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Pédophilie. Comment la chute de Matzneff ouvre le procès sexo-politique de l’après-68

ATTENTION ! Ce qui suit n’est pas un article au sens ordi­naire, sur­tout pour un blog comme C’est pour dire. Il s’agit, à par­tir de cette « affaire Matzneff » d’en recons­ti­tuer une généa­lo­gie à base d’analyses, de réflexions et de docu­ments. Et, autant que pos­sible, d’en faire sur­gir la com­plexi­té ain­si que son impor­tance et sa por­tée actuelle. Je ne sau­rais aucu­ne­ment m’exclure d’une impli­ca­tion dans cet « air du temps » – que nous res­pi­rons encore, en grande par­tie –, ayant été fon­da­teur et direc­teur de la Revue Sexpol de 1975 à fin 1980. Laquelle revue s’étant pro­po­sée d’explorer en termes sexo-poli­tiques, les coins et recoins de la socié­té des humains, ces drôles d’animaux… Gérard Ponthieu.

TEMPS DE LECTURE : 60 mn. Vous voi­là prévenus !

[dropcap]L’[/dropcap]affaire Matzneff, déclen­chée par un livre à charge contre un dan­dy pédo­cri­mi­nel, jette un trouble épais sur notre socié­té. De ce trouble jaillit l’image du pré­da­teur mâle à l’affût d’enfants et d’adolescents asser­vis à ses pul­sions et per­ver­sions, le plus sou­vent au nom de l’« amour » ou sous cou­vert d’un consen­te­ment pos­tu­lé, ou par­fois réel, mais obte­nu sous influence et en néga­tion du libre-arbitre des jeunes proies.

Jusqu’à main­te­nant, l’opinion com­mune avait plu­tôt mani­fes­té de l’indifférence, pour ne pas dire une com­pli­ci­té de fait envers ces pra­tiques, les consi­dé­rant de loin comme de sor­dides faits-divers, ou bien rele­vant des vices de riches, voire d’une cer­taine élite. Cette opi­nion a com­men­cé à se retour­ner il y a quelques années, mais ce n’est que tout récem­ment que ce fléau est appa­ru au grand jour avec ses hor­reurs, entraî­nant répro­ba­tions et condam­na­tions outrées.

Un mon­tage, bien sûr…

Un retour­ne­ment, certes, mais après de si longues années de latence pas­sive – plu­sieurs décen­nies par­fois, comme pour Vanessa Springora, l’auteure du Consentement, et de nom­breuses autres vic­times, frap­pées d’« amné­sie trau­ma­tique », comme disent les psy­cho­logues. Ce n’était pour­tant pas la pre­mière fois que les abus sexuels, har­cè­le­ments, viols, exploi­ta­tions éhon­tées et meurtres – autant de déviances anciennes et même ances­trales – étaient révé­lés au grand jour, par­fois sans len­de­main, car sans bruit média­tique, sans buzz

Une prise de conscience de la gra­vi­té cri­mi­nelle des­dites « affaires » s’est pro­duite tout récem­ment à par­tir de cas « spec­ta­cu­laires » révé­lés et por­tés par un res­saut du mou­ve­ment fémi­niste, en l’occurence venu des États-Unis sous l’appellation de #MeToo. Les vannes se sont ouvertes, notam­ment dans le monde hol­ly­woo­dien du spec­tacle avec les dénon­cia­tions et le pro­cès du pro­duc­teur Harvey Weinstein.

En France, le relais a été pris par le mou­ve­ment #BalanceTonPorc. Aujourd’hui, l’affaire Matzneff en entraîne d’autres, tou­chant tous les milieux sociaux : au tra­vail, dans les trans­ports et les espaces publics, dans le sport (avec le récent exemple de la pati­neuse Sarah Abitbol), dans l’é­di­tion, dans l’école – et bien sûr dans l’Église, avec ses prêtres abu­seurs, si sou­vent cou­verts par leur hié­rar­chie. [ref]Les affaires de pédo­cri­mi­na­li­té sont innom­brables dans les ins­ti­tu­tions reli­gieuses ; et sans doute plus encore dans l’Église catho­lique en rai­son de la règle de céli­bat impo­sée aux prêtres. La der­nière en date connue concerne le car­di­nal Philippe Barbarin, arche­vêque de Lyon, condam­né en pre­mière ins­tance en mars 2019 pour ne pas avoir signa­lé à la jus­tice les agis­se­ments pédo­cri­mi­nels du prêtre Bernard Preynat (envi­ron 80 scouts sexuel­le­ment agres­sés). Il est relaxé par la cour d’appel de Lyon le 30 jan­vier 2020. Les par­ties civiles annoncent un pour­voi en cas­sa­tion.[/​ref]

Donc un phé­no­mène nul­le­ment res­treint à quelques « vedettes ». L’affaire Matzneff est cepen­dant symp­to­ma­tique dans la mesure où le pré­da­teur sexuel a pu agir à sa guise auprès d’enfants et ados durant des décen­nies – il a plus de 80 ans –, non seule­ment en toute impu­ni­té (pas la moindre condam­na­tion !), mais de sur­croit avec la très bien­veillante com­pli­ci­té des milieux uni­ver­si­taires, édi­to­riaux, poli­tiques, média­tiques, artis­tiques – toute une « intel­li­gent­sia » pro­tec­trice qui l’avait ren­du intou­chable. Quasi intouchable !

C’en est fini désor­mais. Derrière le nom de Matzneff, de nom­breux autres res­sur­gissent, vus sous une toute autre facette : Sartre, Beauvoir, Foucault, Hocquenghem, Schérer, Duvert, Sollers, Cohn-Bendit, Pivot, Finkielkraut, Bruckner, July… et Dolto. Beaucoup sont morts, tan­dis que la liste est bien plus longue de ceux qui ont, peu ou prou, contri­bué à for­mer cet « air du temps », véri­table res­pon­sable col­lec­tif – d’où l’impunité géné­rale –, dont la généa­lo­gie contem­po­raine remonte à Mai-68 et, plus encore, aux années de l’Après-68. Tel est l’angle de cette enquête.

Un jeu de société dénommé « Interdit d’interdire »

Si dure est la chute du pédo­cri­mi­nel Matzneff ! Le bel­lâtre Gabriel, l’« archange aux pieds four­chus » brûle en enfer. Déchu magis­tral par là où il a péché tout une vie durant sur un double tableau[ref]Voir son por­trait en fin d’ar­ticle.[/​ref] :

– D’abord la « pédo­phi­lie », par détour­ne­ment même du mot à son propre pro­fit de pro­fi­teur, de pré­da­teur sexuel. Il est, au sens plein, celui qui n’aimait pas les enfants, s’en ser­vant comme objets de ses fan­tasmes et per­ver­sions. N’aimant que lui d’abord, lui seul, en son sinistre royaume aujourd’hui cer­né, rui­né, deve­nu une pri­son dont il aura mon­té les murs au fil de décennies.

– Ensuite, et en même temps, sa lit­té­ra­ture – sa litière à ratures sur laquelle il aura cou­ché ses proies juvé­niles, innom­brables ; et qu’il cou­che­ra sur le papier d’édition, en des mai­sons com­plices, proxé­nètes désor­mais en quête de repen­tir. Avec eux et en com­pli­ci­té de recé­leurs, ces gens de médias, abu­sés-abu­seurs, rouages néces­saires à la machi­ne­rie bien hui­lée – dont le seul grain de sable sera dû au cou­rage d’une auteure qué­bé­coise, Denise Bombardier.

Abuseur impé­ni­tent, il aura régné jusqu’à ses 83 ans, entou­ré de ses juvé­niles esclaves sexuels, au nom de leur « consen­te­ment volon­taire », ou pos­tu­lé tel ; pro­té­gé par une cour de com­plices éclai­rés ou même d’adeptes, pra­ti­quants per­vers, fré­quen­tant les mêmes lieux troubles. Ce « consen­te­ment » aura eu rai­son de ses abus impu­nis, de la force d’autorité du Narcisse domi­nant, éblouis­sant les regards de ses vic­times ain­si livrées à ses fantaisies.

Vanessa S. Le « consen­te­ment » de l’a­do­les­cente. [dr]

Le cou­pe­ret est tom­bé avec le récit d’une de ses proies, abu­sée à par­tir de treize ans par le cin­quan­te­naire véné­neux, au terme d’un refou­le­ment de trente années. Ne cher­chant pas la ven­geance, Vanessa Springora n’en sera que plus tran­chante dans son auto­bio­gra­phie[ref]Le Consentement, Grasset, 2020.[/​ref] qu’elle pré­sente ain­si en pré­am­bule de son récit libé­ra­teur : « Au milieu des années 80, éle­vée par une mère divor­cée, V. comble par la lec­ture le vide lais­sé par un père aux abon­nés absents. À treize ans, dans un dîner, elle ren­contre G., un écri­vain dont elle ignore la répu­ta­tion sul­fu­reuse. Dès le pre­mier regard, elle est hap­pée par le cha­risme de cet homme de cin­quante ans aux faux airs de bonze, par ses œillades éna­mou­rées et l’attention qu’il lui porte. Plus tard, elle reçoit une lettre où il lui déclare son besoin « impé­rieux » de la revoir. […] « Depuis tant d’années, mes rêves sont peu­plés de meurtres et de ven­geance. Jusqu’au jour où la solu­tion se pré­sente enfin, là, sous mes yeux, comme une évi­dence : prendre le chas­seur à son propre piège, l’enfermer dans un livre », (Note de l’éditeur). Pour autant, l’écri­vaine ne s’exclut pas de sa part de res­pon­sa­bi­li­té, celle de l’adolescente enamou­rée, sai­sie par ses pul­sions, séduite et mani­pu­lée par un Pygmalion por­té aux nues et adou­bé par une socié­té débous­so­lée, par cet air du temps dont on mesure aujourd’hui, un demi-siècle après, toute la toxicité.

Le cou­pe­ret est tom­bé. Le vieux loup baveux, malade, a fui ses terres de drague – il se planque dans un hôtel de la Riviera ita­lienne. Son antre de Saint-Germain est cer­née par des affiches dénon­cia­trices ; la Ville de Paris remet en cause son loge­ment à loyer modé­ré ; ses divers édi­teurs retirent ses livres de leurs cata­logues ; il est convo­qué par la jus­tice. L’ange est à terre.

Cette affaire Matzneff, je me dois d’en par­ler aus­si. À deux titres au moins. Aujourd’hui en tant qu’homme de mon temps, certes. Et aus­si en tant qu’homme de mon pas­sé, ex-direc­teur de Sexpol, revue de sexua­li­té /​ poli­tique. À ces deux titres éga­le­ment je n’ai pas sou­hai­té rejoindre en pré­ci­pi­ta­tion la meute d’indignés, si prompts à condam­ner sans avoir trop à se regar­der au dedans, pré­sent et pas­sé. L’apparition à l’émission télé La Grande librai­rie du 8 jan­vier 2020, sur la Cinq[ref]Mis dans une drôle de posi­tion, François Busnel, l’animateur a été ame­né à « faire une mise au point » : « J’ai reçu Gabriel Matzneff une fois, il y a cinq ans. Ce n’était pas pour un de ses livres auto­bio­gra­phiques célé­brant ses amours pédo­philes […] Même si une fois en douze ans c’est peu, même s’il faut rap­pe­ler qu’une invi­ta­tion n’est pas tou­jours syno­nyme de cau­tion, qu’un pla­teau de télé n’est jamais un tri­bu­nal et que cette émis­sion orchestre des débats, je recon­nais que cette invi­ta­tion n’avait pas lieu d’être. Car Gabriel Matzneff, tout écri­vain qu’il soit, et tout bon écri­vain qu’il soit, a admis avoir com­mis des actes délic­tuels ». Dont acte, comme on dit.[/​ref], de Vanessa Springora, auteure donc du livre à l’origine de toute l’affaire, m’amène à ce texte qui dépasse le for­mat habi­tuel d’un article pour s’étendre en une sorte de mémoire et ten­ter ain­si de sai­sir la com­plexi­té de cette pro­fonde ques­tion et de ses rami­fi­ca­tions dans la socié­té des humains en désarroi.

Je n’ai pas lu le livre de Vanessa Springora mais l’entretien télé­vi­sé, par sa qua­li­té et sa richesse, m’a beau­coup tou­ché, tant il a fait sur­gir chez cette femme, jadis ado­les­cente vic­time du séduc­teur-pré­da­teur, les grandes sen­si­bi­li­té et intel­li­gence qui donnent toute sa valeur à son témoi­gnage. Même et sur­tout si la vic­time objec­tive qu’elle fut, n’exclut pas, pré­ci­sé­ment, ce consen­te­ment réel, qui fut le sien, refer­mé sur elle comme un ter­rible piège. Il lui fau­dra trois longues décen­nies de souf­frances avant de cica­tri­ser de telles bles­sures, mal­gré tout indé­lé­biles. Tel est sans doute le sens pre­mier de son livre, une ten­ta­tive pour recons­ti­tuer une plé­ni­tude de son être.

Le cas Matzneff pré­sente cette par­ti­cu­la­ri­té si ques­tion­nante de s’inscrire dans une sorte de « jeu de socié­té » qui aura duré le temps-même des souf­frances de Vanessa Springora, entre les années soixante-dix et aujourd’hui. c’est-à-dire dans l’après-Soixante-huit, dans le sillage du cham­bou­le­ment qui avait secoué les socié­tés occi­den­tales repues des Trente Glorieuses – ces années d’après-guerre et de crois­sance éco­no­mique débri­dée, mais tou­jours des plus inéga­li­taires, qui allaient conduire à l’avènement de cette socié­té de consom­ma­tion qui est tou­jours la nôtre, et à laquelle aspirent les quelque 7 mil­liards et demi d’humains. La mon­dia­li­sa­tion qui s’ensuivit, galo­pant de concert avec le libé­ra­lisme effré­né, tire en grande par­tie ses racines de cette fré­né­sie consom­ma­toire et nous aura conduits du même coup, en les accé­lé­rant, aux dérè­gle­ments pla­né­taires actuels : socio-éco­no­miques, géo­po­li­tiques et cli­ma­tiques – mais aus­si, pour tout dire, en termes de civilisation.

Réduire une socié­té à son niveau de consom­ma­tion – à la pro­duc­tion de biens maté­riels liés à la des­truc­tion sub­sé­quente des res­sources natu­relles, elle-même assi­gnée à l’injonction capi­ta­lis­tique de la crois­sance infi­nie, entre­te­nant le cercle infer­nal du « tou­jours plus » –, n’y avait-il pas là de quoi engen­drer quelques per­tur­ba­tions dans les modes de vie et entre les êtres ? Soixante-huit avait pré­ci­sé­ment été excré­té à par­tir de ce hia­tus entre une crois­sance maté­rielle à fortes dis­pa­ri­tés – plus de plus riches – et un désar­roi moral, poli­tique, social, cultu­rel, esthé­tique – et sexuel. Rappelons que la rébel­lion des étu­diants de Nanterre était par­tie d’une reven­di­ca­tion por­tant notam­ment sur la libre cir­cu­la­tion des filles et des gar­çons dans les rési­dences uni­ver­si­taires ; puis sur l’accès libre aux dor­toirs féminins[ref]Des reven­di­ca­tions sem­blables avaient sur­gi depuis quelques mois dans d’autres facul­tés, comme à Aix-en-Provence, Grenoble ou Nantes. À Strasbourg, en 1966 – 67, des étu­diants proches des situa­tion­nistes détournent les finances de l’Union natio­nale des étu­diants de France (Unef) et publient le pam­phlet De la Misère en milieu étu­diant – consi­dé­rée sous ses aspects éco­no­mique, poli­tique, psy­cho­lo­gique, sexuel et notam­ment intel­lec­tuel et de quelques moyens pour y remé­dier.[/​ref]. Le tout dans le contexte d’un sys­tème moral à base d’interdits, éta­bli par des mâles domi­nants arc-bou­tés à des prin­cipes moraux des plus rigides, fruits blets de l’alliance du capi­tal-tra­vail et de la reli­gion et, consé­quem­ment, de l’asservissement de la nature et des corps – souf­france au tra­vail, puni­tion de la femme-péche­resse, malé­dic­tion de l’enfantement, domi­na­tion mas­cu­line et vio­lence inhé­rente. Un ciment s’imposait – causes et consé­quences entre­mê­lées – pour rigi­di­fier un tel édi­fice chan­ce­lant : le refou­le­ment de la sexualité.

Ainsi, d’un côté, un débri­de­ment éco­no­mique et consom­ma­toire magni­fié comme un hori­zon de rêve accom­pli – du moins pour ceux qui pou­vaient l’atteindre ! – ; de l’autre, une chape d’hypocrisie rigo­riste visant en par­ti­cu­lier à conte­nir et répri­mer la jeu­nesse dans ses pul­sions vitales et sexuelles selon des inter­dits moraux et corporels.

Sans vou­loir refaire ici la genèse de Soixante-huit, il y a lieu, quant à l’affaire qui nous occupe aujourd’hui, de bien resi­tuer le contexte de ces années et sur­tout de celles qui ont sui­vi la période révo­lu­tion­naire, dont nos socié­tés d’aujourd’hui ont hérité.

C’est ain­si que les inter­dits d’alors ont pro­duit un flot de slo­gans encore res­tés actuels, tels que « Vivre sans temps mort et jouir sans entraves »[ref]Injonction conte­nue dans les der­nières lignes de la bro­chure d’inspiration situa­tion­niste men­tion­née dans la note pré­cé­dente : « Les révo­lu­tions pro­lé­ta­riennes seront des fêtes ou ne seront pas. […] Le jeu est la ratio­na­li­té ultime de cette fête, vivre sans temps mort et jouir sans entraves sont les seules règles qu’il pour­ra recon­naître. » Raoul Vaneigem la repren­dra dans son mani­feste hédo­niste, Traité de savoir-vivre à l’usage des jeunes géné­ra­tions. Gallimard, 1967. Par son ambi­guï­té, le slo­gan sonne comme une for­mule tota­le­ment creuse, occul­tant la ques­tion du désir et de la liber­té des êtres en tant que sujets. Dans son obli­ga­tion à jouir, il cau­tionne, tout en la pré­ci­pi­tant, une vision libé­rale et capi­ta­liste de l’économie, celle qui com­mande l’exploitation du désir, en par­ti­cu­lier à tra­vers la publi­ci­té et l’industrie du sexe.[/​ref] et sur­tout « Il est inter­dit d’interdire », le plus rava­geur et néfaste d’entre eux puisqu’il nous conduit, de fac­to, à cette affaire Matzneff. Devenu une sorte de man­tra poli­ti­co-pro­voc’, cet oxy­more, en effet, va en quelque sorte dégou­piller la gre­nade explo­sive du « tout est per­mis », sans plus d’interdits aucuns ni de tabous, dans une déné­ga­tion des filia­tions anthro­po­lo­giques, his­to­riques et cultu­relles – la fameuse tabu­la rasa des nihi­listes. Ce rejet pué­ril de tout inter­dit annon­çait le défer­le­ment du tout-libé­ral, cou­ron­ne­ment de l’individualiste capricieux[ref]Ce tout-à‑l’ego, expres­sion que l’on doit à Régis Debray.[/​ref], tapant du pied en exi­geant « tout-tout de suite »[ref]Titre du jour­nal maoïste d’alors : TOUT ! Sous-titre : « Ce que nous vou­lons : tout – Journal révo­lu­tion­naire » (1970 – 71). Le numé­ro 12 est inter­dit à la vente pour « por­no­gra­phie », ce qui vaut une incul­pa­tion d’outrage aux bonnes mœurs à Sartre, direc­teur de la publi­ca­tion. Élaboré avec l’aide du Front homo­sexuel d’action révo­lu­tion­naire (FHAR), il reven­di­quait le « droit à l’homosexualité et à toutes les homo­sexua­li­tés » ain­si que le « droit des mineurs à la liber­té du désir et à son accom­plis­se­ment ». Très annon­cia­teur de notre actua­li­té.[/​ref], néga­teur du bien com­mun propre à la conso­li­da­tion d’une socié­té soli­daire et paci­fique. Ainsi se déchaî­na le tsu­na­mi des tenants du « lais­ser-faire géné­ra­li­sé », cre­do des libé­ra­listes de tout crin, pro­phètes de la fin des idéo­lo­gies et de l’Histoire, ado­ra­teurs modernes du Veau d’or, de Wall Street, du Marché-Roi, de la Main invi­sible, magi­que­ment régu­la­trice. Voilà bien notre héritage !

En s’opposant à l’ordre ancien de manière aus­si radi­ca­le­ment fron­tale, les soixante-hui­tards pré­ten­daient inven­ter un monde nou­veau ; par leur iden­ti­fi­ca­tion néga­tive à l’adversaire dési­gné, ils pro­dui­saient « du même inver­sé » : « Au monde bour­geois, oppo­sons le monde… anti-bour­geois ». Une façon de rabou­ter des extrêmes dans un tout clô­tu­ré qui fini­ra par « faire sys­tème » – le nôtre, notre « ici-et-main­te­nant » confron­té, encore et tou­jours, à la domi­na­tion des mâles, à cette mâli­tude que ce XXIe siècle semble vou­loir ache­ver, par l’irruption d’un nou­veau fémi­nisme, tel que l’a engen­dré le mou­ve­ment MeToo. Par mâli­tude, on enten­dra aus­si la posi­tion du domi­nant-séduc­teur, fût-il inver­ti sexuel ou vicieux poly­morphe, qui assou­vi­ra ses per­ver­sions sur les plus faibles de ses vic­times : les enfants et ado­les­cents, gar­çons et filles.

Libération des pulsions, libération du Marché-Roi

Voici Matzneff en pro­to­type du pédo­cri­mi­nel intou­chable, né et épa­noui dans cet après-soixante-huit de toutes les trans­gres­sions, adou­bé par les trans­gres­seurs paten­tés, intel­lec­tuels en vogue, écri­vains et jour­na­listes, uni­ver­si­taires pro­té­gés – les René Schérer, Guy Hocqueghem, Tony Duvert, Michel Foucault… rejoints en 1976 dans leurs prises de posi­tion, lors d’une affaire d’« atten­tats à la pudeur sans vio­lence sur mineurs de quinze ans », ce qui à l’époque était qua­li­fié comme un crime.

Les faits : Le 20 octobre 1973, trois hommes dans la qua­ran­taine sont arrê­tés pour avoir eu des rap­ports sexuels avec des filles et des gar­çons de 13 et 14 ans. Les cir­cons­tances sont suf­fi­sam­ment peu claires pour que l’enquête dure plus de trois ans et deux mois, durée de la déten­tion pro­vi­soire des incul­pés. L’ « affaire de Versailles » prend corps en novembre 1976 à l’occasion de la paru­tion dans Le Monde d’une tribune libre de sou­tien aux incul­pés, titrée « L’amour est-il un crime ? », signée Gabriel Matzneff. Ce der­nier, qui ne s’était jusque-là nul­le­ment mani­fes­té sur cette affaire, pro­fi­tant de l’approche du pro­cès, va ain­si sai­sir l’occasion pour se plaindre amè­re­ment du peu d’appui reçu après sa pres­ta­tion en sep­tembre 1975 dans Apostrophes, la nou­velle émis­sion télé de Bernard Pivot. Passage qui, en dépit d’un accueil pour le moins conve­nu, sinon bien­veillant, lui avait valu de fortes cri­tiques et la plainte d’un télé­spec­ta­teur esti­mant que cette apo­lo­gie de la pédo­phi­lie avait nui à sa famille. Donc, une tri­bune très oppor­tu­niste pour un plai­doyer pro domo.[ref]Extrait : « Les per­tur­ba­teurs des moins de seize ans ne sont pas les bai­sers de l’être aimé, mais les menaces des parents, les ques­tions des gen­darmes et l’her­mine des juges. »[/​ref]

Deux mois et demi plus tard, le 26 jan­vier 1977, soit la veille de l’ouverture du pro­cès à la cour d’as­sises des Yvelines, les trois incul­pés sus­citent une péti­tion de sou­tien, dénon­çant leur déten­tion pré­ven­tive, affir­mant que les enfants en cause n’ont subi « aucune vio­lence », et qu’ils étaient « consen­tants », ajou­tant en outre cet argu­ment : « Si une fille de treize ans a droit à la pilule, c’est pour quoi faire ? »[ref]La péti­tion semble ain­si igno­rer que la Loi Veil de 1974 n’autorise alors la contra­cep­tion des mineures que sous contrôle des centres de plan­ning fami­lial et sur pres­crip­tion médi­cale. Par ailleurs, cette loi ne porte aucu­ne­ment sur les délits et crimes sexuels. La ques­tion sous enten­drait-elle que la pilule a été pré­co­ni­sée pour per­mettre aux jeunes filles d’avoir des rela­tions sexuelles avec des adultes ? Ou bien plutôt pour les pré­ser­ver, à l’âge de la puber­té, d’une gros­sesse contrac­tée avec un ado­les­cent comme elle ?[/​ref]

S’adressant direc­te­ment au juge, le texte estime que les trois incul­pés font face à un achar­ne­ment injus­ti­fié et qu’il y a dis­pro­por­tion mani­feste entre la qua­li­fi­ca­tion de « crime » et la nature des faits repro­chés.: « Trois ans de pri­son pour des caresses et des bai­sers, cela suf­fit. Nous ne com­pren­drions pas que le 29 jan­vier Dejager, Gallien et Burckhardt [les peines encou­rues étaient de 5 à 10 ans de pri­son. Ndlr], alors que « la loi recon­naît une capa­ci­té de dis­cer­ne­ment aux ado­les­cents, qui peuvent être jugés et condam­nés à par­tir de l’âge de 13 ans, ne retrouvent pas la liber­té »[ref]L’enjeu du pro­cès por­tait en par­ti­cu­lier sur la ques­tion de savoir à quel âge des enfants ou des ado­les­cents peuvent être consi­dé­rés comme capables de don­ner libre­ment leur consen­te­ment à une rela­tion sexuelle. Son actua­li­té est rede­ve­nue des plus vives avec le livre de Vanessa Springora.[/​ref].

S’ensuit la liste des 69 [sic] signa­taires dont : Louis Aragon, Roland Barthes, Simone de Beauvoir, Patrice Chéreau, Gilles Deleuze, Félix Guattari, Daniel Guérin, André Glucksmann, Jean-Luc Hennig, Guy Hocquenghem, Bernard Kouchner, Jack Lang, Michel Leiris, Catherine Millet, Francis Ponge, Jean-Paul Sartre, René Schérer, Philippe Sollers et… Gabriel Matzneff, bien sûr, puisqu’il était à l’origine de ladite pétition.[ref]L’auteur de cette péti­tion est res­té incon­nu pen­dant 36 ans. Le 7 sep­tembre 2013, Matzneff reven­dique la res­pon­sa­bi­li­té et la rédac­tion du texte dans une chro­nique de son site per­son­nel inti­tu­lée « Couvrez cette péti­tion que je ne sau­rais voir ». Il écrit : « J’en suis très fier et, si je l’écrivais aujourd’hui, je n’en modi­fie­rais pas le moindre mot, car elle est encore plus actuelle, néces­saire aujourd’hui qu’en 1977. » Mais en 2020, quand la jus­tice deman­de­ra des comptes ?[/​ref] La quête des signa­tures fut menée par le même Matzneff, avec l’aide de Guy Hocquenghem. Selon ces der­niers, la plu­part des per­sonnes contac­tées se mon­trèrent favo­rables. Parmi les refus, trois femmes – Marguerite Duras, Hélène Cixous, Xavière Gauthier – et… Michel Foucault, pour­tant por­té à la recon­nais­sance des « sexua­li­tés péri­phé­riques ». Selon lui, atti­rer trop l’attention sur la pédo­phi­lie aurait ris­qué, par réac­tion, de glis­ser vers l’interdiction de l’homosexualité…

Le len­de­main de la péti­tion, le pro­cès débute, la Cour d’assises ayant déci­dé de sup­pri­mer le huis clos même si les vic­times sont mineures, afin que les péti­tion­naires sachent pour­quoi l’enquête a duré plus de trois ans : les vic­times affir­maient certes avoir don­né leur consen­te­ment, qui s’avère très fra­gile vu leur âge et l’influence des adultes, comme le révèle l’audience publique. Les témoins y dévoilent aus­si des faits plus graves que les simples caresses et bai­sers évo­qués par la péti­tion de 69 signa­taires. Si la durée de la déten­tion pro­vi­soire était « inad­mis­sible », « là s’arrête l’indignation » écrit l’envoyé du Monde, Pierre Georges, pour qui « ce pro­cès n’est pas » celui « d’une socié­té ultra-répres­sive » mais de « trois hommes qui ont repris en compte à leur pro­fit, et pour leur plai­sir, des pul­sions sexuelles » Il « est natu­rel de ne pas aimer cette forme d’amour et d’intérêt », conclut le jour­naliste.

Après le ver­dict de condam­na­tion à cinq ans de pri­son avec sur­sis et la libé­ra­tion des trois accu­sés, une seconde péti­tion paraît le 23 mai 1977, dans les pages « Opinions » du Monde. 80 intel­lec­tuels fran­çais par­mi les­quels, encore, Jean-Paul Sartre, Michel Foucault, Roland Barthes, Simone de Beauvoir, Alain Robbe-Grillet, Jacques Derrida, Philippe Sollers – et aus­si Françoise Dolto –, s’adressent à la Commission de révi­sion du code pénal pour exi­ger que la loi décri­mi­na­lise les rap­ports sexuels entre les adultes et les enfants de moins de 15 ans.

Ces listes de signa­taires sont signi­fi­ca­tives d’un cli­vage intel­lec­tuel et de classe : à la gauche, la sub­ver­sion des valeurs morales, des inter­dits « bour­geois » ; à la droite, leur conser­va­tion… Un anta­go­nisme qui ne laisse pas de ques­tion­ner sur l’état actuel des réfé­rents poli­tiques. On peut, à ce sujet, s’interroger sur le déclin éthi­co-idéo­lo­gique de la gauche et de ses fon­de­ments : jus­tice et pro­tec­tion sociales, bien com­mun, san­té, édu­ca­tion, civisme, laï­ci­té – autant de valeurs appe­lant à l’arti­cu­la­tion de l’individu et de la socié­té. Vieilleries que tout ça ! Voici le règne des libé­raux Fortiches de l’Entreprise, du Rendement, des divi­dendes, de la Com’ et de la poli­tique-spec­tacle. Et Libé à la manœuvre, titrant à sa une, en 1984, le toni­truant Vive la crise ! repris à la télé sur un ton d’évangéliste par l’ex-stalinien Yves Montand – il n’y a pas pire que les repen­tis ! Plus d’interdits, en somme, tout comme l’avait cla­mé dans les temps post-soixante-hui­tards le jour­nal maoïste, « direc­teur Jean-Paul Sartre ». Une valse à deux temps : 1 – Libérons nos pul­sions, même et sur­tout les plus per­verses ! 2 – Libérons ces antiques éco­no­mies-pro­vi­dence, du pas­sé fai­sons table rase, hour­ra le libre Marché géné­ra­teur du Profit !

Le cas Dolto : un désarroi face à la perversion

Arrêtons-nous ici sur ce qui se pré­sente désor­mais comme « le cas Dolto » tel que l’affaire Matzneff-Springora vient de le faire sur­gir. D’abord cette seconde péti­tion. Passe encore, dans le genre, qu’elle ait été signée par le club sélect des ger­ma­no­pra­tins de fac­tion ![ref]Parmi les « repen­tis »… Philippe Sollers : « On signait n’importe quoi »… ; Bernard Muldworf, psy­cha­na­lyste : « J’ai signé la péti­tion par soli­da­ri­té avec le mou­ve­ment, non par adhé­sion aux idées. »[/​ref] Mais que dire de la signa­ture de la média­tique psy­cha­na­lyste et pédiatre, la catho­lique grand-mère défen­seure des enfants ? Un éga­re­ment à mettre au compte de ce délé­tère et conta­gieux air du temps ? Ou bien un four­voie­ment de la théo­rie freu­dienne sur l’inceste et le « com­plexe d’Œdipe » ? Le trouble est mon­té d’un cran quand Le Canard enchaî­né du 8 jan­vier 2020 a res­sor­ti les pro­pos de Françoise Dolto extraits d’une inter­view parue en novembre 1979 dans la revue fémi­niste Choisir la cause des femmes[ref]44, dos­sier « Les enfants en mor­ceaux », sep­tembre 1979[/​ref], édi­tée par l’association du même nom pré­si­dée par Gisèle Halimi. D’abord, à une ques­tion sur les femmes vio­len­tées, elle répond : « C’est le mari qui doit être aidé et non la femme bat­tue. »… Puis Béatrice Jade lui demande s’il y a bien des cas de viol de petites filles dans les familles, en insis­tant :

« Choisir – Mais enfin, il y a bien des cas de viol ?

F. Dolto – Il n’y a pas de viol du tout. Elles sont consentantes.

Choisir – Quand une fille vient vous voir et qu’elle vous raconte que, dans son enfance, son père a coï­té avec elle et qu’elle a res­sen­ti cela comme un viol, que lui répondez-vous ?

F. Dolto – Elle ne l’a pas res­sen­ti comme un viol. Elle a sim­ple­ment com­pris que son père l’aimait et qu’il se conso­lait avec elle, parce que sa femme ne vou­lait pas faire l’amour avec lui.

Choisir – D’après vous, il n’y a pas de père vicieux et pervers ?

F. Dolto – Il suf­fit que la fille refuse de cou­cher avec lui, en disant que cela ne se fait pas, pour qu’il la laisse tranquille.

Choisir – Il peut insister ?

F. DoltoPas du tout, parce qu’il sait que l’enfant sait que c’est défen­du. Et puis le père inces­tueux a tout de même peur que sa fille en parle. En géné­ral la fille ne dit rien, enfin pas tout de suite. »

Dans Le Monde du 16 jan­vier 2020, Catherine Vincent s’interroge : « Comment com­prendre les pro­pos publiés dans Choisir la cause des femmes, dont l’une des enquê­trices, Béatrice Jade, sou­ligne à juste titre, dans son com­men­taire cri­tique, qu’il « révèle une insen­si­bi­li­té et une dure­té cer­taines à l’égard de l’enfant » ?

« Comment la célèbre psy­cha­na­lyste d’enfants, celle qui, dans le sillage de Melanie Klein et d’Anna Freud, a si bien su mettre son génie de l’écoute au ser­vice des enfants en souf­france, a‑t-elle pu défendre les châ­ti­ments cor­po­rels et nier la réa­li­té des viols inces­tueux ? […] « A l’heure où « l’affaire Matzneff » secoue le monde de l’édition et au-delà (le sujet était récem­ment à la « une » du New York Times), c’est peu de dire que ces décla­ra­tions interpellent. »

Aussi a‑t-il fal­lu que Catherine Dolto, elle-même méde­cin, atten­tive à la pro­tec­tion des enfants, vienne à la res­cousse de sa mère, ou du moins de sa mémoire, dans une mise au point véhé­mente accu­sant la mal­veillance de la « facho­sphère », et affir­mant qu’il s’agit de « cita­tions tirées de leur contexte, dans les­quelles Françoise Dolto parl[ait] de l’inconscient et non du registre conscient ». Affirmation des moins convain­cantes et, sur­tout, contre­dite à la lec­ture de l’entretien – dont la tota­li­té est dis­po­nible ici en fichier PDF,  ain­si que l’analyse cri­tique par Béatrice Jade.

D’autres écrits rela­tant les posi­tions de la pédo-psy­chiatre en confirment toute l’ambiguïté, en par­ti­cu­lier sur le viol d’enfants et l’inceste. Les cita­tions qui suivent sont extraites de L’enfant, le juge et la psy­cha­na­lyste, (Françoise Dolto et Andrée Ruffo, Gallimard, 1999.)

P 33 : Question de la juge Andrée Ruffo à pro­pos d’un enfant vic­time d’inceste :

Dolto : L’important c’est : puisqu’il a sur­vé­cu, qu’est-ce qu’il y a eu de suf­fi­sant pour y prendre son pied ? Si un être est vrai­ment trau­ma­ti­sé il tombe malade ; si un être n’a pas de quoi vivre il ne conti­nue pas.

P 52 : À pro­pos d’une enfant violée :

La juge : Mais on sait très bien que cette enfant est bat­tue, qu’elle a été violée.

Dolto : Oui, et d’ailleurs qu’elle le provoque.

P 53 : À pro­pos des enfants vio­lés et battus :

Dolto : Les enfants sont res­pon­sables de lais­ser les parents com­mettre un acte qui les avi­lit dans leur rela­tion à leurs enfants.

P 81 : À pro­pos d’un enfant vic­time de vio­lences sexuelles :

Dolto :… Peut-être que sans l’avoir cher­ché, l’enfant en était com­plice. Parce que je crois que ces enfants sont plus ou moins com­plices de ce qu’il se passe.

P 83 : La juge : On a sou­vent au tri­bu­nal la fameuse ques­tion : est-ce que les enfants (abu­sés) mentent ?

Dolto : Les enfants fabulent beau­coup, oui, c’est vrai.

[…]

La juge : Mais com­ment nous, juges, pou­vons-nous savoir si l’enfant fabule ou non ?

Dolto : Moi j’ai vu beau­coup d’enfants qui fabu­laient et ça se voyait d’après leurs dessins.

[…]

P 84 Dolto : Les enfants ont des dési­rs pour les adultes, ils piègent les adultes à cause de ça. Ils n’ont que ça à pen­ser, à pro­vo­quer l’adulte.

P 85 : La juge : Mais pour­quoi l’enfant fabule ? C’est qu’il doit y avoir un désir ?

Dolto : […] Le fan­tasme de l’inceste, la lit­té­ra­ture en est pleine. La lit­té­ra­ture est pleine de modes défen­dus de rela­tions sexuelles.[ref]C’est, pour le moins, c’est ce qu’on appelle un argu­ment d’autorité…[/ref]

P 87 : La juge : Est-ce qu’il est utile pour les enfants qu’il y ait un juge­ment social, que l’enfant soit décla­ré victime ?

Dolto : Non, jus­te­ment c’est très dif­fi­cile parce que ça le marque pour la vie. Si ça se passe à huis clos, entre l’enfant et les parents c’est beau­coup mieux. C’est bien dom­mage ce qui s’est pas­sé. Il faut doré­na­vant que ce soit ter­mi­né et que ce ne soit pas toute une his­toire. Ce sont des choses qui se passent dans le cabi­net du psy­chiatre ou du méde­cin qui jus­te­ment le garde en secret pro­fes­sion­nel. Il tra­vaille avec les parents pour ce déra­page dans leur vie ima­gi­naire. C’est tou­jours sous médi­ca­ment ou sous alcool que les choses se sont passées.

P 88 : La juge : Mais quand c’est le père et qu’il nie ?

Dolto : Il a rai­son, c’est pas le même celui qui nie et celui qui a fait. Quand on leur dit ça : « Oui, vous avez rai­son. Celui qui dit « non » aujourd’hui il a rai­son parce que c’est impen­sable pour vous. Vous vous sen­ti­riez un salaud si vous l’aviez fait avec toute votre conscience. Donc vous n’aviez plus votre conscience.

La juge : Et qu’est-ce que vous faites en tant que juge pour enfant ?

Dolto : On pré­vient l’enfant : ça ne recom­men­ce­ra pas, sans ça tu seras complice.

P 88 : La juge parle des mères abu­sées, de géné­ra­tion en génération.

Dolto : Et alors, vous n’en êtes pas morte. Pourquoi vous en faites toute une histoire ?

Cet extrait encore, d’un de ses livres, La Cause des ado­les­cents (Éd. Pocket), p. 267 :

« Ce qu’il fau­drait, c’est que la loi ne s’occupe plus de l’âge. Ne s’occupe seule­ment que de l’inceste, des rela­tions entre parents proches, frères, sœurs, parents, oncles, tantes, mais qu’il n’y ait abso­lu­ment rien entre adultes et enfants comme inter­dic­tion. »

Pour la psy­cha­na­lyste Claude Halmos, qui a tra­vaillé avec Françoise Dolto, les pro­pos de celle-ci « témoignent d’une dif­fi­cul­té à conce­voir la per­ver­sion ». « Ils sont par­ti­cu­liè­re­ment cho­quants. Parce qu’ils nient aus­si bien la souf­france des femmes et des enfants vio­len­tés que la gra­vi­té – tou­jours extrême – des consé­quences qu’ont sur eux les tor­tures subies. Et parce qu’ils s’appuient, pour le faire, sur une argu­men­ta­tion aber­rante. » En défense, Claude Halmos avance que Françoise Dolto par­lait de son expé­rience cli­nique « sans avoir tou­jours préa­la­ble­ment éla­bo­ré sa pen­sée »…[ref]Le Monde, 16/​01/​20.[/​ref]

Telle était donc l’époque ? Celle des grands éga­re­ments enro­bés dans un flot théo­rique de pos­tures lour­de­ment réfé­ren­cées, nour­ries pêle-mêle à Sade, Fourier, aux pré­ten­dus « nou­veaux phi­lo­sophes », à l’antipsychiatrie, à la psy­cha­na­lyse et au « dol­toïsme » régnant sur les ondes radio et à bien d’autres errances… À l’instar de la nov­langue énon­cée par George Orwell dans son 1984, des concepts se trouvent ain­si inver­sés dans un fatras dis­cur­sif : l’anormalité serait désor­mais la norme, et celle-ci l’expression la plus répres­sive de l’« ordre bour­geois »… Poursuivons.

« De l’exécrable à l’exquis », le vénéneux Tony Duvert

En 1973, paraît un roman de Tony Duvert, Paysage de fan­tai­sie… Sorte de longue rêve­rie hal­lu­ci­née autour d’un bor­del de petits gar­çons, il est accueilli très favo­ra­ble­ment par la cri­tique de l’époque qui y voit, selon le psy­cha­na­lyste Serge André, « l’expression d’une saine sub­ver­sion » ! Pour Madeleine Chapsal de L’Express c’est « un très grand livre. Par moments, insou­te­nable. Un livre où la lec­ture dif­fi­cile retrouve sa dimen­sion trop sou­vent per­due d’activité sub­ver­sive. » Pour Bertrand Poirot-Delpech du Monde, Duvert s’affirme avec cet ouvrage comme « le jeune auteur qui monte, qu’on ne va tar­der à citer et à imi­ter ». Pour Claude Mauriac, du Figaro, « l’auteur […] révèle dans ce pas­sage conti­nu de l’abominable au déli­cieux et de l’exécrable à l’exquis, des dons et un art que le mot talent ne suf­fit pas à expri­mer. » Et en novembre 1973, grâce au sou­tien de Roland Barthes, le roman obtient le prix Médicis.

Ainsi le talent est-il deve­nu le cri­tère par excel­lence, celui qui auto­rise tout écart et, sur­tout, le jus­ti­fie ! Ainsi est-on en droit d’éprouver quelques fris­sons dans ces trou­blants pas­sages conti­nus entre l’abominable et le déli­cieux, l’exécrable et l’exquis…

Toujours en 1973, l’ovation média­tique adres­sée à Tony Duvert per­met la relance de son pre­mier essai, Le Bon Sexe illus­tré, où il cri­tique vio­lem­ment l’éducation sexuelle, qui ne vise selon lui qu’à « châ­trer » les pos­si­bi­li­tés éro­tiques des enfants afin de leur faire suivre le modèle hété­ro­sexuel conju­gal et repro­duc­teur. Et de persister :

« L’information sexuelle de l’enfant de 10/​13 ans ne pose aucun pro­blème pour qui fait l’amour avec lui. […] L’enfant de 10/​13 ans a donc autant de sexua­li­té qu’il le peut et si, désor­mais, il la dis­si­mule soi­gneu­se­ment à ses proches, il est sou­vent à la dis­po­si­tion de beau­coup d’aventures clan­des­tines, quelle que soit leur couleur. »

Le Nouvel Observateur, tou­jours à la pointe en ces domaines, ne manque pas de saluer le carac­tère pro­vo­ca­teur de l’ouvrage : « Sous les appa­rences pro­gres­sistes des édu­ca­teurs, [Duvert] déjoue un à un les pièges du confor­misme et, ce qui est plus grave, le sub­til bour­rage de crâne de l’Ordre sexuel. »

En 1979, Duvert accorde à Libération une inter­view dans laquelle il affirme – cram­pon­nez-vous :

« Pour moi, la pédo­phi­lie est une culture : il faut que ce soit une volon­té de faire quelque chose de cette rela­tion avec l’enfant. S’il s’agit sim­ple­ment de dire qu’il est mignon, frais, joli, bon à lécher par­tout, je suis bien enten­du de cet avis, mais ce n’est pas suf­fi­sant… Certes, on peut créer des rela­tions sau­vages tout à fait per­son­nelles : mais il n’est pas ques­tion de se conten­ter de rela­tions sau­vages si l’on a affaire à des enfants. Il est indis­pen­sable que les rela­tions soient cultu­relles : et il est indis­pen­sable qu’il se passe quelque chose qui ne soit ni paren­tal, ni péda­go­gique. Il faut qu’il y ait créa­tion d’une civilisation. »

Culture, civi­li­sa­tion… Dans quels mots sublimes, au sens inver­sé, va se nicher la dépra­va­tion ! Se trouve ain­si posée la ques­tion de cette pré­ten­due légi­ti­mi­té dont peuvent se parer les littérateurs.

Dans cette même inter­view à Libération, Tony Duvert s’en prend éga­le­ment aux femmes et à leur droit sur les enfants, qu’il qua­li­fie de « matriar­cat pour impu­bères », sou­hai­tant une « guerre contre les mères » : il pré­co­nise de reti­rer les enfants aux femmes, ou du moins d’« empê­cher que les femmes aient un droit exclu­sif sur les enfants. […] Il ne s’agit même plus qu’il y ait des rela­tions sexuelles ou qu’il n’y en ait pas. Je connais un enfant et si la mère est oppo­sée aux rela­tions que j’ai avec lui, ce n’est pas du tout pour des his­toires de bite, c’est avant tout parce que je le lui prends. Pour des his­toires de pou­voir, oui. Autrement dit, elles se prennent une pou­pée et se la gardent. »

En 1980, Tony Duvert remet ça avec l’essai L’Enfant au mas­cu­lin, dans lequel il fait l’éloge de ses propres pen­chants sexuels, asso­ciant l’homosexualité, la pédé­ras­tie et la pédo­phi­lie. Concernant ses goûts, il précise :

« Ma pédo­phi­lie, donc, s’intéresse aux gar­çons impu­bères. Mais quand com­mence l’impuberté ? Les bébés ne m’attirent pas encore ; les petits de deux à trois ans me plaisent à la folie, mais cette pas­sion est res­tée pla­to­nique ; je n’ai jamais fait l’amour avec un gar­çon de moins de six ans et ce défaut d’expérience, s’il me navre, ne me frustre pas vrai­ment. Par contre, à six ans, le fruit me paraît mûr : c’est un homme et il n’y manque rien. Cela devrait être l’âge de la majo­ri­té civile. On y viendra. »

Voilà donc de quelles mons­truo­si­tés intel­los avait pu accoucher Soixante-huit ! Mais atten­dez la suite ! tan­dis que les monstres en ques­tion vont s’épanouir pen­dant un demi-siècle bedon­nant, bai­gnant leurs tur­pi­tudes dans l’entre-soi et l’impunité tran­quille d’une socié­té – disons plus pré­ci­sé­ment de cette soi-disant intel­li­gent­sia en sur­plomb – somme toute tolé­rante, libé­rale, ultra-libé­rale, tan­dis qu’étaient por­tées au rang de « faits divers », les débauches cri­mi­nelles des bas-fonds : affaire Marc Dutroux, en Belgique et, en France, affaires Outreau, Fourniret, Angers, Dugué, et cent autres jusqu’à nos jours. Deux mondes appa­rem­ment oppo­sés quant à leurs ori­gines sociales et cultu­relles, et pour­tant unis dans un même cloaque de perversion.

Libération”, sac à déjections

Il est pour­tant un lieu pri­sé où ces deux mondes vont pou­voir se rejoindre : Libé ! Le jour­nal fon­dé en 1973 par Serge July avec la cau­tion morale de Jean-Paul Sartre[ref]Fort de son aura, Sartre endos­se­ra la res­pon­sa­bi­li­té juri­dique de plu­sieurs publi­ca­tions, dont La Cause du Peuple (Gauche pro­lé­ta­rienne), Tout !, l’Agence Presse Libération (APL) qui condui­ra au quo­ti­dien Libération.[/​ref] va en effet ser­vir de récep­tacle, pour ne pas dire de sac à déjec­tions, aux tur­pi­tudes pro­lé­ta­riennes consi­dé­rées en quelque sorte sous l’angle révo­lu­tion­naire… Entre autres, l’affaire Dugué

En 1979, Jacques Dugué est arrê­té pour pédo­phi­lie et soup­çon­né de faire par­tie d’un réseau de pédo­philes. Il publie une tri­bune – sur deux pages ! – dans Libération, véri­table apo­lo­gie de la « sodo­mi­sa­tion » des enfants. Il y explique que « l’enfant qui aime un adulte […] aime res­sen­tir dans son corps le membre viril de celui qu’il aime, d’être uni à lui, par la chair ». Il y exige « qu’on arrête de per­sé­cu­ter ceux qui aiment les enfants, même s’ils les aiment aus­si avec leur corps ».

Illustration parue dans Libération (5 – 6/​11/​1978)

Question : Comment se fait-il que Libération ait à ce point pris le par­ti de la pédo­phi­lie dans les années 1970 ? On peut l’expliquer notam­ment par la pré­sence au jour­nal, de 1974 à 1981, de l’ancien ensei­gnant deve­nu par la suite écri­vain, Jean-Luc Hennig qui fit entrer Guy Hocquenghem qui, à son tour, rame­na Michel Cressole puis Hélène Hazera, pre­mière femme trans­sexuelle jour­na­liste d’un quo­ti­dien fran­çais. Soit un noyau d’individus dont les mœurs n’étaient pas sans consé­quences sur le conte­nu de la ligne édi­to­riale. Serge July alla même jusqu’à se van­ter que son jour­nal ait été la cible de neuf incul­pa­tions pour « outrages aux bonnes mœurs » et « inci­ta­tion à la débauche », au point d’en publier un article dans un numé­ro du mois de mars 1979, cosi­gné par lui-même et Jean-Luc Hennig.

Vu de l’extérieur de Libé, il fau­dra attendre 2001 pour com­prendre l’étendue de la confu­sion des esprits et des indi­vi­dus qui avait pu régner dans la rédac­tion du jour­nal, spé­cia­le­ment sur ces ques­tions de déviances sexuelles. Cela vien­dra de Sorj Chalandon, jour­na­liste maison[ref]Désormais écri­vain et, depuis 2007, jour­na­liste au Canard enchaî­né.[/​ref], qui ose­ra cas­ser le mor­ceau dans un article aus­si acca­blant qu’éclairant, qui com­mence ainsi :

« Je fai­sais un cun­ni­lin­gus à une amie. Sa fille, âgée de cinq ans, parais­sait dor­mir dans son petit lit mitoyen. Quand j’ai eu fini, la petite s’est pla­cée sur le dos en écar­tant les cuisses et, très sérieu­se­ment, me dit “à mon tour, main­te­nant”. Elle était ado­rable. Nos rap­ports se sont pour­sui­vis pen­dant trois ans. » C’est un homme qui parle. Il s’appelle Benoît. Son inter­view, titrée « Câlins enfan­tins », est pré­cé­dée d’une phrase du jour­na­liste : « Quand Benoît parle des enfants, ses yeux sombres de pâtre grec s’embrasent de ten­dresse. » C’est ter­rible, illi­sible, gla­çant. Et publié dans Libération le 20 juin 1981. »[ref]Publié à nou­veau dans Libération le 23/​09/​2017 en réponse à la ques­tion d’un lec­teur.[/​ref].

La suite du réqui­si­toire de Sorj Chalandon est tout aus­si édifiante :

« À Libération comme ailleurs, l’affrontement fait rage sur tout. Une page de cour­rier pédo­phile déclenche la polé­mique. Mais est néan­moins publiée. Il y a panique à revê­tir les ori­peaux du cen­seur. Mais dans les locaux, des coups sont échan­gés. Des coups encore, lorsqu’un chro­ni­queur de la nuit arbore une croix de fer alle­mande au comi­té de rédac­tion. Celui qui frappe est conspué par de nom­breux pré­sents. L’interdiction, n’importe laquelle, est res­sen­tie comme appar­te­nant au vieux monde, à celui des aigris, des oppres­seurs, des milices patro­nales, des poli­ciers matra­queurs, des cor­rom­pus. La pen­sée est en confu­sion. La vio­lence poli­tique est un autre moyen de la poli­tique. On a rai­son de séques­trer les patrons, on a rai­son de tra­quer les pos­sé­dants, on a rai­son de se révol­ter et de jouir sans entrave. On a rai­son de sou­te­nir les pri­son­niers, les homo­sexuels, les fous, les dro­gués. [sou­li­gné par moi, gp] Les femmes se révoltent, et les hommes cherchent une nou­velle place. Dans ce tumulte, ce retour­ne­ment des sens, cet ancrage de repères nou­veaux, dans cette nou­velle pré­hen­sion de la morale et du droit, cette fra­gi­li­té et cette urgence, tout ce qui se dresse sur le che­min de toutes les liber­tés est à abattre. »

Le tableau n’est pas complet :

« Un homme en jupe, incon­nu, ivre, cou­vert de pisse et de morve, hur­lant et pleu­rant s’invite au comi­té de rédac­tion pour dénon­cer le reste du monde. Il n’est pas mis à la porte. Les jour­na­listes l’écoutent jusqu’à ce qu’il parte. Il ne faut mépri­ser per­sonne, entendre toute mino­ri­té. Respecter le droit à la dif­fé­rence. La pédo­phi­lie, qui ne dit pas son nom, est un simple élé­ment de cette tour­mente. Sauf pour ceux qui la reven­diquent comme un acte « d’éducation mili­tante », elle ne vient que rare­ment sur le devant de la scène. Le mot est ter­rible aujourd’hui. Mais elle n’est pas le pro­blème d’alors. D’elle-même, et seule­ment, elle s’inscrit dans un bouillon­ne­ment cha­vi­ré, où cha­cun puise ce qu’il croit sal­va­teur. C’est ain­si, c’est hier. C’est comme ça. »

Chalandon revient aus­si sur l’affaire de Versailles, la péti­tion de 1977 et la sui­vante, et leurs célèbres signa­taires, morts pour beau­coup d’entre eux, les autres devant, aujourd’hui, cher­cher refuge dans un trou de sou­ris. Ou alors, irres­pon­sables, ils font « du Sollers » : « Il y avait tel­le­ment de péti­tions. On signait presque automatiquement. »

« Coucher avec un enfant ? pour­suit Sorj Chalandon. une liber­té comme les autres. Sous toutes les plumes[ref]Le jour­nal a éga­le­ment publié à cette époque une lettre ouverte signée de Pascal Bruckner et Georges Moustaki qui sou­tiennent un pédo­phile assu­mé.[/​ref] tou­jours, d’articles en tracts et de prises de parole en tri­bunes libres, les mêmes mots reviennent : « L’évo­lu­tion de notre socié­té »… « Il faut chan­ger la vie », écrit en 1979 dans Libération, un pédo­phile emprisonné. »

[…]« Elle gazouille quand elle éprouve du plai­sir », écrit encore Benoît le malade, racon­tant la petite fille de cinq ans. Et il aura fal­lu du temps, tout ce temps, pour que le gazouille­ment ou le silence des enfants souillés se trans­forment en mots. Puis en colère. En accu­sa­tion, enfin. Et que les voix d’adultes pré­ten­dant que l’enfant trouve du plai­sir à ces jeux soient recou­vertes par les voix d’enfants qui disent que tout cela n’est que souffrance. »

Insoutenable, n’est-ce pas ?[ref] Le père d’Albert Camus, s’écriant devant une autre forme d’horreur : « Non, un homme ça s’empêche. Voilà ce que c’est un homme, ou sinon… ». Dans Le Premier homme, éd. Gallimard, 1994.[/​ref] Voilà tout ce contexte qui nous aura ame­nés – peu à peu, comme par une per­fide accou­tu­mance –, jusqu’à ce dévoi­le­ment du « cas Matzneff » qui met en cause notre socié­té, tout au moins dans sa par­tie la plus fan­geuse, qui se vou­drait « élite », qui fan­fa­ronne à l’occasion sur les pla­teaux de télé­vi­sion et de ciné­ma, ou dans quelque obs­cure lit­té­ra­ture. Ainsi celle d’un Frédéric Mitterrand : « On ne fait pas de bonne lit­té­ra­ture avec de bons sen­ti­ments. », avait-il décla­ré à la télé, ame­né à s’expliquer sur son livre, La Mauvaise vie (Ed. Robert Laffont, 2005), où il raconte ses dragues thaï­lan­daises. Extraits :

« Tous ces rituels de foire aux éphèbes, de mar­ché aux esclaves m’excitent énor­mé­ment. […] La pro­fu­sion de gar­çons très attrayants, et immé­dia­te­ment dis­po­nibles, me met dans un état de désir que je n’ai plus besoin de refré­ner ou d’occulter. L’argent et le sexe, je suis au cœur de mon sys­tème ;[…] je suis libre, abso­lu­ment libre de jouer avec mon désir et de choi­sir. La morale occi­den­tale, la culpa­bi­li­té de tou­jours, la honte que je traîne volent en éclats ; et que le monde aille à sa perte, comme dirait l’autre. » Plus loin : « Cher pré­da­teur sexuel, quand toutes les portes se ferment, ne déses­pé­rez pas, il existe des vols quo­ti­diens pour Bangkok, depuis Paris ou Amsterdam. Au retour, vous aurez juste le temps de renouer votre cra­vate, et de prendre votre sou­rire fati­gué de busi­ness­man tou­jours sur le front. »…

Heureusement pour lui, ses « gar­çons » n’ont pas d’âge ; malin, il échappe ain­si à l’accusation de pédo­phi­lie, tout en refu­sant aujourd’hui de char­ger son ami Matzneff. De même qu’en 2009, le tout frais ministre de la culture de Sarkozy-Fillon, avait appor­té son sou­tien à Roman Polanski, pour­sui­vi aux États-Unis depuis 1977 pour une affaire de crime sexuel com­mis sur une fille de treize ans et arrê­té en Suisse. Déclarant, à pro­pos de ce viol, qu’il s’agissait d’« une his­toire ancienne qui n’a pas vrai­ment de sens »…

Cohn-Bendit, Dany-la-braguette

En avril 1978, invi­té avec Guy Hocquenghem de l’émission Dialogues sur France Culture, Michel Foucault dénonce le cadre juri­dique qui « vise à pro­té­ger les enfants en les confiant au savoir psy­cha­na­ly­tique », à nier l’existence de leur désir sexuel et à pos­tu­ler la sexua­li­té avec les adultes comme dan­ge­reuse pour eux. Foucault s’oppose, de manière géné­rale, à défi­nir la sexua­li­té sous la forme « contrac­tuelle » d’un rap­port qui serait fon­dé sur le décou­page légal entre « consen­te­ment » et « non-consen­te­ment »… Pour l’intellectuel en vogue, pos­tu­ler, dans le cadre judi­ciaire, qu’un enfant serait par essence non consen­tant amène à ceci : « On les croit non sus­cep­tibles de sexua­li­té et on ne les croit pas sus­cep­tibles d’en par­ler ». La parole de l’expert psy­chia­trique se sub­sti­tue à la sienne, alors que seule la parole de l’enfant per­met « d’établir à peu près quel a été le régime de vio­lence ou de consen­te­ment auquel il a été soumis ».

La défense de la pédo­cri­mi­na­li­té[ref]Le terme, autre­ment expli­cite, est désor­mais admis et se sub­sti­tue pro­gres­si­ve­ment à celui de pédo­phi­lie, qui a tou­jours cours cepen­dant. On y asso­cie éga­le­ment la pédo­por­no­gra­phie, très active sur inter­net.[/​ref], et des dis­cours sur la « sexua­li­té infan­tile » appa­raissent comme une remise en cause des inter­dits, un geste révo­lu­tion­naire en somme, un acte majeur de « libé­ra­tion ». Ainsi, en 1975, Daniel Cohn-Bendit publie aux édi­tions Belfond Le Grand Bazar, dans lequel il écrit, au sujet de son expé­rience d’éducateur dans un jar­din d’enfants « alter­na­tif » à Francfort :

« Il m’était arri­vé plu­sieurs fois que cer­tains gosses ouvrent ma bra­guette et com­mencent à me cha­touiller. Je réagis­sais de manière dif­fé­rente selon les cir­cons­tances, mais leur désir me posait un pro­blème. Je leur deman­dais : “Pourquoi ne jouez-vous pas ensemble, pour­quoi vous m’avez choi­si, moi, et pas les autres gosses ?” Mais, s’ils insis­taient, je les cares­sais quand même ».

En 1982, cette fois à la télé, dans l’émission de Bernard Pivot, Apostrophes[ref]Cette archive a été récem­ment reti­rée sous la men­tion : « Vidéo non dis­po­nible INA – Institut National de l’Audiovisuel, qui l’a blo­quée pour des rai­sons de droits d’auteur. » Elle a été heu­reu­se­ment archi­vée sur le site d’Arrêt sur images.[/​ref], le même Cohn-Bendit se livre à une lamen­table exhi­bi­tion – qu’on ne met­tra pas seule­ment sur le compte du gâteau au haschich qu’il se vante d’avoir man­gé peu avant… Voyons :

Reprenons le propos :

« La sexua­li­té d’un gosse, c’est abso­lu­ment fan­tas­tique, faut être hon­nête. J’ai tra­vaillé aupa­ra­vant avec des gosses qui avaient entre 4 et 6 ans. Quand une petite fille de 5 ans com­mence à vous désha­biller, c’est fan­tas­tique, c’est un jeu érotico-maniaque… »

Où l’on voit ain­si, sous l’arrogance du per­son­nage, sur­gir l’infantilisme du « révo­lu­tion­naire » imbu et en l’occurence imbu­vable de jeune-con face aux vieux cons assem­blés autour de Pivot et de Paul Guth en ravi de la crèche télé­vi­suelle… Tandis que cin­quante ans plus tard, comme en un ren­ver­se­ment tris­te­ment comique de l’histoire, Cohn-Bendit sera deve­nu le vieux-con que l’on sait, tou­jours aus­si arro­gant et « qui ose tout », chantre de l’Europe libé­ra­liste et tou­tou de Macron !

Devenu dépu­té vert euro­péen, Cohn-Bendit se défen­dra dans les colonnes de Libération (c’est bien le moins…) en février 2001, sou­te­nu par des parents et des enfants, mais recon­naî­tra en réunion publique « des lignes insou­te­nables, into­lé­rables ; avec ce que nous savons aujourd’hui sur la pédo­phi­lie, sur l’abus sexuel », ten­tant de se jus­ti­fier en par­lant de pro­vo­ca­tion des­ti­née à « cho­quer le bour­geois des années 70 » ! L’excuse de la pro­vo­ca­tion, sa marque de fabrique, son fonds de com­merce révolutionnaire…

Pivot, un flirt avec l’air du temps

Le 2 mars 1990, Matzneff est invi­té pour la deuxième fois à l’émission télé­vi­sée « Apostrophes »[ref]La pre­mière fois, en sep­tembre 1975, pour son livre Les moins de seize ans, il avait été mal­me­né par une ensei­gnante lui repro­chant d’attenter à la digni­té des enfants et ado­les­cents.[/​ref], sous l’œil aimable de Bernard Pivot, sinon gogue­nard, appe­lant à la rigo­lade – « Vous êtes un col­lec­tion­neur de minettes »… L’autre per­vers se ren­gorge tan­dis que deux stu­pides bonnes femmes n’en peuvent plus de glous­ser. L’honneur sera sau­vé par l’écrivaine qué­bé­coise Denise Bombardier qui assi­mile l’ouvrage de Matzneff, Mes amours décom­po­sés, à une apo­lo­gie de la pédo­phi­lie, com­pa­rant l’auteur aux « mes­sieurs qui attirent des enfants avec des bon­bons ». Sa prise de posi­tion lui vau­dra une rafale de com­men­taires hai­neux. « J’ai été trai­tée de mal bai­sée par­tout. On m’a dit de retour­ner à ma ban­quise », se sou­vient celle que l’inénarrable Philippe Sollers trai­te­ra aus­si de « connasse ». Son édi­teur l’avait mise en garde : « Ça va nuire à ton livre et à tous les livres que tu publie­ras par la suite ». Ce qui se pro­dui­sit : « J’ai été boy­cot­tée par tous ces milieux durant trente ans », explique-t-elle. Ce fut le cas, entre autres, de Josiane Savigneau au Monde

Passer chez Pivot valait consé­cra­tion – c’était le Goncourt hebdomadaire[ref]Avec ses retom­bées son­nantes ![/​ref], dont l’animateur consti­tuait le jury à lui tout seul, en maître abso­lu. Sous son air bon­homme de faux naïf, il régen­tait le tout-lit­té­raire, ce monde dont les rami­fi­ca­tions s’étendaient pour ain­si dire à la socié­té entière. Apostrophes, bis­trot de la République des lettres, devi­sait sur la poli­tique, les arts, l’édition évi­dem­ment et, par-delà, la pen­sée, mode­lant l’air du temps, le lan­gage et même les mœurs.

Apostrophes n’aura pas seule­ment vu défi­ler Jankélévitch et Soljenitsyne, Mitterrand et Marguerite Duras, Simenon et le dalaï-lama… Après Nabokov et sa Lolita, il aura donc reçu Cohn-Bendit… et – à deux reprises, donc – le sul­fu­reux Matzneff, pré­sen­té comme un aimable pédo­phile de com­pé­ti­tion, un per­for­meur dra­gueur de minets et minettes : une attrac­tion. Et Pivot de se délec­ter, le sou­rire gour­mand, tan­dis que le pédo­cri­mi­nel, tel qu’il était encore loin d’apparaître, buvait son petit lait de séduc­teur, fai­sait pouf­fer une assis­tance niaise. Tout le monde était satis­fait : Pivot et ses points d’audience auprès d’un public émous­tillé ; Matzneff et sa noto­rié­té rem­plu­mée. Le Narcisse aux airs de bonze et aux pieds four­chus pour­rait para­der de plus belle sur son ter­rain de chasse. Son exhi­bi­tion télé­vi­suelle vau­drait cau­tion « morale » auprès des délin­quants et cri­mi­nels à l’affût de chair fraîche.

Pivot peut bien se trou­ver des excuses navrées sur Twitter : « Dans les années 70 et 80, la lit­té­ra­ture pas­sait avant la morale ; aujourd’hui, la morale passe avant la lit­té­ra­ture. Moralement, c’est un pro­grès. Nous sommes plus ou moins les pro­duits intel­lec­tuels et moraux d’un pays et, sur­tout, d’une époque ». Il est vrai, mais faut-il absoudre ce flirt incon­sé­quent qui, c’est ain­si, impré­gnait et consti­tuait le fameux « air du temps » ?[ref]Bernard Pivot a aus­si reçu neuf fois dans ses émis­sions Michel Tournier, qui n’a jamais caché son goût pour les jeunes gar­çons et fut pen­dant 38 ans membre de l’Académie Goncourt. Il recon­naît que ce der­nier « a tou­jours côtoyé l’extravagant, le mons­trueux, le ter­rible » et qu’on peut « retrou­ver dans ses romans une expres­sion de la cruau­té du XXe siècle. »[/​ref]

Finkielkraut « stimulé » par Tony Duvert

Une telle com­plai­sance a ser­vi d’alibi à bien des pédo­philes. Elle masque aus­si une autre réa­li­té, l’infantilisme d’une mou­vance. Rappelons cette « mala­die infan­tile du com­mu­nisme » acco­lée au gau­chisme en 1920… par Lénine qui, pour le coup, poin­tait l’irréalisme des mar­xistes « purs et durs » ris­quant de se cou­per de la classe des tra­vailleurs… Évitons l’anachronisme, mais le gau­chisme soixante-hui­tard ne com­met­tait-il pas ce même péché d’irréalisme lors de ses démons­tra­tions d’orgueil pro­vo­ca­teur ? C’était en tout cas ce que repro­chaient aux « cas­seurs », la CGT et le Parti communiste.

Cet infan­ti­lisme n’était-il pas alors annon­cia­teur de cette suite lamen­table et, à pro­pre­ment par­ler, tout à fait sexo-poli­tique. À savoir une grande confu­sion men­tale et sexuelle, l’une com­man­dant à l’autre, s’évertuant à l’élever en norme et à l’imposer à l’ensemble de la socié­té – qui devient consen­tante, du moins en par­tie, et de manière pas­sive ou par indifférence.

Même un Alain Finkielkraut aura cédé aux sirènes de cette bien-pen­sance sin­gu­lière – sous ses vel­léi­tés de sub­ver­sion ver­beuse. Ainsi dans Le Nouveau Désordre amou­reux (Le Seuil, 1977) où, avec son com­parse Pascal Bruckner, il se montre dans l’un des cha­pitres plus que com­plai­sant envers l’apologie de la pédo­cri­mi­na­li­té pro­fes­sée par Tony Duvert. [ref]Tandis que tout le livre s’élève contre l’« idéo­lo­gie géni­ta­liste » [sic], celle de la norme de l’orgasme obli­ga­toire ! J’ai repris l’ouvrage, à l’état coma­teux dans ma biblio­thèque sex­po­lienne. Effarant pen­sum ver­beux et cari­ca­tu­ral. Bruckner trouve encore le moyen de jus­ti­fier son conte­nu dans un récent numé­ro de L’Express.[/​ref] Soit ce pas­sage des plus explicites :

« Au fond, la Loi ne demande aux amants que ceci : de ne pas faire les enfants ; en d’autres termes, de res­ter plei­ne­ment géni­taux. Et inver­se­ment : le corps de l’enfant demeure aujourd’hui en Occident le der­nier ter­ri­toire invio­lable et pri­vé, l’unanime sanc­tuaire inter­dit : droit de cité à toutes les « per­ver­sions », à la rigueur, mais chasse impi­toyable à la sexua­li­té enfan­tine, son exer­cice, sa convoi­tise. La sub­ver­sion, si l’on y croit encore, ce serait de nos jours moins l’homosexualité que la pédé­ras­tie, la séduc­tion des « inno­cents » (d’où le scan­dale que pro­voquent les livres de Tony Duvert alors qu’ils devraient sti­mu­ler, sus­ci­ter des voca­tions, des­siller les yeux). Parce que la matu­ri­té est tou­jours l’histoire d’un étran­gle­ment, l’adolescence n’est pas le début de la vie sexuelle mais plu­tôt sa triste cana­li­sa­tion : à 14 – 15 ans, les jeux sont faits, la nor­ma­li­té orgas­tique par­achève son patient tra­vail de redres­se­ment. L’enfance, deux fois « pri­vi­lé­giée » par notre socié­té (ici, pure de toute vel­léi­té éro­tique ; là, « poly­morphe per­verse », asexuée à droite, hyper­sexuée à gauche) serait donc le conti­nent pro­hi­bé par excel­lence, la terre pro­mise que nul n’aurait le droit de fou­ler aux pieds : je peux être géni­tal, je peux être infan­tile (ça je le suis de toutes les façons), mais sur­tout pas enfan­tin […] Faire l’ange, ça vous excite cette débi­li­té-là ? »[ref] En 2018, dans L’autre pen­sée 68 : Contre-his­toire de la phi­lo­so­phie, Michel Onfray revient sur ce livre, sou­li­gnant lui aus­si que Bruckner et Finkielkraut étaient très favo­rables aux écrits de Duvert, rejoi­gnant en cela le cou­rant dit des « nou­veaux phi­lo­sophes ».[/​ref]

En 1979, pas­sant la vitesse supé­rieure, les mêmes auteurs citent à nou­veau Duvert, esti­mant qu’il est « en tant que pédo­phile, l’héritier des grands mythes amou­reux », vic­time de « l’ordre col­lec­tif ancienne manière [qui] ne renaît que pour faire la chasse aux amours pédé­ras­tiques. […] Regrettez-vous ces temps bar­bares et loin­tains où la foi fai­sait vio­lence à l’amour ? Désirez-vous connaître l’intensité des pas­sions impos­sibles ? Une seule solu­tion : épre­nez-vous d’un(e) enfant. » Pascal Bruckner, Alain Finkielkraut, Au coin de la rue, l’aventure, Seuil, 1979, page 91

« Elle posait pour Vogue », dixit Finkielkraut… En décembre 2010, méde­cins, pro­fes­sion­nels de l’enfance et parents ont repro­ché à Vogue Paris d’érotiser l’image de fillettes pour pro­mou­voir des pro­duits de luxe. Une péti­tion a cir­cu­lé pour s’op­po­ser à  l’érotisation de l’image des enfants dans la publicité.

Pas éton­nant dès lors que le phi­lo­sophe-aca­dé­mi­cien-pro­duc­teur-écri­vain en vienne à pré­tendre à pro­pos de l’affaire Matzneff, sur CNews ce 7 jan­vier 2020 : « il n’y a pas eu de viol puisqu’il y a eu consen­te­ment, mais il y a eu en effet détour­ne­ment de mineur », se pla­çant ain­si dans le conti­nuum nor­mal de la vio­lence sexuelle envers les enfants et les femmes. Position qui fut déjà la sienne lorsqu’il a pris, lui aus­si, la défense de Roman Polanski suite à son viol par sodo­mie d’une mineure, objec­tant que sa vic­time « n’était pas une enfant » car elle « posait pour Vogue » !

Loin de moi de vou­loir por­ter ici le coup de pied de l’âne à un homme pour qui j’ai par ailleurs de la consi­dé­ra­tion. Son émis­sion heb­do­ma­daire, Répliques, sur France Culture est des plus inté­res­santes par la qua­li­té de son ques­tion­ne­ment. Mais, là encore, le « talent » ne sau­rait tout excu­ser, sauf à le consi­dé­rer comme un paravent. Nul n’est par­fait, pas même l’auteur de ces lignes… Mais le droit à la faute, ne vaut pas droit à l’erreur. « Errare huma­num estper­se­ve­rare dia­bo­li­cum » Oui, per­sé­vé­rer est dia­bo­lique !

J’insiste, en reve­nant sur l’académicien, si sou­vent mora­liste, et son « argu­ment » en défense de Polanski. Sa vic­time, ose-t-il avan­cer « n’était pas une enfant » car elle « posait pour Vogue » ! Quelle hypo­cri­sie ! Ainsi, Vanessa Springora n’était pas davan­tage l’adolescente de 13 – 14 ans puisqu’elle dînait en com­pa­gnie d’un écri­vain invi­té par sa mère… Et Eva Ionesco, dont la mère pre­nait des pho­tos à carac­tère inces­tueux, qu’on qua­li­fiait alors d’art ? Et Flavie Flament, ado­les­cente vio­lée par David Hamilton, le si talen­tueux pho­to­graphe britannique ?

Pédophilie au nom de l’art, du luxe et de la publicité

En octobre 2016, deve­nue ani­ma­trice à la télé­vi­sion, Flavie Flament publie La Consolation (Ed. J‑C Lattès), roman auto­bio­gra­phique dans lequel elle affirme avoir été vio­lée en 1987, au Cap d’Agde, alors qu’elle avait 13 ans, par un célèbre pho­to­graphe, âgé de 83 ans à la date de publi­ca­tion du livre. Elle affirme avoir souf­fert d’amné­sie trau­ma­tique et n’avoir retrou­vé ce sou­ve­nir qu’en 2009, avec l’aide de psy­chiatres. Interrogée dans les médias, elle explique qu’elle ne peut nom­mer son vio­leur en rai­son du délai de pres­crip­tion dans la loi fran­çaise. Thierry Ardisson, la rece­vant dans son émis­sion Salut les Terriens !, pro­nonce le nom (bipé à l’antenne) du vio­leur pré­su­mé. Dans les jours qui suivent, David Hamilton est cité par plu­sieurs médias, ain­si que sur les réseaux sociaux, comme pou­vant être le pho­to­graphe évo­qué dans le livre de Flavie Flament. L’affaire n’ira pas plus loin – pour cause de sui­cide de l’amateur de Lolitas flou­tées et aux poses lascives.[ref]Suicide fatal aus­si au livre, qui ne connaître pas le reten­tis­se­ment du Consentement.[/​ref]

Profitons-en pour évo­quer éga­le­ment cette pédo­phi­lie raf­fi­née qui sévit dans la publi­ci­té du luxe jouant sur/​avec les corps d’enfants. Sous les maquillages, les vête­ments et les posi­tions plus qu’ambigus est célé­bré un exhi­bi­tion­nisme dont il fau­drait être bien soup­çon­neux, n’est-ce pas ? pour en dénier toute la dimen­sion artistique…

Et que dire de cette pub-vidéo cen­sée faire vendre des chaus­settes ?[ref]Réalisée par une jeune agence de com­mu­ni­ca­tion fran­çaise, dif­fu­sée sur le web début 2013.[/​ref] La maman à la grande bouche gour­mande, qui aime tant se sucer les doigts… pré­pare le repas dans sa cui­sine quand son petit gar­çon lui demande (en anglais, car la pub était des­ti­née au mar­ché bri­tan­nique) “Can you sock me please ?” que l’on pour­rait tra­duire par “Pourrais-tu me chus­suer s’il te plaît ?”. La maman à peine sur­prise lui répond par l’affirmative car “il est si mignon”, puis s’agenouille et dis­pa­raît sous la table… pour lui remon­ter une chaus­sette… L’enfant arbore ensuite un grand sou­rire de satis­fac­tion.
 Moralité, si on peut dire : Les chaus­settes Burlington pro­curent autant de plai­sir qu’une fel­la­tion paren­tale !

 La stra­té­gie du scan­dale par la bana­li­sa­tion de l’inceste, voire son érotisation.

Ce qui nous ramène à un autre slo­gan-phare de Mai-68, « L’imagination au pou­voir »…, deve­nu le man­tra des soixante-hui­tards recon­ver­tis dans la pub’ et la mar­chan­di­sa­tion géné­ra­li­sée. C’est dire – et sans pré­tendre ici à un inven­taire exhaus­tif – à quel point Soixante-huit et son sillage ont pu trou­bler les registres de la pen­sée et de la mora­li­té, en par­ti­cu­lier sur ces ques­tions de socié­té rela­tives à la sexua­li­té. Tel était le pro­jet de la Revue Sexpol, dont le pre­mier numé­ro est paru en jan­vier 1975.

La revue Sexpol et la réalité de l’homme pathologique

Alors Sexpol et la pédo­phi­lie ? Guère moins accom­mo­dante, rele­vant aus­si, en par­tie, de l’air du temps de cet après Soixante-huit. En par­tie seule­ment ! En effet, au nom de la même fameuse injonc­tion « inter­dit d’interdire », le men­suel, dans son n°6, ouvre une de ses pages à des petites annonces gra­tuites et non fil­trées. Une aubaine pour des pédo­philes… ain­si que pour le minis­tère de l’Intérieur… qui fit inter­dire la publication.

Résumé de la suite :[ref]Voir sur ce blog l’article com­plet de 2005 : Il y a 30 ans, la revue Sexpol mariait sexua­li­té et poli­tique  [/​ref] S’orchestra alors une bagarre « poli­tique » à base de dénon­cia­tion de la cen­sure de la part d’un régime (celui de Giscard d’Estaing – for­cé­ment atroce, voire fas­ciste…) répri­mant non seule­ment la liber­té de la presse mais aus­si l’expression de la sexua­li­té libé­rée, etc. – bref, tout l’attirail argu­men­taire du gau­chisme d’agit-prop’ et, embar­qué avec, ce libé­ra­lisme du « tout est per­mis », pédo­phi­lie y com­pris ! Ce qui, à l’époque, n’était pas dit aus­si ouver­te­ment, mais sous-enten­du et en conni­vence à peine équi­voque avec les démiurges intou­chables de la fac de Vincennes, avec les Schérer, Hocquenghem, Lapassade, Duvert. Et Matzneff.[ref]René Schérer et Guy Hocquenghem ont co-pro­duit le numé­ro 37 de la revue Recherches édi­té par Felix Guattari sur le thème de la pédo­phi­lie en avril 1979. Ce numé­ro repro­dui­sait sous le titre La Loi de la pudeur l’Intégralité de l’émission Dialogues, dif­fu­sée sur France Culture en avril1978, enre­gis­trée en 1977. La radio publique avait invi­té Michel Foucault, Guy Hocquenghem, fon­da­teur du Front homo­sexuel d’action révo­lu­tion­naire (FHAR) et le juriste Jean Danet, tous trois signa­taires de la péti­tion qui demande la décri­mi­na­li­sa­tion de la pédo­phi­lie. Durant une heure et quart, en public dans le stu­dio 107, ces intel­lec­tuels vont défendre l’idée que des pédo­philes sont incar­cé­rés à tort parce que les enfants qu’ils ont abu­sés étaient consen­tants. Depuis sup­pri­mé du cata­logue de Recherches, ce débat sera fina­le­ment inclus dans le recueil Dits et Écrits 1976 – 1979 de Foucault.[/​ref]

 

Petites annonces et mor­ceaux choi­sis pro-Duvert et Schérer dans Sexpol (1975 – 80)

De cette bagarre poli­ti­co-média­tique, relayée d’assez bonne grâce par une par­tie de la cor­po­ra­tion jour­na­lis­tique – dont j’étais… – et qui trou­vait là matière à « sujets » : pro­tes­ta­tions, dénon­cia­tions, spectre de la Censure, etc. ; de cette bagarre donc, nous sor­tîmes plu­tôt vain­queurs : le minis­tère de l’Intérieur concé­da une levée de l’interdiction en échange de notre renon­cia­tion à la publi­ca­tion de nos annonces incon­trô­lées. Ce que l’ensemble de l’équipe de Sexpol accep­ta, à l’exception de deux de ses membres, pédo­philes reven­di­qués et prêts au mar­tyre au nom de leur « idéal », se bor­nant en fait à quit­ter ce navire de com­pro­mis­sion nor­ma­tive… Ils n’en avaient pas moins « œuvré » pour ledit idéal, pro­dui­sant quelques articles très favo­rables à leurs amis Duvert, Schérer (lon­gue­ment inter­viewé dans la revue) – et Matzneff. En par­tant, ces deux com­parses enton­nèrent leur chant du cygne : « Le pou­voir dit qu’il nous inter­dit pour pro­té­ger sa jeu­nesse, il a rai­son. Nous vou­lons cor­rompre la jeu­nesse et apprendre avec elle à aimer librement. »

 Dissidence à Sexpol. Extrait du n°5, octobre 1975. Cliquer pour agran­dir et lire…

Comment être d’accord avec une telle suf­fi­sance ver­beuse – et per­ni­cieuse ? Prétendre que le pou­voir avait rai­son de nous inter­dire, même par pro­vo­ca­tion, c’était recon­naître le bien fon­dé de sa déci­sion, tout en nous don­nant des verges (!) pour nous faire fouet­ter. C’était s’offrir à la vin­dicte des cen­seurs, don­ner prise à ses ins­tru­ments de répres­sion juri­dique – et légale. Avant tout, nous ne vou­lions pas « cor­rompre » la jeu­nesse – au contraire ! Nous n’avions pas à allé­ger notre crasse en la par­ta­geant avec les enfants ; nous vou­lions les en pro­té­ger et faire que ce soient eux qui achèvent la misère, l’injustice, la répres­sion de la vie et le Vieux Monde – ce que nous ne fai­sions pas ! Si nous sommes gou­ver­nés par des psy­cho­pathes nor­ma­li­sa­teurs, c’est bien par démis­sion – celle de la socié­té des humains inca­pables de se gou­ver­ner eux-mêmes. Démission sur­tout à l’égard des enfants livrés à la per­ver­sion des psy­cho­pathes, qui ne sont pas seule­ment au pou­voir. Et c’est l’escalade, la sur­en­chère sur la même échelle de valeurs néga­tives : la « cor­rup­tion révo­lu­tion­naire » qui ren­ver­se­rait la « cor­rup­tion bour­geoise »… Nous vou­lions un Autre monde pour lequel il nous fau­drait même inven­ter un autre lan­gage, d’autres mots, faute de pou­voir ima­gi­ner les loin­tains len­de­mains de I’Amour extra-sub­ver­sif. Presque une autre planète…

Donc, oui, Sexpol aus­si avait cau­tion­né cet « air du temps », air de pes­ti­lence, objec­ti­ve­ment com­plice de ce « pas d’interdit – tout permis ».

On se doit ici de remon­ter à l’origine de la revue en tant que pro­jet poli­tique – pour ne pas dire éthique, anthro­po­lo­gique, philosophique.

Soixante-huit, donc, avait œuvré au noir et au rouge, et de l’athanor encore fumant/​fumeux, on défour­nait, en les démou­lant d’un bloc, des pans entiers de condam­na­tions assas­sines et d’utopies célestes. Sexpol aus­si sor­tait de ce four-là, mais en déno­tant dans le concert des feuilles « révo­lu­tion­naires », inter­ro­geant dans les pro­fon­deurs et l’individu et la socié­té, enrô­lés dans le décor fluo du dieu-Marché, de la mar­chan­dise mondialisée.

Sexpol sor­tait de ce four, il est vrai, mais comme un vilain canard qu’il était, à com­men­cer par son étrange titre, appe­lant d’ailleurs sous-titre – sexualité/​politique – pour annon­cer « la cou­leur », c’est-à-dire une mise en dia­lec­tique des deux enti­tés humaines fon­da­men­tales : l’individu, et la socié­té. L’un et l’autre, dans l’autre, par l’autre ; l’un avec l’autre, contre l’autre ; et sur­tout, autant que pos­sible, l’un et l’une pour l’autre. Tout un pro­gramme. Où l’on parle de l’« ani­mal humain » et de son « drame » qu’est sa démis­sion dans la fata­li­té rési­gnée du « c’est la vie ». Où l’on rejette les inter­pré­ta­tions dog­ma­tiques sur la lutte des classes pour lui pré­fé­rer la réfé­rence situa­tion­niste : Est pro­lé­taire qui­conque est « dépos­sé­dé du plein emploi de sa vie ».

Comme les temps ont écor­né l’utopie ! Adieu Rimbaud et son « chan­ger la vie » ! Que serait le poli­tique s’il n’ouvrait le champ libre au bon­heur d’être, ici et main­te­nant ? Le poli­tique alors, oui, ne serait que la poli­tique – on connaît. Surgit sur cette route cana­li­sée un cer­tain Wilhelm Reich, le pre­mier à avoir posé en termes his­to­riques la place pri­mor­diale de la sexua­li­té – l’expression bio­lo­gique de la pul­sion vitale – dans la construc­tion d’une huma­ni­té digne de ce nom. Alors que Freud labou­rait le champ indé­fi­ni de l’inconscient, quand Marx avait mis au jour les méca­nismes de l’aliénation par le capi­tal, Reich, lui, tente une syn­thèse alors vite cata­lo­guée de « freudo-marxiste ».

Psychanalyste enga­gé, méde­cin social, il fonde en 1931, en Allemagne pré-nazie, le mou­ve­ment Sexpol, abré­via­tion de poli­tique sexuelle, mou­ve­ment des­ti­né à venir en aide aux ado­les­cents en proie à la « misère sexuelle ». Les freu­distes le sus­pectent alors de com­mu­nisme, là où Reich avait posé la ques­tion de la dimen­sion sociale des névroses et de leur trai­te­ment. Les com­mu­nistes le traitent de méde­cin bour­geois intro­dui­sant la psy­cho­lo­gie et, pire encore, la sexua­li­té, dans la poli­tique. Il est reje­té par les deux camps. Tandis qu’un troi­sième, la bête immonde à l’affût dans l’ombre, aura bien­tôt « rai­son » de tout – sauf de sa magis­trale dénon­cia­tion dans Psychologie de masse du fas­cisme[ref]Rédigé entre 1930 et 1933, pen­dant la mon­tée du nazisme. Édition fran­çaise chez Payot, 1977.[/​ref].

Autre point de pers­pec­tive : l’histoire ne sau­rait se répé­ter, dit-on, mais inter­ro­geons ici nos socié­tés à cri­mi­na­li­té record, le plus sou­vent de mani­fes­ta­tion direc­te­ment sexuelle : viols, vio­lences sadiques et meurtres per­vers, pédo­phi­lie « ordi­naire » ou orga­ni­sée, mar­chan­di­fiée, tou­ris­ti­quée. Questionnons nos contem­po­raines pous­sées d’intégrismes mul­tiples, de fas­cismes ram­pants, les guerres eth­ni­co-reli­gieuses. Ce chaos, que Reich est l’un des tout pre­miers à ques­tion­ner à pro­pos de la souf­france humaine. Car il s’agit bien de souf­france, cette inca­pa­ci­té à « se lais­ser aller au flux de l’amour », à l’« élan vital ». Il pointe alors pré­ci­sé­ment, obser­va­teur et ana­lyste acerbes, les méca­nismes de répres­sion tapis dans les sys­tèmes édu­ca­tifs, dans la struc­ture fami­liale, patriar­cale et éco­no­mique, et comme engram­més chez les indi­vi­dus eux-mêmes qui n’ont de cesse de per­pé­tuer par­tout, et en par­ti­cu­lier chez leurs enfants, à peine nés, les meurtres de la vie. Il iden­ti­fie non seule­ment dans les carac­tères psy­cho­lo­giques mais dans les corps mêmes les traces visibles, pal­pables des bles­sures du vivant, rai­di sous une cui­rasse, et don­ne­ra ain­si nais­sance aux thé­ra­pies psycho-corporelles.

Dès ses pre­miers ouvrages, Reich per­çoit et ana­lyse les signes de la struc­ture carac­té­rielle rigide des hommes d’appareils, des par­tis, orga­ni­sa­tions diverses au ser­vice de la fixi­té des choses, réso­lu­ment hos­tiles au mou­ve­ment du vivant, à sa pul­sion. Il ouvre ain­si la voie à un autre regard poli­tique – sexo-poli­tique, pré­ci­sé­ment –, sur la socié­té autant que sur cha­cun de ses indi­vi­dus, vous, moi, lui dont il dira plus tard, n’en connaître aucun qui ne porte en lui les marques de la struc­ture auto­ri­taire fasciste…

Le pro­jet de Sexpol, la revue, naît de cette sorte de révé­la­tion, de ce regard autre, tout à fait neuf, por­té sur l’histoire humaine avec le désir d’en com­prendre les res­sorts intimes. Cela au moment où le mani­chéisme idéo­lo­gique de l’après-68 attei­gnait, comme on dirait aujourd’hui, des pics de pol­lu­tion men­tale et phy­sique. « Tous n’en mou­raient pas… ». Les humains, malades de la peste – cette peste émo­tion­nelle, ain­si que l’appellera Reich.

Telle était bien aus­si, à sa mesure, l’ambition de Sexpol qui va y aller de ses ques­tion­ne­ments : le mili­tan­tisme, la méde­cine, le désir, la beau­té et la lai­deur, le couple, l’enfance, la bouffe, l’homosexualité, la sexua­li­té de groupe, la vio­lence, la nature, les pri­sons, l’éducation, le mys­ti­cisme, les élec­tions, femmes et hommes, les sen­ti­ments, l’adolescence, la vieillesse – autant de thèmes qui furent tami­sés à la lumière sexo-poli­tique, avec plus ou moins de finesse d’ailleurs, on peut aujourd’hui mieux le recon­naître, le recul aidant, en reve­nant sur cette com­plai­sance qui faillit lui être fatale. Mais fina­le­ment, ces annonces pédo­phi­liques qui cau­sèrent l’interdiction, furent habi­le­ment exploi­tées en cen­sure poli­tique, puis en bre­vet de « résis­tance révo­lu­tion­naire » (et en presque suc­cès commercial…)[ref]Le tirage de Sexpol se mon­ta jusqu’à 20 000 exem­plaires.[/​ref]

Ainsi « œuvrait » l’air du temps… Complaisance à tolé­rer l’intolérable – par libé­ra­lisme incon­sé­quent, voie d’entrée des per­vers dans les lieux de fai­blesse cou­pable. Ils par­viennent à s’y ins­tal­ler, jouent des dis­cours, chantent des hymnes à la libé­ra­tion, tout comme ils iront dra­guer de la chair à jouir.[ref]Les mesures d’interdiction de la revue ne mobi­li­sèrent pas la moindre soli­da­ri­té des « annon­ceurs » – tant mieux, ils iraient ten­ter leur diable ailleurs…[/​ref]

« Ne vois-tu pas, mon vieux Neill, que tout ton édi­fice de res­pect libé­ral de la névrose s’écroule – qu’il ne faut pas confondre la réa­li­té de l’homme patho­lo­gique avec le prin­cipe de la digni­té humaine de Locke. L’humanité tout entière a été entraî­née vers l’abîme à cause de cette sorte de confu­sion libé­rale…» Ainsi écri­vait Reich à Alexander Neill, son ami, le fameux péda­gogue anglais de Summerhill, auteur de Freedom, not license, bête­ment tra­duit par La liber­té, pas l’anarchie

Ce qui reste aujourd’hui de ces années Sexpol et de sa qua­ran­taine de numé­ros, ce sont néan­moins des valeurs pivo­tales, d’ailleurs le plus sou­vent héri­tées de Reich, et dont l’actualité demeure, hélas, tou­jours impé­rieuse. Ainsi l’identité psy­cho-cor­po­relle de l’être humain, certes aujourd’hui recon­nue en théo­rie (dans nos socié­tés dites avan­cées), mais aus­si­tôt déna­tu­rée par la dic­ta­ture du paraître, la pré­émi­nence dic­ta­to­riale de l’image, l’empire du look, l’idéologie néo­fas­ciste du corps magni­fié, idéa­li­sé en un nou­veau culte païen. Ainsi le délire scien­tiste, ou la ten­ta­tion démiur­gique de « savants » fous atta­quant la struc­ture ultime de la cel­lule, bri­co­lant bien­tôt l’être humain comme d’autres tri­potent les gènes du maïs ou du soja, clonent Dolly, tout juste avant le tour des Loana ou Steve de l’an 2050 – ou avant…

Ainsi ces numé­ros spé­ciaux sur les bio-éner­gies, et sur la nais­sance, et sur Reich enfin qui ont dit à pleines pages, et qu’on entend encore aujourd’hui, par­mi les tam-tams média­tiques du « vil­lage pla­né­taire » – où l’on s’étripe plus que jamais –, qui ont dit à pleins cris que l’ani­mal humain, bête et homme, étrange et pré­cieux couple, demeure ce mys­tère indi­cible de mons­truo­si­té et d’idéal. Selon les jours, selon les lieux, les pro­por­tions du mélange nous incitent à plus ou moins d’optimisme… Selon que les ravages de la pen­sée unique iraient jusqu’à nous rendre nos­tal­giques des « deux blocs » entre les­quels on pou­vait encore glis­ser l’espoir d’un monde autre. Unicité tota­li­sante qui frappe de plein fouet culture et agri-culture, menace nos artistes, nos ali­ments et notre san­té, façonne nos vête­ments, nos lan­gages – nos iden­ti­tés ; qui cana­lise l’information et, au bout du satel­lite, aligne la poli­tique sur la mar­chan­dise et le gros Dow Jones, la sexua­li­té sur la consommation.

Osera-t-on recon­naître, comme je le pré­tends ici, que « notre Mai-68 » conte­nait en germes les dérives déplo­rées aujourd’hui ? Et le dire ouver­te­ment, d’un point de vue de gauche et de témoin enga­gé, n’est pas pour autant cau­tion­ner les « anti-68 » de la droite bor­née, les revan­chards à la Luc Ferry, aveugles aux réelles avan­cées jaillies de ce prin­temps. Mais peut-on encore dénier à quel point l’« inter­dit d’interdire » aura pu rava­ger des pans de l’édifice socié­tal, en par­ti­cu­lier dans les rela­tions parents-enfants, enfants-ensei­gnants – et entre les citoyens et la cité ? Tandis qu’un pre­mier cli­vage se pro­dui­sait, durant les « évé­ne­ments » mêmes, entre le pays labo­rieux et les révol­tés aux appel­la­tions de rup­ture – enra­gés, cas­seurs, gau­chistes, anar­chistes, maoïstes… – dési­gnant ces étu­diants pri­vi­lé­giés, enfants de la bourgeoisie…

Oui, clivage et sépa­ra­tion de classes. Mais ne s’agissait-il pas aus­si d’une cou­pure d’ordre cultu­rel ? Celle-là même qui s’est confir­mée dans l’après soixante-huit avec, d’une part, la dés­in­dus­tria­li­sa­tion pro­gres­sive et la trans­for­ma­tion du monde ouvrier et de ses repré­sen­ta­tions (syn­di­cats et par­tis) ; et d’autre part, la mon­tée en nombre de la classe moyenne, puis peu à peu des « bobos » et de la « gauche caviar », du « mana­ge­ment », du « coa­ching » et des « res­sources humaines » – et enfin de Macron et sa « start-up nation »…Le rac­cour­ci semble évi­dem­ment rapide. En l’accélérant encore, il mène­rait tout droit au ver­tige ultra-libé­ral qui a sai­si le monde entier, ce qu’on appelle la glo­ba­li­sa­tion. C’est-à-dire la déré­gu­la­tion géné­rale, cette grande confu­sion qui, de l’après-68 en par­ti­cu­lier jusqu’à nos jours, aura atteint les êtres et les sociétés.

En ce sens l’« affaire Matzneff », parce qu’elle touche en pre­mier l’enfance, ren­voie à une res­pon­sa­bi­li­té géné­rale, uni­ver­selle : pro­té­ger la vie contre les per­vers, les inca­pables de « s’empêcher ». Et, pour cela, en citant Reich encore, ne pas confondre la réa­li­té de l’homme patho­lo­gique avec le prin­cipe de la digni­té humaine.

Portrait. L’archange Gabriel qui se croyait intouchable

[dropcap]Qu’est[/dropcap] donc Matzneff d’autre qu’un dan­dy dra­gueur de minets-minettes, au raf­fi­ne­ment assas­sin, même s’il n’a pas tué de fac­to, « seule­ment » abu­sé d’enfants et d’adolescents dont les vies se trou­ve­ront ter­ri­ble­ment per­tur­bées, à jamais peut-être ? Qu’est-il d’autre aus­si qu’un séduc­teur d’éditeurs en mal de « buzz », comme on dit de nos jours, et de biz­ness ? Qu’un enjô­leur qui aura tenu dans ses filets, et ses vic­times sexuelles, et ce milieu lit­té­raire très pari­sien avide de « sen­sa­tions fortes », quand ce n’est pas de prises de bénéfices …

Je ne serais que vul­gai­re­ment cri­tique de ses exhi­bi­tions auto­bio­gra­phiques si je pre­nais en consi­dé­ra­tion le lit­té­ra­teur : roman­cier, dia­riste, chro­ni­queur… Salué à ce titre par quan­ti­tés d’écrivains amis, cri­tiques paten­tés et adu­la­teurs mul­tiples se répan­dant dans les gazettes et autour des buf­fets de l’entre-soi et chez les édi­teurs, dans le pré car­ré de Saint-Germain-des-Près, son autre ter­rain de chasse. 

Il avait com­men­cé très jeune, Gabriel, l’« archange aux pieds four­chus », titre d’un de sa tren­taine de livres édi­tés. À seize ans déjà il pré­fé­rait les petits gar­çons de onze, douze ans qu’il allait cueillir jusqu’au Maroc, « para­dis des pédo­philes ». Ou bien plus tard, à par­tir des années 60, à Manille, haut-lieu du « tou­risme sexuel » en com­pa­gnie de Christian Giudicelli, prix Renaudot 1986. Lequel fera à son tour par­tie du jury Renaudot qui remet­tra le prix 2013 à … Gabriel Matzneff[ref] Parmi les jurés : Frédéric Beigbeder, dont Matzneff est l’un des auteurs favo­ris ; Jérôme Garcin, qui le louait dans une cri­tique, récente ; Franz-Olivier Giesbert, le dilet­tante de ser­vice et néan­moins pré­sident du jury. Peut-être pen­saient-ils, comme Matzneff, que « le style n’excuse pas tout, mais [que] le style jus­ti­fie tout »[/​ref]. Une tour­nante en quelque sorte. C’est l’at­tri­bu­tion de ce prix qui déci­de­ra Vanessa Springora à écrire son livre.

Matzneff, dont Combat publiait ses chro­niques pari­siennes ou sur la télé, qu’il ne regar­dait pas…, ses élans mys­tiques sur la sen­sua­li­té des rites ortho­doxes (il est issu d’une famille de hobe­reaux russes émi­grée en France après 1917), ses envo­lées lit­té­raires, ses odes à son grand ami et men­tor Henry de Montherlant, lui aus­si tou­riste par­ti­cu­lier au Maghreb, tout comme André Gide, Roger Peyrefitte, l’auteur amé­ri­cain Paul Bowles et d’autres.

Girouette poli­tique, il approche aus­si bien Mitterrand que Le Pen, ou Alain de Benoist, « intel­lec­tuel éti­que­té (très) à droite » – comme lui, il appelle néan­moins à voter Mélenchon à la pré­si­den­tielle de 2017… Il fré­quente le « beau monde » : Barthes, Sartre, de Beauvoir, Cioran, Lang, Hergé… Il côtoie l’élite, boit le thé chez Bernard-Henry Lévy et Arielle Dombasle. Il est ami avec Léo Scheer, qui ne manque pas de réédi­ter Les moins de seize ans en 2005. À l’étranger, il se voit reçu par des ambas­sa­deurs tel un cour­ti­san à Versailles. Le 21 mars 1995, à l’oc­ca­sion du Salon du Livre, Jacques Toubon, ministre de la Culture du gou­ver­ne­ment Balladur, lui remet l’in­signe d’of­fi­cier des arts et des lettres, pour sa « contri­bu­tion au rayon­ne­ment des arts et des lettres en France et dans le monde ». Toubon sou­ligne à cette occa­sion que « Gabriel Matzneff occupe une place par­ti­cu­lière dans la République des Lettres. » Certes…

Parmi quelques-uns de ses pré­ceptes, deux sont par­ti­cu­liè­re­ment révé­la­teurs de ce Narcisse de haut-vol : « Je ne parle bien que de moi-même ; et des autres à pro­por­tion que je peux les rame­ner à moi. », et « L’Église est faite pour les pécheurs, pas pour les saints. » Ainsi bar­dé de cette pro­tec­tion, Saint-Gabriel, l’archange envoyé de Dieu, se pen­sait intou­chable. Il le fut, en effet, jusqu’à main­te­nant. Malgré l’évocation de dizaines de rela­tions pédo­cri­mi­nelles dans ses jour­naux intimes, Matzneff ne sera jamais condam­né. Tout juste fera-t-il l’objet de ce qu’on appelle de nos jours un signalement.[ref]À mettre en paral­lèle à l’interdiction de la revue Sexpol, en 1975, pour avoir lais­sé paraître quelques annonces de pédo­philes… [/​ref]

Florilège illustré, extrait du site de Matzneff

[dropcap]Le[/dropcap] site de Matzneff a été fer­mé sur ini­tia­tive de l’intéressé. Mais la toile garde une mémoire tenace de ses anciens loca­taires, et même des pho­tos… Petit flo­ri­lège des échanges que l’écrivain-pédophile reven­di­qué entre­te­nait avec ses admi­ra­trices et admi­ra­teurs – et qu’il fai­sait pré­cé­der de cette épi­graphe : « En cette veille de l’an­ni­ver­saire de la mort du roi Louis XVI, salut et pros­pé­ri­té à toutes celles et à tous ceux qui sont avec nous ce soir. Et vive la liberté ! »

Coralie : Quelle honte ! Un tas d’i­gnares vous cata­loguent « per­vers Petit Bateau » alors que votre oeuvre est si riche, si diverse, si pro­fonde. Quand vous consi­dé­rez le tort que cette répu­ta­tion de “pédo­phile” a cau­sé à votre vie et à votre car­rière, ne regret­tez-vous pas d’a­voir publié Les Moins de seize ans ? Réponse : Dans la vie, quand on a très envie de faire une bêtise, il faut la faire sans hési­ter. Publier de mon vivant Les Moins de seize ans a certes été une erreur du point de vue de la réus­site sociale, mais du point de vue humain cette publi­ca­tion m’a appor­té des bon­heurs multiples.

Emmanuelle : Les ventes de vos livres, vos piges de chro­ni­queurs ont-elles tou­jours suf­fit à sou­te­nir votre train de vie ? Et aujourd’­hui, pou­vez-vous tou­jours vous per­mettre de voya­ger, de prendre soin de vous de toutes les manières que vous aimez ? Réponse : Oui, rien ne change dans ce domaine. Quand j’ai envie de caviar, je mange du caviar ; quand j’ai envie de sau­ter dans un avion, je saute dans un avion. J’ai un style de vie qui me convient par­fai­te­ment, et je ne vois aucune rai­son d’en chan­ger. Quant à la ques­tion finan­cière que vous évo­quez, je vous ferai la réponse du géné­ral de Gaulle : “L’intendance suit” ! [Ndlr : Suivra-t-elle encore désormais?]

Emma : La ques­tion peut paraître un peu directe : conti­nuez-vous à séduire, ou devez vous recou­rir aux « amours » mer­ce­naires ? Bref : avez-vous la vieillesse de votre cher Casanova ? Réponse : Je vous remer­cie, Emma, de votre sol­li­ci­tude, mais ras­su­rez-vous : mes amours vont très bien. L’époque où je serai un vieux mon­sieur est encore loin­taine, et d’ailleurs les artistes jouissent dans ce domaine d’une tem­po­ra­li­té spé­ciale : un écri­vain, un peintre, un acteur, un chan­teur n’ont pas d’âge, et les jeunes filles qui les aiment sont infi­ni­ment plus sen­sibles à leur talent, à leur charme, qu’à leur date de nais­sance. En outre, je suis beau­coup plus joli gar­çon aujourd’­hui que je ne l’é­tais à trente ans. Chère Emma, lisez Boulevard Saint-Germain, paru en 1998, Super flu­mi­na Babylonis, paru en 2000, son­gez à Mathilde et à Stefanie, les deux jeunes héroïnes de Mamma, li Turchi !, et vous aurez la réponse à votre question.

BBKID : Henry de Montherlant s’est sui­ci­dé. Y avez-vous pen­sé ? Réponse : J’ai tant écrit sur ce thème, et cela dès mon pre­mier livre, que je ne me sens pas capable de vous répondre en trois lignes, et ne puis que vous ren­voyer à mes écrits.

Photos du blog de Matznef, fer­mé dès le déclen­che­ment de l’affaire.

Allemagne : Cohn-Bendit encore

[dropcap]Bien[/dropcap] sûr, la France ne sau­rait avoir l’exclusivité de ce genre d’affaires, aus­si uni­ver­selles que les tra­vers humains – tou­te­fois mino­ri­taires. Pour res­ter en Europe, et près de chez nous, les Pays-Bas se sont aus­si beau­coup dis­tin­gués dans ces domaines avec de forts mou­ve­ments pro-pédo­philes. Le cas de l’Allemagne nous concerne de plus près.

Fischer et Cohn-Bendit saluent avec enthou­siasme le dis­cours pro-euro­péen de Macron à l’u­ni­ver­si­té Humbold

« J’étais aus­si étu­diant à Francfort-sur-le-Main quand Cohn-Bendit et Joschka Fischer étaient là. J’ai par­ti­ci­pé aux mêmes mani­fes­ta­tions. Et je peux vous dire que je ne crois pas un mot des expli­ca­tions de Cohn-Bendit quand il dit qu’il a fait ses révé­la­tions sexuelles avec des enfants dans un seul but de pro­vo­ca­tion. » C’est Eckhard Stratmann-Mertens, ancien dépu­té et membre fon­da­teur du parti Die Grünen (les Verts), qui témoigne devant la presse, démo­lis­sant toute la rhé­to­rique de Cohn-Bendit.

Eckhard Stratmann-Mertens rajoute des détails décri­vant cer­taines scènes de l’époque. Ce témoi­gnage est ren­for­cé par d’autres témoins qui étaient alors enfants pen­dant la période concer­née. L’un d’eux, âgé de 46 ans aujourd’hui, parle même de viols qu’il aurait subi de la part de cer­tains membres de la com­mune des éco­lo­gistes dans le lieu-dit de Dachsberg.

À l’au­tomne 1999, un des amis de jeu­nesse de Daniel Cohn-Bendit, le ter­ro­riste alle­mand Hans-Joachim Klein, se livre à la jus­tice fran­çaise, est extra­dé et condam­né à neuf ans de pri­son pour la prise d’o­tages du siège de l’OPEP à Vienne (trois morts en décembre 1975). Son pro­cès est l’oc­ca­sion de nom­breuses révé­la­tions sur le pas­sé des deux hommes et celui, pas­sa­ble­ment violent, de leur ami com­mun, Joschka Fischer, entre-temps deve­nu vice-chan­ce­lier d’Allemagne. La jour­na­liste Bettina Roelh révèle que Cohn-Bendit a aus­si écrit un texte proche de la pédo­phi­lie dans la revue alle­mande que diri­geait son père, peu avant le sui­cide en pri­son de sa mère Ulrike Meinhof, codi­ri­geante avec Andreas Baader de la Fraction armée rouge.

Daniel Cohn Bendit, entre-temps deve­nu par­le­men­taire euro­péen, ne répond tout d’a­bord pas à ces infor­ma­tions reprises par la presse étran­gère. Puis il accorde le février 2001 un long entre­tien à l’heb­do­ma­daire fran­çais L’Express, dans lequel il esquisse des regrets mais contre-attaque en esti­mant que ces révé­la­tions n’en sont pas et que la pédo­phi­lie était par­tiel­le­ment entrée dans les mœurs dans les années d’a­près Mai 68. Dans un débat orga­ni­sé quelques jours avant les élec­tions euro­péennes de 2009, le pré­sident du tout nou­veau par­ti MoDem, François Bayrou, impro­vise une attaque contre Cohn-Bendit sur ce sujet, sans grand suc­cès d’opinion. La polé­mique s’éteint avec le score his­to­rique obte­nu dans les urnes par ce der­nier.

En Allemagne au contraire, cette polé­mique va rebon­dir et s’amplifier dans les années 2010 au moment où le par­ti Die Grünen, reve­nu dans l’op­po­si­tion, est affai­bli poli­ti­que­ment puis mora­le­ment par d’autres révé­la­tions sur la pédo­phi­lie dans les années 1970, mais cette fois à Berlin. Aux légis­la­tives, Die Grünen dégrin­gole de 15 % à moins de 10 %.

Dans ces dif­fé­rentes révé­la­tions, les lec­teurs ont aus­si décou­vert que Volker Beck, autre per­son­na­li­té poli­tique de la vie Berlinoise des Grünen, avait publié un texte récla­mant la dépé­na­li­sa­tion des actes sexuels avec des mineurs pour auto­ri­ser la pédo­phi­lie. Volker Beck et Daniel Cohn-Bendit s’ef­forcent par l’emploi de diverses contor­sions rhé­to­riques de se dédoua­ner en pré­ten­dant qu’il ne s’a­gis­sait que de lit­té­ra­ture ou de pro­vo­ca­tions cor­res­pon­dant à l’air du temps.

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Gerard Ponthieu

Journaliste, écrivain. Retraité mais pas inactif. Blogueur depuis 2004.

19 réflexions sur “Pédophilie. Comment la chute de Matzneff ouvre le procès sexo-politique de l’après-68

  • Une syn­thèse éclai­rée et éclai­rante qu’il faut répandre. Une contex­tua­li­sa­tion his­to­rique et morale néces­saire. Merci Gérard.

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  • Gian

    Et il y a aus­si des choses que j’ai connues direc­te­ment. Le Coral à Aimargues (Gard), accueillant de (très) jeunes déglin­gués (un « lieu de vie ») « géré » par Claude Sigala qui fut condam­né en 1986 pour avoir tri­po­té quelques minettes de moins de 15 ans. Ou encore la « com­mu­nau­té » de La Noire Eau à Libin (Belgique) d’André Tange qui fut éga­le­ment empri­son­né pour des (v)agissements sem­blables en 1996. Des lieux prô­nant La Lutte sexuelle des jeunes (1932) de W. Reich. Tange fut rédac­teur en chef de la revue L’Orgonome, à laquelle j’ai ingé­nu­ment contri­bué. Une autre de mes contri­bu­tions naïves le fut dans l’im­mé­diat après-68 avec les édi­tions Spartacus de René Lefeuvre chez qui je me ren­dis un jour et qui me mon­tra son grand lit dans lequel dor­maient deux très jeunes éphèbes – maro­cains, pré­ci­sa-t-il – qui rele­vaient de la caté­go­rie « tu peux pas savoir com­bien ils sucent bien ». J’étais très cho­qué, mais suis res­té coi, coin­cé dans un « double bind » inso­luble : l’a­mné­sie trau­ma­tique ne concerne pas que les vic­times directes…
    J’ai connu par ailleurs des « com­mu­nau­tés » où le patriarche (anar rei­choïde, le plus sou­vent) avait ins­ti­tué son gyné­cée après s’être arro­gé le droit de cuis­sage sur ses Marie-couche-toi-là et après avoir fait une seule fois la vais­selle pour la forme. Je ne me par­don­ne­rai jamais de, par un laxisme mer­deux, ne pas les avoir pen­dus comme les pré­cé­dents avec les tripes des der­niers capi­ta­listes, leurs frères d’armes.

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    • Oui, Il y a eu aus­si L’École en bateau… André Tange, lui, nous avait ren­du visite à Sexpol, y lais­sant une impres­sion pour le moins trouble… Nous avons quand même publié un texte de lui dans le numé­ro 29 – 30 sur les bio-éner­gies, sous le titre « Éros : Des thé­ra­pies asexuées à une bio-éner­gie orgasmique ».

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  • Louise H

    Eh ben, cha­peau ! La belle et saine mise au point que voi­là ; ana­ly­tique et syn­thé­tique„ sacré­ment envoyé. Ça fait le plus grand bien dans cette époque si débous­so­lée de sen­tir d’où vient le vent mau­vais qui nous chante tant. Merci

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  • bosquart

    Bonjour à Gérard Ponthieu et aux lec­teurs de son blog,
    Avant la publi­ca­tion de ce long tra­vail à pro­pos de la pédo­phi­lie et de la défunte revue SEXPOL, j’a­vais écrit ceci à Gérard Ponthieu en date du 30.1.2020 :
    Objet : VIVE SEXPOL ET CHAPEAU BAS
    Bonjour Mr Ponthieu,
    « Rapidement j’a­vais écrit un petit texte don­nant les rai­sons d” un bref « retour » sur les numé­ros de SEXPOL aux­quels j’é­tais abon­né entre 1975 et 1980. Cet écrit s’est vola­ti­li­sé dans les com­men­taires sur votre blog. En atten­dant il s’a­gis­sait pour moi de faire retour sur Gabriel Matzneff et la pédo­phi­lie dont je me sou­ve­nais très bien de la pré­sence de cet auteur et de ses « per­ver­sions cou­pables » ( elles sem­blaient l’être moins en ces années fin 70, mais quand même..) à l’in­té­rieur de la revue. Je vou­lais revi­si­ter les pages et débats internes aux contri­bu­teurs de la revue. Et j’a­vais le vague sou­ve­nir d’une condam­na­tion sans appel des rela­tions sexuelles avec les enfants !
    J’ai donc revi­si­té cer­tains articles et numéros.
    Evidemment bra­vo pour « François, mon fils » où vous condam­niez la pédo­phi­lie. D’autres articles ( de Mano, de Marc ROY,..) étaient plus ambi­gus sur la ques­tion, dirions-nous plus « liber­taires » ( sic !) ou plus fran­che­ment favorables.
    Un auteur plus célèbre parce que pro­fes­seur d” uni­ver­si­té et recon­nu dans ses champs de recherche et ses champs mili­tants, c’est René SCHERER qui sem­blait avoir une rela­tive indul­gence vis-à-vis des rela­tions ado­les­cents-adultes, sans tom­ber réso­lu­ment du côté des incli­na­tions pédo­phi­liques. (sous béné­fice d’in­ven­taire et de recherches plus poussées ).
    Voilà.
    Evidemment heu­reux d’a­voir connu et lu cette revue. Un seul numé­ro me manque, et ce n’est pas un hasard, le N° 3 sur  » A POIL LES MILITANTS » ; pour un ex-tros­kiste lam­ber­tiste des années 68/​71, ce n’est pas tout à fait un hasard. (sic)
    Si j’en prends le temps, je refe­rai ce tra­vail de mémoire à pro­pos de la pédo­phi­lie , de ses thu­ri­fé­raires, de ses contemp­teurs et adver­saires avec le recul du temps et en accueillant à la fois les sub­ti­li­tés rhé­to­riques d’a­lors et les consé­quences gra­vis­simes des années et des années plus tard, à la grande sur­prise même des inté­res­sés ( qui semblent pour cer­tains d’entre eux tom­ber des nues et ne même pas com­prendre ce qui leur arrive, ni le mal ont fait !!! »
    Je viens de prendre connais­sance de cet article du 4.2.2020 qui vient à la fois confor­ter et éclai­rer ce que j’a­vais pres­sen­ti de mes sou­ve­nirs d’a­bon­né de la revue entre 1975 et 1980.
    Globalement j’adhère à tout ce que Gérard a écrit, tout en émet­tant des inter­ro­ga­tions à pro­pos de l’ex­pli­ca­tion ou expli­ci­ta­tion mise sur « l’air du temps ». Je res­sens le besoin d” y réflé­chir encore pour asseoir ma convic­tion que « nous » étions plus ou moins toutes et tous en plein désar­roi, ou en pleine recherche d’un monde nou­veau et libé­ré, ce qui n’al­lait pas sans dérives per­son­nelles pour les uns et poli­tiques pour d’autres !
    Cordialement.
    André Bosquart, lil­lois de tou­jours et nor­diste de Villeneuve d” Ascq.
    P.S. : ce n’est pas un point final !

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  • Hélène

    Article de pre­mière impor­tance ! alors qu’on voit se déve­lop­per de plus en plus d’af­faires qui n’ins­pirent que dégoûts. Ce ne sont pas les enfants-vic­times qui vont oser prendre la parole mais ceux des adultes qui auront pu les écou­ter avec atten­tion, si jam­zais ils n’a­vaient pu les pré­ser­ver des per­vers de toutes sortes. Bravo pour ce tra­vail salutaire !

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  • Salut Gérard ! Ton article est d’une grande impor­tance. Il est si pré­cis, si docu­men­té qu’il montre com­bien l’a­na­lyse de tout évé­ne­ment, ceux du jour comme les « his­to­riques », se doivent d’être pla­cés dans leur contexte. Sans contexte, pas de recul. Sans recul, pas d’a­na­lyse. Nos dates de nais­sance nous per­mettent, si nous en fai­sons l’ef­fort, d’a­voir ce recul. Privilège de l’âge… Mais cela ne suf­fit pas, il faut aus­si être lucide et exi­geant. Sans s’ac­ca­bler, sans évi­ter de s’é­cor­cher. Tu y es par­fai­te­ment par­ve­nu. Bravo !

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  • Nad

    Magnifique essai si bien docu­men­té, ron­de­ment et fine­ment mené.
    Il nous laisse pan­tois, car tu as mis sous nos yeux le dérou­le­ment des dérives de ces per­ver­sions avec une telle jus­tesse de raisonnement.
    Nous avons pour­tant bien pro­fi­té de ces années de liber­té : la pilule , l’ou­ver­ture du car­can de la reli­gion et de la morale, nous étions à la mode et dans le vent si nous disions « merde » à nos vieux cons de parents réactionnaires.
    Nous pou­vions sans dan­ger chan­ger de par­te­naires sexuels et nous vou­lions faire de mul­tiples expé­riences, c’é­tait bien vu, c’é­tait la vie, être vivantes…
    Alors pour­quoi pas flir­ter, cou­cher sans ris­quer la gros­sesse. Découvrir enfin tous les aspects de la sexua­li­té. les jeunes, les vieux… Les enfants ?
    OUi pour­quoi les plus jeunes ? pour­quoi les enfants ?
    D’aucuns adultes et hau­te­ment intel­lec­tuels, ont déci­dé que c’é­tait jouis­sif pour eux-mêmes et que les enfants en pro­fi­taient. J’ai même enten­du à cette époque , que dans cer­taines tri­bus recu­lées d’Amazonie, il n’y avait aucun tabou à ce sujet, que l’in­ceste n’exis­tait pas et que les mala­dies men­tales n’exis­taient pas non plus. Personne n’é­tait frus­trés, ni les adultes, ni les enfants.
    Alors, aujourd’­hui, toutes ces belles théo­ries de « l’air du temps » mettent au pilo­ri tous ces joyeux drilles de la jouis­sance à tout prix, car les enfants ont gran­di et ils ont mis du temps à dire leur souf­france. Elles sont bien là pour­tant. Nous sommes effa­rés de nos incon­sé­quences, com­ment toutes ces élites intel­lec­tuelles que nous admi­rions nous ont elles conduits à ces crimes, ces aberrations ?
    A la pro­fonde réflexion où nous conduit ton essai admi­rable, on peut se dire que nous pou­vons nous trom­per d’élite.
    Certains que nous admi­rons pour leur talent nous amènent dans un air du temps nocif et dangereux.
    Merci pour ce texte.

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    • Merci pour ton judi­cieux com­men­taire. Dernier élé­ment : Le pro­cu­reur de la République de Paris, Rémy Heitz, a annon­cé qu’un « appel à témoins » serait lan­cé, mar­di 11 février, par l’Office cen­tral de répres­sion des vio­lences faites aux per­sonnes (OCRVP), pour retrou­ver des « vic­times » dans le cadre de l’enquête ouverte pour viols sur mineur de moins de 15 ans visant l’écrivain Gabriel Matzneff. Même si les faits sont pres­crits, les vic­times pour­ront ain­si, si elles le sou­haitent bien sûr, s’al­lé­ger autant que pos­sible de leurs fardeaux.

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  • bosquart

    Comme je l’an­non­çais, je n’ai pas dit mon der­nier mot :
    1/​ Lu dans WIKIPEDIA sur RENE SCHERER
    à pro­pos de la ques­tion de la pédo­phi­lie « Il dénonce l”« action infan­ti­li­sante » de l’é­cole et conteste les conclu­sions d’au­teurs comme Françoise Dolto sur le carac­tère nocif pour les enfants des rela­tions sexuelles, de l’in­ceste et de la pro­mis­cui­té sexuelle avec les adultes. »
    dans EMILE PERVERTI pages 102/​111

    2/​ https://​phi​lo​de​lart​.hypo​theses​.org/​2418 un inté­res­sant article à pro­pos de Michel Foucault sur les ques­tions de rela­tions sexuelles enfants-adultes !

    3/​A pro­pos de F. Dolto, il est pour le moins trou­blant que ce soit le pédo­phile R. Schérer qui récuse les conclu­sions d’au­teurs comme F. Dolto qu’il juge oppo­sée à ses propres thèses !
    Ou F. Dolto est inno­cen­tée de toute idée de col­lu­sion ima­gi­nable , ou R. Schérer lui a don­né l’oc­ca­sion de chan­ger d’a­vis ou de pers­pec­tive, ce que per­son­nel­le­ment je conteste !
    Ca me paraît impos­sible de mêler F. Dolto à des per­son­nages comme R. Schérer et d’autres qui se disent eux-mêmes et l’é­crivent, des défen­seurs de la pédophilie.
    Je viens de lire la page 267 du livre  » La cause des ado­les­cents » dont est tiré le § que tu cites, Gérard ; hon­nê­te­ment il y a méprise sur le sens de ce qu’elle y dit.( entre autres parce qu’il y est ques­tion du Québec.
    Je me suis pro­cu­ré le livre  » La cause des enfants » (1985) , à la page 564, le § s’in­ti­tule : » Aux futurs parents qui ne veulent pas être pédo­philes ». Je l’ai lu. Magistral !
    Cette femme et psy­cha­na­lyste n’a aucune place dans la gale­rie dont tu fais état. J’avais aus­si des réti­cences par rap­port à Dany Cohn-Bendit que je t’ai expri­mée dans un mail ; là je veux bien ne pas le défendre coûte que coûte, mais quant à F. Dolto, c’est un mau­vais pro­cès, une méprise. Et je le démon­tre­rai avec mes petits moyens.
    Cordialement toujours !

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    • Démontrer quoi ? Je ne vois pas en quoi ce que tu avances dédouane Françoise Dolto de ses pro­pos pour le moins ambi­gus ? Il n’est pas dit dans mon article que F.Dolto eut été pédo­phile, bien sûr que non – si c’est l’ob­jet de ta plai­doi­rie. Mais on peut, et on doit il me semble, pour le moins s’in­ter­ro­ger sur la confu­sion des pro­pos que je cite. Je com­prends que ce soit « embar­ras­sant » pour des admi­ra­teurs de cette dame et de ses qua­li­tés. C’est bien le cas de sa fille, et on la com­prend, qui avance un argu­ment de défense (peu rece­vable) autour de l”  »incons­cient » ; ou du Québec comme tu le dis. Ce que je pense avoir mis en avant en ce qui concerne ces affaires de pédo­phi­lie trop long­temps admises, c’est une res­pon­sa­bi­li­té tacite, dif­fuse, voire une com­pli­ci­té objec­tive, que je fais remon­ter à 68 (dont je n’ex­clus pas Sexpol, ni donc moi-même), liée à la grande confu­sion morale, éthique, intel­lec­tuelle, média­tique, etc.

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      • bosquart

        Cher Gérard,
        Je n’ai pas dit non plus que tu l’ac­cu­sais d’être « pédo­phile » ; je regret­tais sim­ple­ment que tu l’aies « asso­ciée » à tout cela de manière erro­née, au sens où les mots, les phrases, les para­graphes sont affreu­se­ment « sor­tis de leur contexte » et qu’il est très facile alors de leur faire dire N’IMPORTE QUOI !
        Je n’ai jamais été par­ti­san du lyn­chage en règle contre quel­qu’un qui n’est même plus pré­sente pour argu­men­ter son point de vue, voire admettre des erreurs fac­tuelles sur le fond comme sur la forme de ses dires.
        Je n’ai pas pu me pro­cu­rer le livre dont la plu­part des extraits sont sor­tis ; il n’est pas dans le cata­logue des nom­breux livres de Dolto à l” Université de Lettres et sciences Humaines de Lille. C’est déjà un aveu que son inté­rêt ou sa scien­ti­fi­ci­té ne devait pas être « impor­tant » ou  » décisif ».
        Par contre ce que j’ai trou­vé sur le net, c’est une vidéo ( dont je sup­pose que tu t’es ser­vie) qui reprend exac­te­ment les mêmes extraits pour évi­dem­ment la dis­cré­di­ter, mais sur­tout dis­cré­di­ter «  l’es­prit 68 », dis­cré­di­ter cette période his­to­rique. Et par qui cette vidéo est-elle pro­mue ? évi­dem­ment par un site d’ul­tra-droite réac­tion­naire au pos­sible, qui se fait une vir­gi­ni­té de pour­fendre tous ces gau­chistes, ces fau­teurs de troubles de 68 !
        Et là, je dis :  » Attention » aux amal­games et aux règle­ments de compte à bon compte.
        Je te pro­mets d’y reve­nir encore ! ( et sur quelques autres points qui m’ef­fa­rouchent encore)
        Cordialement.

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        • bosquart

          Quelques com­men­taires d’un lec­teur de Médiapart sous le pseu­do  » gue­rir­du­sot » qui m’ont paru tran­cher avec une majo­ri­té de com­men­taires très conve­nus, très peu ques­tion­nants finalement :
          Guerirdusot 12/​2/​2020

          Bon. Puisqu’on va faire le pro­cès de Matzneff – mais pas celui de Brigitte Macron, la pro­fes­seure de son futur époux), – il convient de faire un immense pro­cès public élar­gi  où tous les écri­vains, jour­na­listes, hommes et femmes poli­tiques de l’é­poque, d’a­vant, d’a­près, du futur, en France, à l’Étranger, sur Terre, sous Terre, dans la Galaxie, seront scru­tés pour éta­blir leur degré de com­plai­sance (pas­sée, actuelle, pos­si­ble­ment future) avec cette Sorcière pédo­phile à brû­ler sous un mode ou sous un autre : pri­son, mort sociale, com­bus­tion (mais pas au char­bon : soyons éco­lo­gistes et on retrai­te­ra les cendres). Que les croyants somment le Créateur de don­ner quelque expli­ca­tion sur ce qu’Il a lais­sé faire. Que cha­cun scrute ses pen­sées d’a­lors et ses dési­rs pour exa­mi­ner s’ils n’é­taient pas cou­pables quelque peu. Que chaque demoi­selle consi­dère s’il ne lui est pas arri­vé de dési­rer un plus de 16 ans. Que Matzneff rem­bourse tout l’argent qui lui a été don­né. Que l’on éva­lue celui qu’ont pu rap­por­ter ses appa­ri­tions télé­vi­suelles ou autres et qu’il soit don­né à ses vic­times (que l’on doit cher­cher, pour ne pas dire tra­quer, puis­qu’une seule à ce jour s’est décla­rée) ou à des asso­cia­tions de bien­séance. Que les jour­naux com­plices comme Libération ferment, aucune excuse ou expli­ca­tion contex­tua­li­sante ne devant être reçue (le Monstre ne pour­rait-il pas s’en ser­vir avec la per­ver­si­té qu’on lui connaît – et qui résume tout son être dia­bo­lique ?). Que soient expur­gés tous les articles ou textes qu’il a pu don­ner : des biblio­thèques, des archives, etc. Que, le jour de son exé­cu­tion (sous la forme vou­lue), on célèbre le recou­vre­ment des bonnes moeurs avec érec­tion – si j’ose dire – d’une stèle en faveur des homosexuel(les), des trans­genres+++ et autres pra­ti­ciens d’une sexua­li­té digne et saine, pères ou mères de beaux enfants blonds (ou moins blonds). Plus de mal­heurs de la Vertu, comme disait le divin mar­quis (de Sade), que cette ver­tu soit enfin heu­reuse dans la République !
          12/​02/​2020 23:45 
          PAR GUÉRIRDUSOT EN RÉPONSE AU COMMENTAIRE DE ALLISON SOUANEF LE 12/​02/​2020 23:05
          Je ne jus­ti­fie en rien ces igno­mi­nies pédo­philes avec des enfants contraints par la pau­vre­té et la vio­lence à s’a­don­ner à ce qui relève en effet, c’est bien évident, des tri­bu­naux et de l’op­probre publique. Et je pense comme vous, que l’Art (avec un tré­mo­lo dans la voix) aurait beau jeu et qu’un écri­vain n’est pas  sacré (comme le pense un Philippe Sollers) et au-des­sus des lois. Maintenant, je suis un peu plus cir­cons­pect pour ce qui est de ses amours – du moins s’i­ma­gine-t-il avan­ta­geu­se­ment que c’en était : peut-être oui, peut-être non – avec des ado­les­centes. 14 ans, ce n’est pas 8 ans et ce n’é­tait pas dans le même contexte social de pau­vre­té et de vio­lence. Cela me paraît donc être dif­fé­rent même si le « consen­te­ment » qu’elles pou­vaient don­ner était en réa­li­té un faux consen­te­ment (mais toutes ne se sont pas pro­non­cées à ce sujet, seule­ment une seule, qui a peut-être expri­mé ce que toutes ont vécu), comme l’a­na­lyse très bien le livre. Il reste que tout existe dans le monde et il est des pas­sions bizarres qui ne relèvent pas for­cé­ment du viol. D’ailleurs le sexe est fon­da­men­ta­le­ment étrange et erra­tique. En revanche, ce qui est aus­si cho­quant, ce sont les flots de haine et ce carac­tère sys­té­ma­tique, sans nuance aucune, sans réserve, et, qui plus est, par­fois, l’o­pé­ra­tion aus­si ridi­cule que comique consis­tant à incri­mi­ner les idées qu’on lui prête à cause de ses moeurs. Je crois pres­sen­tir ces logiques de haine des foules qui brû­laient les sor­cières et assis­taient aux tor­tures et exé­cu­tions publiques… au nom du bien et de la ver­tu. On voit bien que le poten­tiel est là et que la civi­li­sa­tion ne s’en est pas débar­ras­sée. Ce genre de déchaî­ne­ment est mal­sain et on ne fait pas socié­té avec cela. A ce compte-là, qu’on retire aus­si Sade et mille autres livres ou films des ventes. C’est tout.
          13/​02/​2020 08:41 
          PAR GUÉRIRDUSOT EN RÉPONSE AU COMMENTAIRE DE BARBICAN LE 13/​02/​2020 08:01
          « … même si pour vous les jeunes filles ne servent qu’à ça : à être vio­lée par des types qui ne jouissent que par le pou­voir qu’ils exercent sur elles. »
          C’est exac­te­ment ce que j’ai dit : vous êtes d’une hon­nê­te­té scru­pu­leuse, qui vous honore, en syn­thé­ti­sant brillam­ment mes pro­pos. (Et en ce cas, je suis digne du bûcher… à réser­ver doré­na­vant aux hommes.) Et, bien sûr, le viol et la sou­mis­sion à des « types » est exac­te­ment ce que j’au­rais sou­hai­té à ma mère, à ma grand-mère, à ma fille, à ma cou­sine et à toute jeune fille que je croise dans la rue, c’est bien évident ! (Voici ma manière à moi de tra­duire vos pro­pos en les géné­ra­li­sant : voyez comme c’est agréable !)
          Bravo donc ! vous avez tout com­pris. La grande véri­té qu’on nous cachait, c’est que tous les hommes sont des vio­leurs et que jamais, au grand jamais, nulle part, en aucune contrée, ain­si que n’en témoignent pas la lit­té­ra­ture et les faits divers, une ado­les­cente (ou un ado­les­cent : il en est qui est deve­nu célèbre) n’a rêvé d’un(e) adulte ni ne l’a entrepris(e). Non, cela ne peut pas exis­ter. Freud s’est trom­pé : la véri­té c’est la « loi natu­relle » pro­mue par l’é­glise qui affirme que la pudeur est le carac­tère intrin­sèque des jeunes filles (et des jeunes gar­çons) et que tout désir contraire est péché, com­mis sous l’i­gnoble ins­pi­ra­tion des démons (alias les « types »). Qu’on nous rende le péché d’im­pu­deur ! Nous avons été par trop laxistes ! Ce n’est qu’à 15 ans, 0 minute, 0 seconde que la sexua­li­té vient à exis­ter. Et alors… pour­quoi ne pas chan­ger de sexe ?!
           
          14/​02/​2020 08:53 
          PAR GUÉRIRDUSOT EN RÉPONSE AU COMMENTAIRE DE BABETTE GRIVINCI LE 13/​02/​2020 19:29
          Je m’ef­force, figu­rez-vous, de gué­rir le « sot » qui veille ou qui est actif en moi comme, je le pré­sume pour me conso­ler, en cha­cun. J’ai beau­coup dit de sot­tises dans ma vie et j’es­père en un sens en dire beau­coup encore, ce qui attes­te­rait qu’elle sera longue…
          « Guérir du Sot » était une maxime de ceux que René Pintard a appe­lé les « liber­tins éru­dits », esprits forts de leur époque (le pre­mier XVIIe siècle) que le Père Garasse, un jésuite fana­tique, vouait à l’Enfer (il a failli avoir la peau de Théophile de Viau). Ces liber­tins, donc, aspi­raient à se débar­ras­ser de toutes sortes de super­sti­tions : celles d’un peuple qu’ils crai­gnaient (parce que sous l’in­fluence des dévots) et consi­dé­raient de haut, assez vani­teu­se­ment pour tout dire.
          Ce n’est pas mon cas. « Et moi aus­si je suis le Sot, ai-je dit avec le poète ». Donc, je peux dire beau­coup de bêtises et sou­hai­te­rais en dire moins.
          Maintenant, pour le cas qui nous occupe, je trouve qu’il y a de la sot­tise, par exemple, à « déduire » du fait que G. M. aime « les moins de 16 ans » qu’il est mau­vais écri­vain (autre « preuve » avan­cée : il ne vend pas beau­coup !). Et je trouve qu’il y a de la bêtise à nier qu’une nym­phette puisse être atti­rée par un adulte (et réci­pro­que­ment), contre toute évi­dence, tout ceci rele­vant des « choses humaines », mar­gi­nales, certes, mais réelles. Et je trouve enfin qu’il y a de la méchan­ce­té à crier à ce point « haro sur le bau­det », et de la lâche­té à suivre le cou­rant de l” « indi­gna­tion » pas­sion­nelle (par­fois sin­cère, par­fois auto-entre­te­nue) du moment. Car je ne doute pas un ins­tant que la plu­part de ceux qui vitu­pèrent contre G. M. auraient, à son époque, par pro­gres­sisme, et au nom d’une morale (maté­ria­liste) supé­rieure, certes pas jus­ti­fié l’in­jus­ti­fiable (l’u­sage d’en­fants de 8 ans), mais ces amours que tant de bons écri­vains et phi­lo­sophes avaient alors défen­dus. Faut-il être sot pour ne pas s’a­per­ce­voir de cela…
          Autre sot­tise de ma part : ce qu’il aurait fal­lu à G.M., c’est de se faire cas­ser la figure par un père pour l’empêcher de recom­men­cer. Et je crois que l’é­cri­vaine cana­dienne de la fameuse émis­sion d’Apostrophes  a dit ce qu’il fal­lait : quand on a ce genre de dési­rs, et quand on est un adulte, on se contrôle et, comme dirait Freud, on renonce, car il ne peut pas y avoir de vrai consen­te­ment, de la part de ladite nym­phette, quant bien même elle se lais­se­rait faire voire entreprendrait.
          Là-des­sus : fin de par­tie de ma part.
          Autre point à pro­pos de F. Dolto, j’y reviens à nou­veau pour Gérard :
          au moins lire le fameux § page 267 de La cause des ado­les­cents à l’in­té­rieur de tout le cha­pitre : Les droits et les devoirs pages 243 à 275, soit 30 pages . Ca donne une tout autre idée du § incri­mi­né de la page 267 !
          Quant aux § tirés de « l’en­fant, le juge, la psy­cha­na­lyste », j’en remets le com­men­taire à plus tard pour une pro­chaine chronique.
          Merci !

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  • Marion

    Bravo pour cette ana­lyse remar­quable ! Ce qui me sidère,dans la vidéo d’Apostrophes avec Matzneff en vedette c’est de voir les­dites bonnes femmes, oui c’en est!, rica­ner comme des connes alors qu’il vient de les insul­ter en les trai­tant d’hys­té­riques « après 25 ans », lui le per­vers de moins de 16 ! De ce point de vue au moins on peut dire que les temps ont changé !

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  • Hélène

    Oui, j’a­vais vu ces nomi­na­tions de Bruckner au Goncourt. l est bien épin­glé sur votre blog (Le Nouveau Désordre amou­reux (en col­la­bo­ra­tion avec Alain Finkielkraut), Seuil, 1977), de même que F Mitterrand, chas­seur de minets, désor­mais aca­dé­mi­cien des beaux-arts…… Ils sont dans de beaux draps les acacadédémiciens !

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  • … » Mais peut-on encore dénier à quel point l’« inter­dit d’interdire » aura pu rava­ger des pans de l’édifice socié­tal, en par­ti­cu­lier dans les rela­tions parents-enfants, enfants-ensei­gnants – et entre les citoyens et la cité ? « …

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  • DECARSIN

    Un fin tra­vail d’in­ves­ti­ga­tion, où l’au­to­cri­tique rejoint et nour­rit la critique.
    Au terme de la lec­ture, on ne peut que s’in­ter­ro­ger sur le sens de la trans­gres­sion, de l’acte trans­gres­sif quel qu’il soit, de nature sexuelle ou pas.
    A mon sens, la trans­gres­sion n’a de valeur que si elle est vécue comme inhé­rente à la res­pon­sa­bi­li­té, un pro­ces­sus qui n’en­gage que soi et même qui est vécu comme une fata­li­té (« je trans­gresse, mais ô com­bien j’ai­me­rais ne pas avoir à le faire).
    Or les hor­reurs qui sont rap­pe­lées ici décrivent très exac­te­ment le pro­ces­sus inverse : on trans­gresse mais
    – seul un autre que soi paie les frais de la trans­gres­sion (qui plus est, tant qu’à faire, une per­sonne dont la per­son­na­li­té est en construc­tion et dont le consen­te­ment est par consé­quent plus que relatif) ;
    – on jus­ti­fie sa trans­gres­sion au nom d’un prin­cipe éthique (la liber­té) mais qui n’est en réa­li­té que la marque d’un indi­vi­dua­lisme abso­lu, lequel dis­sout de fac­to le prin­cipe de res­pon­sa­bi­li­té et consacre en revanche le cynisme et la loi du plus fort, prin­cipes fon­da­teurs du libé­ra­lisme éco­no­mique et du consu­mé­risme (l’ar­ticle le sou­ligne bien) : la liber­té en ques­tion n’est autre que celle du renard libre dans le pou­lailler libre ;
    – on met sa trans­gres­sion en spec­tacle (les milieux lit­té­raires bran­chouilles, l’entre soi…) non seule­ment parce que l’on est soi-même trop lâche pour assu­mer seul sa trans­gres­sion mais aus­si, tant qu’à faire, pour en reti­rer de la bonne conscience, de la glo­riole et du pognon.
    – « l’ob­jet » de la trans­gres­sion – c’est le cas de le dire – c’est le corps : corps-objet, corps-mar­chan­dise, car la trans­gres­sion du pré­da­teur-fan­fa­ron sexuel par­ti­cipe de la vali­da­tion d’un maté­ria­lisme étri­qué et mortifère.
    — — -
    Dans ces condi­tions, la trans­gres­sion van­tée par les pseu­do-intel­lec­tuels d’hier et d’en­core aujourd’­hui relève d’une pos­ture ultra confor­miste et de la bien-pen­sance pur jus. Pour preuves mani­festes : le silence qui, pen­dant des années, a ser­vi de cau­tion à ces tristes épi­sodes ain­si que la volon­té de leurs auteurs de récla­mer la léga­li­sa­tion de leurs agis­se­ments, leur béné­dic­tion par l’État.

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