Afrique(s)

(B)REVES D’AFRIQUECOTE D’IVOIRE

CoteivoireCOTE D’IVOIRE. « Ce qu’a vraiment fait la France » : sous ce titre, une remarquable enquête du Nouvel Observateur (n°2093 – 16/12) sur les événements de novembre, côté français. Où l’on peut mieux comprendre, derrière les regards de Jean-Paul Mari et Robert Marmoz, comment les quelque 350 militaires de la force Licorne (renforcés ensuite par des légionnaires venus du Gabon) ont eu à faire face aux dérèglements d’un pays en proie à la guerre civile et aux déchaînements de violence.

Sacrée épreuve : encaisser le bombardement du camp de Bouaké, avec morts et blessés ; secourir autant que possible les milliers d’expatriés devenus la cible des pires exactions («A chaque Ivoirien, son blanc !») ; maintenir le contrôle de la base française et de l’aéroport, indispensables aux renforts comme à l’évacuation des civils ; et tout cela dans un climat d'outrances et de provocations, en évitant autant que possible la «casse» – autrement dit le bain de sang – de part et d’autre. Sans oublier le climat général dans le pays avec ses dimensions politiques, les manipulations ivoiriennes comme les atermoiements français. On aimerait, bien sûr, trouver l’équivalent informatif côté ivoirien. Ce qui s’avère aujourd’hui impossible pour un journaliste blanc. Le dernier à le tenter, et sans doute le plus légitime pour ça, fut Jean Hélène, qui le paya de sa vie.

Dans ce même numéro, ne se limitant pas à l’événementiel, l’Obs’ donne la parole à Jean-François Bayart. Ce chercheur du CNRS, prend toute la hauteur nécessaire à la compréhension de ce drame qui cristallise tant d’ingrédients : le colonialisme, certes, mais plus encore aujourd’hui son cortège complexe qui aura fait défiler les Houphouët-Boigny, Pleven, Mitterrand, De Gaulle, Foccart, Bédié, Balladur, Chirac et Bgagbo enfin. Où l’on comprend comment a pu naître « la colère des jeunes citadins qui n’ont connu du “miracle ivoirien” que le chômage, et de la “Françafrique” que le refus des visas convoités ou la clandestinité des sans-papiers».

Comprendre n’excuse personne. Surtout pas une classe politique irresponsable d’où auront jailli les ultras de l’ «ivoirité» et les «demi-choix» des dirigeants français.

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Une réflexion sur “(B)REVES D’AFRIQUECOTE D’IVOIRE

  • sous “tutelle” les pays afri­cains ex-colo­nies, par­ti­cu­liè­re­ment les plus géo­gra­phi­que­ment stra­té­giques ou les plus riches. La Côte d’Ivoire a le “mal­heur” de figu­rer par­mi ceux-là.
    Les contours de la guerre mon­tée en épingle contre la Côte d’Ivoire sont main­te­nant connus. Chirac ayant eu la mal­adresse de jouer le pour­ris­se­ment de la crise, per­sua­dé qu’il est, que les Ivoiriens s’es­souf­fle­ront dans la résis­tance. N’est-il pas dans sa concep­tion, et celle de tous les pour­fen­deurs de l’Afrique, que les Africains ne se contentent que de décla­ra­tions tapa­geuses et qu’ils ne vont jamais au bout de leurs actions ? Mais, de par la téna­ci­té et la per­sé­vé­rance des patriotes ivoi­riens, l’Élysée avec sa pléiade de spé­cia­listes de dos­siers afri­cains et le Quai d’Orsay avec ses diplo­mates spé­cia­li­sés es-Afrique, les cli­chés ne font plus recette et c’est la grande inter­ro­ga­tion, voire la grande inquié­tude qui conduit Chirac à des mal­adresses et des impro­vi­sa­tions qui finissent par offrir aux Ivoiriens et au monde, la phy­sio­no­mie de tous les auteurs et de tous les acteurs de cette hideuse guerre.
    Au-delà de l’am­bi­tion patho­lo­gique de Ouattara de pré­si­der aux des­ti­nées de la Côte d’Ivoire, l’ob­jec­tif pour­sui­vi par Chirac dans cette aven­ture est de cas­ser la dyna­mique de la Refondation qui est incon­tes­ta­ble­ment une menace pour les inté­rêts de la fran­ça­frique. Plus que la simple conquête de liber­té et de démo­cra­tie que reven­diquent les Ivoiriens, l’en­jeu est consi­dé­rable et mul­ti­forme. Il s’a­git de pou­voir éco­no­mique et finan­cier, de pou­voir poli­tique et diplo­ma­tique. Cet ensemble consti­tue un inté­rêt consi­dé­rable que Chirac ne veut pas lâcher.
    Enjeu éco­no­mique, financier,politique et diplomatique

    Depuis la traite des noirs, puis la colo­ni­sa­tion et le néo-colo­nia­lisme, autant de maux qui ont suc­ces­si­ve­ment plom­bé le déve­lop­pe­ment de l’Afrique au fil des siècles, le moteur pre­mier qui moti­vait la France dans sa marche sur l’Afrique est sur­tout d’ordre éco­no­mique et finan­cier. La décou­verte de l’Afrique par les explo­ra­teurs, l’é­van­gé­li­sa­tion et l’in­tro­duc­tion de nou­velles civi­li­sa­tions sur le conti­nent ont été autant de pré­textes pour cacher les véri­tables rai­sons, com­mer­ciales et finan­cières, qui ont tou­jours gui­dé la pré­sence fran­çaise en Afrique. Les dif­fé­rents comp­toirs éta­blis sur la côte occi­den­tale de l’Afrique en témoignent. Plusieurs de ces comp­toirs sont deve­nus des mul­ti­na­tio­nales, aujourd’­hui prospères.
    Mais l’é­veil des consciences de cer­tains intel­lec­tuels occi­den­taux, alliés aux inces­santes révoltes des Africains ont suc­ces­si­ve­ment conduit à l’a­bo­li­tion de l’es­cla­vage et à la fin de la colo­ni­sa­tion. Toutefois, autant la France a rem­pla­cé l’es­cla­vage par la colo­ni­sa­tion pour péren­ni­ser le contrôle de ces pays, autant la fin de la colo­ni­sa­tion a don­né nais­sance au modèle néo-colo­nial. L’objectif est tou­jours le même. Passé d’un modèle à l’autre, en mini­mi­sant la perte des avan­tages et en per­pé­tuant autant que pos­sible la domi­na­tion mono­po­lis­tique de la France sur les pays afri­cains. C’est ce concept qui a pré­va­lu au moment des “indé­pen­dances”, lorsque la France, en déroute en Indochine et mena­cée par l’Algérie, a déci­dé d’oc­troyer en catas­trophe l’au­to­no­mie à ses colo­nies afri­caines pour évi­ter la conta­gion de la guerre d’Algérie. Pour pro­té­ger ses arrières, la France a concoc­té l’in­gé­nieuse idée des accords de coopé­ra­tion. Aujourd’hui d’ailleurs, les experts juristes nous disent que ces accords peuvent être vite dénon­cés, tant les par­ties signa­taires avaient des posi­tions dés­équi­li­brées de domi­nants à domi­nés. La France, en per­dant les attri­buts et avan­tages de la colo­ni­sa­tion, a eu le loi­sir de conce­voir les textes des accords qui pré­servent ses inté­rêts éco­no­miques, alors que les Africains étaient essen­tiel­le­ment pré­oc­cu­pés par la liber­té pri­maire, celle qui est due à tout être humain et pour laquelle on se bat en oubliant tout autre considération.
    Les Africains, réveillés par la lutte menée par les patriotes ivoi­riens, se rendent compte que les textes des accords sont conçus pour main­te­nir les États afri­cains dans une domi­na­tion colo­niale qui change de ter­mi­no­lo­gie. On parle d’ac­cord pour simu­ler un enga­ge­ment mutuel qui serait pris d’é­gal à égal, en connais­sance de cause par toutes les par­ties. Il n’en est rien dans le cas des accords fran­co-afri­cains. L’une des par­ties avait toutes les connais­sances, tout le savoir-faire en matière de rela­tions inter­na­tio­nales, alors que l’autre par­tie ne dis­po­sait, dans les années 60, ni de l’ex­pé­rience suf­fi­sante, ni des moyens néces­saires pour cer­ner le contour des tenants et abou­tis­sants du conte­nu des accords.
    Le cas par­ti­cu­lier des accords dits de défense illustre bien le fait que la seule moti­va­tion qui pousse la France dans ses rela­tions avec l’Afrique est d’ordre éco­no­mique, et à son seul béné­fice. Alors que l’on parle d’ac­cord de défense, le conte­nu des textes ne porte que sur le com­merce. Même s’il s’a­git de com­merce de pro­duits dits stra­té­giques que les Etats afri­cains doivent mettre en prio­ri­té à la dis­po­si­tion des forces armées fran­çaises. En cela, on peut recon­naître à De Gaulle le mérite de dire par­fois les choses avec toutes leurs aspé­ri­tés, comme l’illustre le célèbre pro­pos selon lequel la France n’a pas d’a­mi, elle n’a que des intérêts.
    Cette phrase consti­tue l’une des rai­sons fon­da­men­tales qui poussent les Ivoiriens à ne plus accep­ter que Chirac traite la Côte d’Ivoire de pays frère et allié, avec toute la conno­ta­tion condes­cen­dante et péjo­ra­tive que cela ren­ferme. On fait valoir qu’il faut trai­ter l’Afrique avec sen­ti­men­ta­lisme, alors qu’ailleurs, on met en avant le pro­fes­sion­na­lisme et le res­pect mutuel.
    La Côte d’Ivoire veut être consi­dé­rée comme un par­te­naire qui défend ses inté­rêts, au même titre que la France défend les siens par ailleurs, et même vis-à-vis de la Côte d’Ivoire. Mais que cela se fasse sur le ter­rain du droit et non en fonc­tion des capa­ci­tés mili­taires. Sur quelle base peut-on se fon­der pour refu­ser aux Ivoiriens une remise en cause totale et immé­diate d’ac­cords qui sont en leur défa­veur depuis plu­sieurs décen­nies. Tant que les Ivoiriens n’a­vaient pas pris conscience de la néces­si­té de dénon­cer ces accords, tant mieux pour la France. Mais aujourd’­hui que cela est reven­di­qué, à cor et à cri, par le peuple ivoi­rien, par les intel­lec­tuels et même des hommes poli­tiques, alors Chirac doit tenir compte de cette cla­meur et accom­pa­gner le mou­ve­ment, plu­tôt que de vou­loir impo­ser par la force des armes, des trai­tés caducs, désuets et dénon­cés. Certes, jus­qu’à pré­sent l’État de Côte d’Ivoire ménage la France, pas de pour­suite devant le tri­bu­nal pénal inter­na­tio­nal après les évé­ne­ments de novembre 2004, pas de démarche offi­cielle de désa­veu des accords. Le prin­cipe étant d’é­vi­ter une rup­ture bru­tale et uni­la­té­rale. Même si dans les textes des accords il n’est fait nulle part men­tion du mode de dénon­cia­tion, le décret d’ap­pli­ca­tion signé par Houphouet-Boigny inves­tit le ministre des Affaires étran­gères pour cette tache.
    A chaque fois que la main-mise de la France est dénon­cée, cette der­nière s’é­ver­tue à jus­ti­fier sa pré­sence par la pro­pen­sion des Africains à n’ai­mer que les guerres civiles, les conflits eth­niques. Bref, à pré­sen­ter les Africains comme étant inca­pables de se prendre en charge. C’est le cli­ché tra­di­tion­nel. La pré­sence de la France est tou­jours défi­nie comme néces­saire pour pro­té­ger l’Afrique contre elle-même.
    Les liai­sons dan­ge­reuses de Chirac avec l’Afrique consti­tuent une manne finan­cière pour la Françafrique. Sinon, com­ment expli­quer que, sur le tra­jet aérien Paris-New York qui repré­sente envi­ron la même dis­tance que le tra­jet Paris-Abidjan, Air France pra­tique un tarif cinq fois infé­rieur sur New-York que sur Abidjan ? On com­prend mieux pour­quoi Air France fait 60% de ses marges béné­fi­ciaires sur les lignes afri­caines. On ne revient pas sur la manne finan­cière que offrent pour la France les comptes d’o­pé­ra­tions, ni sur les mul­tiples mono­poles de sec­teurs stra­té­giques que les entre­prises fran­çaises détiennent en Côte d’Ivoire. Les médias ont déjà suf­fi­sam­ment rele­vé les cas de France Télécom pour les télé­com­mu­ni­ca­tions, le groupe Saur pour l’eau et l’élec­tri­ci­té, Bolloré pour le trans­port mari­time et fer­ro­viaire, Air France pour le trans­port aérien (même ivoire appar­tient à Air France), Delmas pour le trans­port mari­time, Total pour la Raffinerie, et bien d’autres. Et le sché­ma est le même dans toutes les ex-colo­nies. Bien enten­du, il ne s’a­git pas de faire par­tir le mono­pole abso­lu de la France pour le rem­pla­cer par un autre mono­pole de mar­chés cap­tifs, d’ailleurs plus aucun pays ne peut avoir en Côte d’Ivoire la posi­tion pré­pon­dé­rante de la France qui émane de plu­sieurs siècles de rela­tions en tout genre, mais il est sim­ple­ment ques­tion de prendre en consi­dé­ra­tion la légi­time reven­di­ca­tion de la Côte d’Ivoire qui veut être trai­tée selon les mêmes règles qui régissent le com­merce mon­dial et les rela­tions entre États modernes dans ce siècle de la mon­dia­li­sa­tion. La Côte d’Ivoire est une poule aux œufs d’or que Chirac ne veut lâcher pour rien au monde, quel qu’en soit le prix, non seule­ment à cause des rentes de situa­tions, mais aus­si à cause des enjeux poli­tiques et diplomatiques.
    Depuis que Bandung a ini­tié la prise de parole des pays éco­no­mi­que­ment faibles, le pré-car­ré fran­çais est deve­nu un levier pour la diplo­ma­tie de la France. Certes, le jeu des alliances et la conver­gence momen­ta­née d’in­té­rêts peut conduire tel ou tel pays afri­cain à adop­ter la même posi­tion que la France dans les ins­tances inter­na­tio­nales. Ceci ne souffre aucune contes­ta­tion. Mais, lorsque cela devient presque une obli­ga­tion, on se demande s’il s’a­git d’un Etat indé­pen­dant ? Le choix par un pays afri­cain d’une autre posi­tion que celle de la France devient pour cet Etat une source d’en­nui, parce que la France aura consi­dé­ré que ce pays fait acte d’in­fi­dé­li­té. Alors, on est en pré­sence d’une rela­tion de force qu’il faut dénon­cer avec vigueur. Le temps où la Côte d’Ivoire pas­sait par la France pour prendre des ins­truc­tions avant d’ar­ri­ver aux État-Unis est révo­lu. Et le temps pour le retour d’une mis­sion à Moscou néces­si­tait une escale à Paris pour faire le compte ren­du est aus­si dépassé.
    Dans notre socié­té mon­dia­li­sée, la France elle-même cherche à lut­ter par tous les moyens contre ce qu’elle qua­li­fie d’hé­gé­mo­nie de l’Amérique. Le but étant de faire connaître la voix de la France, la voix de l’Europe. Une Europe que Chirac cherche tant à uni­fier et à agrandir.
    Parallèlement à cette volon­té de se démar­quer de l’Amérique, Chirac met en œuvre ses ins­tru­ments de des­truc­tion pour cas­ser la cohé­sion des orga­ni­sa­tions sous-régio­nales et régio­nales comme la CEDEAO et l’UA, en mon­tant les pays les uns contre les autres. On a encore à l’es­prit le com­por­te­ment hon­teux des Chefs d’État d’Afrique fran­co­phone essen­tiel­le­ment, dans les dis­cus­sions sur la crise ivoi­rienne. Sur les quinze États de la CEDEAO, aucun Chef d’État, n’a eu le cou­rage, ni même la digni­té, non pas de condam­ner la France, de peur de repré­sailles, mais seule­ment de déplo­rer et de com­pa­tir avec le peuple frère ivoi­rien, lorsque Chirac a mobi­li­sé son armée de légion­naires pro­fes­sion­nels pour mas­sa­crer les jeunes patriotes ivoi­riens qui mani­fes­taient les mains nues face à des chars fran­çais du 6 au 9 novembre 2004 devant l’hô­tel Ivoire.
    Ces der­niers jours au Togo, c’est un scé­na­rio simi­laire un peu nuan­cé que Chirac a mis en œuvre. Après avoir ins­truit le clan Gnassingbé sur la solu­tion du coup d’Etat pour conser­ver le pou­voir, d’ailleurs, curieu­se­ment, aucune ins­ti­tu­tion n’a deman­dé que les cou­pables soient tra­duits en jus­tice après qu’ils ont par­tiel­le­ment renon­cé à leur for­fai­ture, Chirac, fort de son expé­rience de décon­fi­ture en Côte d’Ivoire, a mis la CEDEAO en pre­mière ligne, ou plu­tôt le Président de cette Institution, tel­le­ment les autres Chefs d’État ont été silen­cieux sur la crise togo­laise. Alors que le ministre de l’Intérieur du Togo, pré­sent sur le ter­rain, orga­ni­sa­teur prin­ci­pal des élec­tions, fidèle du Général Eyadéma, chef d’es­ca­dron de gen­dar­me­rie, juriste sor­tie de Saint-Cyr, annonce sur les ondes à deux heures du matin, après avoir réveillé et convain­cu les ambas­sa­deurs occi­den­taux d’être pré­sents à sa confé­rence de presse, que les condi­tions sont réunies pour une explo­sion sociale, si l’on main­te­nait les élec­tions, on entend le pré­sident de la CEDEAO rétor­quer qu’il s’a­git d’une sor­tie per­son­nelle et irres­pon­sable qui n’est pas de nature à remettre à plus tard les pre­mières élec­tions pré­si­den­tielles d’a­près l’ère ter­rible de Gnassingbé père. L’écho de Chirac n’a pas tar­dé pour sou­te­nir la posi­tion du Président de la CEDEAO. Alors que l’on voit sur les écrans de télé­vi­sion du monde entier, les sou­dards à la solde du clan Gnassingbé, cou­rir dans les centres de vote répu­tés favo­rables à l’op­po­si­tion, avec sous les bras les urnes rem­plies de bul­le­tins de vote et la kalach­ni­kov en ban­dou­lière, la CEDEAO annonce fiè­re­ment, sou­te­nue par le Quai d’Orsay, que les élec­tions qu’elle a super­vi­sées avec 150 obser­va­teurs pour 5300 bureaux se sont dérou­lées nor­ma­le­ment. La nor­ma­li­té de Chirac est redé­fi­nie sous les tro­piques. Si les mili­taires se sont com­por­tés ain­si sans hési­ta­tion sous les objec­tifs des médias occi­den­taux, car sachant que c’est sans consé­quence pour eux, qu’en a‑t-il été dans les zones de l’in­té­rieur du pays non cou­vertes par les médias ? Si la répres­sion mili­taire qui a conduit à plus d’une cen­taine de morts dans la capi­tale, n’a fait l’ob­jet d’au­cune condam­na­tion, ni par la CEDEAO ni par la France, on ne peut plus ne pas com­prendre que le seul inté­rêt de Chirac et sa clique est de main­te­nir la Famille Gnassingbé au pou­voir, quelque puisse être le moyen uti­li­sé, et le prix à payer par le peuple togo­lais. On tente un coup d’Etat, si ça ne marche pas, ce n’est pas grave. On demande au put­schiste d’être can­di­dat à une élec­tion dont ils connaissent déjà les résul­tats à l’a­vance. C’est plus sûr. Si l’op­po­si­tion veut contes­ter, on mate bru­ta­le­ment, à coups de kalach­ni­kov. Quelques jours de désordre et tout le monde se cal­me­ra, avec le silence com­plice de l’Union afri­caine dont le Président de la Commission semble avoir été rap­pe­lé à l’ordre par Paris, après sa sor­tie d’a­près coup d’État. La CEDEAO reprend du ser­vice pour exhor­ter la popu­la­tion à accep­ter les résul­tats défi­ni­tifs qui seront pro­non­cés par la Cour consti­tu­tion­nelle, celle-là même qui avait déjà fait prê­ter ser­ment au put­schiste après le coup d’État. Quelle bouf­fon­ne­rie ! Chirac à vrai­ment rai­son. Il connaît bien la psy­cho­lo­gie et l’âme de l’Afrique de l’Ouest. C’est pour­quoi depuis l’OCAM, ancêtre de l’OUA et de l’UA, la CEDEAO est véri­ta­ble­ment un ins­tru­ment de la poli­tique fran­çaise, par­ti­cu­liè­re­ment en Afrique fran­co­phone. Maintenant que les jeux semblent être faits, des obser­va­teurs de la CEDEAO sortent de l’ombre, à titre indi­vi­duel pour dénon­cer ce qu’ils ont obser­vé lors du scru­tin. Mieux vaut tard que jamais. Mais tout de même. Ils auraient pu s’ex­pri­mer plus tôt. Cela aurait peut-être fait réflé­chir la CEDEAO avant de s’empresser à vali­der les élec­tions pré­si­den­tielles togolaises.
    Quand les pays afri­cains anglo­phones orga­nisent des élec­tions, les choses se passent presque nor­ma­le­ment. Cela a été le cas pour le Nigeria et le Ghana récem­ment, en Afrique de l’Ouest. Même au Zimbabwe, où Robert Mugabe est la cible des Occidentaux, Tony Blair, Premier ministre de l’an­cienne puis­sance colo­niale du Zimbabwe, n’a pas armé l’op­po­si­tion pour conduire le pays à la guerre. Cette pra­tique demeure le mono­pole de la France. Est-ce ça l’ex­cep­tion culturelle ?
    Mais, comme dans Astérix, il y a en Afrique de l’Ouest un pays dont Chirac semble mécon­naître par­fai­te­ment la psy­cho­lo­gie et l’âme. C’est natu­rel­le­ment la Côte d’Ivoire. Le coup d’État mili­taire du 19 sep­tembre 2002 à Abidjan a échoué. Le coup d’État consti­tu­tion­nel de Pierre Mazeau en jan­vier 2003 à Marcoussis a échoué. La rébel­lion sur trois ans a échoué. Le coup d’État mili­taire de l’ar­mée fran­çaise en pre­mière ligne en novembre 2004 a échoué. La CEDEAO a échoué. L’Union afri­caine a échoué. Il a fal­lu tout le doig­té du Président Thabo Mbéki, Président du plus grand pays d’Afrique qui a pro­duit le plus grand homme d’État de notre monde contem­po­rain, Nelson Mandela, pour connaître des avan­cées notables dans la réso­lu­tion de la crise ivoi­rienne. Même si aujourd’­hui l’Union afri­caine tire la cou­ver­ture à elle, c’est avant tout une vic­toire per­son­nelle du Président d’Afrique du Sud. Ce qui porte à croire que, ce n’est ni une ques­tion de psy­cho­lo­gie, ni une ques­tion d’âme, mais sim­ple­ment une ques­tion de neu­tra­li­té et d’im­par­tia­li­té, alliées à un objec­tif clair et sans ambi­guï­té qui a conduit en peu de temps au résul­tat que l’on connaît. Alassane Dramane Ouattara est can­di­dat à la pré­si­dence de la République de Côte d’Ivoire. Un vieux rêve, réa­li­sé au prix d’une atroce guerre ! Les élec­teurs sau­ront appré­cier le 30 octobre 2005 dans le secret des urnes.
    Et main­te­nant qu’ADO est candidat…

    Maintenant que Ouattara est can­di­dat, la grande ques­tion qui se pose est de savoir quelle potion indi­geste Chirac concocte encore au peuple ivoi­rien et à son Président, pour la suite des évé­ne­ments en Côte d’Ivoire. Personne ne sau­rait pen­ser qu’a­près avoir mis autant de res­sources et d’éner­gie dans la guerre de la France contre la Côte d’Ivoire, après s’être per­son­nel­le­ment impli­qué dans la mise en œuvre de cette crise et après avoir publi­que­ment fait com­prendre que l’ob­jec­tif qu’il pour­suit est de rem­pla­cer le Président Gbagbo par quel­qu’un de plus docile, Chirac se conten­te­ra d’une simple can­di­da­ture de son pou­lain ADO. Chirac ne s’ar­rê­te­ra pas en si bon che­min, après avoir réus­si à arra­cher l’é­li­gi­bi­li­té de son pro­té­gé, à défaut de pou­voir l’im­po­ser comme Chef d’État par les armes. D’ailleurs, les Ivoiriens peuvent s’es­ti­mer heu­reux qu’on n’ait pas exi­gé de Gbagbo qu’il nomme ADO pré­sident de la République grâce au pou­voir de l’ar­ticle 48. On aurait plus été à ça près !
    Si la déci­sion du Président Gbagbo de per­mettre à ADO d’être excep­tion­nel­le­ment can­di­dat à l’é­lec­tion pré­si­den­tielle d’oc­tobre 2005 sus­cite un grand espoir de réso­lu­tion de la crise, car ouvrant la voie au point focal que consti­tue le désar­me­ment des rebelles, la vigi­lance des patriotes doit être décu­plée, car, les mois à venir consti­tuant les der­nières étapes avant que Chirac et son pro­té­gé ne se rendent compte de l’im­pos­si­bi­li­té d’at­teindre leur objec­tif de mettre ADO à la tête de la Côte d’Ivoire par la voie des urnes, c’est le moment pour la Françafrique de mettre en œuvre le plan B, celle de la poli­tique de la terre brû­lée qui ser­vi­ra une fois de plus à pré­tex­ter que sans la France, les Africains ne parlent que le lan­gage de la guerre civile et des conflits eth­niques. La Côte d’Ivoire entre donc dans la période de tous les dan­gers, parce que l’heure de véri­té approche. Les manœuvres diplo­ma­tiques, poli­tiques, voire mili­taires vont s’in­ten­si­fier. C’est le moment de relan­cer la machine de com­mu­ni­ca­tion qui a tant mis en déroute Chirac et ses légion­naires pro­fes­sion­nels en novembre 2004, et de mobi­li­ser l’at­ten­tion des popu­la­tions afri­caines et du monde sur la période élec­to­rale en Côte d’Ivoire. Se replier et gérer sa petite affaire dans les fron­tières du pays, intra muros, consti­tue le plus grand dan­ger pour la Côte d’Ivoire. Il faut mobi­li­ser l’in­té­rêt du monde et mettre les pro­jec­teurs sur la Côte d’Ivoire pour que le monde entier sache ce que Chirac trame en Côte d’Ivoire. Si la com­mu­nau­té inter­na­tio­nale, plus pré­ci­sé­ment les diri­geants veulent jouer aux sourds, muets et aveugles, leurs popu­la­tions ne sont plus prêtes à accep­ter des pra­tiques inhu­maines et anti­dé­mo­cra­tiques que pra­tique Chirac en Afrique.
    La com­mu­ni­ca­tion ivoi­rienne gagne­rait à être orien­tée vers la socié­té civile dans les pays occi­den­taux, afin de sus­ci­ter un inté­rêt simi­laire à celui qui avait été mani­fes­té au syn­di­cat Solidarnosc Pologne. Il serait bien indi­qué que la Côte d’Ivoire ouvre ses portes à tous les res­sor­tis­sants occi­den­taux qui luttent tous les jours contre l’ar­bi­traire. On a bien vu des gens par­cou­rir des mil­liers de kilo­mètres pour aller en Irak, y com­pris des Africains, pour ser­vir de bou­clier humain lors de la pre­mière guerre du Golfe. L’opinion occi­den­tale, à qui on a tou­jours caché ce qui se passe en Afrique, est prête à peser de son influence pour lut­ter contre les injus­tices, où qu’elles se déroulent dans le monde. Pour peu que l’in­for­ma­tion lui soit portée.
    Cette lutte, aus­si achar­née qu’elle puisse être, ne concerne que les faits actuels, la guerre et les élec­tions. Mais les effets de ces sacri­fices ne seront dura­ble­ment posi­tifs que si la Côte d’Ivoire affronte les causes fon­da­men­tales de la guerre, c’est-à-dire les inté­rêts éco­no­miques qui sont pro­té­gés par les accords de coopération.
    Dénoncer les accords de coopération

    Depuis la fin offi­cielle de la pré­sence colo­niale de la France en Afrique, c’est la pre­mière fois qu’un pays afri­cain, ancienne colo­nie fran­çaise, met à nu de manière aus­si lim­pide les dés­équi­libres rela­tion­nels avec la France. Il s’a­git de la Côte d’Ivoire, qui est deve­nue l’en­fant ter­rible du pré-car­ré fran­çais, depuis que Chirac a déci­dé de mettre un terme au man­dat de Laurent Gbagbo, Président élu par les Ivoiriens. Alors que ce pays était consi­dé­ré comme un rouage pré­pon­dé­rant de la poli­tique Françafrique, Chirac n’a pas hési­té à boire jus­qu’à la lie en pié­ti­nant la digni­té du peuple ivoi­rien. Pour la Côte d’Ivoire, le réveil est bru­tal mais la conscience est en ébul­li­tion. A voir les effets qui se pro­duisent, il ne s’a­git pas d’un mou­ve­ment d’hu­meur que Chirac va pou­voir mater à la force des armes, ou comp­ter sur le temps pour émous­ser la lutte. Le gron­de­ment de la Côte d’Ivoire vient du pays pro­fond, jus­qu’au pay­san recu­lé dans le plus petit hameau. Aujourd’hui, les Ivoiriens voient clair et crient leur déter­mi­na­tion à revoir les accords de coopé­ra­tion. Ces fameux accords que la France bran­dit et qui coûtent si cher aux inté­rêts de la Côte d’Ivoire.
    Tous les obser­va­teurs de la poli­tique chi­ra­quienne en Afrique savent qu’il s’a­git d’un sujet très sen­sible pour Paris. On se sou­vient qu’en 1972, sous la pré­si­dence de Pompidou, qui était presque un enfant de cœur à côté de Chirac le pré­da­teur, le Niger, le Tchad et le Congo Brazza avaient évo­qué leur inten­tion de réamé­na­ger, non pas de dénon­cer, mais sim­ple­ment de réamé­na­ger les accords de coopé­ra­tion. La réac­tion de Paris a été ful­gu­rante. Pompidou avait refu­sé de rece­voir le ministre nigé­rien des Affaires étran­gères, spé­cia­le­ment dépê­ché à Paris par Diori pour évo­quer ce sujet. La suite est connue, aucune consé­quence pour Paris. De même, lorsque la Mauritanie a vou­lu abro­ger la clause du déca­nat qui fait de l’am­bas­sa­deur de France le doyen du corps diplo­ma­tique sans consi­dé­ra­tion d’an­cien­ne­té, l’Élysée a rugi. C’est dire l’im­por­tance que tout cela revêt pour Paris. Soit, mais quelle en est la contre-par­tie pour les Africains ?
    En 2005, le main­tien de ces accords en l’é­tat demeure d’un grand inté­rêt pour la France. Mais, main­te­nant que le sujet n’est plus tabou, main­te­nant que ce sujet a quit­té le cercle res­treint des ini­tiés, main­te­nant que le peuple ivoi­rien est au fait de ses rela­tions avec la France, comme Pompidou, Chirac peut-il encore refu­ser le débat ? Peut-on envoyer paître l’État ivoi­rien lors­qu’il intro­dui­ra offi­ciel­le­ment le sujet ? Certainement que non. Le contexte a évo­lué, les rap­ports ont chan­gé, Chirac a fran­chi la ligne rouge, lors­qu’il a don­né l’ins­truc­tion à ses légion­naires d’a­battre les mani­fes­tants civils aux mains nues à Abidjan. Mais pour que le pro­ces­sus de dénon­cia­tion de ces accords devienne défi­ni­ti­ve­ment irré­ver­sible, il faut conti­nuer d’in­for­mer l’o­pi­nion natio­nale et inter­na­tio­nale. Il faut ouvrir le débat sur le ter­rain du droit, il faut mul­ti­plier les sémi­naires, comme celui qui vient d’être orga­ni­sé à Abidjan par le quo­ti­dien “Le Courrier d’Abidjan”, et qui a vu la par­ti­ci­pa­tion d’é­mi­nentes per­son­na­li­tés ivoi­riennes, de la sous-région et des pays occi­den­taux. Le public a pu y décou­vrir aus­si la pein­ture de Justin Oussou et le ciné­ma de Sidiki Bakaba.
    La tâche n’est pas facile, et ce que cer­tains esprits mal­in­ten­tion­nés qua­li­fie­ront de sub­ver­sion, n’est que l’ex­pres­sion de la lutte d’un peuple pour sa liber­té, même si cela consti­tue un risque cer­tain pour ceux qui viennent des pays de la sous-région où ce type d’ac­ti­vi­té peut être répri­mé de manière expé­di­tive. Maintenant que la Côte d’Ivoire a eu le cou­rage d’ex­pri­mer ses idées, il lui faut la déter­mi­na­tion néces­saire pour conduire la mise en œuvre à son terme. En menant sa résis­tance pour arra­cher sa liber­té, et rien que sa liber­té, la Côte d’Ivoire est deve­nue par la force des choses, le porte-flam­beau d’une Afrique qui veut se défaire des rémi­nis­cences des liens de l’es­cla­vage et de la colonisation.
    La Côte d’Ivoire, porte-flam­beau de la liber­té de l’Afrique

    La Côte d’Ivoire ne s’est pas auto-pro­cla­mée porte-flam­beau d’une quel­conque lutte pour l’Afrique. Elle lutte sim­ple­ment pour ses propres liber­tés. Mais il se trouve que la Côte d’Ivoire par­tage une com­mu­nau­té de des­tin avec d’autres pays, dans les types de rela­tion entre­te­nus avec la France. Aussi, les autres peuples voient-ils dans l’ac­tion des patriotes ivoi­riens un pré­cé­dent qui peut les aider dans leurs propres démarches. L’expérience montre que les évé­ne­ments se déroulent en Afrique par effet de domi­nos. Les indé­pen­dances ont été octroyées en cas­cade, les coups d’État se sont suc­cé­dé par conta­gion, les par­tis uniques ont fleu­ri les uns après les autres, les confé­rences natio­nales se sont enchaî­nées, même si l’on y a mis un terme, le plu­ra­lisme poli­tique est appa­ru dans la même période dans les pays fran­co­phones. Maintenant, l’heure est venue pour conqué­rir la liber­té éco­no­mique. La Côte d’Ivoire a ini­tié cette lutte. Elle tra­ce­ra la voie pour les autres pays, non pas en terme de moyens mais sur­tout en terme de résul­tats. Les peuples afri­cains se doivent donc d’ai­der les patriotes ivoi­riens à mener à un terme posi­tif, la lutte pour la liber­té, autant que le per­met le pou­voir dans leur pays. En retour, la Côte d’Ivoire aus­si doit savoir que le com­bat qu’elle mène dépasse les limites de ses fron­tières et que les résul­tats, quels qu’ils soient, auront des réper­cus­sions sur la vie des autres pays fran­co­phones. En cela, elle a une res­pon­sa­bi­li­té de lea­der. En cela, la Côte d’Ivoire a une obli­ga­tion de résul­tat. Une posi­tion qui lui per­met­tra à l’a­ve­nir de jouer plei­ne­ment son rôle de lea­der­ship poli­tique en cor­ré­la­tion avec sa posi­tion éco­no­mique dans la sous-région. C’est ce qui est sou­hai­table pour le bien de toute la sous-région et au-delà, pour toute l’Afrique. Alors, au lieu de trem­bler devant le pré­da­teur, inter­na­tio­na­li­sons immé­dia­te­ment la résis­tance et son patrio­tisme ; nous nous ren­drons le plus grand service.

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