Journalistes-otages, héros modernes et sacralisés
« Nos » quatre journalistes-otages sont donc rentrés de Syrie. C’est bien. Mais plein de choses me gênent et, maintenant qu’ils ont été si célébrés, je me lâche. Car tant de célébrations, jusqu’à l’indécence, m’ont en effet incommodé. Surtout, cet étalage corporatiste des « professionnels de la profession », comme on dit avec ironie. Je reprends l’expression à mon compte, en y ajoutant… quoi ? Du dépit, de la honte (pour la « confrèrie »), de la gêne plutôt, au nom de tous ceux qui, face à cette sacralisation impudique, ne peuvent que se taire.
C’en est devenu un rituel, en effet, avec ses enjeux politico-médiatiques : le journaliste comme héros moderne, hélas parfois haussé au rang du martyr, tombé au champ d’honneur de l’Information et de la Liberté, rapatrié en hélico, tarmac militaire, président de la République, et tout et tout. Et pour bien faire entrer ces quatre héros au panthéon moderne du tout-info, il aura fallu bien les pressurer devant tant de micros et de caméras :
– Dites, au moins, vous avez beaucoup souffert !…, « ils » ont été méchants, hein !…, et ces simulacres d’exécution !…
– Ben… pas tant que ça… enfin un peu quand même…
J’ai été de cette corporation…, en ayant toujours ressenti le besoin d’une distance. Avec des questionnements personnels et en général : Qu’est-ce qui pousse tel ou tel à devenir journaliste ? Quid du narcissisme « professionnel », du voyeurisme, du romantisme, de l’ « héroïsme » et de la vanité ?
Un professionnel, c’est quelqu’un… qui fait son boulot, de son mieux ; plus ou moins contraint ; en échange d’un salaire, plus ou moins gros. Un journaliste aussi. Si son chantier se trouve en Syrie, et qu’il a, plus ou moins, accepté de le rejoindre, il doit œuvrer à la même tâche : comprendre et faire comprendre, témoigner aussi. Boulot risqué, dans un pays en guerre. Y être pris en otage fait partie des dangers dudit métier. Accident du travail. C’est heureux, bien sûr, qu’il soit libéré. Que l’accidenté en réchappe et guérisse. Normal, là encore, c’est le boulot.
Mais l’un et l’autre de ces travailleurs ne connaîtront pas le même « traitement ». Tout comme pour Serge Lazarevic et Gilberto Rodriguez Leal, enlevés au Mali, respectivement depuis novembre 2011 et novembre 2012. Ils ne sont pas journalistes, les pauvres. Double peine ! De même pour Philippe Verdon, 53 ans, retrouvé en juillet 2013, au Mali, assassiné d'une balle dans la tête.
Je ne veux pas cracher dans cette soupe qui m’a nourri, et dont je me suis d’ailleurs régalé. Mais l’outrance de ces célébrations me font dire qu’elle cache trop de non-dits et d’enjeux qui n’ont rien à voir avec le spectacle exhibé. Ou bien si : ils ont à voir, par contraste, avec la réalité vraiment et autrement dramatique de l’état du monde. Avec les vrais héros de ce monde en souffrance extrême. Ces héros de la vie ordinaire, quotidienne ; ceux qui souffrent au jour le jour ; qui se lèvent dans la douleur, sans désir car cette société ne les regarde pas, ne les voit même pas ; car ils ne sont que données abstraites dans la macro-économie mondialisée. Tous ces héros non rendus assez visibles par tant de journalistes assis, ayant déserté les territoires de la grande misère ordinaire.
Si aucun journaliste n’a encore été pris en otage et gardé dans une cave obscure d’un quartier de France, c’est peut-être qu’aucun journaliste (ou presque) ne s’y rend, préférant, sans doute, de « vrais » territoires de guerre.
• Sur Wikipedia, la notice Otage
• Sur lemonde.fr : La fille de l'otage français retenu au Mali dénonce une inégalité de traitement
• sur Otages-du-monde : LES 3 FRANÇAIS OTAGES DANS LE MONDE (dont RODOLFO CAZARES, FRANCO-MEXICAIN AU MEXIQUE depuis le 9 juillet 2011 - LE PLUS ANCIEN OTAGE FRANCAIS)
• Pas si à côté du sujet - lemonde.fr : Faut-il libérer les orques en captivité ?
Je sens d’avance à quel point je vais me faire de nouveaux copains chez « les confrères » !
Cher Ponthieu, c’est ton pote journaliste (nul n’est parfait) qui te répond. C’est balancé et j’apprécie ta prose. Car en effet, y a comme de l’écœurement à entendre et voir en boucle le retour des héros. Suis content pour eux certes. Mais bon, un peu de décence quoi. Me permets de citer mon feu paternel : si les héros existent, il se lèvent tôt pour aller à l’usine. Ou, variante, parlant de la guerre qu’il a connue : les héros c’est ceux qui sont pas revenus… À méditer. Quand aux journalistes, d’après la loi récente et tout comme d’autres animaux, ce sont désormais des êtres sensibles comme tout le monde.
Je pensais précisément à ton pater-faber, que tu cites dans ton héroïque biographie !
Cher Gérard Ponthieu,
Si vous ne vous étiez jamais aperçu que les journalistes passaient de longs moments à informer sur eux-mêmes et leurs guéguerres intra-corporatistes, (forêt de marronniers !), c’est que vous délaissiez « l’information » médiatique… Il semblerait, aujourd’hui, qu’il faille d’ailleurs être passé par la case otage (relâché), pour être « adoubé ».
Mais pour Pôle Emploi, ça ne sert à rien. Un retard, de textes administratifs, incompréhensible.
Nous avons l’impression, que les journalistes, comme les politiques, forment une confrérie fermée…
En effet, nous avons entendu un des quatre otage libéré, interrogé sur toutes les coutures, mais les deux autres otages, on a la sensation qu’ils sont moins otages, que les autres, pourtant, ils le sont encore ! Eux !
Le pompon étant la banderole installée devant le Conseil Régional, à Marseille, où il n’était question ‑que- des journalistes, pendant des mois, les Autres…
Accointance entre journalistes et politiques, vous avez dit ?.. Ou bonnes graces des politiques envers les journalistes… Pitoyable tout cela !!! Lourd en tout cas.
Salut Gérard,
Je te lis régulièrement.
Je ne commente pas souvent, même si j’apprécie fréquemment ton avis.
Cette fois j’ai ventilé auprès des lecteurs de la revue de presse que j’anime pour l’association Corens (coopération avec le Mali).
Car j’ai trouvé que, vraiment, « on » en avait un peu trop fait.
Depuis ton post,« on » a un otage de moins ; Gilberto Rodriguès Léal est décédé. Depuis un bon moment sans doute, comme ce pauvre Michel Germaneau « mort comme un chien entouré d’une bande de hyènes »…
Amitié
Hubert
Pour tout être sensible, orque compris, ce qui paraît le plus important c’est la liberté. Et le plus dur, par voie de conséquence, la privation de liberté PL. Pourrait-on définir un indice I de PL, incluant d’être contraint à s’aliéner dans un boulot idiot qui fait mourir avant la retraite ? Ou subir sans espoir de grande mer un enfermement dans un zoo pour débiles ? Auquel cas, l’IPL(orque) » IPL (journaliste ex-otage). Les orques, nous ne les oublions pas !
A propos de :
» la réalité vraiment et autrement dramatique de l’état du monde. Avec les vrais héros de ce monde en souffrance extrême. Ces héros de la vie ordinaire, quotidienne ; ceux qui souffrent au jour le jour ; qui se lèvent dans la douleur, sans désir car cette société ne les regarde pas, ne les voit même pas ; car ils ne sont que données abstraites dans la macro-économie mondialisée. »
Et il s’en faudrait de peu pour que ces gens existent !
Voir article dans la revue XXI – n° 25 (qui tente un respect des “choses de la vie”) : « Un pari sous les toits » p 33 à 43