Coup de gueuleÉcologieéconomie

Inventaire avant démolition ? Le grand dérèglement de la maison Terre

[dropcap]Pour[/dropcap] sombrer dans le plus noir des pessimismes, voire dans la dépression, rien de tel que la soirée Thema d'hier soir [28/10/14 ] sur Arte. Au menu, si j'ose dire, la faim et la soif dans le monde avec, en dessert, les deux derniers volets sur les six consacrés au Capitalisme (avec une capitale…) De loin les plus intéressants, en particulier le tout dernier consacré à l'économiste hongrois Karl Polanyi qui, dès 1944, a pointé le danger représenté par une société totalement menée par l'économie, et non l'inverse. Comme si l'activité humaine, par on ne sait quelle folie, s'était précipitée dans le gouffre noir du profit mortifère. Au point que les déséquilibres mondiaux ne semblent avoir jamais atteint un tel niveau ahurissant, laissant dans le plus grand dénuement plus de la moitié de l'humanité qui, de plus, ne cesse de croître et accroissant en même temps les dérèglement écologiques, faisant surgir le spectre d'une disparition possible de l'espèce humaine.

on s'enfonce!.Inventaire avant démolition ? Le grand dérèglement de la maison Terre.
"Moi, je crois que c'est le pouvoir, le goût du pouvoir…"

Il se trouve qu'hier également je faisais rentrer du gaz dans ma citerne (l'hiver, en dépit/à cause du réchauffement, va finir par se pointer…). M. Total est arrivé avec son gros camion et son livreur.

– Alors, que je lui fais, vous êtes en deuil…

– Ben, c'est que nous, on est des sous-traitants, en location… C'est comme ça pour tout, peut-être même pour les raffineries, c'est en location, ça appartient à on ne sait qui…

Puis, on évoque la mort du PDG de Total, de Margerie, les circonstances.

– Il faut toujours aller vite, plus vite; il fallait qu'il rentre tout de suite, sans attendre…

On parle de son salaire…

– C'est pas tant une histoire de sous, je crois; c'est les honneurs – il était plus important qu'un ministre, vous avez vu, reçu par Poutine; peut-être qu'ils se tutoyaient… Moi, je crois que c'est le pouvoir, le goût du pouvoir…

Belle leçon d'analyse politique, venue de "la base" comme on dit parfois avec condescendance. Analyse plus subtile et plus humaine que celle d'un Gérard Filoche qualifiant de Margerie de "suceur de sang" (un ex partisan de Trotsky, le suceur de sang des marins de Kronstadt, peut avoir la mémoire très sélective). Elle aurait pu figurer avantageusement dans la série d'Arte qui, soit-dit en passant, nous a bien baladés avec ses six épisodes souvent brumeux et embrumés, à savoir qui de Smith, Ricardo ou Keynes avait été le plus visionnaire. Au point qu'à l'issue de ces innombrables enfilages d'avis d'experts et autres économistes patentés on n'y entravait plus couic ! Car, enfin, à question fortes réponses de même : à quoi sert l'économie ? Quelle est sa finalité ? De même pour le capitalisme. Il fallut attendre les paroles simples et fortes de la fille de Polanyi pour aller à l'essentiel,, qui ramenait au début de la soirée Thema  sur la faim et la soir : si l'activité humaine ne sert pas les humains dans la justice et en vue de leur épanouissement, n'y aurait-il pas "comme un défaut" – tout particulièrement dans la course productiviste et l'avidité sans limite des possédants. L'une et l'autre apparaissant comme liés par un délire névrotique développé avec la naissance du capitalisme historique au XiXe siècle jusqu'à sa dérive actuelle, le néo-libéralisme financier. De même que le chauffeur-livreur de Total n' "appartient" pas à Total – mais sait-il qui est son vrai propriétaire ?… –, qui peut aujourd’hui démêler l'écheveau mondialisé des milliards de milliards qui changent de portefeuilles à la vitesse de la lumière ? Et que peuvent les "politiques", ballottés comme marionnettes dans ce sinistre ballet réglé à leurs façons par des algorithmes "magiques" autant qu'anonymes ?

Évolution ? Inventaire avant démolition ? Le grand dérèglement de la maison Terre.
Évolution ? Quelle évolution ?

Si nous reconnaissons aujourd’hui cette patente réalité d'un dérèglement mondial relevant d'un délire névrotique – c'est-à-dire d'une pathologie – on ne peut plus raisonner, en raison raisonnante, d'après les critères du XIXe siècle, et en particulier le dogme marxiste. Comment ne pas remettre en question ce postulat selon lequel  l'infrastructure (la production) détermine la superstructure (les idées) ? Ne serait-ce pas plutôt l'inverse, dans la mesure précisément ou "les idées", si on peut dire, seraient déterminées par la religion du profit et sa fascisante irrationalité, avec ses cohortes subséquentes : productivisme, croissance, surconsommation, pillage des ressources,  déséquilibres nord-sud, guerres, dérèglement climatique, et cætera ?

À cet égard, ne pourrait-on espérer qu'un économiste – un économiste nouveau –, développant la pensée de Polanyi, reconsidère la bonne gestion de notre maison commune, la Terre, et de sa gouvernance à partir de données intrinsèquement humanistes, au bénéfice des humains et du vivant ? Pensons, par exemple et en particulier, à la manière dont un Wilhelm Reich (mort en 1957), bousculant pour le moins les idéologies du marxisme et du freudisme, a pu émettre une analyse des folies mortifères du nazisme impliquant les complexes et contradictoires dimensions des comportements humains (Psychologie de masse du fascisme, Payot, 1999).

Ils empochent entre 400 et 1 110 années de Smic par an !

Illustration avec ce cri d'alarme lancé par l'Observatoire des inégalités dont les remarquables travaux ne cessent de dénoncer à partir d'études et de données qui, toutefois, ne remontent pas aux causes premières et profondes du dérèglement humain et de l'économie. Économie qui, en effet, partage la même étymologie que écologie : du grec oikos (maison, habitat) et logos (discours, science) ; ou encore, plus généralement : la science des conditions d'existence, ce qui recouvre le champ de l'économie, si on considère le sens du nomos, gérer, administrer.

Les revenus démesurés des grands patrons
et des cadres dirigeants

28 octobre 2014 - Le revenu annuel d’un grand patron représente de 400 à 1 110 années de Smic, selon les données 2012 publiées par Proxinvest dans son 15e rapport La Rémunération des Dirigeants des sociétés du SBF 120 (novembre 2013). De 4,8 millions d’euros (équivalents à 358 années de Smic) pour Maurice Lévy (Publicis) à 14,9 millions d’euros (1 112 années de Smic) pour Bernard Charlès, patron de Dassault Systèmes.

Les revenus pris en compte dans cette étude totalisent les salaires fixes, variables et/ou exceptionnels, les stock-options [1] et les actions gratuites. Ils ne comprennent pas, par contre, certains autres avantages comme ceux en nature (voitures, logements de fonction par exemple), le complément de retraite sur-complémentaire alloué à certains dirigeants de grandes entreprises notamment. Ces revenus demeurent bien supérieurs à ce que le talent, l’investissement personnel, la compétence, le niveau élevé de responsabilités ou la compétition internationale peuvent justifier. Ils vont bien au-delà de ce qu’un individu peut dépenser au cours d’une vie pour sa satisfaction personnelle. Ils garantissent un niveau de vie hors du commun, transmissible de génération en génération, et permettent de se lancer dans des stratégies d’investissement personnel (entreprises, collections artistiques, fondations, etc.).

Il faut ajouter que ces dirigeants disposent aussi de mécanismes de protection considérables en cas de départ forcé de l’entreprise résultant d’une mésentente avec les actionnaires, d’erreurs stratégiques ou économiques, etc. Les PDG ne sont pas les seuls à être les mieux rémunérés. Des très hauts cadres de certaines professions ou des sportifs peuvent avoir un revenu annuel moyen astronomique : 35 années de Smic pour un sportif de haut niveau, 23 années pour un cadre du secteur de la finance, 18 années pour un dirigeant d’entreprise salarié.

patrons
Les très hauts salaires * par profession
Unité : euros
  Salaire brut annuel moyen En années de Smic **
Sportifs de haut niveau 444 955 35
Cadres des fonctions financières 244 878 19
- Dont métiers de la banque 289 913 23
Cadres d'état major 238 674 19
Dirigeants 225 340 18
Autres 210 446 17
Divers cadres 195 349 15
Fonction commerciale 181 257 14
Fonction technique 180 230 14
* Les 1 % de salariés à temps complet les mieux rémunérés. ** Smic net annuel 2010.
Source : Insee - 2007

Pour en savoir plus :
Les très hauts salaires du secteur privé - Insee première n°1288 - avril 2010.

Notes

[1Droits attribués aux salariés d’acquérir des actions de leur société sous certaines conditions, notamment avec un rabais, ce qui leur procure une plus-value quasi certaine lors de la revente.

Date de rédaction le 28 octobre 2014

© Observatoire des inégalités

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Gerard Ponthieu

Journaliste, écrivain. Retraité mais pas inactif. Blogueur depuis 2004.

10 réflexions sur “Inventaire avant démolition ? Le grand dérèglement de la maison Terre

  • Liberté

    Pas un ins­tant je crois que la dis­pa­ri­tion de Margerie soit un accident.
    Tout cela ‑toute pro­por­tion gar­dée- rap­pelle un par­fum de l’af­faire Mattéï dans les années 50 avec un groupe Italien empiet­tant sur les plates-bandes anglo-saxonnes… Il n’aiment pas !
    Chez qui empiet­tait de Margerie ?.. Une alliance ‑logique- et tacite avec les Russes, qui sont, comme nous, des euro­péens : Les anglo-saxons n’aiment pas…

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    • En écho au com­men­taire pré­cé­dent, mon tweet du 21/​10 :

      (Ultra-secret.Confidentiel défense) #AntenneCIAMoscou (3H- HL) à #SiègeLangley.Stop. : Confirme com­plète réus­site #OpérationMoustaches.Stop.Over.

      🙂

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    • On est là dans la théo­rie du com­plot… Pas mon truc ! En admet­tant le com­plot, le coup de la dénei­geuse est tout de même bien tor­du, limite pieds nickelés…

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  • Gian

    Trotsky suça aus­si le sang des anar­chistes ukrai­niens de la Makhnovchtchina… Cela dit, le sys­tème pro­duc­ti­viste tota­li­taire fonc­tion­nant en roue libre sur le mode de l’ex­pan­sion expo­nen­tielle, en ren­dant les peuples psy­cho­né­vro­tiques, donc dif­fi­ci­le­ment acces­sibles à l’en­ten­de­ment, y a‑t-il d’autre pers­pec­tive que celle du chaos auto­ma­tique, qui, à l’é­chelle des temps géo­lo­giques, est le seul véri­table régu­la­teur ? Et pour ne pas se lais­ser affec­ter par les remugles du déses­poir, appli­quons-nous à pré­ser­ver notre san­té men­tale en nous char­geant de pen­sées et actes posi­tifs, par ex. : l’é­co­no­mie, ce peut être les éco­no­mies, et j’ob­serve que l’on peut en faire dans pas mal de domaines. J’ai réduit de 40 % mes frais de chauf­fage, en rem­pla­çant les fenêtres et met­tant un pull at home (amor­tis­se­ment en 3 – 4 ans).

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  • Gian

    Tiens, ça me revient, au sujet du débat inné-acquis, ou opti­misme-pes­si­misme, une iden­tique ques­tion de thy­mie. Je ne sais plus qui a dit çà : en 39, il y avait deux caté­go­ries de Juifs, les pes­si­mistes et les opti­mistes ; les pre­miers ont fini à Hollywood, les seconds, à Auschwitz.

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  • Tout porte à croire que les hommes sont poten­tiel­le­ment atti­rés par un com­por­te­ment démen­tiel et destructeur…

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