Afrique(s)Développement

À quoi servent les humanitaires ?

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L’assassinat récent au Niger par des islamistes de six jeunes humanitaires français et leur deux accompagnateurs locaux a provoqué indignation et émotion jusqu’au sommet de l’État. Pour autant, comment ne pas s’interroger sur le rôle profond de cette forme d’aide ? Ne s’agit-il pas plutôt d’un assistanat qui ne dit pas son nom, qui colporte des représentations fantasmatiques et, créant ainsi de nouvelles dépendances, retarde d’autant une véritable démarche vers l’autonomie des peuples ? En déléguant aux ONG – « organisations non gouvernementales », qu’ils financent en partie… – leur ancienne mission de « coopération », les gouvernements des ex-puissances colonisatrices, et néanmoins toujours capitalistes, tentent ainsi de se refaire une sorte de virginité. Il n’est dont pas étonnant, sous cet angle, que les associations humanitaires soient empreintes d’un mélange de caritatif et de bonne conscience. Cela conduit-il à un développement réel, qui en finirait avec les flux migratoires ? Justement pas ! D’où une certaine incompréhension dans les opinions des pays riches et leurs dérives politiques. D’où quelques questionnements. [GP]

 

 Par Gian Laurens 

[dropcap]Mais[/dropcap] à quoi conduit l’action humanitaire ? À prolonger des existences qui, sans elle, seraient écourtées, quand elles n’auraient même pas vu le jour. À déréguler un système qui, sans elle, se perpétuerait sous forme d’un équilibre que l’on peut trouver terrible en Occident, mais qui permettait d’éviter bien des problèmes liés à la surpopulation. Un système qu’on peut estimer cruel mais qui a été celui de l’Europe, de l’Antiquité jusqu’au Moyen Âge, sans empêcher que ce continent poursuive son histoire. Un système d’essence darwinienne qui avait été jusque-là, et pas seulementen Europe, un fait naturel qu’on peut appeler stabilisation démographique.

L’humanitarisme engendre aussi des phénomènes culturels majeurs, dont celui-ci, qui est redoutable : la prise de conscience confuse, chez les assistés, qu’ils sont incapables de s’en sortir tous seuls, que leurs conditions lamentables ne peuvent être réformées que de l’extérieur, et ce par des gens venus de loin qui disposent de capacités, y compris intellectuelles, qui leur sont inaccessibles. Et il leur est parfois difficile de montrer alors beaucoup de reconnaissance, non pas par ingratitude, mais parce qu’il est humiliant de se voir en pauvres face à des riches dont les ascendants vous ont colonisés ; parce qu’il est devenu normal d’être assisté et de devoir dire merci, comme de remercier pour l’air qu’on respire…

Les humanitaires sont largement soutenus par leurs gouvernements respectifs, qui en font les porte-parole des valeurs occidentales les plus « nobles », d’origine judéo-chrétienne : la charité, la fraternité, la solidarité.

Une aide venue du ciel. [Ph. Acted]
Mais au-delà de ces valeurs à la Schweitzer, il y a aussi, bien évidemment, la prolongation de la colonisation économique par d’autres moyens. En secourant charitablement des populations miséreuses, on les rend forcément dépendantes d’un système économique et technique, à une échelle certes réduite mais qui en garde l’essence idéologique capitaliste (c’est d’abord en priorité leurs gouvernants fantoches que l’on rend dépendants). Et grâce à la bonne face de Janus qu’est l’humanitarisme, on se paye aussi sur la bête, en lui soutirant ses richesses naturelles et minières qu’elle n’a pas les moyens d’exploiter de manière autonome, ni même de reconnaître à leurs justes valeurs.

Cela dit, les décalages culturels persistent longuement. Pour ne prendre qu’un exemple, souvent les équipements flambants neufs fournis par une ONG au fond de la brousse ne fonctionnent qu’un temps bien limité, les mésusages, détournements et sabotages en ayant prématurément raison, la maintenance faisant par ailleurs le plus souvent défaut. Et on l’a dit, les gouvernements des pays où se trouvent ces populations secourues par les humanitaires participent allègrement à ce système grâce à la corruption.

Le plus souvent généreux et sensibles, les humanitaires peuvent aussi être incohérents : s’agissant des migrants, notamment, ils en restent à leurs premiers élans spontanés et, par leurs inconséquences, arrivent à dresser une bonne partie de l’opinion publique contre eux et leur cause. Quand ils vont chercher ou accueillent des migrants économiques fuyant le plus souvent une Afrique miséreuse pour une Europe fantasmée, ils se bornent à leur faire passer la frontière, les abandonnant à des issues hasardeuses et les confirmant ainsi dans leurs statuts d’irréguliers. Rares sont ces bons Samaritains à poursuivre leur action de manière cohérente, en accueillant chez eux ceux qu’ils estiment avoir sauvés et en les accompagnant aussi longtemps qu’il faudrait pour qu’ils puissent soit s’intégrer – mais à l’impossible nul n’est tenu – soit se réconforter le temps de pouvoir retourner au pays et contribuer à son développement.

L’enfer étant souvent pavé des meilleures intentions, ces bonnes âmes ne se rendent-elles pas coupables de faire monter le ressentiment, voire le racisme, dans une bonne partie de la population ? Laquelle accepte que de plus en plus mal l’afflux migratoire illégal et incontrôlable et ses conséquences socio-économiques : hausse des impôts, aggravation de la précarité des plus démunis, nuisances et insécurité de voisinage. Autant d’obstacles à une intégration socioculturelle acceptable, ou à un retour constructif au pays d’origine – ce dont les humanitaires ne semblent guère se soucier.

GL

 

De la coopération à l’émigration, par Bernard Nantet
[dropcap]À l’époque[/dropcap] de la Coopération (en gros, la première décennie de l’indépendance), il s’agissait d’assistance/coopération technique destinée à la prise en main par les pays indépendants des infrastructures en place, et pour en appréhender de nouvelles. C’était évidemment, comme son nom l’indique (coopération), en échange d’un marché préférentiel lié au franc CFA et d’un maintien dans une même politique internationale. L’alternative, en cette époque de guerre froide, était le tissage de liens “égalitaires” avec l’autre bloc (les “pays frères”) sous le couvert d’une politique “neutraliste” qui furent loin d’être la vitrine espérée. L’effondrement de la Guinée de Sékou Touré (qui avait fait ce choix) face au développement de la Côte-d’Ivoire fut flagrant.
Si cette politique de coopération permettait à des groupes privés d’en bénéficier, la structure administrative coûtait cher à l’ancienne métropole. Des associations au fonctionnement moins onéreux (absence de statut d’un service public), mais toujours financés par l’Etat, virent le jour (éducation, agriculture, sanitaire, etc). Leur évolution par un désengagement de l’Etat toujours plus important par des appels au privé diminution d’impôts pour les donateurs ) aboutit à l’apparition d’organisations importantes dites Organisation non gouvernementales (ONG).
La guerre du Biafra (1970) marquée par la création de Médecins sans frontières (1971) en fut un des prémices. Alors que l’Afrique précédente des années 1960 avait été marquée par des images d’une Afrique indépendante marchant vers le développement, la guerre du Biafra nous envoyait de images d’enfants squelettiques sauvés par d’intrépides médecins occidentaux. L’appel à la charité la plus élémentaire était désormais lancée et ne fera que s’accentuer. Avec lui le nouveau terme d’”humanitaire” renvoyait celui de “coopérant” apprenant le maniement d’une machine agricole à une imagerie désuète.
Alors qu’une envolée démographique commençait à se faire sentir, la grande sécheresse au Sahel des années 1970 révéla les failles écologiques du continent. L’attractivité des villes (emplois, enseignement, hôpitaux) entraîna un exode rural qui ne désertifia pas les campagnes sans changer la condition paysanne pour autant. Depuis cette époque, les Etats n’arrivent plus à courir après les besoins d’une jeunesse toujours plus nombreuse et toujours plus coûteuse en éducation et ne rechignent pas devant l’exil de leurs jeunes diplômés sans emplois, les offrant ainsi gracieusement, éducation comprise et chèrement payée, à la charité humanitaire des pays développés et aux politiques d’ajustement salarial de leurs entreprises.

 

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Une réflexion sur “À quoi servent les humanitaires ?

  • Binoit

    A l’époque de la Coopération (en gros, la première décennie de l’indépendance), il s’agissait d’assistance/coopération technique destinée à la prise en main par les pays indépendants des infrastructures en place, et pour en appréhender de nouvelles. C’était évidemment, comme son nom l’indique (coopération), en échange d’un marché préférentiel lié au franc CFA et d’un maintien dans une même politique internationale. L’alternative, en cette époque de guerre froide, était le tissage de liens “égalitaires” avec l’autre bloc (les “pays frères”) sous le couvert d’une politique “neutraliste” qui furent loin d’être la vitrine espérée. L’effondrement de la Guinée de Sékou Touré (qui avait fait ce choix) face au développement de la Côte-d’Ivoire fut flagrant.
    Si cette politique de coopération permettait à des groupes privés d’en bénéficier, la structure administrative coûtait cher à l’ancienne métropole. Des associations au fonctionnement moins onéreux (absence de statut d’un service public), mais toujours financés par l’Etat, virent le jour (éducation, agriculture, sanitaire, etc). Leur évolution par un désengagement de l’Etat toujours plus important par des appels au privé diminution d’impôts pour les donateurs ) aboutit à l’apparition d’organisations importantes dites Organisation non gouvernementales (ONG).
    La guerre du Biafra (1970) marquée par la création de Médecins sans frontières (1971) en fut un des prémices. Alors que l’Afrique précédente des années 1960 avait été marquée par des images d’une Afrique indépendante marchant vers le développement, la guerre du Biafra nous envoyait de images d’enfants squelettiques sauvés par d’intrépides médecins occidentaux. L’appel à la charité la plus élémentaire était désormais lancée et ne fera que s’accentuer. Avec lui le nouveau terme d'”humanitaire” renvoyait celui de “coopérant” apprenant le maniement d’une machine agricole à une imagerie désuète.
    Alors qu’une envolée démographique commençait à se faire sentir, la grande sécheresse au Sahel des années 1970 révéla les failles écologiques du continent. L’attractivité des villes (emplois, enseignement, hôpitaux) entraîna un exode rural qui ne désertifia pas les campagnes sans changer la condition paysanne pour autant. Depuis cette époque, les Etats n’arrivent plus à courir après les besoins d’une jeunesse toujours plus nombreuse et toujours plus coûteuse en éducation et ne rechignent pas devant l’exil de leurs jeunes diplômés sans emplois, les offrant ainsi gracieusement, éducation comprise et chèrement payée, à la charité humanitaire des pays développés et aux politiques d’ajustement salarial de leurs entreprises.

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