IRAK. Des chiffres et des votes
Le journalisme, ce non-panurgisme… Enfin, c’est ma vision. Je m’y sens isolé parfois, comme ce 31 janvier, lendemain de fête électorale américano-irakienne – si j’en croyais les célébrations médiatiques moutonnières. Justement, je n’en croyais trop rien… dans ce doute méthodique, ma gymnastique quotidienne, mon agnosticisme en terre médiatique…
Donc, j’ai déposé ma crotte de blog, pas bien subtile, voire grossière, sous la forme d’un titre seul : «W et l'Irak. Après la potion "ADM-100", les "suppos-60"». Je voulais signifier par là cette nécessaire méfiance face à plusieurs faits :
– la faiblesse du dispositif de contrôle du scrutin ;
– des chiffres de participation passant de 72% à 60% en quelques heures, tandis que les résultats étaient annoncés pour dans une dizaine de jours ;
– le claironnage des premières données comme «résultats», W et Blair étant tellement pressés d’engranger des dividendes politiques d’une aventure jusque là désastreuse, née d’un éhonté mensonge sur les «armes de destruction massive», ces fameuses ADM ;
– l’absence de journalistes en état d’exercer le métier d’informer librement. Il ne faut tout de même pas, derrière la solidarité affichée, oublier pourquoi Florence Aubenas a disparu – ou tout au moins oublier d’y réfléchir. Il n’y a actuellement en Irak qu’une poignée de journalistes occidentaux travaillant, de manière restreinte, en liaison avec des journalistes locaux ou des «fixeurs» comme Hussein Hanoun, disparu avec Florence. Ainsi Libération recourt-il actuellement à des reporters d’une ONG anglo-saxonne basée à Londres, IWPR (Institute for war & peace reporting) qui mobilise des correspondants à Bagdad (http://www.iwpr.net) ;
– la diffusion en boucle des mêmes files d’attente devant les urnes par – on peut le supposer puisque la source était unique –, toutes les télés du monde, ou en tout cas les nôtres ; documents qui ne sont qu’illustrations partielles, voire partiales.
Loin de moi de dénier toute réalité positive à ces élections. Il s’agit toujours de ne pas prendre des vessies pour des lanternes. Et à cet égard, je me suis senti senti moins seul avec le papier de Dominique Dhombres dans Le Monde [1/02/05], intitulé «Un succès éclatant» – les guillemets étant de l’auteur. Celui-ci, partageant mes doutes sur les images de télé, de CNN à France 2, note qu’ "il n’y avait apparemment pas beaucoup de bureaux de vote, à Bagdad, où une équipe de télévision pouvait se rendre sans prendre trop de risque. La circulation avait été interdite, des quartiers entiers étaient inaccessibles, l’aéroport était fermé…»
Petit problème de math
Mais le plus incrédule est encore Bernard Lacoin, un lecteur de Libération qui écrit [2/02/05] : «Après les élections «libres» dans un Irak occupé, je me félicite de leur succès dans les régions chiites qui semblent avoir largement participé au scrutin. Cependant, je voudrais soulever un petit problème. Les journaux télévisés ont parlé de «60% de participation, soit 8 millions de bulletins dans les urnes». J'aimerais exposer la chose sous forme de problème mathématique (ça tombe bien, ce sont les Irakiens qui nous ont appris à compter, il y a quelques siècles).
«Sachant que la population du pays est estimée à 24 millions d'habitants (contre 30 millions, il y a quinze ans). Sachant qu'un habitant sur 4 (et même sans doute 1 sur 3) n'est pas en âge de voter. Sachant que, à deux jours des élections, seuls 25 à 30 % des électeurs étaient inscrits sur les listes électorales. Sachant que la participation est évaluée à 60 % des inscrits... Combien de bulletins doit-on retrouver dans les urnes? D'après mes calculs, on devrait obtenir au maximum 4 millions de bulletins ([24- 6] x 0,33 x 0,6 = 3,6 millions) ... Or, on en trouve le double. Les Irakiens avaient le droit de voter deux fois ... Ou alors je ne sais plus compter.»
→ Photo IWPR : Une queue devant un bureau de vote. L’image semble attester.
Vous n’étiez pas si seul, ce 31 janvier… J’étais là aussi, un peu étonnée du taux de participation à cette élection, comme je le suis aujourd’hui du résultat, surtout quand je lis dans Le Monde que Jalabani (le Kurde) pense qu’il sera président. Comme s’il était raisonnable de penser que Sistani allait lui céder la main.
Cela dit, revenons à l’essentiel : il y a tout lieu de croire que l’élection a été bidouillée. Pourquoi les Américains s’en seraient-ils privés, jamais personne n’a trouvé à y redire… Mais oui, qui a protesté lorsque le président Ben Ali (Tunisie) a été élu avec 99,44 % des voix en 1999 ?
Reste à espérer que les Kurdes d’un côté et les bastions sunnites de l’autre acceptent les résultats (ce qui n’est quand même pas acquis) et que la pax americana ne se transforme pas en guerre civile dont les « pourvoyeurs de démocratie » se laveraient les mains.