(B)REVES D’AFRIQUE – COTE D’IVOIRE
COTE D’IVOIRE. « Ce qu’a vraiment fait la France » : sous ce titre, une remarquable enquête du Nouvel Observateur (n°2093 – 16/12) sur les événements de novembre, côté français. Où l’on peut mieux comprendre, derrière les regards de Jean-Paul Mari et Robert Marmoz, comment les quelque 350 militaires de la force Licorne (renforcés ensuite par des légionnaires venus du Gabon) ont eu à faire face aux dérèglements d’un pays en proie à la guerre civile et aux déchaînements de violence.
Sacrée épreuve : encaisser le bombardement du camp de Bouaké, avec morts et blessés ; secourir autant que possible les milliers d’expatriés devenus la cible des pires exactions («A chaque Ivoirien, son blanc !») ; maintenir le contrôle de la base française et de l’aéroport, indispensables aux renforts comme à l’évacuation des civils ; et tout cela dans un climat d'outrances et de provocations, en évitant autant que possible la «casse» – autrement dit le bain de sang – de part et d’autre. Sans oublier le climat général dans le pays avec ses dimensions politiques, les manipulations ivoiriennes comme les atermoiements français. On aimerait, bien sûr, trouver l’équivalent informatif côté ivoirien. Ce qui s’avère aujourd’hui impossible pour un journaliste blanc. Le dernier à le tenter, et sans doute le plus légitime pour ça, fut Jean Hélène, qui le paya de sa vie.
Dans ce même numéro, ne se limitant pas à l’événementiel, l’Obs’ donne la parole à Jean-François Bayart. Ce chercheur du CNRS, prend toute la hauteur nécessaire à la compréhension de ce drame qui cristallise tant d’ingrédients : le colonialisme, certes, mais plus encore aujourd’hui son cortège complexe qui aura fait défiler les Houphouët-Boigny, Pleven, Mitterrand, De Gaulle, Foccart, Bédié, Balladur, Chirac et Bgagbo enfin. Où l’on comprend comment a pu naître « la colère des jeunes citadins qui n’ont connu du “miracle ivoirien” que le chômage, et de la “Françafrique” que le refus des visas convoités ou la clandestinité des sans-papiers».
Comprendre n’excuse personne. Surtout pas une classe politique irresponsable d’où auront jailli les ultras de l’ «ivoirité» et les «demi-choix» des dirigeants français.
sous “tutelle” les pays africains ex-colonies, particulièrement les plus géographiquement stratégiques ou les plus riches. La Côte d’Ivoire a le “malheur” de figurer parmi ceux-là.
Les contours de la guerre montée en épingle contre la Côte d’Ivoire sont maintenant connus. Chirac ayant eu la maladresse de jouer le pourrissement de la crise, persuadé qu’il est, que les Ivoiriens s’essouffleront dans la résistance. N’est-il pas dans sa conception, et celle de tous les pourfendeurs de l’Afrique, que les Africains ne se contentent que de déclarations tapageuses et qu’ils ne vont jamais au bout de leurs actions ? Mais, de par la ténacité et la persévérance des patriotes ivoiriens, l’Élysée avec sa pléiade de spécialistes de dossiers africains et le Quai d’Orsay avec ses diplomates spécialisés es-Afrique, les clichés ne font plus recette et c’est la grande interrogation, voire la grande inquiétude qui conduit Chirac à des maladresses et des improvisations qui finissent par offrir aux Ivoiriens et au monde, la physionomie de tous les auteurs et de tous les acteurs de cette hideuse guerre.
Au-delà de l’ambition pathologique de Ouattara de présider aux destinées de la Côte d’Ivoire, l’objectif poursuivi par Chirac dans cette aventure est de casser la dynamique de la Refondation qui est incontestablement une menace pour les intérêts de la françafrique. Plus que la simple conquête de liberté et de démocratie que revendiquent les Ivoiriens, l’enjeu est considérable et multiforme. Il s’agit de pouvoir économique et financier, de pouvoir politique et diplomatique. Cet ensemble constitue un intérêt considérable que Chirac ne veut pas lâcher.
Enjeu économique, financier,politique et diplomatique
Depuis la traite des noirs, puis la colonisation et le néo-colonialisme, autant de maux qui ont successivement plombé le développement de l’Afrique au fil des siècles, le moteur premier qui motivait la France dans sa marche sur l’Afrique est surtout d’ordre économique et financier. La découverte de l’Afrique par les explorateurs, l’évangélisation et l’introduction de nouvelles civilisations sur le continent ont été autant de prétextes pour cacher les véritables raisons, commerciales et financières, qui ont toujours guidé la présence française en Afrique. Les différents comptoirs établis sur la côte occidentale de l’Afrique en témoignent. Plusieurs de ces comptoirs sont devenus des multinationales, aujourd’hui prospères.
Mais l’éveil des consciences de certains intellectuels occidentaux, alliés aux incessantes révoltes des Africains ont successivement conduit à l’abolition de l’esclavage et à la fin de la colonisation. Toutefois, autant la France a remplacé l’esclavage par la colonisation pour pérenniser le contrôle de ces pays, autant la fin de la colonisation a donné naissance au modèle néo-colonial. L’objectif est toujours le même. Passé d’un modèle à l’autre, en minimisant la perte des avantages et en perpétuant autant que possible la domination monopolistique de la France sur les pays africains. C’est ce concept qui a prévalu au moment des “indépendances”, lorsque la France, en déroute en Indochine et menacée par l’Algérie, a décidé d’octroyer en catastrophe l’autonomie à ses colonies africaines pour éviter la contagion de la guerre d’Algérie. Pour protéger ses arrières, la France a concocté l’ingénieuse idée des accords de coopération. Aujourd’hui d’ailleurs, les experts juristes nous disent que ces accords peuvent être vite dénoncés, tant les parties signataires avaient des positions déséquilibrées de dominants à dominés. La France, en perdant les attributs et avantages de la colonisation, a eu le loisir de concevoir les textes des accords qui préservent ses intérêts économiques, alors que les Africains étaient essentiellement préoccupés par la liberté primaire, celle qui est due à tout être humain et pour laquelle on se bat en oubliant tout autre considération.
Les Africains, réveillés par la lutte menée par les patriotes ivoiriens, se rendent compte que les textes des accords sont conçus pour maintenir les États africains dans une domination coloniale qui change de terminologie. On parle d’accord pour simuler un engagement mutuel qui serait pris d’égal à égal, en connaissance de cause par toutes les parties. Il n’en est rien dans le cas des accords franco-africains. L’une des parties avait toutes les connaissances, tout le savoir-faire en matière de relations internationales, alors que l’autre partie ne disposait, dans les années 60, ni de l’expérience suffisante, ni des moyens nécessaires pour cerner le contour des tenants et aboutissants du contenu des accords.
Le cas particulier des accords dits de défense illustre bien le fait que la seule motivation qui pousse la France dans ses relations avec l’Afrique est d’ordre économique, et à son seul bénéfice. Alors que l’on parle d’accord de défense, le contenu des textes ne porte que sur le commerce. Même s’il s’agit de commerce de produits dits stratégiques que les Etats africains doivent mettre en priorité à la disposition des forces armées françaises. En cela, on peut reconnaître à De Gaulle le mérite de dire parfois les choses avec toutes leurs aspérités, comme l’illustre le célèbre propos selon lequel la France n’a pas d’ami, elle n’a que des intérêts.
Cette phrase constitue l’une des raisons fondamentales qui poussent les Ivoiriens à ne plus accepter que Chirac traite la Côte d’Ivoire de pays frère et allié, avec toute la connotation condescendante et péjorative que cela renferme. On fait valoir qu’il faut traiter l’Afrique avec sentimentalisme, alors qu’ailleurs, on met en avant le professionnalisme et le respect mutuel.
La Côte d’Ivoire veut être considérée comme un partenaire qui défend ses intérêts, au même titre que la France défend les siens par ailleurs, et même vis-à-vis de la Côte d’Ivoire. Mais que cela se fasse sur le terrain du droit et non en fonction des capacités militaires. Sur quelle base peut-on se fonder pour refuser aux Ivoiriens une remise en cause totale et immédiate d’accords qui sont en leur défaveur depuis plusieurs décennies. Tant que les Ivoiriens n’avaient pas pris conscience de la nécessité de dénoncer ces accords, tant mieux pour la France. Mais aujourd’hui que cela est revendiqué, à cor et à cri, par le peuple ivoirien, par les intellectuels et même des hommes politiques, alors Chirac doit tenir compte de cette clameur et accompagner le mouvement, plutôt que de vouloir imposer par la force des armes, des traités caducs, désuets et dénoncés. Certes, jusqu’à présent l’État de Côte d’Ivoire ménage la France, pas de poursuite devant le tribunal pénal international après les événements de novembre 2004, pas de démarche officielle de désaveu des accords. Le principe étant d’éviter une rupture brutale et unilatérale. Même si dans les textes des accords il n’est fait nulle part mention du mode de dénonciation, le décret d’application signé par Houphouet-Boigny investit le ministre des Affaires étrangères pour cette tache.
A chaque fois que la main-mise de la France est dénoncée, cette dernière s’évertue à justifier sa présence par la propension des Africains à n’aimer que les guerres civiles, les conflits ethniques. Bref, à présenter les Africains comme étant incapables de se prendre en charge. C’est le cliché traditionnel. La présence de la France est toujours définie comme nécessaire pour protéger l’Afrique contre elle-même.
Les liaisons dangereuses de Chirac avec l’Afrique constituent une manne financière pour la Françafrique. Sinon, comment expliquer que, sur le trajet aérien Paris-New York qui représente environ la même distance que le trajet Paris-Abidjan, Air France pratique un tarif cinq fois inférieur sur New-York que sur Abidjan ? On comprend mieux pourquoi Air France fait 60% de ses marges bénéficiaires sur les lignes africaines. On ne revient pas sur la manne financière que offrent pour la France les comptes d’opérations, ni sur les multiples monopoles de secteurs stratégiques que les entreprises françaises détiennent en Côte d’Ivoire. Les médias ont déjà suffisamment relevé les cas de France Télécom pour les télécommunications, le groupe Saur pour l’eau et l’électricité, Bolloré pour le transport maritime et ferroviaire, Air France pour le transport aérien (même ivoire appartient à Air France), Delmas pour le transport maritime, Total pour la Raffinerie, et bien d’autres. Et le schéma est le même dans toutes les ex-colonies. Bien entendu, il ne s’agit pas de faire partir le monopole absolu de la France pour le remplacer par un autre monopole de marchés captifs, d’ailleurs plus aucun pays ne peut avoir en Côte d’Ivoire la position prépondérante de la France qui émane de plusieurs siècles de relations en tout genre, mais il est simplement question de prendre en considération la légitime revendication de la Côte d’Ivoire qui veut être traitée selon les mêmes règles qui régissent le commerce mondial et les relations entre États modernes dans ce siècle de la mondialisation. La Côte d’Ivoire est une poule aux œufs d’or que Chirac ne veut lâcher pour rien au monde, quel qu’en soit le prix, non seulement à cause des rentes de situations, mais aussi à cause des enjeux politiques et diplomatiques.
Depuis que Bandung a initié la prise de parole des pays économiquement faibles, le pré-carré français est devenu un levier pour la diplomatie de la France. Certes, le jeu des alliances et la convergence momentanée d’intérêts peut conduire tel ou tel pays africain à adopter la même position que la France dans les instances internationales. Ceci ne souffre aucune contestation. Mais, lorsque cela devient presque une obligation, on se demande s’il s’agit d’un Etat indépendant ? Le choix par un pays africain d’une autre position que celle de la France devient pour cet Etat une source d’ennui, parce que la France aura considéré que ce pays fait acte d’infidélité. Alors, on est en présence d’une relation de force qu’il faut dénoncer avec vigueur. Le temps où la Côte d’Ivoire passait par la France pour prendre des instructions avant d’arriver aux État-Unis est révolu. Et le temps pour le retour d’une mission à Moscou nécessitait une escale à Paris pour faire le compte rendu est aussi dépassé.
Dans notre société mondialisée, la France elle-même cherche à lutter par tous les moyens contre ce qu’elle qualifie d’hégémonie de l’Amérique. Le but étant de faire connaître la voix de la France, la voix de l’Europe. Une Europe que Chirac cherche tant à unifier et à agrandir.
Parallèlement à cette volonté de se démarquer de l’Amérique, Chirac met en œuvre ses instruments de destruction pour casser la cohésion des organisations sous-régionales et régionales comme la CEDEAO et l’UA, en montant les pays les uns contre les autres. On a encore à l’esprit le comportement honteux des Chefs d’État d’Afrique francophone essentiellement, dans les discussions sur la crise ivoirienne. Sur les quinze États de la CEDEAO, aucun Chef d’État, n’a eu le courage, ni même la dignité, non pas de condamner la France, de peur de représailles, mais seulement de déplorer et de compatir avec le peuple frère ivoirien, lorsque Chirac a mobilisé son armée de légionnaires professionnels pour massacrer les jeunes patriotes ivoiriens qui manifestaient les mains nues face à des chars français du 6 au 9 novembre 2004 devant l’hôtel Ivoire.
Ces derniers jours au Togo, c’est un scénario similaire un peu nuancé que Chirac a mis en œuvre. Après avoir instruit le clan Gnassingbé sur la solution du coup d’Etat pour conserver le pouvoir, d’ailleurs, curieusement, aucune institution n’a demandé que les coupables soient traduits en justice après qu’ils ont partiellement renoncé à leur forfaiture, Chirac, fort de son expérience de déconfiture en Côte d’Ivoire, a mis la CEDEAO en première ligne, ou plutôt le Président de cette Institution, tellement les autres Chefs d’État ont été silencieux sur la crise togolaise. Alors que le ministre de l’Intérieur du Togo, présent sur le terrain, organisateur principal des élections, fidèle du Général Eyadéma, chef d’escadron de gendarmerie, juriste sortie de Saint-Cyr, annonce sur les ondes à deux heures du matin, après avoir réveillé et convaincu les ambassadeurs occidentaux d’être présents à sa conférence de presse, que les conditions sont réunies pour une explosion sociale, si l’on maintenait les élections, on entend le président de la CEDEAO rétorquer qu’il s’agit d’une sortie personnelle et irresponsable qui n’est pas de nature à remettre à plus tard les premières élections présidentielles d’après l’ère terrible de Gnassingbé père. L’écho de Chirac n’a pas tardé pour soutenir la position du Président de la CEDEAO. Alors que l’on voit sur les écrans de télévision du monde entier, les soudards à la solde du clan Gnassingbé, courir dans les centres de vote réputés favorables à l’opposition, avec sous les bras les urnes remplies de bulletins de vote et la kalachnikov en bandoulière, la CEDEAO annonce fièrement, soutenue par le Quai d’Orsay, que les élections qu’elle a supervisées avec 150 observateurs pour 5300 bureaux se sont déroulées normalement. La normalité de Chirac est redéfinie sous les tropiques. Si les militaires se sont comportés ainsi sans hésitation sous les objectifs des médias occidentaux, car sachant que c’est sans conséquence pour eux, qu’en a‑t-il été dans les zones de l’intérieur du pays non couvertes par les médias ? Si la répression militaire qui a conduit à plus d’une centaine de morts dans la capitale, n’a fait l’objet d’aucune condamnation, ni par la CEDEAO ni par la France, on ne peut plus ne pas comprendre que le seul intérêt de Chirac et sa clique est de maintenir la Famille Gnassingbé au pouvoir, quelque puisse être le moyen utilisé, et le prix à payer par le peuple togolais. On tente un coup d’Etat, si ça ne marche pas, ce n’est pas grave. On demande au putschiste d’être candidat à une élection dont ils connaissent déjà les résultats à l’avance. C’est plus sûr. Si l’opposition veut contester, on mate brutalement, à coups de kalachnikov. Quelques jours de désordre et tout le monde se calmera, avec le silence complice de l’Union africaine dont le Président de la Commission semble avoir été rappelé à l’ordre par Paris, après sa sortie d’après coup d’État. La CEDEAO reprend du service pour exhorter la population à accepter les résultats définitifs qui seront prononcés par la Cour constitutionnelle, celle-là même qui avait déjà fait prêter serment au putschiste après le coup d’État. Quelle bouffonnerie ! Chirac à vraiment raison. Il connaît bien la psychologie et l’âme de l’Afrique de l’Ouest. C’est pourquoi depuis l’OCAM, ancêtre de l’OUA et de l’UA, la CEDEAO est véritablement un instrument de la politique française, particulièrement en Afrique francophone. Maintenant que les jeux semblent être faits, des observateurs de la CEDEAO sortent de l’ombre, à titre individuel pour dénoncer ce qu’ils ont observé lors du scrutin. Mieux vaut tard que jamais. Mais tout de même. Ils auraient pu s’exprimer plus tôt. Cela aurait peut-être fait réfléchir la CEDEAO avant de s’empresser à valider les élections présidentielles togolaises.
Quand les pays africains anglophones organisent des élections, les choses se passent presque normalement. Cela a été le cas pour le Nigeria et le Ghana récemment, en Afrique de l’Ouest. Même au Zimbabwe, où Robert Mugabe est la cible des Occidentaux, Tony Blair, Premier ministre de l’ancienne puissance coloniale du Zimbabwe, n’a pas armé l’opposition pour conduire le pays à la guerre. Cette pratique demeure le monopole de la France. Est-ce ça l’exception culturelle ?
Mais, comme dans Astérix, il y a en Afrique de l’Ouest un pays dont Chirac semble méconnaître parfaitement la psychologie et l’âme. C’est naturellement la Côte d’Ivoire. Le coup d’État militaire du 19 septembre 2002 à Abidjan a échoué. Le coup d’État constitutionnel de Pierre Mazeau en janvier 2003 à Marcoussis a échoué. La rébellion sur trois ans a échoué. Le coup d’État militaire de l’armée française en première ligne en novembre 2004 a échoué. La CEDEAO a échoué. L’Union africaine a échoué. Il a fallu tout le doigté du Président Thabo Mbéki, Président du plus grand pays d’Afrique qui a produit le plus grand homme d’État de notre monde contemporain, Nelson Mandela, pour connaître des avancées notables dans la résolution de la crise ivoirienne. Même si aujourd’hui l’Union africaine tire la couverture à elle, c’est avant tout une victoire personnelle du Président d’Afrique du Sud. Ce qui porte à croire que, ce n’est ni une question de psychologie, ni une question d’âme, mais simplement une question de neutralité et d’impartialité, alliées à un objectif clair et sans ambiguïté qui a conduit en peu de temps au résultat que l’on connaît. Alassane Dramane Ouattara est candidat à la présidence de la République de Côte d’Ivoire. Un vieux rêve, réalisé au prix d’une atroce guerre ! Les électeurs sauront apprécier le 30 octobre 2005 dans le secret des urnes.
Et maintenant qu’ADO est candidat…
Maintenant que Ouattara est candidat, la grande question qui se pose est de savoir quelle potion indigeste Chirac concocte encore au peuple ivoirien et à son Président, pour la suite des événements en Côte d’Ivoire. Personne ne saurait penser qu’après avoir mis autant de ressources et d’énergie dans la guerre de la France contre la Côte d’Ivoire, après s’être personnellement impliqué dans la mise en œuvre de cette crise et après avoir publiquement fait comprendre que l’objectif qu’il poursuit est de remplacer le Président Gbagbo par quelqu’un de plus docile, Chirac se contentera d’une simple candidature de son poulain ADO. Chirac ne s’arrêtera pas en si bon chemin, après avoir réussi à arracher l’éligibilité de son protégé, à défaut de pouvoir l’imposer comme Chef d’État par les armes. D’ailleurs, les Ivoiriens peuvent s’estimer heureux qu’on n’ait pas exigé de Gbagbo qu’il nomme ADO président de la République grâce au pouvoir de l’article 48. On aurait plus été à ça près !
Si la décision du Président Gbagbo de permettre à ADO d’être exceptionnellement candidat à l’élection présidentielle d’octobre 2005 suscite un grand espoir de résolution de la crise, car ouvrant la voie au point focal que constitue le désarmement des rebelles, la vigilance des patriotes doit être décuplée, car, les mois à venir constituant les dernières étapes avant que Chirac et son protégé ne se rendent compte de l’impossibilité d’atteindre leur objectif de mettre ADO à la tête de la Côte d’Ivoire par la voie des urnes, c’est le moment pour la Françafrique de mettre en œuvre le plan B, celle de la politique de la terre brûlée qui servira une fois de plus à prétexter que sans la France, les Africains ne parlent que le langage de la guerre civile et des conflits ethniques. La Côte d’Ivoire entre donc dans la période de tous les dangers, parce que l’heure de vérité approche. Les manœuvres diplomatiques, politiques, voire militaires vont s’intensifier. C’est le moment de relancer la machine de communication qui a tant mis en déroute Chirac et ses légionnaires professionnels en novembre 2004, et de mobiliser l’attention des populations africaines et du monde sur la période électorale en Côte d’Ivoire. Se replier et gérer sa petite affaire dans les frontières du pays, intra muros, constitue le plus grand danger pour la Côte d’Ivoire. Il faut mobiliser l’intérêt du monde et mettre les projecteurs sur la Côte d’Ivoire pour que le monde entier sache ce que Chirac trame en Côte d’Ivoire. Si la communauté internationale, plus précisément les dirigeants veulent jouer aux sourds, muets et aveugles, leurs populations ne sont plus prêtes à accepter des pratiques inhumaines et antidémocratiques que pratique Chirac en Afrique.
La communication ivoirienne gagnerait à être orientée vers la société civile dans les pays occidentaux, afin de susciter un intérêt similaire à celui qui avait été manifesté au syndicat Solidarnosc Pologne. Il serait bien indiqué que la Côte d’Ivoire ouvre ses portes à tous les ressortissants occidentaux qui luttent tous les jours contre l’arbitraire. On a bien vu des gens parcourir des milliers de kilomètres pour aller en Irak, y compris des Africains, pour servir de bouclier humain lors de la première guerre du Golfe. L’opinion occidentale, à qui on a toujours caché ce qui se passe en Afrique, est prête à peser de son influence pour lutter contre les injustices, où qu’elles se déroulent dans le monde. Pour peu que l’information lui soit portée.
Cette lutte, aussi acharnée qu’elle puisse être, ne concerne que les faits actuels, la guerre et les élections. Mais les effets de ces sacrifices ne seront durablement positifs que si la Côte d’Ivoire affronte les causes fondamentales de la guerre, c’est-à-dire les intérêts économiques qui sont protégés par les accords de coopération.
Dénoncer les accords de coopération
Depuis la fin officielle de la présence coloniale de la France en Afrique, c’est la première fois qu’un pays africain, ancienne colonie française, met à nu de manière aussi limpide les déséquilibres relationnels avec la France. Il s’agit de la Côte d’Ivoire, qui est devenue l’enfant terrible du pré-carré français, depuis que Chirac a décidé de mettre un terme au mandat de Laurent Gbagbo, Président élu par les Ivoiriens. Alors que ce pays était considéré comme un rouage prépondérant de la politique Françafrique, Chirac n’a pas hésité à boire jusqu’à la lie en piétinant la dignité du peuple ivoirien. Pour la Côte d’Ivoire, le réveil est brutal mais la conscience est en ébullition. A voir les effets qui se produisent, il ne s’agit pas d’un mouvement d’humeur que Chirac va pouvoir mater à la force des armes, ou compter sur le temps pour émousser la lutte. Le grondement de la Côte d’Ivoire vient du pays profond, jusqu’au paysan reculé dans le plus petit hameau. Aujourd’hui, les Ivoiriens voient clair et crient leur détermination à revoir les accords de coopération. Ces fameux accords que la France brandit et qui coûtent si cher aux intérêts de la Côte d’Ivoire.
Tous les observateurs de la politique chiraquienne en Afrique savent qu’il s’agit d’un sujet très sensible pour Paris. On se souvient qu’en 1972, sous la présidence de Pompidou, qui était presque un enfant de cœur à côté de Chirac le prédateur, le Niger, le Tchad et le Congo Brazza avaient évoqué leur intention de réaménager, non pas de dénoncer, mais simplement de réaménager les accords de coopération. La réaction de Paris a été fulgurante. Pompidou avait refusé de recevoir le ministre nigérien des Affaires étrangères, spécialement dépêché à Paris par Diori pour évoquer ce sujet. La suite est connue, aucune conséquence pour Paris. De même, lorsque la Mauritanie a voulu abroger la clause du décanat qui fait de l’ambassadeur de France le doyen du corps diplomatique sans considération d’ancienneté, l’Élysée a rugi. C’est dire l’importance que tout cela revêt pour Paris. Soit, mais quelle en est la contre-partie pour les Africains ?
En 2005, le maintien de ces accords en l’état demeure d’un grand intérêt pour la France. Mais, maintenant que le sujet n’est plus tabou, maintenant que ce sujet a quitté le cercle restreint des initiés, maintenant que le peuple ivoirien est au fait de ses relations avec la France, comme Pompidou, Chirac peut-il encore refuser le débat ? Peut-on envoyer paître l’État ivoirien lorsqu’il introduira officiellement le sujet ? Certainement que non. Le contexte a évolué, les rapports ont changé, Chirac a franchi la ligne rouge, lorsqu’il a donné l’instruction à ses légionnaires d’abattre les manifestants civils aux mains nues à Abidjan. Mais pour que le processus de dénonciation de ces accords devienne définitivement irréversible, il faut continuer d’informer l’opinion nationale et internationale. Il faut ouvrir le débat sur le terrain du droit, il faut multiplier les séminaires, comme celui qui vient d’être organisé à Abidjan par le quotidien “Le Courrier d’Abidjan”, et qui a vu la participation d’éminentes personnalités ivoiriennes, de la sous-région et des pays occidentaux. Le public a pu y découvrir aussi la peinture de Justin Oussou et le cinéma de Sidiki Bakaba.
La tâche n’est pas facile, et ce que certains esprits malintentionnés qualifieront de subversion, n’est que l’expression de la lutte d’un peuple pour sa liberté, même si cela constitue un risque certain pour ceux qui viennent des pays de la sous-région où ce type d’activité peut être réprimé de manière expéditive. Maintenant que la Côte d’Ivoire a eu le courage d’exprimer ses idées, il lui faut la détermination nécessaire pour conduire la mise en œuvre à son terme. En menant sa résistance pour arracher sa liberté, et rien que sa liberté, la Côte d’Ivoire est devenue par la force des choses, le porte-flambeau d’une Afrique qui veut se défaire des réminiscences des liens de l’esclavage et de la colonisation.
La Côte d’Ivoire, porte-flambeau de la liberté de l’Afrique
La Côte d’Ivoire ne s’est pas auto-proclamée porte-flambeau d’une quelconque lutte pour l’Afrique. Elle lutte simplement pour ses propres libertés. Mais il se trouve que la Côte d’Ivoire partage une communauté de destin avec d’autres pays, dans les types de relation entretenus avec la France. Aussi, les autres peuples voient-ils dans l’action des patriotes ivoiriens un précédent qui peut les aider dans leurs propres démarches. L’expérience montre que les événements se déroulent en Afrique par effet de dominos. Les indépendances ont été octroyées en cascade, les coups d’État se sont succédé par contagion, les partis uniques ont fleuri les uns après les autres, les conférences nationales se sont enchaînées, même si l’on y a mis un terme, le pluralisme politique est apparu dans la même période dans les pays francophones. Maintenant, l’heure est venue pour conquérir la liberté économique. La Côte d’Ivoire a initié cette lutte. Elle tracera la voie pour les autres pays, non pas en terme de moyens mais surtout en terme de résultats. Les peuples africains se doivent donc d’aider les patriotes ivoiriens à mener à un terme positif, la lutte pour la liberté, autant que le permet le pouvoir dans leur pays. En retour, la Côte d’Ivoire aussi doit savoir que le combat qu’elle mène dépasse les limites de ses frontières et que les résultats, quels qu’ils soient, auront des répercussions sur la vie des autres pays francophones. En cela, elle a une responsabilité de leader. En cela, la Côte d’Ivoire a une obligation de résultat. Une position qui lui permettra à l’avenir de jouer pleinement son rôle de leadership politique en corrélation avec sa position économique dans la sous-région. C’est ce qui est souhaitable pour le bien de toute la sous-région et au-delà, pour toute l’Afrique. Alors, au lieu de trembler devant le prédateur, internationalisons immédiatement la résistance et son patriotisme ; nous nous rendrons le plus grand service.