derrida, Philippe Sollers – et aussi Françoise Dolto –, s’adressent à la Commission de révision du code pénal pour exiger que la loi décriminalise les rapports sexuels entre les adultes et les enfants de moins de 15 ans.
Ces listes de signataires sont significatives d’un clivage intellectuel et de classe : à la gauche, la subversion des valeurs morales, des interdits « bourgeois » ; à la droite, leur conservation… Un antagonisme qui ne laisse pas de questionner sur l’état actuel des référents politiques. On peut, à ce sujet, s’interroger sur le déclin éthico-idéologique de la gauche et de ses fondements : justice et protection sociales, bien commun, santé, éducation, civisme, laïcité – autant de valeurs appelant à l’articulation de l’individu et de la société. Vieilleries que tout ça ! Voici le règne des libéraux Fortiches de l’Entreprise, du Rendement, des dividendes, de la Com’ et de la politique-spectacle. Et Libé à la manœuvre, titrant à sa une, en 1984, le tonitruant Vive la crise ! repris à la télé sur un ton d’évangéliste par l’ex-stalinien Yves Montand – il n’y a pas pire que les repentis ! Plus d’interdits, en somme, tout comme l’avait clamé dans les temps post-soixante-huitards le journal maoïste, « directeur Jean-Paul Sartre ». Une valse à deux temps : 1 – Libérons nos pulsions, même et surtout les plus perverses ! 2 – Libérons ces antiques économies-providence, du passé faisons table rase, hourra le libre Marché générateur du Profit !
Le cas Dolto : un désarroi face à la perversion
Arrêtons-nous ici sur ce qui se présente désormais comme « le cas Dolto » tel que l’affaire Matzneff-Springora vient de le faire surgir. D’abord cette seconde pétition. Passe encore, dans le genre, qu’elle ait été signée par le club sélect des germanopratins de faction ![ref]Parmi les « repentis »… Philippe Sollers : « On signait n’importe quoi »… ; Bernard Muldworf, psychanalyste : « J’ai signé la pétition par solidarité avec le mouvement, non par adhésion aux idées. »[/ref] Mais que dire de la signature de la médiatique psychanalyste et pédiatre, la catholique grand-mère défenseure des enfants ? Un égarement à mettre au compte de ce délétère et contagieux air du temps ? Ou bien un fourvoiement de la théorie freudienne sur l’inceste et le « complexe d’Œdipe » ? Le trouble est monté d’un cran quand Le Canard enchaîné du 8 janvier 2020 a ressorti les propos de Françoise Dolto extraits d’une interview parue en novembre 1979 dans la revue féministe Choisir la cause des femmes[ref]N°44, dossier « Les enfants en morceaux », septembre 1979[/ref], éditée par l’association du même nom présidée par Gisèle Halimi. D’abord, à une question sur les femmes violentées, elle répond : « C’est le mari qui doit être aidé et non la femme battue. »… Puis Béatrice Jade lui demande s’il y a bien des cas de viol de petites filles dans les familles, en insistant :
« Choisir – Mais enfin, il y a bien des cas de viol ?
F. Dolto – Il n’y a pas de viol du tout. Elles sont consentantes.
Choisir – Quand une fille vient vous voir et qu’elle vous raconte que, dans son enfance, son père a coïté avec elle et qu’elle a ressenti cela comme un viol, que lui répondez-vous ?
F. Dolto – Elle ne l’a pas ressenti comme un viol. Elle a simplement compris que son père l’aimait et qu’il se consolait avec elle, parce que sa femme ne voulait pas faire l’amour avec lui.
Choisir – D’après vous, il n’y a pas de père vicieux et pervers ?
F. Dolto – Il suffit que la fille refuse de coucher avec lui, en disant que cela ne se fait pas, pour qu’il la laisse tranquille.
Choisir – Il peut insister ?
F. Dolto – Pas du tout, parce qu’il sait que l’enfant sait que c’est défendu. Et puis le père incestueux a tout de même peur que sa fille en parle. En général la fille ne dit rien, enfin pas tout de suite. »
Dans Le Monde du 16 janvier 2020, Catherine Vincent s’interroge : « Comment comprendre les propos publiés dans Choisir la cause des femmes, dont l’une des enquêtrices, Béatrice Jade, souligne à juste titre, dans son commentaire critique, qu’il « révèle une insensibilité et une dureté certaines à l’égard de l’enfant » ?
« Comment la célèbre psychanalyste d’enfants, celle qui, dans le sillage de Melanie Klein et d’Anna Freud, a si bien su mettre son génie de l’écoute au service des enfants en souffrance, a‑t-elle pu défendre les châtiments corporels et nier la réalité des viols incestueux ? […] « A l’heure où « l’affaire Matzneff » secoue le monde de l’édition et au-delà (le sujet était récemment à la « une » du New York Times), c’est peu de dire que ces déclarations interpellent. »
Aussi a‑t-il fallu que Catherine Dolto, elle-même médecin, attentive à la protection des enfants, vienne à la rescousse de sa mère, ou du moins de sa mémoire, dans une mise au point véhémente accusant la malveillance de la « fachosphère », et affirmant qu’il s’agit de « citations tirées de leur contexte, dans lesquelles Françoise Dolto parl[ait] de l’inconscient et non du registre conscient ». Affirmation des moins convaincantes et, surtout, contredite à la lecture de l’entretien – dont la totalité est disponible ici en fichier PDF, ainsi que l’analyse critique par Béatrice Jade.
D’autres écrits relatant les positions de la pédo-psychiatre en confirment toute l’ambiguïté, en particulier sur le viol d’enfants et l’inceste. Les citations qui suivent sont extraites de L’enfant, le juge et la psychanalyste, (Françoise Dolto et Andrée Ruffo, Gallimard, 1999.)
P 33 : Question de la juge Andrée Ruffo à propos d’un enfant victime d’inceste :
Dolto : L’important c’est : puisqu’il a survécu, qu’est-ce qu’il y a eu de suffisant pour y prendre son pied ? Si un être est vraiment traumatisé il tombe malade ; si un être n’a pas de quoi vivre il ne continue pas.
P 52 : À propos d’une enfant violée :
La juge : Mais on sait très bien que cette enfant est battue, qu’elle a été violée.
Dolto : Oui, et d’ailleurs qu’elle le provoque.
P 53 : À propos des enfants violés et battus :
Dolto : Les enfants sont responsables de laisser les parents commettre un acte qui les avilit dans leur relation à leurs enfants.
P 81 : À propos d’un enfant victime de violences sexuelles :
Dolto :… Peut-être que sans l’avoir cherché, l’enfant en était complice. Parce que je crois que ces enfants sont plus ou moins complices de ce qu’il se passe.
P 83 : La juge : On a souvent au tribunal la fameuse question : est-ce que les enfants (abusés) mentent ?
Dolto : Les enfants fabulent beaucoup, oui, c’est vrai.
[…]
La juge : Mais comment nous, juges, pouvons-nous savoir si l’enfant fabule ou non ?
Dolto : Moi j’ai vu beaucoup d’enfants qui fabulaient et ça se voyait d’après leurs dessins.
[…]
P 84 Dolto : Les enfants ont des désirs pour les adultes, ils piègent les adultes à cause de ça. Ils n’ont que ça à penser, à provoquer l’adulte.
P 85 : La juge : Mais pourquoi l’enfant fabule ? C’est qu’il doit y avoir un désir ?
Dolto : […] Le fantasme de l’inceste, la littérature en est pleine. La littérature est pleine de modes défendus de relations sexuelles.[ref]C’est, pour le moins, c’est ce qu’on appelle un argument d’autorité…[/ref]
P 87 : La juge : Est-ce qu’il est utile pour les enfants qu’il y ait un jugement social, que l’enfant soit déclaré victime ?
Dolto : Non, justement c’est très difficile parce que ça le marque pour la vie. Si ça se passe à huis clos, entre l’enfant et les parents c’est beaucoup mieux. C’est bien dommage ce qui s’est passé. Il faut dorénavant que ce soit terminé et que ce ne soit pas toute une histoire. Ce sont des choses qui se passent dans le cabinet du psychiatre ou du médecin qui justement le garde en secret professionnel. Il travaille avec les parents pour ce dérapage dans leur vie imaginaire. C’est toujours sous médicament ou sous alcool que les choses se sont passées.
P 88 : La juge : Mais quand c’est le père et qu’il nie ?
Dolto : Il a raison, c’est pas le même celui qui nie et celui qui a fait. Quand on leur dit ça : « Oui, vous avez raison. Celui qui dit « non » aujourd’hui il a raison parce que c’est impensable pour vous. Vous vous sentiriez un salaud si vous l’aviez fait avec toute votre conscience. Donc vous n’aviez plus votre conscience.
La juge : Et qu’est-ce que vous faites en tant que juge pour enfant ?
Dolto : On prévient l’enfant : ça ne recommencera pas, sans ça tu seras complice.
P 88 : La juge parle des mères abusées, de génération en génération.
Dolto : Et alors, vous n’en êtes pas morte. Pourquoi vous en faites toute une histoire ?
Cet extrait encore, d’un de ses livres, La Cause des adolescents (Éd. Pocket), p. 267 :
« Ce qu’il faudrait, c’est que la loi ne s’occupe plus de l’âge. Ne s’occupe seulement que de l’inceste, des relations entre parents proches, frères, sœurs, parents, oncles, tantes, mais qu’il n’y ait absolument rien entre adultes et enfants comme interdiction. »
Pour la psychanalyste Claude Halmos, qui a travaillé avec Françoise Dolto, les propos de celle-ci « témoignent d’une difficulté à concevoir la perversion ». « Ils sont particulièrement choquants. Parce qu’ils nient aussi bien la souffrance des femmes et des enfants violentés que la gravité – toujours extrême – des conséquences qu’ont sur eux les tortures subies. Et parce qu’ils s’appuient, pour le faire, sur une argumentation aberrante. » En défense, Claude Halmos avance que Françoise Dolto parlait de son expérience clinique « sans avoir toujours préalablement élaboré sa pensée »…[ref]Le Monde, 16/01/20.[/ref]
Telle était donc l’époque ? Celle des grands égarements enrobés dans un flot théorique de postures lourdement référencées, nourries pêle-mêle à Sade, Fourier, aux prétendus « nouveaux philosophes », à l’antipsychiatrie, à la psychanalyse et au « doltoïsme » régnant sur les ondes radio et à bien d’autres errances… À l’instar de la novlangue énoncée par George Orwell dans son 1984, des concepts se trouvent ainsi inversés dans un fatras discursif : l’anormalité serait désormais la norme, et celle-ci l’expression la plus répressive de l’« ordre bourgeois »… Poursuivons.
« De l’exécrable à l’exquis », le vénéneux Tony Duvert
En 1973, paraît un roman de Tony Duvert, Paysage de fantaisie… Sorte de longue rêverie hallucinée autour d’un bordel de petits garçons, il est accueilli très favorablement par la critique de l’époque qui y voit, selon le psychanalyste Serge André, « l’expression d’une saine subversion » ! Pour Madeleine Chapsal de L’Express c’est « un très grand livre. Par moments, insoutenable. Un livre où la lecture difficile retrouve sa dimension trop souvent perdue d’activité subversive. » Pour Bertrand Poirot-Delpech du Monde, Duvert s’affirme avec cet ouvrage comme « le jeune auteur qui monte, qu’on ne va tarder à citer et à imiter ». Pour Claude Mauriac, du Figaro, « l’auteur […] révèle dans ce passage continu de l’abominable au délicieux et de l’exécrable à l’exquis, des dons et un art que le mot talent ne suffit pas à exprimer. » Et en novembre 1973, grâce au soutien de Roland Barthes, le roman obtient le prix Médicis.
Ainsi le talent est-il devenu le critère par excellence, celui qui autorise tout écart et, surtout, le justifie ! Ainsi est-on en droit d’éprouver quelques frissons dans ces troublants passages continus entre l’abominable et le délicieux, l’exécrable et l’exquis…
Toujours en 1973, l’ovation médiatique adressée à Tony Duvert permet la relance de son premier essai, Le Bon Sexe illustré, où il critique violemment l’éducation sexuelle, qui ne vise selon lui qu’à « châtrer » les possibilités érotiques des enfants afin de leur faire suivre le modèle hétérosexuel conjugal et reproducteur. Et de persister :
« L’information sexuelle de l’enfant de 10/13 ans ne pose aucun problème pour qui fait l’amour avec lui. […] L’enfant de 10/13 ans a donc autant de sexualité qu’il le peut et si, désormais, il la dissimule soigneusement à ses proches, il est souvent à la disposition de beaucoup d’aventures clandestines, quelle que soit leur couleur. »
Le Nouvel Observateur, toujours à la pointe en ces domaines, ne manque pas de saluer le caractère provocateur de l’ouvrage : « Sous les apparences progressistes des éducateurs, [Duvert] déjoue un à un les pièges du conformisme et, ce qui est plus grave, le subtil bourrage de crâne de l’Ordre sexuel. »
En 1979, Duvert accorde à Libération une interview dans laquelle il affirme – cramponnez-vous :
« Pour moi, la pédophilie est une culture : il faut que ce soit une volonté de faire quelque chose de cette relation avec l’enfant. S’il s’agit simplement de dire qu’il est mignon, frais, joli, bon à lécher partout, je suis bien entendu de cet avis, mais ce n’est pas suffisant… Certes, on peut créer des relations sauvages tout à fait personnelles : mais il n’est pas question de se contenter de relations sauvages si l’on a affaire à des enfants. Il est indispensable que les relations soient culturelles : et il est indispensable qu’il se passe quelque chose qui ne soit ni parental, ni pédagogique. Il faut qu’il y ait création d’une civilisation. »
Culture, civilisation… Dans quels mots sublimes, au sens inversé, va se nicher la dépravation ! Se trouve ainsi posée la question de cette prétendue légitimité dont peuvent se parer les littérateurs.
Dans cette même interview à Libération, Tony Duvert s’en prend également aux femmes et à leur droit sur les enfants, qu’il qualifie de « matriarcat pour impubères », souhaitant une « guerre contre les mères » : il préconise de retirer les enfants aux femmes, ou du moins d’« empêcher que les femmes aient un droit exclusif sur les enfants. […] Il ne s’agit même plus qu’il y ait des relations sexuelles ou qu’il n’y en ait pas. Je connais un enfant et si la mère est opposée aux relations que j’ai avec lui, ce n’est pas du tout pour des histoires de bite, c’est avant tout parce que je le lui prends. Pour des histoires de pouvoir, oui. Autrement dit, elles se prennent une poupée et se la gardent. »
En 1980, Tony Duvert remet ça avec l’essai L’Enfant au masculin, dans lequel il fait l’éloge de ses propres penchants sexuels, associant l’homosexualité, la pédérastie et la pédophilie. Concernant ses goûts, il précise :
« Ma pédophilie, donc, s’intéresse aux garçons impubères. Mais quand commence l’impuberté ? Les bébés ne m’attirent pas encore ; les petits de deux à trois ans me plaisent à la folie, mais cette passion est restée platonique ; je n’ai jamais fait l’amour avec un garçon de moins de six ans et ce défaut d’expérience, s’il me navre, ne me frustre pas vraiment. Par contre, à six ans, le fruit me paraît mûr : c’est un homme et il n’y manque rien. Cela devrait être l’âge de la majorité civile. On y viendra. »
Voilà donc de quelles monstruosités intellos avait pu accoucher Soixante-huit ! Mais attendez la suite ! tandis que les monstres en question vont s’épanouir pendant un demi-siècle bedonnant, baignant leurs turpitudes dans l’entre-soi et l’impunité tranquille d’une société – disons plus précisément de cette soi-disant intelligentsia en surplomb – somme toute tolérante, libérale, ultra-libérale, tandis qu’étaient portées au rang de « faits divers », les débauches criminelles des bas-fonds : affaire Marc Dutroux, en Belgique et, en France, affaires Outreau, Fourniret, Angers, Dugué, et cent autres jusqu’à nos jours. Deux mondes apparemment opposés quant à leurs origines sociales et culturelles, et pourtant unis dans un même cloaque de perversion.
“Libération”, sac à déjections
Il est pourtant un lieu prisé où ces deux mondes vont pouvoir se rejoindre : Libé ! Le journal fondé en 1973 par Serge July avec la caution morale de Jean-Paul Sartre[ref]Fort de son aura, Sartre endossera la responsabilité juridique de plusieurs publications, dont La Cause du Peuple (Gauche prolétarienne), Tout !, l’Agence Presse Libération (APL) qui conduira au quotidien Libération.[/ref] va en effet servir de réceptacle, pour ne pas dire de sac à déjections, aux turpitudes prolétariennes considérées en quelque sorte sous l’angle révolutionnaire… Entre autres, l’affaire Dugué…
En 1979, Jacques Dugué est arrêté pour pédophilie et soupçonné de faire partie d’un réseau de pédophiles. Il publie une tribune – sur deux pages ! – dans Libération, véritable apologie de la « sodomisation » des enfants. Il y explique que « l’enfant qui aime un adulte […] aime ressentir dans son corps le membre viril de celui qu’il aime, d’être uni à lui, par la chair ». Il y exige « qu’on arrête de persécuter ceux qui aiment les enfants, même s’ils les aiment aussi avec leur corps ».
Question : Comment se fait-il que Libération ait à ce point pris le parti de la pédophilie dans les années 1970 ? On peut l’expliquer notamment par la présence au journal, de 1974 à 1981, de l’ancien enseignant devenu par la suite écrivain, Jean-Luc Hennig qui fit entrer Guy Hocquenghem qui, à son tour, ramena Michel Cressole puis Hélène Hazera, première femme transsexuelle journaliste d’un quotidien français. Soit un noyau d’individus dont les mœurs n’étaient pas sans conséquences sur le contenu de la ligne éditoriale. Serge July alla même jusqu’à se vanter que son journal ait été la cible de neuf inculpations pour « outrages aux bonnes mœurs » et « incitation à la débauche », au point d’en publier un article dans un numéro du mois de mars 1979, cosigné par lui-même et Jean-Luc Hennig.
Vu de l’extérieur de Libé, il faudra attendre 2001 pour comprendre l’étendue de la confusion des esprits et des individus qui avait pu régner dans la rédaction du journal, spécialement sur ces questions de déviances sexuelles. Cela viendra de Sorj Chalandon, journaliste maison[ref]Désormais écrivain et, depuis 2007, journaliste au Canard enchaîné.[/ref], qui osera casser le morceau dans un article aussi accablant qu’éclairant, qui commence ainsi :
« Je faisais un cunnilingus à une amie. Sa fille, âgée de cinq ans, paraissait dormir dans son petit lit mitoyen. Quand j’ai eu fini, la petite s’est placée sur le dos en écartant les cuisses et, très sérieusement, me dit “à mon tour, maintenant”. Elle était adorable. Nos rapports se sont poursuivis pendant trois ans. » C’est un homme qui parle. Il s’appelle Benoît. Son interview, titrée « Câlins enfantins », est précédée d’une phrase du journaliste : « Quand Benoît parle des enfants, ses yeux sombres de pâtre grec s’embrasent de tendresse. » C’est terrible, illisible, glaçant. Et publié dans Libération le 20 juin 1981. »[ref]Publié à nouveau dans Libération le 23/09/2017 en réponse à la question d’un lecteur.[/ref].
La suite du réquisitoire de Sorj Chalandon est tout aussi édifiante :
« À Libération comme ailleurs, l’affrontement fait rage sur tout. Une page de courrier pédophile déclenche la polémique. Mais est néanmoins publiée. Il y a panique à revêtir les oripeaux du censeur. Mais dans les locaux, des coups sont échangés. Des coups encore, lorsqu’un chroniqueur de la nuit arbore une croix de fer allemande au comité de rédaction. Celui qui frappe est conspué par de nombreux présents. L’interdiction, n’importe laquelle, est ressentie comme appartenant au vieux monde, à celui des aigris, des oppresseurs, des milices patronales, des policiers matraqueurs, des corrompus. La pensée est en confusion. La violence politique est un autre moyen de la politique. On a raison de séquestrer les patrons, on a raison de traquer les possédants, on a raison de se révolter et de jouir sans entrave. On a raison de soutenir les prisonniers, les homosexuels, les fous, les drogués. [souligné par moi, gp] Les femmes se révoltent, et les hommes cherchent une nouvelle place. Dans ce tumulte, ce retournement des sens, cet ancrage de repères nouveaux, dans cette nouvelle préhension de la morale et du droit, cette fragilité et cette urgence, tout ce qui se dresse sur le chemin de toutes les libertés est à abattre. »
Le tableau n’est pas complet :
« Un homme en jupe, inconnu, ivre, couvert de pisse et de morve, hurlant et pleurant s’invite au comité de rédaction pour dénoncer le reste du monde. Il n’est pas mis à la porte. Les journalistes l’écoutent jusqu’à ce qu’il parte. Il ne faut mépriser personne, entendre toute minorité. Respecter le droit à la différence. La pédophilie, qui ne dit pas son nom, est un simple élément de cette tourmente. Sauf pour ceux qui la revendiquent comme un acte « d’éducation militante », elle ne vient que rarement sur le devant de la scène. Le mot est terrible aujourd’hui. Mais elle n’est pas le problème d’alors. D’elle-même, et seulement, elle s’inscrit dans un bouillonnement chaviré, où chacun puise ce qu’il croit salvateur. C’est ainsi, c’est hier. C’est comme ça. »
Chalandon revient aussi sur l’affaire de Versailles, la pétition de 1977 et la suivante, et leurs célèbres signataires, morts pour beaucoup d’entre eux, les autres devant, aujourd’hui, chercher refuge dans un trou de souris. Ou alors, irresponsables, ils font « du Sollers » : « Il y avait tellement de pétitions. On signait presque automatiquement. »
« Coucher avec un enfant ? poursuit Sorj Chalandon. une liberté comme les autres. Sous toutes les plumes[ref]Le journal a également publié à cette époque une lettre ouverte signée de Pascal Bruckner et Georges Moustaki qui soutiennent un pédophile assumé.[/ref] toujours, d’articles en tracts et de prises de parole en tribunes libres, les mêmes mots reviennent : « L’évolution de notre société »… « Il faut changer la vie », écrit en 1979 dans Libération, un pédophile emprisonné. »
[…]« Elle gazouille quand elle éprouve du plaisir », écrit encore Benoît le malade, racontant la petite fille de cinq ans. Et il aura fallu du temps, tout ce temps, pour que le gazouillement ou le silence des enfants souillés se transforment en mots. Puis en colère. En accusation, enfin. Et que les voix d’adultes prétendant que l’enfant trouve du plaisir à ces jeux soient recouvertes par les voix d’enfants qui disent que tout cela n’est que souffrance. »
Insoutenable, n’est-ce pas ?[ref] Le père d’Albert Camus, s’écriant devant une autre forme d’horreur : « Non, un homme ça s’empêche. Voilà ce que c’est un homme, ou sinon… ». Dans Le Premier homme, éd. Gallimard, 1994.[/ref] Voilà tout ce contexte qui nous aura amenés – peu à peu, comme par une perfide accoutumance –, jusqu’à ce dévoilement du « cas Matzneff » qui met en cause notre société, tout au moins dans sa partie la plus fangeuse, qui se voudrait « élite », qui fanfaronne à l’occasion sur les plateaux de télévision et de cinéma, ou dans quelque obscure littérature. Ainsi celle d’un Frédéric Mitterrand : « On ne fait pas de bonne littérature avec de bons sentiments. », avait-il déclaré à la télé, amené à s’expliquer sur son livre, La Mauvaise vie (Ed. Robert Laffont, 2005), où il raconte ses dragues thaïlandaises. Extraits :
« Tous ces rituels de foire aux éphèbes, de marché aux esclaves m’excitent énormément. […] La profusion de garçons très attrayants, et immédiatement disponibles, me met dans un état de désir que je n’ai plus besoin de refréner ou d’occulter. L’argent et le sexe, je suis au cœur de mon système ;[…] je suis libre, absolument libre de jouer avec mon désir et de choisir. La morale occidentale, la culpabilité de toujours, la honte que je traîne volent en éclats ; et que le monde aille à sa perte, comme dirait l’autre. » Plus loin : « Cher prédateur sexuel, quand toutes les portes se ferment, ne désespérez pas, il existe des vols quotidiens pour Bangkok, depuis Paris ou Amsterdam. Au retour, vous aurez juste le temps de renouer votre cravate, et de prendre votre sourire fatigué de businessman toujours sur le front. »…
Heureusement pour lui, ses « garçons » n’ont pas d’âge ; malin, il échappe ainsi à l’accusation de pédophilie, tout en refusant aujourd’hui de charger son ami Matzneff. De même qu’en 2009, le tout frais ministre de la culture de Sarkozy-Fillon, avait apporté son soutien à Roman Polanski, poursuivi aux États-Unis depuis 1977 pour une affaire de crime sexuel commis sur une fille de treize ans et arrêté en Suisse. Déclarant, à propos de ce viol, qu’il s’agissait d’« une histoire ancienne qui n’a pas vraiment de sens »…
Cohn-Bendit, Dany-la-braguette
En avril 1978, invité avec Guy Hocquenghem de l’émission Dialogues sur France Culture, Michel Foucault dénonce le cadre juridique qui « vise à protéger les enfants en les confiant au savoir psychanalytique », à nier l’existence de leur désir sexuel et à postuler la sexualité avec les adultes comme dangereuse pour eux. Foucault s’oppose, de manière générale, à définir la sexualité sous la forme « contractuelle » d’un rapport qui serait fondé sur le découpage légal entre « consentement » et « non-consentement »… Pour l’intellectuel en vogue, postuler, dans le cadre judiciaire, qu’un enfant serait par essence non consentant amène à ceci : « On les croit non susceptibles de sexualité et on ne les croit pas susceptibles d’en parler ». La parole de l’expert psychiatrique se substitue à la sienne, alors que seule la parole de l’enfant permet « d’établir à peu près quel a été le régime de violence ou de consentement auquel il a été soumis ».
La défense de la pédocriminalité[ref]Le terme, autrement explicite, est désormais admis et se substitue progressivement à celui de pédophilie, qui a toujours cours cependant. On y associe également la pédopornographie, très active sur internet.[/ref], et des discours sur la « sexualité infantile » apparaissent comme une remise en cause des interdits, un geste révolutionnaire en somme, un acte majeur de « libération ». Ainsi, en 1975, Daniel Cohn-Bendit publie aux éditions Belfond Le Grand Bazar, dans lequel il écrit, au sujet de son expérience d’éducateur dans un jardin d’enfants « alternatif » à Francfort :
« Il m’était arrivé plusieurs fois que certains gosses ouvrent ma braguette et commencent à me chatouiller. Je réagissais de manière différente selon les circonstances, mais leur désir me posait un problème. Je leur demandais : “Pourquoi ne jouez-vous pas ensemble, pourquoi vous m’avez choisi, moi, et pas les autres gosses ?” Mais, s’ils insistaient, je les caressais quand même ».
En 1982, cette fois à la télé, dans l’émission de Bernard Pivot, Apostrophes[ref]Cette archive a été récemment retirée sous la mention : « Vidéo non disponible INA – Institut National de l’Audiovisuel, qui l’a bloquée pour des raisons de droits d’auteur. » Elle a été heureusement archivée sur le site d’Arrêt sur images.[/ref], le même Cohn-Bendit se livre à une lamentable exhibition – qu’on ne mettra pas seulement sur le compte du gâteau au haschich qu’il se vante d’avoir mangé peu avant… Voyons :
Reprenons le propos :
« La sexualité d’un gosse, c’est absolument fantastique, faut être honnête. J’ai travaillé auparavant avec des gosses qui avaient entre 4 et 6 ans. Quand une petite fille de 5 ans commence à vous déshabiller, c’est fantastique, c’est un jeu érotico-maniaque… »
Où l’on voit ainsi, sous l’arrogance du personnage, surgir l’infantilisme du « révolutionnaire » imbu et en l’occurence imbuvable de jeune-con face aux vieux cons assemblés autour de Pivot et de Paul Guth en ravi de la crèche télévisuelle… Tandis que cinquante ans plus tard, comme en un renversement tristement comique de l’histoire, Cohn-Bendit sera devenu le vieux-con que l’on sait, toujours aussi arrogant et « qui ose tout », chantre de l’Europe libéraliste et toutou de Macron !
Devenu député vert européen, Cohn-Bendit se défendra dans les colonnes de Libération (c’est bien le moins…) en février 2001, soutenu par des parents et des enfants, mais reconnaîtra en réunion publique « des lignes insoutenables, intolérables ; avec ce que nous savons aujourd’hui sur la pédophilie, sur l’abus sexuel », tentant de se justifier en parlant de provocation destinée à « choquer le bourgeois des années 70 » ! L’excuse de la provocation, sa marque de fabrique, son fonds de commerce révolutionnaire…
Pivot, un flirt avec l’air du temps
Le 2 mars 1990, Matzneff est invité pour la deuxième fois à l’émission télévisée « Apostrophes »[ref]La première fois, en septembre 1975, pour son livre Les moins de seize ans, il avait été malmené par une enseignante lui reprochant d’attenter à la dignité des enfants et adolescents.[/ref], sous l’œil aimable de Bernard Pivot, sinon goguenard, appelant à la rigolade – « Vous êtes un collectionneur de minettes »… L’autre pervers se rengorge tandis que deux stupides bonnes femmes n’en peuvent plus de glousser. L’honneur sera sauvé par l’écrivaine québécoise Denise Bombardier qui assimile l’ouvrage de Matzneff, Mes amours décomposés, à une apologie de la pédophilie, comparant l’auteur aux « messieurs qui attirent des enfants avec des bonbons ». Sa prise de position lui vaudra une rafale de commentaires haineux. « J’ai été traitée de mal baisée partout. On m’a dit de retourner à ma banquise », se souvient celle que l’inénarrable Philippe Sollers traitera aussi de « connasse ». Son éditeur l’avait mise en garde : « Ça va nuire à ton livre et à tous les livres que tu publieras par la suite ». Ce qui se produisit : « J’ai été boycottée par tous ces milieux durant trente ans », explique-t-elle. Ce fut le cas, entre autres, de Josiane Savigneau au Monde…
Passer chez Pivot valait consécration – c’était le Goncourt hebdomadaire[ref]Avec ses retombées sonnantes ![/ref], dont l’animateur constituait le jury à lui tout seul, en maître absolu. Sous son air bonhomme de faux naïf, il régentait le tout-littéraire, ce monde dont les ramifications s’étendaient pour ainsi dire à la société entière. Apostrophes, bistrot de la République des lettres, devisait sur la politique, les arts, l’édition évidemment et, par-delà, la pensée, modelant l’air du temps, le langage et même les mœurs.
Apostrophes n’aura pas seulement vu défiler Jankélévitch et Soljenitsyne, Mitterrand et Marguerite Duras, Simenon et le dalaï-lama… Après Nabokov et sa Lolita, il aura donc reçu Cohn-Bendit… et – à deux reprises, donc – le sulfureux Matzneff, présenté comme un aimable pédophile de compétition, un performeur dragueur de minets et minettes : une attraction. Et Pivot de se délecter, le sourire gourmand, tandis que le pédocriminel, tel qu’il était encore loin d’apparaître, buvait son petit lait de séducteur, faisait pouffer une assistance niaise. Tout le monde était satisfait : Pivot et ses points d’audience auprès d’un public émoustillé ; Matzneff et sa notoriété remplumée. Le Narcisse aux airs de bonze et aux pieds fourchus pourrait parader de plus belle sur son terrain de chasse. Son exhibition télévisuelle vaudrait caution « morale » auprès des délinquants et criminels à l’affût de chair fraîche.
Pivot peut bien se trouver des excuses navrées sur Twitter : « Dans les années 70 et 80, la littérature passait avant la morale ; aujourd’hui, la morale passe avant la littérature. Moralement, c’est un progrès. Nous sommes plus ou moins les produits intellectuels et moraux d’un pays et, surtout, d’une époque ». Il est vrai, mais faut-il absoudre ce flirt inconséquent qui, c’est ainsi, imprégnait et constituait le fameux « air du temps » ?[ref]Bernard Pivot a aussi reçu neuf fois dans ses émissions Michel Tournier, qui n’a jamais caché son goût pour les jeunes garçons et fut pendant 38 ans membre de l’Académie Goncourt. Il reconnaît que ce dernier « a toujours côtoyé l’extravagant, le monstrueux, le terrible » et qu’on peut « retrouver dans ses romans une expression de la cruauté du XXe siècle. »[/ref]
Finkielkraut « stimulé » par Tony Duvert
Une telle complaisance a servi d’alibi à bien des pédophiles. Elle masque aussi une autre réalité, l’infantilisme d’une mouvance. Rappelons cette « maladie infantile du communisme » accolée au gauchisme en 1920… par Lénine qui, pour le coup, pointait l’irréalisme des marxistes « purs et durs » risquant de se couper de la classe des travailleurs… Évitons l’anachronisme, mais le gauchisme soixante-huitard ne commettait-il pas ce même péché d’irréalisme lors de ses démonstrations d’orgueil provocateur ? C’était en tout cas ce que reprochaient aux « casseurs », la CGT et le Parti communiste.
Cet infantilisme n’était-il pas alors annonciateur de cette suite lamentable et, à proprement parler, tout à fait sexo-politique. À savoir une grande confusion mentale et sexuelle, l’une commandant à l’autre, s’évertuant à l’élever en norme et à l’imposer à l’ensemble de la société – qui devient consentante, du moins en partie, et de manière passive ou par indifférence.
Même un Alain Finkielkraut aura cédé aux sirènes de cette bien-pensance singulière – sous ses velléités de subversion verbeuse. Ainsi dans Le Nouveau Désordre amoureux (Le Seuil, 1977) où, avec son comparse Pascal Bruckner, il se montre dans l’un des chapitres plus que complaisant envers l’apologie de la pédocriminalité professée par Tony Duvert. [ref]Tandis que tout le livre s’élève contre l’« idéologie génitaliste » [sic], celle de la norme de l’orgasme obligatoire ! J’ai repris l’ouvrage, à l’état comateux dans ma bibliothèque sexpolienne. Effarant pensum verbeux et caricatural. Bruckner trouve encore le moyen de justifier son contenu dans un récent numéro de L’Express.[/ref] Soit ce passage des plus explicites :
« Au fond, la Loi ne demande aux amants que ceci : de ne pas faire les enfants ; en d’autres termes, de rester pleinement génitaux. Et inversement : le corps de l’enfant demeure aujourd’hui en Occident le dernier territoire inviolable et privé, l’unanime sanctuaire interdit : droit de cité à toutes les « perversions », à la rigueur, mais chasse impitoyable à la sexualité enfantine, son exercice, sa convoitise. La subversion, si l’on y croit encore, ce serait de nos jours moins l’homosexualité que la pédérastie, la séduction des « innocents » (d’où le scandale que provoquent les livres de Tony Duvert alors qu’ils devraient stimuler, susciter des vocations, dessiller les yeux). Parce que la maturité est toujours l’histoire d’un étranglement, l’adolescence n’est pas le début de la vie sexuelle mais plutôt sa triste canalisation : à 14 – 15 ans, les jeux sont faits, la normalité orgastique parachève son patient travail de redressement. L’enfance, deux fois « privilégiée » par notre société (ici, pure de toute velléité érotique ; là, « polymorphe perverse », asexuée à droite, hypersexuée à gauche) serait donc le continent prohibé par excellence, la terre promise que nul n’aurait le droit de fouler aux pieds : je peux être génital, je peux être infantile (ça je le suis de toutes les façons), mais surtout pas enfantin […] Faire l’ange, ça vous excite cette débilité-là ? »[ref] En 2018, dans L’autre pensée 68 : Contre-histoire de la philosophie, Michel Onfray revient sur ce livre, soulignant lui aussi que Bruckner et Finkielkraut étaient très favorables aux écrits de Duvert, rejoignant en cela le courant dit des « nouveaux philosophes ».[/ref]
En 1979, passant la vitesse supérieure, les mêmes auteurs citent à nouveau Duvert, estimant qu’il est « en tant que pédophile, l’héritier des grands mythes amoureux », victime de « l’ordre collectif ancienne manière [qui] ne renaît que pour faire la chasse aux amours pédérastiques. […] Regrettez-vous ces temps barbares et lointains où la foi faisait violence à l’amour ? Désirez-vous connaître l’intensité des passions impossibles ? Une seule solution : éprenez-vous d’un(e) enfant. » Pascal Bruckner, Alain Finkielkraut, Au coin de la rue, l’aventure, Seuil, 1979, page 91…
« Elle posait pour Vogue », dixit Finkielkraut… En décembre 2010, médecins, professionnels de l’enfance et parents ont reproché à Vogue Paris d’érotiser l’image de fillettes pour promouvoir des produits de luxe. Une pétition a circulé pour s’opposer à l’érotisation de l’image des enfants dans la publicité.
Pas étonnant dès lors que le philosophe-académicien-producteur-écrivain en vienne à prétendre à propos de l’affaire Matzneff, sur CNews ce 7 janvier 2020 : « il n’y a pas eu de viol puisqu’il y a eu consentement, mais il y a eu en effet détournement de mineur », se plaçant ainsi dans le continuum normal de la violence sexuelle envers les enfants et les femmes. Position qui fut déjà la sienne lorsqu’il a pris, lui aussi, la défense de Roman Polanski suite à son viol par sodomie d’une mineure, objectant que sa victime « n’était pas une enfant » car elle « posait pour Vogue » !
Loin de moi de vouloir porter ici le coup de pied de l’âne à un homme pour qui j’ai par ailleurs de la considération. Son émission hebdomadaire, Répliques, sur France Culture est des plus intéressantes par la qualité de son questionnement. Mais, là encore, le « talent » ne saurait tout excuser, sauf à le considérer comme un paravent. Nul n’est parfait, pas même l’auteur de ces lignes… Mais le droit à la faute, ne vaut pas droit à l’erreur. « Errare humanum est, perseverare diabolicum » Oui, persévérer est diabolique !
J’insiste, en revenant sur l’académicien, si souvent moraliste, et son « argument » en défense de Polanski. Sa victime, ose-t-il avancer « n’était pas une enfant » car elle « posait pour Vogue » ! Quelle hypocrisie ! Ainsi, Vanessa Springora n’était pas davantage l’adolescente de 13 – 14 ans puisqu’elle dînait en compagnie d’un écrivain invité par sa mère… Et Eva Ionesco, dont la mère prenait des photos à caractère incestueux, qu’on qualifiait alors d’art ? Et Flavie Flament, adolescente violée par David Hamilton, le si talentueux photographe britannique ?
Pédophilie au nom de l’art, du luxe et de la publicité
En octobre 2016, devenue animatrice à la télévision, Flavie Flament publie La Consolation (Ed. J‑C Lattès), roman autobiographique dans lequel elle affirme avoir été violée en 1987, au Cap d’Agde, alors qu’elle avait 13 ans, par un célèbre photographe, âgé de 83 ans à la date de publication du livre. Elle affirme avoir souffert d’amnésie traumatique et n’avoir retrouvé ce souvenir qu’en 2009, avec l’aide de psychiatres. Interrogée dans les médias, elle explique qu’elle ne peut nommer son violeur en raison du délai de prescription dans la loi française. Thierry Ardisson, la recevant dans son émission Salut les Terriens !, prononce le nom (bipé à l’antenne) du violeur présumé. Dans les jours qui suivent, David Hamilton est cité par plusieurs médias, ainsi que sur les réseaux sociaux, comme pouvant être le photographe évoqué dans le livre de Flavie Flament. L’affaire n’ira pas plus loin – pour cause de suicide de l’amateur de Lolitas floutées et aux poses lascives.[ref]Suicide fatal aussi au livre, qui ne connaître pas le retentissement du Consentement.[/ref]
Profitons-en pour évoquer également cette pédophilie raffinée qui sévit dans la publicité du luxe jouant sur/avec les corps d’enfants. Sous les maquillages, les vêtements et les positions plus qu’ambigus est célébré un exhibitionnisme dont il faudrait être bien soupçonneux, n’est-ce pas ? pour en dénier toute la dimension artistique…
Et que dire de cette pub-vidéo censée faire vendre des chaussettes ?[ref]Réalisée par une jeune agence de communication française, diffusée sur le web début 2013.[/ref] La maman à la grande bouche gourmande, qui aime tant se sucer les doigts… prépare le repas dans sa cuisine quand son petit garçon lui demande (en anglais, car la pub était destinée au marché britannique) “Can you sock me please ?” que l’on pourrait traduire par “Pourrais-tu me chussuer s’il te plaît ?”. La maman à peine surprise lui répond par l’affirmative car “il est si mignon”, puis s’agenouille et disparaît sous la table… pour lui remonter une chaussette… L’enfant arbore ensuite un grand sourire de satisfaction. Moralité, si on peut dire : Les chaussettes Burlington procurent autant de plaisir qu’une fellation parentale ! La stratégie du scandale par la banalisation de l’inceste, voire son érotisation.
Ce qui nous ramène à un autre slogan-phare de Mai-68, « L’imagination au pouvoir »…, devenu le mantra des soixante-huitards reconvertis dans la pub’ et la marchandisation généralisée. C’est dire – et sans prétendre ici à un inventaire exhaustif – à quel point Soixante-huit et son sillage ont pu troubler les registres de la pensée et de la moralité, en particulier sur ces questions de société relatives à la sexualité. Tel était le projet de la Revue Sexpol, dont le premier numéro est paru en janvier 1975.
La revue Sexpol et la réalité de l’homme pathologique
Alors Sexpol et la pédophilie ? Guère moins accommodante, relevant aussi, en partie, de l’air du temps de cet après Soixante-huit. En partie seulement ! En effet, au nom de la même fameuse injonction « interdit d’interdire », le mensuel, dans son n°6, ouvre une de ses pages à des petites annonces gratuites et non filtrées. Une aubaine pour des pédophiles… ainsi que pour le ministère de l’Intérieur… qui fit interdire la publication.
Résumé de la suite :[ref]Voir sur ce blog l’article complet de 2005 : Il y a 30 ans, la revue Sexpol mariait sexualité et politique [/ref] S’orchestra alors une bagarre « politique » à base de dénonciation de la censure de la part d’un régime (celui de Giscard d’Estaing – forcément atroce, voire fasciste…) réprimant non seulement la liberté de la presse mais aussi l’expression de la sexualité libérée, etc. – bref, tout l’attirail argumentaire du gauchisme d’agit-prop’ et, embarqué avec, ce libéralisme du « tout est permis », pédophilie y compris ! Ce qui, à l’époque, n’était pas dit aussi ouvertement, mais sous-entendu et en connivence à peine équivoque avec les démiurges intouchables de la fac de Vincennes, avec les Schérer, Hocquenghem, Lapassade, Duvert. Et Matzneff.[ref]René Schérer et Guy Hocquenghem ont co-produit le numéro 37 de la revue Recherches édité par Felix Guattari sur le thème de la pédophilie en avril 1979. Ce numéro reproduisait sous le titre La Loi de la pudeur l’Intégralité de l’émission Dialogues, diffusée sur France Culture en avril1978, enregistrée en 1977. La radio publique avait invité Michel Foucault, Guy Hocquenghem, fondateur du Front homosexuel d’action révolutionnaire (FHAR) et le juriste Jean Danet, tous trois signataires de la pétition qui demande la décriminalisation de la pédophilie. Durant une heure et quart, en public dans le studio 107, ces intellectuels vont défendre l’idée que des pédophiles sont incarcérés à tort parce que les enfants qu’ils ont abusés étaient consentants. Depuis supprimé du catalogue de Recherches, ce débat sera finalement inclus dans le recueil Dits et Écrits 1976 – 1979 de Foucault.[/ref]
Petites annonces et morceaux choisis pro-Duvert et Schérer dans Sexpol (1975 – 80)
De cette bagarre politico-médiatique, relayée d’assez bonne grâce par une partie de la corporation journalistique – dont j’étais… – et qui trouvait là matière à « sujets » : protestations, dénonciations, spectre de la Censure, etc. ; de cette bagarre donc, nous sortîmes plutôt vainqueurs : le ministère de l’Intérieur concéda une levée de l’interdiction en échange de notre renonciation à la publication de nos annonces incontrôlées. Ce que l’ensemble de l’équipe de Sexpol accepta, à l’exception de deux de ses membres, pédophiles revendiqués et prêts au martyre au nom de leur « idéal », se bornant en fait à quitter ce navire de compromission normative… Ils n’en avaient pas moins « œuvré » pour ledit idéal, produisant quelques articles très favorables à leurs amis Duvert, Schérer (longuement interviewé dans la revue) – et Matzneff. En partant, ces deux comparses entonnèrent leur chant du cygne : « Le pouvoir dit qu’il nous interdit pour protéger sa jeunesse, il a raison. Nous voulons corrompre la jeunesse et apprendre avec elle à aimer librement. »
Comment être d’accord avec une telle suffisance verbeuse – et pernicieuse ? Prétendre que le pouvoir avait raison de nous interdire, même par provocation, c’était reconnaître le bien fondé de sa décision, tout en nous donnant des verges (!) pour nous faire fouetter. C’était s’offrir à la vindicte des censeurs, donner prise à ses instruments de répression juridique – et légale. Avant tout, nous ne voulions pas « corrompre » la jeunesse – au contraire ! Nous n’avions pas à alléger notre crasse en la partageant avec les enfants ; nous voulions les en protéger et faire que ce soient eux qui achèvent la misère, l’injustice, la répression de la vie et le Vieux Monde – ce que nous ne faisions pas ! Si nous sommes gouvernés par des psychopathes normalisateurs, c’est bien par démission – celle de la société des humains incapables de se gouverner eux-mêmes. Démission surtout à l’égard des enfants livrés à la perversion des psychopathes, qui ne sont pas seulement au pouvoir. Et c’est l’escalade, la surenchère sur la même échelle de valeurs négatives : la « corruption révolutionnaire » qui renverserait la « corruption bourgeoise »… Nous voulions un Autre monde pour lequel il nous faudrait même inventer un autre langage, d’autres mots, faute de pouvoir imaginer les lointains lendemains de I’Amour extra-subversif. Presque une autre planète…
Donc, oui, Sexpol aussi avait cautionné cet « air du temps », air de pestilence, objectivement complice de ce « pas d’interdit – tout permis ».
On se doit ici de remonter à l’origine de la revue en tant que projet politique – pour ne pas dire éthique, anthropologique, philosophique.
Soixante-huit, donc, avait œuvré au noir et au rouge, et de l’athanor encore fumant/fumeux, on défournait, en les démoulant d’un bloc, des pans entiers de condamnations assassines et d’utopies célestes. Sexpol aussi sortait de ce four-là, mais en dénotant dans le concert des feuilles « révolutionnaires », interrogeant dans les profondeurs et l’individu et la société, enrôlés dans le décor fluo du dieu-Marché, de la marchandise mondialisée.
Sexpol sortait de ce four, il est vrai, mais comme un vilain canard qu’il était, à commencer par son étrange titre, appelant d’ailleurs sous-titre – sexualité/politique – pour annoncer « la couleur », c’est-à-dire une mise en dialectique des deux entités humaines fondamentales : l’individu, et la société. L’un et l’autre, dans l’autre, par l’autre ; l’un avec l’autre, contre l’autre ; et surtout, autant que possible, l’un et l’une pour l’autre. Tout un programme. Où l’on parle de l’« animal humain » et de son « drame » qu’est sa démission dans la fatalité résignée du « c’est la vie ». Où l’on rejette les interprétations dogmatiques sur la lutte des classes pour lui préférer la référence situationniste : Est prolétaire quiconque est « dépossédé du plein emploi de sa vie ».
Comme les temps ont écorné l’utopie ! Adieu Rimbaud et son « changer la vie » ! Que serait le politique s’il n’ouvrait le champ libre au bonheur d’être, ici et maintenant ? Le politique alors, oui, ne serait que la politique – on connaît. Surgit sur cette route canalisée un certain Wilhelm Reich, le premier à avoir posé en termes historiques la place primordiale de la sexualité – l’expression biologique de la pulsion vitale – dans la construction d’une humanité digne de ce nom. Alors que Freud labourait le champ indéfini de l’inconscient, quand Marx avait mis au jour les mécanismes de l’aliénation par le capital, Reich, lui, tente une synthèse alors vite cataloguée de « freudo-marxiste ».
Psychanalyste engagé, médecin social, il fonde en 1931, en Allemagne pré-nazie, le mouvement Sexpol, abréviation de politique sexuelle, mouvement destiné à venir en aide aux adolescents en proie à la « misère sexuelle ». Les freudistes le suspectent alors de communisme, là où Reich avait posé la question de la dimension sociale des névroses et de leur traitement. Les communistes le traitent de médecin bourgeois introduisant la psychologie et, pire encore, la sexualité, dans la politique. Il est rejeté par les deux camps. Tandis qu’un troisième, la bête immonde à l’affût dans l’ombre, aura bientôt « raison » de tout – sauf de sa magistrale dénonciation dans Psychologie de masse du fascisme[ref]Rédigé entre 1930 et 1933, pendant la montée du nazisme. Édition française chez Payot, 1977.[/ref].
Autre point de perspective : l’histoire ne saurait se répéter, dit-on, mais interrogeons ici nos sociétés à criminalité record, le plus souvent de manifestation directement sexuelle : viols, violences sadiques et meurtres pervers, pédophilie « ordinaire » ou organisée, marchandifiée, touristiquée. Questionnons nos contemporaines poussées d’intégrismes multiples, de fascismes rampants, les guerres ethnico-religieuses. Ce chaos, que Reich est l’un des tout premiers à questionner à propos de la souffrance humaine. Car il s’agit bien de souffrance, cette incapacité à « se laisser aller au flux de l’amour », à l’« élan vital ». Il pointe alors précisément, observateur et analyste acerbes, les mécanismes de répression tapis dans les systèmes éducatifs, dans la structure familiale, patriarcale et économique, et comme engrammés chez les individus eux-mêmes qui n’ont de cesse de perpétuer partout, et en particulier chez leurs enfants, à peine nés, les meurtres de la vie. Il identifie non seulement dans les caractères psychologiques mais dans les corps mêmes les traces visibles, palpables des blessures du vivant, raidi sous une cuirasse, et donnera ainsi naissance aux thérapies psycho-corporelles.
Dès ses premiers ouvrages, Reich perçoit et analyse les signes de la structure caractérielle rigide des hommes d’appareils, des partis, organisations diverses au service de la fixité des choses, résolument hostiles au mouvement du vivant, à sa pulsion. Il ouvre ainsi la voie à un autre regard politique – sexo-politique, précisément –, sur la société autant que sur chacun de ses individus, vous, moi, lui dont il dira plus tard, n’en connaître aucun qui ne porte en lui les marques de la structure autoritaire fasciste…
Le projet de Sexpol, la revue, naît de cette sorte de révélation, de ce regard autre, tout à fait neuf, porté sur l’histoire humaine avec le désir d’en comprendre les ressorts intimes. Cela au moment où le manichéisme idéologique de l’après-68 atteignait, comme on dirait aujourd’hui, des pics de pollution mentale et physique. « Tous n’en mouraient pas… ». Les humains, malades de la peste – cette peste émotionnelle, ainsi que l’appellera Reich.
Telle était bien aussi, à sa mesure, l’ambition de Sexpol qui va y aller de ses questionnements : le militantisme, la médecine, le désir, la beauté et la laideur, le couple, l’enfance, la bouffe, l’homosexualité, la sexualité de groupe, la violence, la nature, les prisons, l’éducation, le mysticisme, les élections, femmes et hommes, les sentiments, l’adolescence, la vieillesse – autant de thèmes qui furent tamisés à la lumière sexo-politique, avec plus ou moins de finesse d’ailleurs, on peut aujourd’hui mieux le reconnaître, le recul aidant, en revenant sur cette complaisance qui faillit lui être fatale. Mais finalement, ces annonces pédophiliques qui causèrent l’interdiction, furent habilement exploitées en censure politique, puis en brevet de « résistance révolutionnaire » (et en presque succès commercial…)[ref]Le tirage de Sexpol se monta jusqu’à 20 000 exemplaires.[/ref]
Ainsi « œuvrait » l’air du temps… Complaisance à tolérer l’intolérable – par libéralisme inconséquent, voie d’entrée des pervers dans les lieux de faiblesse coupable. Ils parviennent à s’y installer, jouent des discours, chantent des hymnes à la libération, tout comme ils iront draguer de la chair à jouir.[ref]Les mesures d’interdiction de la revue ne mobilisèrent pas la moindre solidarité des « annonceurs » – tant mieux, ils iraient tenter leur diable ailleurs…[/ref]
« Ne vois-tu pas, mon vieux Neill, que tout ton édifice de respect libéral de la névrose s’écroule – qu’il ne faut pas confondre la réalité de l’homme pathologique avec le principe de la dignité humaine de Locke. L’humanité tout entière a été entraînée vers l’abîme à cause de cette sorte de confusion libérale…» Ainsi écrivait Reich à Alexander Neill, son ami, le fameux pédagogue anglais de Summerhill, auteur de Freedom, not license, bêtement traduit par La liberté, pas l’anarchie…
Ce qui reste aujourd’hui de ces années Sexpol et de sa quarantaine de numéros, ce sont néanmoins des valeurs pivotales, d’ailleurs le plus souvent héritées de Reich, et dont l’actualité demeure, hélas, toujours impérieuse. Ainsi l’identité psycho-corporelle de l’être humain, certes aujourd’hui reconnue en théorie (dans nos sociétés dites avancées), mais aussitôt dénaturée par la dictature du paraître, la prééminence dictatoriale de l’image, l’empire du look, l’idéologie néofasciste du corps magnifié, idéalisé en un nouveau culte païen. Ainsi le délire scientiste, ou la tentation démiurgique de « savants » fous attaquant la structure ultime de la cellule, bricolant bientôt l’être humain comme d’autres tripotent les gènes du maïs ou du soja, clonent Dolly, tout juste avant le tour des Loana ou Steve de l’an 2050 – ou avant…
Ainsi ces numéros spéciaux sur les bio-énergies, et sur la naissance, et sur Reich enfin qui ont dit à pleines pages, et qu’on entend encore aujourd’hui, parmi les tam-tams médiatiques du « village planétaire » – où l’on s’étripe plus que jamais –, qui ont dit à pleins cris que l’animal humain, bête et homme, étrange et précieux couple, demeure ce mystère indicible de monstruosité et d’idéal. Selon les jours, selon les lieux, les proportions du mélange nous incitent à plus ou moins d’optimisme… Selon que les ravages de la pensée unique iraient jusqu’à nous rendre nostalgiques des « deux blocs » entre lesquels on pouvait encore glisser l’espoir d’un monde autre. Unicité totalisante qui frappe de plein fouet culture et agri-culture, menace nos artistes, nos aliments et notre santé, façonne nos vêtements, nos langages – nos identités ; qui canalise l’information et, au bout du satellite, aligne la politique sur la marchandise et le gros Dow Jones, la sexualité sur la consommation.
Osera-t-on reconnaître, comme je le prétends ici, que « notre Mai-68 » contenait en germes les dérives déplorées aujourd’hui ? Et le dire ouvertement, d’un point de vue de gauche et de témoin engagé, n’est pas pour autant cautionner les « anti-68 » de la droite bornée, les revanchards à la Luc Ferry, aveugles aux réelles avancées jaillies de ce printemps. Mais peut-on encore dénier à quel point l’« interdit d’interdire » aura pu ravager des pans de l’édifice sociétal, en particulier dans les relations parents-enfants, enfants-enseignants – et entre les citoyens et la cité ? Tandis qu’un premier clivage se produisait, durant les « événements » mêmes, entre le pays laborieux et les révoltés aux appellations de rupture – enragés, casseurs, gauchistes, anarchistes, maoïstes… – désignant ces étudiants privilégiés, enfants de la bourgeoisie…
Oui, clivage et séparation de classes. Mais ne s’agissait-il pas aussi d’une coupure d’ordre culturel ? Celle-là même qui s’est confirmée dans l’après soixante-huit avec, d’une part, la désindustrialisation progressive et la transformation du monde ouvrier et de ses représentations (syndicats et partis) ; et d’autre part, la montée en nombre de la classe moyenne, puis peu à peu des « bobos » et de la « gauche caviar », du « management », du « coaching » et des « ressources humaines » – et enfin de Macron et sa « start-up nation »…Le raccourci semble évidemment rapide. En l’accélérant encore, il mènerait tout droit au vertige ultra-libéral qui a saisi le monde entier, ce qu’on appelle la globalisation. C’est-à-dire la dérégulation générale, cette grande confusion qui, de l’après-68 en particulier jusqu’à nos jours, aura atteint les êtres et les sociétés.
En ce sens l’« affaire Matzneff », parce qu’elle touche en premier l’enfance, renvoie à une responsabilité générale, universelle : protéger la vie contre les pervers, les incapables de « s’empêcher ». Et, pour cela, en citant Reich encore, ne pas confondre la réalité de l’homme pathologique avec le principe de la dignité humaine.
Portrait. L’archange Gabriel qui se croyait intouchable
[dropcap]Qu’est[/dropcap] donc Matzneff d’autre qu’un dandy dragueur de minets-minettes, au raffinement assassin, même s’il n’a pas tué de facto, « seulement » abusé d’enfants et d’adolescents dont les vies se trouveront terriblement perturbées, à jamais peut-être ? Qu’est-il d’autre aussi qu’un séducteur d’éditeurs en mal de « buzz », comme on dit de nos jours, et de bizness ? Qu’un enjôleur qui aura tenu dans ses filets, et ses victimes sexuelles, et ce milieu littéraire très parisien avide de « sensations fortes », quand ce n’est pas de prises de bénéfices …
Je ne serais que vulgairement critique de ses exhibitions autobiographiques si je prenais en considération le littérateur : romancier, diariste, chroniqueur… Salué à ce titre par quantités d’écrivains amis, critiques patentés et adulateurs multiples se répandant dans les gazettes et autour des buffets de l’entre-soi et chez les éditeurs, dans le pré carré de Saint-Germain-des-Près, son autre terrain de chasse.
Il avait commencé très jeune, Gabriel, l’« archange aux pieds fourchus », titre d’un de sa trentaine de livres édités. À seize ans déjà il préférait les petits garçons de onze, douze ans qu’il allait cueillir jusqu’au Maroc, « paradis des pédophiles ». Ou bien plus tard, à partir des années 60, à Manille, haut-lieu du « tourisme sexuel » en compagnie de Christian Giudicelli, prix Renaudot 1986. Lequel fera à son tour partie du jury Renaudot qui remettra le prix 2013 à … Gabriel Matzneff[ref] Parmi les jurés : Frédéric Beigbeder, dont Matzneff est l’un des auteurs favoris ; Jérôme Garcin, qui le louait dans une critique, récente ; Franz-Olivier Giesbert, le dilettante de service et néanmoins président du jury. Peut-être pensaient-ils, comme Matzneff, que « le style n’excuse pas tout, mais [que] le style justifie tout »[/ref]. Une tournante en quelque sorte. C’est l’attribution de ce prix qui décidera Vanessa Springora à écrire son livre.
Matzneff, dont Combat publiait ses chroniques parisiennes ou sur la télé, qu’il ne regardait pas…, ses élans mystiques sur la sensualité des rites orthodoxes (il est issu d’une famille de hobereaux russes émigrée en France après 1917), ses envolées littéraires, ses odes à son grand ami et mentor Henry de Montherlant, lui aussi touriste particulier au Maghreb, tout comme André Gide, Roger Peyrefitte, l’auteur américain Paul Bowles et d’autres.
Girouette politique, il approche aussi bien Mitterrand que Le Pen, ou Alain de Benoist, « intellectuel étiqueté (très) à droite » – comme lui, il appelle néanmoins à voter Mélenchon à la présidentielle de 2017… Il fréquente le « beau monde » : Barthes, Sartre, de Beauvoir, Cioran, Lang, Hergé… Il côtoie l’élite, boit le thé chez Bernard-Henry Lévy et Arielle Dombasle. Il est ami avec Léo Scheer, qui ne manque pas de rééditer Les moins de seize ans en 2005. À l’étranger, il se voit reçu par des ambassadeurs tel un courtisan à Versailles. Le 21 mars 1995, à l’occasion du Salon du Livre, Jacques Toubon, ministre de la Culture du gouvernement Balladur, lui remet l’insigne d’officier des arts et des lettres, pour sa « contribution au rayonnement des arts et des lettres en France et dans le monde ». Toubon souligne à cette occasion que « Gabriel Matzneff occupe une place particulière dans la République des Lettres. » Certes…
Parmi quelques-uns de ses préceptes, deux sont particulièrement révélateurs de ce Narcisse de haut-vol : « Je ne parle bien que de moi-même ; et des autres à proportion que je peux les ramener à moi. », et « L’Église est faite pour les pécheurs, pas pour les saints. » Ainsi bardé de cette protection, Saint-Gabriel, l’archange envoyé de Dieu, se pensait intouchable. Il le fut, en effet, jusqu’à maintenant. Malgré l’évocation de dizaines de relations pédocriminelles dans ses journaux intimes, Matzneff ne sera jamais condamné. Tout juste fera-t-il l’objet de ce qu’on appelle de nos jours un signalement.[ref]À mettre en parallèle à l’interdiction de la revue Sexpol, en 1975, pour avoir laissé paraître quelques annonces de pédophiles… [/ref]
Florilège illustré, extrait du site de Matzneff
[dropcap]Le[/dropcap] site de Matzneff a été fermé sur initiative de l’intéressé. Mais la toile garde une mémoire tenace de ses anciens locataires, et même des photos… Petit florilège des échanges que l’écrivain-pédophile revendiqué entretenait avec ses admiratrices et admirateurs – et qu’il faisait précéder de cette épigraphe : « En cette veille de l’anniversaire de la mort du roi Louis XVI, salut et prospérité à toutes celles et à tous ceux qui sont avec nous ce soir. Et vive la liberté ! »
Coralie : Quelle honte ! Un tas d’ignares vous cataloguent « pervers Petit Bateau » alors que votre oeuvre est si riche, si diverse, si profonde. Quand vous considérez le tort que cette réputation de “pédophile” a causé à votre vie et à votre carrière, ne regrettez-vous pas d’avoir publié Les Moins de seize ans ? Réponse : Dans la vie, quand on a très envie de faire une bêtise, il faut la faire sans hésiter. Publier de mon vivant Les Moins de seize ans a certes été une erreur du point de vue de la réussite sociale, mais du point de vue humain cette publication m’a apporté des bonheurs multiples.
Emmanuelle : Les ventes de vos livres, vos piges de chroniqueurs ont-elles toujours suffit à soutenir votre train de vie ? Et aujourd’hui, pouvez-vous toujours vous permettre de voyager, de prendre soin de vous de toutes les manières que vous aimez ? Réponse : Oui, rien ne change dans ce domaine. Quand j’ai envie de caviar, je mange du caviar ; quand j’ai envie de sauter dans un avion, je saute dans un avion. J’ai un style de vie qui me convient parfaitement, et je ne vois aucune raison d’en changer. Quant à la question financière que vous évoquez, je vous ferai la réponse du général de Gaulle : “L’intendance suit” ! [Ndlr : Suivra-t-elle encore désormais?]
Emma : La question peut paraître un peu directe : continuez-vous à séduire, ou devez vous recourir aux « amours » mercenaires ? Bref : avez-vous la vieillesse de votre cher Casanova ? Réponse : Je vous remercie, Emma, de votre sollicitude, mais rassurez-vous : mes amours vont très bien. L’époque où je serai un vieux monsieur est encore lointaine, et d’ailleurs les artistes jouissent dans ce domaine d’une temporalité spéciale : un écrivain, un peintre, un acteur, un chanteur n’ont pas d’âge, et les jeunes filles qui les aiment sont infiniment plus sensibles à leur talent, à leur charme, qu’à leur date de naissance. En outre, je suis beaucoup plus joli garçon aujourd’hui que je ne l’étais à trente ans. Chère Emma, lisez Boulevard Saint-Germain, paru en 1998, Super flumina Babylonis, paru en 2000, songez à Mathilde et à Stefanie, les deux jeunes héroïnes de Mamma, li Turchi !, et vous aurez la réponse à votre question.
BBKID : Henry de Montherlant s’est suicidé. Y avez-vous pensé ? Réponse : J’ai tant écrit sur ce thème, et cela dès mon premier livre, que je ne me sens pas capable de vous répondre en trois lignes, et ne puis que vous renvoyer à mes écrits.
Photos du blog de Matznef, fermé dès le déclenchement de l’affaire.
Allemagne : Cohn-Bendit encore
[dropcap]Bien[/dropcap] sûr, la France ne saurait avoir l’exclusivité de ce genre d’affaires, aussi universelles que les travers humains – toutefois minoritaires. Pour rester en Europe, et près de chez nous, les Pays-Bas se sont aussi beaucoup distingués dans ces domaines avec de forts mouvements pro-pédophiles. Le cas de l’Allemagne nous concerne de plus près.
« J’étais aussi étudiant à Francfort-sur-le-Main quand Cohn-Bendit et Joschka Fischer étaient là. J’ai participé aux mêmes manifestations. Et je peux vous dire que je ne crois pas un mot des explications de Cohn-Bendit quand il dit qu’il a fait ses révélations sexuelles avec des enfants dans un seul but de provocation. » C’est Eckhard Stratmann-Mertens, ancien député et membre fondateur du parti Die Grünen (les Verts), qui témoigne devant la presse, démolissant toute la rhétorique de Cohn-Bendit.
Eckhard Stratmann-Mertens rajoute des détails décrivant certaines scènes de l’époque. Ce témoignage est renforcé par d’autres témoins qui étaient alors enfants pendant la période concernée. L’un d’eux, âgé de 46 ans aujourd’hui, parle même de viols qu’il aurait subi de la part de certains membres de la commune des écologistes dans le lieu-dit de Dachsberg.
À l’automne 1999, un des amis de jeunesse de Daniel Cohn-Bendit, le terroriste allemand Hans-Joachim Klein, se livre à la justice française, est extradé et condamné à neuf ans de prison pour la prise d’otages du siège de l’OPEP à Vienne (trois morts en décembre 1975). Son procès est l’occasion de nombreuses révélations sur le passé des deux hommes et celui, passablement violent, de leur ami commun, Joschka Fischer, entre-temps devenu vice-chancelier d’Allemagne. La journaliste Bettina Roelh révèle que Cohn-Bendit a aussi écrit un texte proche de la pédophilie dans la revue allemande que dirigeait son père, peu avant le suicide en prison de sa mère Ulrike Meinhof, codirigeante avec Andreas Baader de la Fraction armée rouge.
Daniel Cohn Bendit, entre-temps devenu parlementaire européen, ne répond tout d’abord pas à ces informations reprises par la presse étrangère. Puis il accorde le février 2001 un long entretien à l’hebdomadaire français L’Express, dans lequel il esquisse des regrets mais contre-attaque en estimant que ces révélations n’en sont pas et que la pédophilie était partiellement entrée dans les mœurs dans les années d’après Mai 68. Dans un débat organisé quelques jours avant les élections européennes de 2009, le président du tout nouveau parti MoDem, François Bayrou, improvise une attaque contre Cohn-Bendit sur ce sujet, sans grand succès d’opinion. La polémique s’éteint avec le score historique obtenu dans les urnes par ce dernier.
En Allemagne au contraire, cette polémique va rebondir et s’amplifier dans les années 2010 au moment où le parti Die Grünen, revenu dans l’opposition, est affaibli politiquement puis moralement par d’autres révélations sur la pédophilie dans les années 1970, mais cette fois à Berlin. Aux législatives, Die Grünen dégringole de 15 % à moins de 10 %.
Dans ces différentes révélations, les lecteurs ont aussi découvert que Volker Beck, autre personnalité politique de la vie Berlinoise des Grünen, avait publié un texte réclamant la dépénalisation des actes sexuels avec des mineurs pour autoriser la pédophilie. Volker Beck et Daniel Cohn-Bendit s’efforcent par l’emploi de diverses contorsions rhétoriques de se dédouaner en prétendant qu’il ne s’agissait que de littérature ou de provocations correspondant à l’air du temps.
Une synthèse éclairée et éclairante qu’il faut répandre. Une contextualisation historique et morale nécessaire. Merci Gérard.
Merci ! x x x
Et il y a aussi des choses que j’ai connues directement. Le Coral à Aimargues (Gard), accueillant de (très) jeunes déglingués (un « lieu de vie ») « géré » par Claude Sigala qui fut condamné en 1986 pour avoir tripoté quelques minettes de moins de 15 ans. Ou encore la « communauté » de La Noire Eau à Libin (Belgique) d’André Tange qui fut également emprisonné pour des (v)agissements semblables en 1996. Des lieux prônant La Lutte sexuelle des jeunes (1932) de W. Reich. Tange fut rédacteur en chef de la revue L’Orgonome, à laquelle j’ai ingénument contribué. Une autre de mes contributions naïves le fut dans l’immédiat après-68 avec les éditions Spartacus de René Lefeuvre chez qui je me rendis un jour et qui me montra son grand lit dans lequel dormaient deux très jeunes éphèbes – marocains, précisa-t-il – qui relevaient de la catégorie « tu peux pas savoir combien ils sucent bien ». J’étais très choqué, mais suis resté coi, coincé dans un « double bind » insoluble : l’amnésie traumatique ne concerne pas que les victimes directes…
J’ai connu par ailleurs des « communautés » où le patriarche (anar reichoïde, le plus souvent) avait institué son gynécée après s’être arrogé le droit de cuissage sur ses Marie-couche-toi-là et après avoir fait une seule fois la vaisselle pour la forme. Je ne me pardonnerai jamais de, par un laxisme merdeux, ne pas les avoir pendus comme les précédents avec les tripes des derniers capitalistes, leurs frères d’armes.
Oui, Il y a eu aussi L’École en bateau… André Tange, lui, nous avait rendu visite à Sexpol, y laissant une impression pour le moins trouble… Nous avons quand même publié un texte de lui dans le numéro 29 – 30 sur les bio-énergies, sous le titre « Éros : Des thérapies asexuées à une bio-énergie orgasmique ».
Eh ben, chapeau ! La belle et saine mise au point que voilà ; analytique et synthétique„ sacrément envoyé. Ça fait le plus grand bien dans cette époque si déboussolée de sentir d’où vient le vent mauvais qui nous chante tant. Merci
Merci !
Bonjour à Gérard Ponthieu et aux lecteurs de son blog,
Avant la publication de ce long travail à propos de la pédophilie et de la défunte revue SEXPOL, j’avais écrit ceci à Gérard Ponthieu en date du 30.1.2020 :
Objet : VIVE SEXPOL ET CHAPEAU BAS
Bonjour Mr Ponthieu,
« Rapidement j’avais écrit un petit texte donnant les raisons d” un bref « retour » sur les numéros de SEXPOL auxquels j’étais abonné entre 1975 et 1980. Cet écrit s’est volatilisé dans les commentaires sur votre blog. En attendant il s’agissait pour moi de faire retour sur Gabriel Matzneff et la pédophilie dont je me souvenais très bien de la présence de cet auteur et de ses « perversions coupables » ( elles semblaient l’être moins en ces années fin 70, mais quand même..) à l’intérieur de la revue. Je voulais revisiter les pages et débats internes aux contributeurs de la revue. Et j’avais le vague souvenir d’une condamnation sans appel des relations sexuelles avec les enfants !
J’ai donc revisité certains articles et numéros.
Evidemment bravo pour « François, mon fils » où vous condamniez la pédophilie. D’autres articles ( de Mano, de Marc ROY,..) étaient plus ambigus sur la question, dirions-nous plus « libertaires » ( sic !) ou plus franchement favorables.
Un auteur plus célèbre parce que professeur d” université et reconnu dans ses champs de recherche et ses champs militants, c’est René SCHERER qui semblait avoir une relative indulgence vis-à-vis des relations adolescents-adultes, sans tomber résolument du côté des inclinations pédophiliques. (sous bénéfice d’inventaire et de recherches plus poussées ).
Voilà.
Evidemment heureux d’avoir connu et lu cette revue. Un seul numéro me manque, et ce n’est pas un hasard, le N° 3 sur » A POIL LES MILITANTS » ; pour un ex-troskiste lambertiste des années 68/71, ce n’est pas tout à fait un hasard. (sic)
Si j’en prends le temps, je referai ce travail de mémoire à propos de la pédophilie , de ses thuriféraires, de ses contempteurs et adversaires avec le recul du temps et en accueillant à la fois les subtilités rhétoriques d’alors et les conséquences gravissimes des années et des années plus tard, à la grande surprise même des intéressés ( qui semblent pour certains d’entre eux tomber des nues et ne même pas comprendre ce qui leur arrive, ni le mal ont fait !!! »
Je viens de prendre connaissance de cet article du 4.2.2020 qui vient à la fois conforter et éclairer ce que j’avais pressenti de mes souvenirs d’abonné de la revue entre 1975 et 1980.
Globalement j’adhère à tout ce que Gérard a écrit, tout en émettant des interrogations à propos de l’explication ou explicitation mise sur « l’air du temps ». Je ressens le besoin d” y réfléchir encore pour asseoir ma conviction que « nous » étions plus ou moins toutes et tous en plein désarroi, ou en pleine recherche d’un monde nouveau et libéré, ce qui n’allait pas sans dérives personnelles pour les uns et politiques pour d’autres !
Cordialement.
André Bosquart, lillois de toujours et nordiste de Villeneuve d” Ascq.
P.S. : ce n’est pas un point final !
Article de première importance ! alors qu’on voit se développer de plus en plus d’affaires qui n’inspirent que dégoûts. Ce ne sont pas les enfants-victimes qui vont oser prendre la parole mais ceux des adultes qui auront pu les écouter avec attention, si jamzais ils n’avaient pu les préserver des pervers de toutes sortes. Bravo pour ce travail salutaire !
Salut Gérard ! Ton article est d’une grande importance. Il est si précis, si documenté qu’il montre combien l’analyse de tout événement, ceux du jour comme les « historiques », se doivent d’être placés dans leur contexte. Sans contexte, pas de recul. Sans recul, pas d’analyse. Nos dates de naissance nous permettent, si nous en faisons l’effort, d’avoir ce recul. Privilège de l’âge… Mais cela ne suffit pas, il faut aussi être lucide et exigeant. Sans s’accabler, sans éviter de s’écorcher. Tu y es parfaitement parvenu. Bravo !
Magnifique essai si bien documenté, rondement et finement mené.
Il nous laisse pantois, car tu as mis sous nos yeux le déroulement des dérives de ces perversions avec une telle justesse de raisonnement.
Nous avons pourtant bien profité de ces années de liberté : la pilule , l’ouverture du carcan de la religion et de la morale, nous étions à la mode et dans le vent si nous disions « merde » à nos vieux cons de parents réactionnaires.
Nous pouvions sans danger changer de partenaires sexuels et nous voulions faire de multiples expériences, c’était bien vu, c’était la vie, être vivantes…
Alors pourquoi pas flirter, coucher sans risquer la grossesse. Découvrir enfin tous les aspects de la sexualité. les jeunes, les vieux… Les enfants ?
OUi pourquoi les plus jeunes ? pourquoi les enfants ?
D’aucuns adultes et hautement intellectuels, ont décidé que c’était jouissif pour eux-mêmes et que les enfants en profitaient. J’ai même entendu à cette époque , que dans certaines tribus reculées d’Amazonie, il n’y avait aucun tabou à ce sujet, que l’inceste n’existait pas et que les maladies mentales n’existaient pas non plus. Personne n’était frustrés, ni les adultes, ni les enfants.
Alors, aujourd’hui, toutes ces belles théories de « l’air du temps » mettent au pilori tous ces joyeux drilles de la jouissance à tout prix, car les enfants ont grandi et ils ont mis du temps à dire leur souffrance. Elles sont bien là pourtant. Nous sommes effarés de nos inconséquences, comment toutes ces élites intellectuelles que nous admirions nous ont elles conduits à ces crimes, ces aberrations ?
A la profonde réflexion où nous conduit ton essai admirable, on peut se dire que nous pouvons nous tromper d’élite.
Certains que nous admirons pour leur talent nous amènent dans un air du temps nocif et dangereux.
Merci pour ce texte.
Merci pour ton judicieux commentaire. Dernier élément : Le procureur de la République de Paris, Rémy Heitz, a annoncé qu’un « appel à témoins » serait lancé, mardi 11 février, par l’Office central de répression des violences faites aux personnes (OCRVP), pour retrouver des « victimes » dans le cadre de l’enquête ouverte pour viols sur mineur de moins de 15 ans visant l’écrivain Gabriel Matzneff. Même si les faits sont prescrits, les victimes pourront ainsi, si elles le souhaitent bien sûr, s’alléger autant que possible de leurs fardeaux.
Comme je l’annonçais, je n’ai pas dit mon dernier mot :
1/ Lu dans WIKIPEDIA sur RENE SCHERER
à propos de la question de la pédophilie « Il dénonce l”« action infantilisante » de l’école et conteste les conclusions d’auteurs comme Françoise Dolto sur le caractère nocif pour les enfants des relations sexuelles, de l’inceste et de la promiscuité sexuelle avec les adultes. »
dans EMILE PERVERTI pages 102/111
2/ https://philodelart.hypotheses.org/2418 un intéressant article à propos de Michel Foucault sur les questions de relations sexuelles enfants-adultes !
3/A propos de F. Dolto, il est pour le moins troublant que ce soit le pédophile R. Schérer qui récuse les conclusions d’auteurs comme F. Dolto qu’il juge opposée à ses propres thèses !
Ou F. Dolto est innocentée de toute idée de collusion imaginable , ou R. Schérer lui a donné l’occasion de changer d’avis ou de perspective, ce que personnellement je conteste !
Ca me paraît impossible de mêler F. Dolto à des personnages comme R. Schérer et d’autres qui se disent eux-mêmes et l’écrivent, des défenseurs de la pédophilie.
Je viens de lire la page 267 du livre » La cause des adolescents » dont est tiré le § que tu cites, Gérard ; honnêtement il y a méprise sur le sens de ce qu’elle y dit.( entre autres parce qu’il y est question du Québec.
Je me suis procuré le livre » La cause des enfants » (1985) , à la page 564, le § s’intitule : » Aux futurs parents qui ne veulent pas être pédophiles ». Je l’ai lu. Magistral !
Cette femme et psychanalyste n’a aucune place dans la galerie dont tu fais état. J’avais aussi des réticences par rapport à Dany Cohn-Bendit que je t’ai exprimée dans un mail ; là je veux bien ne pas le défendre coûte que coûte, mais quant à F. Dolto, c’est un mauvais procès, une méprise. Et je le démontrerai avec mes petits moyens.
Cordialement toujours !
Démontrer quoi ? Je ne vois pas en quoi ce que tu avances dédouane Françoise Dolto de ses propos pour le moins ambigus ? Il n’est pas dit dans mon article que F.Dolto eut été pédophile, bien sûr que non – si c’est l’objet de ta plaidoirie. Mais on peut, et on doit il me semble, pour le moins s’interroger sur la confusion des propos que je cite. Je comprends que ce soit « embarrassant » pour des admirateurs de cette dame et de ses qualités. C’est bien le cas de sa fille, et on la comprend, qui avance un argument de défense (peu recevable) autour de l” »inconscient » ; ou du Québec comme tu le dis. Ce que je pense avoir mis en avant en ce qui concerne ces affaires de pédophilie trop longtemps admises, c’est une responsabilité tacite, diffuse, voire une complicité objective, que je fais remonter à 68 (dont je n’exclus pas Sexpol, ni donc moi-même), liée à la grande confusion morale, éthique, intellectuelle, médiatique, etc.
Cher Gérard,
Je n’ai pas dit non plus que tu l’accusais d’être « pédophile » ; je regrettais simplement que tu l’aies « associée » à tout cela de manière erronée, au sens où les mots, les phrases, les paragraphes sont affreusement « sortis de leur contexte » et qu’il est très facile alors de leur faire dire N’IMPORTE QUOI !
Je n’ai jamais été partisan du lynchage en règle contre quelqu’un qui n’est même plus présente pour argumenter son point de vue, voire admettre des erreurs factuelles sur le fond comme sur la forme de ses dires.
Je n’ai pas pu me procurer le livre dont la plupart des extraits sont sortis ; il n’est pas dans le catalogue des nombreux livres de Dolto à l” Université de Lettres et sciences Humaines de Lille. C’est déjà un aveu que son intérêt ou sa scientificité ne devait pas être « important » ou » décisif ».
Par contre ce que j’ai trouvé sur le net, c’est une vidéo ( dont je suppose que tu t’es servie) qui reprend exactement les mêmes extraits pour évidemment la discréditer, mais surtout discréditer « l’esprit 68 », discréditer cette période historique. Et par qui cette vidéo est-elle promue ? évidemment par un site d’ultra-droite réactionnaire au possible, qui se fait une virginité de pourfendre tous ces gauchistes, ces fauteurs de troubles de 68 !
Et là, je dis : » Attention » aux amalgames et aux règlements de compte à bon compte.
Je te promets d’y revenir encore ! ( et sur quelques autres points qui m’effarouchent encore)
Cordialement.
Quelques commentaires d’un lecteur de Médiapart sous le pseudo » guerirdusot » qui m’ont paru trancher avec une majorité de commentaires très convenus, très peu questionnants finalement :
Guerirdusot 12/2/2020
Bon. Puisqu’on va faire le procès de Matzneff – mais pas celui de Brigitte Macron, la professeure de son futur époux), – il convient de faire un immense procès public élargi où tous les écrivains, journalistes, hommes et femmes politiques de l’époque, d’avant, d’après, du futur, en France, à l’Étranger, sur Terre, sous Terre, dans la Galaxie, seront scrutés pour établir leur degré de complaisance (passée, actuelle, possiblement future) avec cette Sorcière pédophile à brûler sous un mode ou sous un autre : prison, mort sociale, combustion (mais pas au charbon : soyons écologistes et on retraitera les cendres). Que les croyants somment le Créateur de donner quelque explication sur ce qu’Il a laissé faire. Que chacun scrute ses pensées d’alors et ses désirs pour examiner s’ils n’étaient pas coupables quelque peu. Que chaque demoiselle considère s’il ne lui est pas arrivé de désirer un plus de 16 ans. Que Matzneff rembourse tout l’argent qui lui a été donné. Que l’on évalue celui qu’ont pu rapporter ses apparitions télévisuelles ou autres et qu’il soit donné à ses victimes (que l’on doit chercher, pour ne pas dire traquer, puisqu’une seule à ce jour s’est déclarée) ou à des associations de bienséance. Que les journaux complices comme Libération ferment, aucune excuse ou explication contextualisante ne devant être reçue (le Monstre ne pourrait-il pas s’en servir avec la perversité qu’on lui connaît – et qui résume tout son être diabolique ?). Que soient expurgés tous les articles ou textes qu’il a pu donner : des bibliothèques, des archives, etc. Que, le jour de son exécution (sous la forme voulue), on célèbre le recouvrement des bonnes moeurs avec érection – si j’ose dire – d’une stèle en faveur des homosexuel(les), des transgenres+++ et autres praticiens d’une sexualité digne et saine, pères ou mères de beaux enfants blonds (ou moins blonds). Plus de malheurs de la Vertu, comme disait le divin marquis (de Sade), que cette vertu soit enfin heureuse dans la République !
12/02/2020 23:45
PAR GUÉRIRDUSOT EN RÉPONSE AU COMMENTAIRE DE ALLISON SOUANEF LE 12/02/2020 23:05
Je ne justifie en rien ces ignominies pédophiles avec des enfants contraints par la pauvreté et la violence à s’adonner à ce qui relève en effet, c’est bien évident, des tribunaux et de l’opprobre publique. Et je pense comme vous, que l’Art (avec un trémolo dans la voix) aurait beau jeu et qu’un écrivain n’est pas sacré (comme le pense un Philippe Sollers) et au-dessus des lois. Maintenant, je suis un peu plus circonspect pour ce qui est de ses amours – du moins s’imagine-t-il avantageusement que c’en était : peut-être oui, peut-être non – avec des adolescentes. 14 ans, ce n’est pas 8 ans et ce n’était pas dans le même contexte social de pauvreté et de violence. Cela me paraît donc être différent même si le « consentement » qu’elles pouvaient donner était en réalité un faux consentement (mais toutes ne se sont pas prononcées à ce sujet, seulement une seule, qui a peut-être exprimé ce que toutes ont vécu), comme l’analyse très bien le livre. Il reste que tout existe dans le monde et il est des passions bizarres qui ne relèvent pas forcément du viol. D’ailleurs le sexe est fondamentalement étrange et erratique. En revanche, ce qui est aussi choquant, ce sont les flots de haine et ce caractère systématique, sans nuance aucune, sans réserve, et, qui plus est, parfois, l’opération aussi ridicule que comique consistant à incriminer les idées qu’on lui prête à cause de ses moeurs. Je crois pressentir ces logiques de haine des foules qui brûlaient les sorcières et assistaient aux tortures et exécutions publiques… au nom du bien et de la vertu. On voit bien que le potentiel est là et que la civilisation ne s’en est pas débarrassée. Ce genre de déchaînement est malsain et on ne fait pas société avec cela. A ce compte-là, qu’on retire aussi Sade et mille autres livres ou films des ventes. C’est tout.
13/02/2020 08:41
PAR GUÉRIRDUSOT EN RÉPONSE AU COMMENTAIRE DE BARBICAN LE 13/02/2020 08:01
« … même si pour vous les jeunes filles ne servent qu’à ça : à être violée par des types qui ne jouissent que par le pouvoir qu’ils exercent sur elles. »
C’est exactement ce que j’ai dit : vous êtes d’une honnêteté scrupuleuse, qui vous honore, en synthétisant brillamment mes propos. (Et en ce cas, je suis digne du bûcher… à réserver dorénavant aux hommes.) Et, bien sûr, le viol et la soumission à des « types » est exactement ce que j’aurais souhaité à ma mère, à ma grand-mère, à ma fille, à ma cousine et à toute jeune fille que je croise dans la rue, c’est bien évident ! (Voici ma manière à moi de traduire vos propos en les généralisant : voyez comme c’est agréable !)
Bravo donc ! vous avez tout compris. La grande vérité qu’on nous cachait, c’est que tous les hommes sont des violeurs et que jamais, au grand jamais, nulle part, en aucune contrée, ainsi que n’en témoignent pas la littérature et les faits divers, une adolescente (ou un adolescent : il en est qui est devenu célèbre) n’a rêvé d’un(e) adulte ni ne l’a entrepris(e). Non, cela ne peut pas exister. Freud s’est trompé : la vérité c’est la « loi naturelle » promue par l’église qui affirme que la pudeur est le caractère intrinsèque des jeunes filles (et des jeunes garçons) et que tout désir contraire est péché, commis sous l’ignoble inspiration des démons (alias les « types »). Qu’on nous rende le péché d’impudeur ! Nous avons été par trop laxistes ! Ce n’est qu’à 15 ans, 0 minute, 0 seconde que la sexualité vient à exister. Et alors… pourquoi ne pas changer de sexe ?!
14/02/2020 08:53
PAR GUÉRIRDUSOT EN RÉPONSE AU COMMENTAIRE DE BABETTE GRIVINCI LE 13/02/2020 19:29
Je m’efforce, figurez-vous, de guérir le « sot » qui veille ou qui est actif en moi comme, je le présume pour me consoler, en chacun. J’ai beaucoup dit de sottises dans ma vie et j’espère en un sens en dire beaucoup encore, ce qui attesterait qu’elle sera longue…
« Guérir du Sot » était une maxime de ceux que René Pintard a appelé les « libertins érudits », esprits forts de leur époque (le premier XVIIe siècle) que le Père Garasse, un jésuite fanatique, vouait à l’Enfer (il a failli avoir la peau de Théophile de Viau). Ces libertins, donc, aspiraient à se débarrasser de toutes sortes de superstitions : celles d’un peuple qu’ils craignaient (parce que sous l’influence des dévots) et considéraient de haut, assez vaniteusement pour tout dire.
Ce n’est pas mon cas. « Et moi aussi je suis le Sot, ai-je dit avec le poète ». Donc, je peux dire beaucoup de bêtises et souhaiterais en dire moins.
Maintenant, pour le cas qui nous occupe, je trouve qu’il y a de la sottise, par exemple, à « déduire » du fait que G. M. aime « les moins de 16 ans » qu’il est mauvais écrivain (autre « preuve » avancée : il ne vend pas beaucoup !). Et je trouve qu’il y a de la bêtise à nier qu’une nymphette puisse être attirée par un adulte (et réciproquement), contre toute évidence, tout ceci relevant des « choses humaines », marginales, certes, mais réelles. Et je trouve enfin qu’il y a de la méchanceté à crier à ce point « haro sur le baudet », et de la lâcheté à suivre le courant de l” « indignation » passionnelle (parfois sincère, parfois auto-entretenue) du moment. Car je ne doute pas un instant que la plupart de ceux qui vitupèrent contre G. M. auraient, à son époque, par progressisme, et au nom d’une morale (matérialiste) supérieure, certes pas justifié l’injustifiable (l’usage d’enfants de 8 ans), mais ces amours que tant de bons écrivains et philosophes avaient alors défendus. Faut-il être sot pour ne pas s’apercevoir de cela…
Autre sottise de ma part : ce qu’il aurait fallu à G.M., c’est de se faire casser la figure par un père pour l’empêcher de recommencer. Et je crois que l’écrivaine canadienne de la fameuse émission d’Apostrophes a dit ce qu’il fallait : quand on a ce genre de désirs, et quand on est un adulte, on se contrôle et, comme dirait Freud, on renonce, car il ne peut pas y avoir de vrai consentement, de la part de ladite nymphette, quant bien même elle se laisserait faire voire entreprendrait.
Là-dessus : fin de partie de ma part.
Autre point à propos de F. Dolto, j’y reviens à nouveau pour Gérard :
au moins lire le fameux § page 267 de La cause des adolescents à l’intérieur de tout le chapitre : Les droits et les devoirs pages 243 à 275, soit 30 pages . Ca donne une tout autre idée du § incriminé de la page 267 !
Quant aux § tirés de « l’enfant, le juge, la psychanalyste », j’en remets le commentaire à plus tard pour une prochaine chronique.
Merci !
Bravo pour cette analyse remarquable ! Ce qui me sidère,dans la vidéo d’Apostrophes avec Matzneff en vedette c’est de voir lesdites bonnes femmes, oui c’en est!, ricaner comme des connes alors qu’il vient de les insulter en les traitant d’hystériques « après 25 ans », lui le pervers de moins de 16 ! De ce point de vue au moins on peut dire que les temps ont changé !
Oui, j’avais vu ces nominations de Bruckner au Goncourt. l est bien épinglé sur votre blog (Le Nouveau Désordre amoureux (en collaboration avec Alain Finkielkraut), Seuil, 1977), de même que F Mitterrand, chasseur de minets, désormais académicien des beaux-arts…… Ils sont dans de beaux draps les acacadédémiciens !
… » Mais peut-on encore dénier à quel point l’« interdit d’interdire » aura pu ravager des pans de l’édifice sociétal, en particulier dans les relations parents-enfants, enfants-enseignants – et entre les citoyens et la cité ? « …
Un fin travail d’investigation, où l’autocritique rejoint et nourrit la critique.
Au terme de la lecture, on ne peut que s’interroger sur le sens de la transgression, de l’acte transgressif quel qu’il soit, de nature sexuelle ou pas.
A mon sens, la transgression n’a de valeur que si elle est vécue comme inhérente à la responsabilité, un processus qui n’engage que soi et même qui est vécu comme une fatalité (« je transgresse, mais ô combien j’aimerais ne pas avoir à le faire).
Or les horreurs qui sont rappelées ici décrivent très exactement le processus inverse : on transgresse mais…
– seul un autre que soi paie les frais de la transgression (qui plus est, tant qu’à faire, une personne dont la personnalité est en construction et dont le consentement est par conséquent plus que relatif) ;
– on justifie sa transgression au nom d’un principe éthique (la liberté) mais qui n’est en réalité que la marque d’un individualisme absolu, lequel dissout de facto le principe de responsabilité et consacre en revanche le cynisme et la loi du plus fort, principes fondateurs du libéralisme économique et du consumérisme (l’article le souligne bien) : la liberté en question n’est autre que celle du renard libre dans le poulailler libre ;
– on met sa transgression en spectacle (les milieux littéraires branchouilles, l’entre soi…) non seulement parce que l’on est soi-même trop lâche pour assumer seul sa transgression mais aussi, tant qu’à faire, pour en retirer de la bonne conscience, de la gloriole et du pognon.
– « l’objet » de la transgression – c’est le cas de le dire – c’est le corps : corps-objet, corps-marchandise, car la transgression du prédateur-fanfaron sexuel participe de la validation d’un matérialisme étriqué et mortifère.
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Dans ces conditions, la transgression vantée par les pseudo-intellectuels d’hier et d’encore aujourd’hui relève d’une posture ultra conformiste et de la bien-pensance pur jus. Pour preuves manifestes : le silence qui, pendant des années, a servi de caution à ces tristes épisodes ainsi que la volonté de leurs auteurs de réclamer la légalisation de leurs agissements, leur bénédiction par l’État.