Mon Œil

3/​3 – Comme un goût de testament

Entretien de John MacGregor avec Gérard Ponthieu (3/3)

Ce troisième entretien, le dernier, figure en préface des trois tomes publiés sous forme de livres fin 2021, rassemblant une sélection d'articles parus sur « C’est pour dire » de 2005 à 2021. Ces trois volumes, de plus de 300 pages, sont toujours disponibles à la vente (voir dans la colonne de droite), comme une résistance matérielle à la fragile virtualité de la Toile. La publication ici de mes entretiens avec John MacGregor constitue une manière de réaffirmer mes positions personnelles dans le débat actuel marqué par le désarroi politique. GP

John MacGregor, chercheur-enseignant à Cambridge au fameux MIT (Massachusetts institute of technology), est un familier de la France, de ses médias et, plus généralement, de sa culture. Proche de l’auteur, il poursuit l’entretien entamé avec lui en préface des tomes 1  et 2 de ce « Tour d’un monde ».

● John MacGregor : Dernier volet de ton triptyque et tes domaines de prédiléction, en tête desquels les médias. Ce thème était donc à l’origine de « C’est pour dire » et c’est même sur ce terrain que nous nous sommes connus, et reconnus. Tu abordes aussi dans ce troisième et dernier tome les questions du nucléaire et de la sexo-politique – liée à la revue Sexpol de la fin des années 70. Cependant, pour démarrer notre échange, je te propose de nous jeter dans l’actualité immédiate et, du coup, de nous projeter dans les incertitudes de l’avenir. Les interrogations de manquent pas à cet égard ! Par quoi commencer ?

– Gérard Ponthieu : Par un coup d’œil sur l’état du monde, pas très brillant. Les dérèglements climatiques traduisent l’incapacité des gouvernants à agir – on vient de le voir avec la piteuse COP-26 de Glascow qui a bel et bien capoté sur la question des émissions de CO2 due à la combustion du charbon, source énergétique incontournable pour l’Inde et la Chine dont les populations cumulent à eux deux près de 3 milliards d’habitants ! c’est-à-dire plus du tiers de la population mondiale actuelle, laquelle devant passer de 7,6 milliards en 2018 à environ 10 milliards en 2050… Ce sont là des données de la Banque mondiale qui, par ailleurs, souligne que le nombre d’habitants en Afrique subsaharienne va doubler d’ici à 2050, pour atteindre 2,2 milliards d’habitants (soit dix fois plus qu’en 1960), tandis que l’accroissement de la population tendra à se tasser dans le reste du monde. Autrement dit, la part du continent africain dans la population mondiale va augmenter aussi, pour s’établir selon les projections à 23 % en 2050, contre 7 % seulement en 1960 et 14 % en 2018. Près d’un habitant sur quatre vivra en Afrique subsaharienne en 2050, alors que cette proportion était de un sur treize en 1960.

● Que peut-on en déduire ?

– Deux choses au moins : premièrement une course en avant énergétique sans précédent et ses conséquences proportionnelles en termes de dérèglements climatiques. Il ne s’agit déjà plus de prétendre « sauver la planète », pour reprendre ce slogan débile à base d’imprécations, mais bien plutôt de sauver l’humanité ! Une gageure, pour ne pas dire une impasse, objet de déni des « puissances » mondiales jetées dans la croissance infinie et suicidaire. On ne voit guère ce qui pourrait arrêter cette « fuite en avant » déguisée en « progrès », rappelant le mot de Sully Prudhomme : « Nous sommes au bord du gouffre, avançons donc avec résolution. »

● C’est ton pessimisme qui parle là…

– Mon réalisme ! Tandis qu’on spécule au demi-degré près sur le réchauffement climatique et ses conséquences catastrophiques, l’Inde et la Chine s’en détournent selon les impératifs de leurs surpopulations, mais aussi, pour la Chine, en raison de son appétit de domination commerciale et politique. Ce nouvel impérialisme bouscule toute la donne géopolitique, affolant l’Europe et plus encore les États-Unis en passe de perdre leur hégémonie mondiale. Il ne s’agit pas seulement de la « route de la soie » et du commerce planétaire, mais aussi de la mainmise sur les ressources naturelles, puisées sur tous les continents, jusqu’au bois de nos forêts. Surtout, la dictature chinoise déploie un armement impressionnant en mer de Chine et dans l’océan Indien, y installe des bases militaires et projette d’annexer Taiwan, au risque d’un conflit mondial. Telle est ma première inquiétude.

● Revenons-en aux conséquences de la surpopulation mondiale. On en était aux conséquences énergétiques…

– La deuxième conséquence de cette surpopulation découle surtout de la démographie africaine et de la pression migratoire sur l’Europe en particulier. Ce phénomène est déjà bien amorcé et s’est imposé dans le débat politique en France, comme on sait, et en Europe avec les tensions aux frontières de la Grèce, de l’Italie et, tout récemment, de la Pologne – tensions orchestrées par le dictateur biélorusse, Poutine n’étant pas loin, semble-t-il, derrière ce chantage à base de migrants amenés du Proche-Orient. Concernant les Africains, au vu des projections démographiques, les vagues d’émigration d’aujourd’hui annoncent possiblement un tsunami dans les décennies prochaines. Non seulement en raison des données économico-politiques, mais aussi à cause de l’attrait exercé par les modes de vie occidentaux.

● Ce qui te conduit, je te vois venir, à une troisième conséquence…

– …les menaces sur les identités culturelles des pays européens. Menaces évidemment aggravées par l’islamisation et ses formes intégristes, telles qu’elles gagnent de plus en plus l’Afrique noire, au-delà du Sahel. D’où, en effet, les menaces liées aux perspectives migratoires.

● Tu ne crains donc pas d’être étiqueté « zemmouriste » , toi « homme de gauche » ?

– Tu m’avais déjà posé ce genre de question à propos de Cuba . Ma réponse est la même : se détourner des idéologies pour considérer le réel. Et cette peur à gauche de paraître à droite explique, à mes yeux, cette fixité idéologique agissant comme un paravent. C’est ainsi qu’« ils » rejettent Zemmour à coups d’anathèmes, en le traitant de « facho haineux, raciste » ou, au mieux, de « polémiste d’extrême droite », manière de s’interdire les sujets qui fâchent. Je reconnais à Zemmour le mérite d’avoir mis les pieds dans le plat du non-dit politicien, cette omerta sur les questions fondamentales, ce déni du réel qui a ruiné les partis et spécialement ceux de gauche. Aux questions de fond soulevées, ils opposent des anathèmes et des insultes  – un « guignol » ose proférer une marionnette en déroute électorale quand l’insoumis en chef, très porté sur l’odorat, le dit « nauséabond »… Zemmour ose les « gros mots » qui défrisent la gauche oublieuse des anciennes « valeurs » qui furent siennes dans l’Histoire : nation, patrie, France, laïcité… Elle lui préfère les mots creux, les mots-valises, fourre-tout : République, Démocratie, le fumeux « Vivre ensemble »… Je ne me reconnais plus là-dedans, pour le dire crument : ça me débecte ! Ainsi, le même jour, j’apprends que : Julien Bayou (chef des écolos) souhaite « régulariser tous les sans-papiers » ; Mélenchon, lui, voudrait introduire la liberté de changer de genre dans la Constitution ; enfin, pour Olivier Faure (du moribond PS), l’omniprésence d’Éric Zemmour dans la précampagne «est une insulte à l’intelligence collective ».  Question subsidiaire : Où se niche donc l’intelligence politique ? De Zemmour, je ne saurais cautionner ses ambiguïtés et outrances comme les « douze balles dans la peau » qu’aurait méritées selon lui le jeune Français, Maurice Audin, qui avait rallié la cause du FLN algérien . De même, quant à ses propos sans nuances contre les féministes, et aussi sur la responsabilité dont il accable Hollande dans les attentats de 2015. Cependant, il n’aura pas seulement secoué le cocotier politicien ; comme le soulignait Kamel Daoud dès 2018, « Zemmour, on a peur de l’écouter, car peut-être, inconsciemment, sournoisement, on a peur de le croire… »

● Et la sulfureuse question du « grand remplacement », qu’en dis-tu ?

– D’abord je constate que l’expression, elle aussi, a franchi le mur de l’omerta. Elle se dit désormais, même avec des pincettes pour certains, parce que « facho », etc. Son promoteur initial, Renaud Camus, est un exilé de la gauche, du Parti socialiste dont il fut membre. Son glissement n’est pas sans explications, notamment quant au refus de la « gauche » de considérer le problème de fond – celui que je viens d’aborder à propos des flux migratoires et des risques qu’ils font porter sur les changements de population et, à terme, possiblement sur un remplacement objectif. Je renvoie sur cette épineuse question aux travaux de Jérôme Fourquet, notamment publiés dans son livre L’Archipel français dont les données sont particulièrement étayées et pour le moins inquiétantes sur l’immigration musulmane et ses conséquences dans les équilibres démographique, sociologique et culturel. Comme tu sais, voilà plusieurs années que, la plupart du temps, je vis avec ma compagne à Saint-Antoine, dans les quartiers nord de Marseille. Elle-même y est née et, au fil des années, a vu se succéder les immigrations italienne, arménienne, puis maghrébine, comorienne, et turque. Ce qui était un « village » paisible sur les hauteurs de Marseille – où les bourgeois du centre-ville, commerçants, armateurs, industriels et autres venaient goûter le bon air et la tranquillité –, tout cela est désormais parsemé de cités où règnent les caïds de la drogue, où il faut montrer patte blanche pour y entrer ! Le remplacement a bien eu lieu : à l’exception des banques et des pharmacies, tous les commerces ou presque du quartier ont été remplacés, c’est bien le mot. À part les tenants du multiculturalisme retranchés derrière leur bien-pensance, qui donc va trouver autrement qu’« exotique » cette rue principale où je me sens comme un étranger dans mon pays ?

● Un autre sujet, pour changer, et non des moindres : le nucléaire. Nous en avons souvent discuté et ton opposition à ce mode de production énergétique reste ferme.

– Là encore, je m’évertue à ne pas entacher ma réflexion d’idéologie ; j’essaie au contraire de considérer « le nucléaire » sous un angle plutôt anthropologique : qu’est-ce que cette technique raconte des humains qui l’ont inventée ? Elle se relie au mythe prométhéen du feu volé au soleil et serait ainsi la cause de tous les malheurs de l’humanité… Même si l’électricité s’est parée des atours du Progrès, nous la payons cher, et même de plus en plus cher puisque, pour la produire, nous avons dû déclencher le cycle infernal de la pollution, des déchets et des dérèglements climatiques. Par un tour de passe-passe « savant », l’énergie nucléaire – produit « dérivé » de la bombe atomique – a été à l’origine vantée par ses promoteurs comme une invention miraculeuse porteuse de l’Avenir Radieux et quasiment inépuisable – tout comme on le disait il n’y a encore pas si longtemps du pétrole. L’uranium aussi est une ressource limitée, dont la dangerosité extrême de son exploitation et de ses déchets se mesure en milliers d’années. C’est pourquoi on les enfouit « sous le tapis », dans les profondeurs de la terre, un peu comme on refoule ses mauvaises pensées dans le fin fond de l’inconscient… Aujourd’hui, ça remonte à la surface en réponse aux imprécations sur le climat. La voilà notre énergie « décarbonnée » ! Et que je relance la construction de nouvelles centrales !

• A-t-on le choix ?

– On a toujours le choix, mais pas souvent les moyens ni le courage de l’assumer. Je pense que le choix du nucléaire relève de la fuite en avant et de la perte de mémoire, de l’oubli et même d'une amnésie. Pour avoir tant pompé et brûlé de pétrole et de charbon, la terre étouffe – enfin, ses habitants – et on sonne le tocsin « pour sauver la planète ». Et on refait « du même » avec l’uranium, tout comme le Sapeur Camenber creusant un trou pour boucher l’autre… Fuite en avant donc. L’oubli, lui, concerne les catastrophes nucléaires qui ne sont plus guère évoquées, si ce n’est à la marge lors des anniversaires de Tchernobyl et de Fukushima, classées comme « pertes et profits » d’une industrie comme les autres, en somme, où « le risque zéro n’existe pas ». Comme on pourra le lire dans ce tome 3 , en France, un « accident majeur », du type de ceux de Tchernobyl ou de Fukushima, sur un seul réacteur (on en compte 48…) coûterait au pays la somme astronomique de 430 milliards d’euros. Plus de 20 % de son produit intérieur brut (PIB). Quant au bilan humain, il relève de l’incommensurable. D’où le déni, le refoulement, l’oubli…enrobés dans les calculs de probabilité. Or, comme l’a souligné Paul Virilio , tout ce qui peut arriver finit par arriver.

● Cette fuite en avant que tu évoques, c’est le cercle vicieux dont on ne peut plus se dégager. Les écologistes n’en sont-ils pas aussi prisonniers, jusque dans leurs dénégations sans perspectives réalisables ?

– Oui ! Ainsi voit-on un candidat à la présidentielle comme Jadot patauger dans ses embarras : remplacer le nucléaire par le « renouvelable », c’est un mantra bien peu convaincant, surtout quand on voudrait diriger le pays avec quelques soucis de réalisme. L’hydrogène comme nouvelle solution miracle pour passer à la voiture électrique ? Ah oui, et comment produire cet autre miracle ? Avec combien d’éoliennes dans les paysages de la France bucolique ? Et quid des batteries dont on évacue aussi les problèmes de leur fabrication à partir de métaux et de terres rares, sources d’autres pollutions et de nouveaux déséquilibres géo-politiques ? Le cercle vicieux, c’est d’avoir créé des situations qui empêchent tout retour en arrière . Les situationnistes en avaient fait leur credo « révolutionnaire » – menant à une impasse. Aujourd’hui ne peut-on craindre que la course effrénée à l’énergie, la marchandisation généralisée, les migrations de masse, la dissolution des cultures dans une hybridation mondialisée, ne soient devenus des phénomènes irréversibles ? – tout au moins à l’échelle de deux ou trois générations. De même pour la sacralité portée à la Technique et à ses variantes : « intelligence artificielle », transhumanisme, dématérialisation des rapports humains, etc.

● Quel sombre tableau tu nous brosses là ! J’ai du mal à partager ton pessimisme, qui n’est pas dans ma nature… Ça me dérange… Bref, puisque tu évoques les rapports humains, abordons ce que tu appelles la « sexo-politique ».

– L’expression s’est forgée avec le projet, puis le lancement, de la revue Sexpol publiée de 1975 à 1980, dans le but d’explorer la complexité humaine dans sa double composante biologique & culturelle, individuelle & sociale, autrement dit tenter d’exprimer et de comprendre cette tension dialectique existant entre le je & le nous, entre l’individu – le plus indivisible, jusqu’à sa sexualité – et la collectivité des humains (je n’ose plus dire « communauté », mot désormais par trop dévoyé…) Choisir l’esperluette « & » n’est pas anodin : il s’agit bien de montrer l’étroitesse des liens qui unissent ces couples. Quand ce n’est pas le cas, il y a perversion des rapports, dont les plus visibles de nos jours surgissent au grand jour depuis les appareils religieux dont les dogmes, comme le célibat des prêtres, contraignent au refoulement sexuel et exposent à la pédocriminalité. La sexo-politique, c’est aussi et d’abord postuler l’égalité homme / femme, qui atteste de l’état d’une société et, par-delà, d’une civilisation. Sur ce point, je ne vois pas grand progrès dans le féminisme radical et ses variantes issues de #metoo, sauf à inverser les rapports de domination tout en s’identifiant négativement à l’« adversaire » mâle. Extrémisme qui atteint aussi, on le voit, jusqu’à la langue par une écriture dite « inclusive » ou de stupides inventions de pronoms du type « iel », qui reviennent à exclure en prétendant imposer une nouvelle contrainte, une inversion revancharde de la dominance.

● À cet égard, il semble que nos sociétés a priori « avancées » renoncent à l’harmonie ou encore à ce que George Orwell appelait la décence commune opposant les « intellectuels » aux « gens du commun », la morgue des dominants « sachants » à l’égard des dominés décrétés ignorants… Ce qu’on appelle de nos jours l’entre-soi.

– Tu fais bien de parler d’harmonie qui s’oppose à la cacophonie du chacun pour soi, du « tout pour ma gueule ». J’aime cette idée d’une société « philharmonique » comme on le dit d’un orchestre dans lequel chaque interprète tient sa place dans la production d’un concert – aller de concert, cette si belle expression signifiant « à chacun selon ses moyens » et selon son instrument. Se pose alors le rôle du coordonnateur symphonique, celui – ou celle ! – qu’on appelle chef d’orchestre, censé donner le « la », la cohésion et la dynamique harmonieuse à un ensemble d’individus . Transposé au corps social on retrouve l’idée du « leader naturel » auquel les musiciens peuvent s’identifier et à qui ils délèguent par libre adhésion, et non par soumission, une forme de pouvoir, de manière provisoire, le temps de l’exécution d’une œuvre. La métaphore devrait s’appliquer à la politique. On en est loin ! Ça me fait penser à Miles Davis quand un de ses musiciens noirs lui reprochait d’engager des musiciens blancs… Il lui avait répondu, en substance : je m’en fous qu’un musicien soit noir ou blanc, ou vert à pois rouges, du moment qu’il joue de la musique… Sur la scène politique actuelle, dans son Spectacle, on ne trouve plus ce leader naturel, celui ou celle (!) qui saurait emporter l’adhésion à un projet de société harmonieuse. Jaurès aurait peut-être pu… Le Christ l’a été, même en tant que « personnage conceptuel » ; il a porté sur deux millénaires une religion d’harmonie, fût-elle dévoyée par ses affidés ! Hitler et Staline l’ont été, à la manière qu’on sait, posant cette question de la soumission des masses dont l’Histoire est remplie.

● Ce que tu dis de la société harmonieuse est aussi une manière d’aborder la question de l’assimilation culturelle…

– Mais oui ! Jouer de la bonne musique suppose qu’on intègre son essence, qu’on en reconnaît la richesse et sa valeur  ; il en va de même pour une culture à laquelle on désire s’assimiler tout en intégrant une société, sûrement pas en la rejetant. Le « racialisme » se situe exactement à l’opposé de cette démarche puisqu’il essentialise la race et, ce faisant, réinstaure le racisme. Un rappeur pourrait-il intégrer un chœur symphonique et y chanter l’Hymne à la joie ? Théoriquement oui. Tout est là.

● On n’a même pas discuté des médias, alors qu’ils constituent notre fonds de commerce, celui qui nous a réunis…

– J’ai peu à peu délaissé ce domaine. Sans doute par lassitude, liée au conformisme grandissant d’une profession en partie sédentarisée, voire bureaucratisée, assise devant des écrans déversant une vision du monde uniforme. Je repense à ces mots glanés auprès de journalistes africains parlant de leur scabreux métier : Plutôt avoir de la poussière sous les semelles que sous les fesses… Il reste des reporters dignes de ce nom, je ne le nie pas, mais les médias eux-mêmes, leurs propriétaires et patrons paraissent plus enclins à la rentabilté et à produire une marchandise… Le pire concerne le fond – puisqu’il se trouve dilué dans la forme –, et notamment les contenus politiques des journaux « de gauche » comme Libé, Le Monde, L’Obs, Télérama qui déversent leur doxa de bien-pensance sur les questions « qui fachent », celles qu’on vient d’aborder : sécurité, immigration et identité culturelle, éducation et laïcité – autant de sujets qui agitent notre société et que ces bien-pensants abandonnent avec mépris à l’« extrême-droite », qui sait en faire ses choux gras.

● Nous voici au bout de notre « jasette de gars » comme disent les Québécois… Un mot me revient, que tu as d’ailleurs employé dès le tout début de notre entretien, dans le tome 1 : testament. Et il semble s’imposer aussi dans le dernier volet de ce tryptique. Il y a de ça, non ?

– Puisque tu le dis ! Sans doute un effet de l’âge, le sentiment d’avoir accompli un périple, c’est-à-dire un voyage qui se boucle, à la réunion même des points de départ et d’arrivée. C’est ainsi que je mets également une sourdine à mon blog avec ce « tour d’un monde », qui ne recouvre pas entièrement le tour de ma vie, dont j’en dis davantage dans mon roman, Nous tournoyons dans la nuit, et dans un autre à venir. « T’as eu une belle vie » m’a dit l’autre jour un ami très cher, tandis que nous devisions « de concert » à une terrasse de bistrot. Je n’allais tout de même pas le contredire… « Juste un clin d’œil, mais quel point de vue ! » : ça pourrait valoir une épitaphe, mais sans urgence… J’ai bien roulé ma bosse, j’ai agi comme j’ai pu, en bien plus qu’en mal ai-je essayé. J’ai rencontré des humains de toutes sortes ; j’en ai aimé beaucoup, qui m’ont sculpté, les autres aussi. Mes parents, mes enfants, mes amis, mes amours, hommes et femmes, continuent de m’accompagner dans la vie, même morts ou éloignés. Et aussi mes animaux si proches, avec leur « bonté illimitée » dans le regard comme l’a écrit Albert Camus parlant du chien de son oncle . Et les arbres, et les fleurs, les insectes – et ce pauvre moineau que je ne me console pas d’avoir tué d’un coup de fronde – je raconte ça Tome 1, page 330. Mécréant, païen, je ne connais pas l’Espérance des gens de foi, que j’aime aussi fréquenter. Tandis que je désespère de la violence des humains, ces prédateurs insatiables, ces salopeurs de la Beauté du monde qu’ils souillent de leurs crimes autant que de leurs détritus, ces assassins de la Vie se réclamant de leur Dieu si bienveillant, même quand ils décapitent Samuel Paty, à qui j’ai dédié ce Tour d’un monde. Telle est la source de mon pessimisme quant à l’avenir de l’humanité. Comme Paul Valéry, je sais que les civilisations sont mortelles. Avec Michel Onfray, je pense que la nôtre est entrée en décadence et qu’il faudra une, deux générations ou plus pour voir poindre, peut-être, une Renaissance.

22/11/21

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Gerard Ponthieu

Journaliste, écrivain. Retraité mais pas inactif. Blogueur depuis 2004.

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