Mon Œil

2/​3 – Croire les choses parce qu’on veut qu’elles soient et non parce qu’elles sont

Entretien de John MacGregor avec Gérard Ponthieu (2/3)

Cet entretien, le deuxième, figure en préface des trois tomes publiés sous forme de livres fin 2021, rassemblant une sélection d'articles parus sur « C’est pour dire » de 2005 à 2021. Ces trois volumes, de plus de 300 pages, sont toujours disponibles à la vente (voir dans la colonne de droite), comme une résistance matérielle à la fragile virtualité de la Toile. La publication ici de mes entretiens avec John MacGregor constitue une manière de réaffirmer mes positions personnelles dans le débat actuel marqué par le désarroi politique. GP

John MacGregor, chercheur-enseignant à Cambridge au fameux MIT (Massachusetts institute of technology), est un familier de la France, de ses médias et, plus généralement, de sa culture. Proche de l’auteur, il poursuit l’entretien entamé avec lui en préface du tome 1 de ce « Tour d’un monde ».

● John MacGregor : Depuis notre dernier entretien, le premier tome de ce Tour d’un monde est paru, et de l’eau a continué de couler sous nos ponts… comme aurait dit Héraclite… On va parler de ce tome 2, mais j’en reviens au précédent et à tes « Hommages », ces « chers disparus » tant honorés par les médias, les politiques, le peuple…

– Gérard Ponthieu : Tu penses à la mort de Jean-Paul Belmondo, déjà évoquée dans mon premier tome, et à celle plus récente de Bernard Tapie. Alors, pourquoi pas Tapie aux Invalides ? Y aurait-il donc des règles non écrites dans l’usage de ces lieux honorifiques ? Certainement, s’agissant d’opportunisme politique, voire populiste, au sens de démagogique. L’enjeu électoral ne peut éviter d’entacher tout discours politicien. Tous les postulants au Pouvoir s’y adonnent.

Concernant Tapie, comment qualifier la débauche médiatique que sa mort a provoquée ? Pas moins de trente minutes hagiographiques au « 20 heures » de France 2  ! Puis, jusqu’aux obsèques, une dégoulinade de témoignages choisis, d’« anecdotes », de «  bonnes répliques  », etc. Enfin, le délire du petit peuple idolâtre, de supporters de l’OM en larmes, au bord de l’hystérie… Que d’indulgence aveugle pour cet affairiste avide d’enrichissement, faussaire, bonimenteur, flagorneur, narcissique de haut-vol, escroc devant le fisc. Son histoire de match de foot truqué a certes été évoquée, de même l’affaire du Crédit lyonnais, son séjour en prison aussi, mais rien – du moins dans les médias dominants – sur sa brutalité à l’égard des salariés qu’il virait par dizaines sans ménagement ni regrets quand il prétendait « redresser » une boîte – rachetée au franc symbolique –, histoire de spéculer sur sa rentabilité et de la revendre au plus haut prix, car tel était son but avoué : amasser une fortune et se goinfrer ! Mais l’image du voyou à bonne gueule plaît beaucoup autant aux médias qu’à leurs clients.

● Comme vous dites en français, « ça va mieux en le disant ! » – It's better to say it ! Je ne voudrais pas te relancer sur une de tes marottes, mais nous baignons là dans l’analyse debordienne du Spectacle et de la séparation – le vrai est un moment du faux ; l’accumulation du spectacle comme celle de la marchandise, etc. Passons…

– Encore une chose, j’ai retrouvé il n’y a pas longtemps une correspondance de 1992 entre Debord et l’écrivaine Annie Le Brun, où il écrit : « Il serait fort injuste de reprocher à Tapie d’être un homme riche, et aussi injuste de lui reprocher de ne pas être un homme riche : c’est un escroc dont les affaires sont de la cavalerie médiatique, comme l’essentiel de celles de son temps. » Rien à ajouter.

● Tu abordes dans ce tome 2 la question de l’islam / isme, en deux mots distincts afin, comme tu l’as expliqué lors de notre premier entretien, de montrer le gouffre qui sépare une religion, en tant que système séculier de croyances, de l’idéologie qui peut en découler, en l’occurence cet islamisme qui bouleverse complètement l’ordre du monde – ou son désordre, plutôt. De nos jours, en Occident et spécialement en Europe, la question de l’islamisation, liée à l’immigration, a pris une place considérable, notamment  en France. Quelle en est ton analyse ?

– En offrant une vision d’ensemble de mon blog, ce recueil permet de prendre du recul et, si possible, de la hauteur sur les sujets abordés. On voit ainsi comment la question de l’islamisation de nos sociétés est un phénomène progressif qui s’accélère très vite. Entre mes premiers articles de blog de 2005 et aujourd'hui, on va d’échauffourées de lycéens des banlieues « anti-blancs » aux attentats de 2015 en France, aux agressions de Cologne en 2016, à l’assassinat de Samuel Paty en 2020, et maintenant à la prise de Kaboul par les talibans, qui ne peut être sans conséquences en Europe. 

En même temps, parallèlement en quelque sorte, les arrivées d’immigrés ont augmenté, alimentant de nombreux reportages et envahissant  le débat politique, surtout à l’approche des présidentielles en France – Éric Zemmour n’y étant pas pour rien, reliant les deux phénomènes, les rendant visibles – et dicibles – aux yeux d’une partie grandissante des Français. C’est ainsi qu’ont surgi entre ces deux phénomènes les questions relatives à la culture judéo-chrétienne, à la civilisation occidentale, à ses modes de vie, à la laïcité, ainsi qu’à la pression démographique, objet d’un déni entretenu notamment par des démographes aggripés à leurs données statistiques et aveugles  aux réalités vécues. Tandis qu’on voit l’embarras de la « classe politique » – droite et gauche confondus, c’est le cas de le dire, dans cette confusion à base de ce déni qui leur saute désormais à la figure.

● Ce tome 2 rassemble des thèmes sans rapports directs entre eux…

– Oui, comme pour l’ensemble des trois tomes dans lesquels l’ordre alphabétique a prévalu, c’était le plus simple, en plus des contraintes techniques liées à l’édition. Mais, s’il y a une cohérence entre tous ces sujets, c’est celle de mes propres questionnements qui ont couru sur pas mal d’années de journalisme, de blog et aussi de  « citoyen normal » s'interrogeant sur l’état du monde et le cours de sa vie…

● Je vois bien, nous en avons souvent parlé, à quel point tes voyages en Afrique, notamment, ont pu forger ton regard sur le monde, la vie… De même pour Cuba…

– L’Afrique demeure pour moi – je suis pas le seul ! – un grand point d’interrogation. Dans le premier tome je demandais « Pourquoi tant d’injustice et de misère en Afrique ? » Les « décoloniaux », eux, ont LA réponse : c’est de la faute aux colonisateurs et esclavagistes et, bien sûr de notre faute, « nous » leurs descendants lointains ! À quoi bon interroger l’Histoire, questionner les responsabilités dès lors qu’on a trouvé le coupable idéal, condamné d’emblée, désigné comme le « Blanc » fautif absolu et désigné à la vindicte.

Concernant Cuba, c’est une autre affaire, bien que relevant aussi des attitudes de déni idéologique. Comment un régime aussi répressif peut-il continuer à miroiter dans le regard aveuglé d’admirateurs inconditionnels ? Ça relève du « grand dérèglement de l’esprit » évoqué par Bossuet, que je cite souvent : croire les choses parce qu’on veut qu’elles soient, et non par ce qu’elles sont. Le castrisme a exactement exploité ce trouble de la vision, son « lider maximo » étant un maître de l’illusionisme – où l’on rejoint encore la notion du spectacle selon les situationnistes. Une grande partie de la gauche s’est pâmée devant la mise en scène castriste et son exotisme tropical. D’autant qu’elle alimentait aussi un anti-américanisme de base et son fond idéologique plus ou moins marxisant. Un demi-siècle de « revolución » et de faillite économique et sociale était mis sur le seul dos du méchant voisin, idem pour la responsabilité coupable des méchants colonisateurs, un demi-siècle après les indépendances ! Ainsi, quand Politis a publié mon reportage – tout à l’honneur du journal –, j’ai été traité d’agent de la CIA !

● Côté « Culture », les choses sont moins inattendues. Tu y exposes tes choix d’auteurs, de films et autres. Avec cette image étonnante autant que significative, extraite du film The Square qui porte sur une criique acerbe de l’art dit « contemporain ». Un choix significatif…

– Oui, j’ai hésité avec une photo de Jacques Tati, ou plutôt de Monsieur Hulot comme en miroir devant une sculpture tout aussi « contemporaine ». Il est là, les poings sur les hanches, se demandant si c’est « du l’art …  ou du cochon », pour reprendre un cliché facile. N’empêche, il pose la question de cette forme de modernité qui, voulant se démarquer du figuratif, tombe dans la caricature. La photo de ce film norvégien montre une installation, selon la mode « contemporaine », ici des tas de terre posés à même le sol, dans une salle vide éclairée par un néon blafard formant trois mots en capitales : « you have nothing ».  Ça doit être le « concept » artistique, en fait un propos nihiliste résumant le vide prétentieux. Le plus drôle dans la photo c’est la présence dubitative de la gardienne de l’œuvre et des deux types passant leur tête à l’entrée de la salle, aussi sceptiques que méfiants, renvoyés à leur ignorance de spectateurs impénétrables à l’Art, avec une majuscule. Ça me rappelle Godard interpellé après une projection d’un de ses films par un type disant qu’il n’avait pas compris. À quoi le cinéaste répondit : « Ce n’est pas fait pour que vous compreniez ». Circulez manants !

● Finalement, au chapitre « Culture », tu as ajouté le jazz à tes choix, ce n’était pas prévu…

– Non, car j’avais une surabondance d’articles (dont mes chroniques dans Citizen Jazz) sur des musiciens considérables  et donc des choix cornéliens à opérer… J’ai quand même tranché : Richard Galliano, Charlie Haden, Joëlle Léandre, Martial Solal, Mimi Perrin, Daniel Humair ont été chargés ici, sans qu’ils aient eu à donner leur accord…, de représenter la planète jazz dans l’univers Musique où j’aime voyager en général.

● Pour la pandémie du Covid, tu as repris la chronique au jour le jour publiée sur ton blog, avec de nombreuses contributions de tes lecteurs, d’où la variétés des témoignages et des points de vue. Il me semble qu’il n’était alors pas encore question de complotisme quant à l’origine de ce que tu appelles « la peste couronnée » ?

– Oui, le confinement, en laissant du temps libre, a déchaîné l’expression, d’autant qu’il y avait à dire sur un événement pareil, aussi imprévu que menaçant. J’ai donc dû faire un sacré tri ! Le complotisme est apparu par la suite, quand la fuite du virus à partir d’un labo chinois n’était plus si incertaine. Dès lors, ça a spéculé de toutes parts et le film Hold Up a ouvert les vannes aux théories les plus vaseuses – «  De la pandémie au pandemonium », comme j’ai alors titré à propos de ce film. 

Rien ne me révulse tant que ce complotisme, qui n’est jamais, il est vrai, que la continuation du fameux « système » cher aux lepenistes. Pour le coup, ledit système trouvait matière à fantasmes, car il était pour ainsi dire identifié, il avait une base « sérieuse ». Les tenants de la manipulation du virus par les « big pharma » et leurs brevets avaient en l’occurence quelques points d’avance, dans la mesure où il est indéniable que les grands labos de l’industrie phamaceutique allaient tirer d’énormes profits de cette peste nouvelle. Ce qui m’épate toujours dans ce genre de spéculations autour du complot, c’est la recherche de la cause unique, comme il en va des décolonialistes, et aussi des néo-féministes pointant le mâle dominant, blanc de préférence, car conforme aux théories racialistes. Bref, tout semble se coaliser autour du Diable soudain ressurgi de ses ténèbres.

● Les médias, le nucléaire et la sexo-politique : on ne manquera pas de biscuits, comme vous aimez dire en français, pour boucler ton tour d’un monde avec C’est pour dire et le tome 3. D’autant que tu nous as réservé un « Et encore…» mystérieux. Dis-nous en plus, histoire de nous allécher…

– Tu serais excellent en com’, et même en commerce ! En fait, c’est une sorte de pêle-mêle, sans chronologie cette fois, où j’ai rassemblé tout ce qui ne cadrait pas tout à fait avec les douze autres sections de ces trois tomes. Avec en surplomb, là encore, la silhouette de Monsieur Hulot sur son Vélosolex, pipe au vent, filant vers on ne sait où… À l’instar de nous-mêmes qui donnons trop souvent l’impression de foncer droit dans le mur… Lui au moins, il va à son train, pénard et confiant, dans une sorte de stoïcisme insouciant, bien que terriblement critique. Jacques Tati a fait de son Monsieur Hulot un personnage emblématique qui, au long de ses films, nous fait passer d’un Jour de fête bucolique à un monde pris dans l’absurde de la modernité (Mon oncle, Playtime). Je le rejoins sur cette dénonciation-annonciation, que nous com-prenons d’autant mieux aujourd’hui – on se demande bien pourquoi…        03/11/21 

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Gerard Ponthieu

Journaliste, écrivain. Retraité mais pas inactif. Blogueur depuis 2004.

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