Les cargonautes descendus de la Planète-Mer
monJOURNAL depuis le « Debussy » (19/11/05)
Voilà : j’ai atterri sur une étrange planète, nimbée de brume et de soleils électriques. C’est ainsi, j’ai touché terre au Havre, avec tout l’équipage du « Debussy » en compagnie desquels – les hommes et le cargo – j’ai vécu pendant huit jours et neuf nuits. Impression d’être descendu d’un vaisseau spatial retour d'un autre univers. À la troisième dimension près – certes, qui n’est pas rien… –, la comparaison est des plus soutenables. D’ailleurs, je me sens encore tout flottant, au propre comme au figuré : sensation éprouvée par tous les marins ou par quiconque ayant navigué assez longtemps.
Le fait sans doute le plus parlant tient à la sortie du vaisseau, ce monde clos, fermé sur lui-même, comme un cocon à la fois sécurisant et fragile ; parcourant le monde par ses océans : n’en fréquentant que les ports ; n’y croisant que des semblables, certes de toutes nationalités, mais tous habitant leur univers à eux. J’ai découvert un autre monde, celui des cargonautes, humains de la Planète-Mer revenant tous les deux ou quatre mois – selon le statut – vers la Terre-mère ancienne, le vrai port d’attache. Là où nichent les proches, femmes et enfants, ami(e)s – tous arrimés à l’attente, bravant leurs tempêtes à eux, accrochés à leurs bouées de sentiments et, peut-être aussi, au ressentiment à l’égard de cette hydre voleuse de temps et d’amour.
Car la durée, sur ces vaisseaux largués de tout ou presque, n’a pas la même valeur qu’à terre. Le temps y bat au rythme d’horloges colossales, de machines brassant l’océan, poussant dans l’élément un soc puissant que rien ne semble pouvoir entraver dans son labour marin. Toutes les énergies déployées à bord concourent au même but, dans une même direction, obstinée, programmée, cartographiée. Tandis qu’à terre, où les pépins se font si souvent montagnes, tout peut sembler contrariété. Les deux univers semblent voguer en parallèle. Seuls les cargonautes s’en détachent par moments et condescendent vers l’Autre, les Autres.
Les copains-copines de blog, dans leurs chaleureux commentaires forts en clins d’œil attentionnés, ont bien perçu ce confort du reporter [il est tout relatif pour les matelots] à se trouver déconnecté du « bas-monde ». Même Radio France internationale n’y peut rien faire. On entend bien les banlieues qui crament, l’état d’urgence, le couvre-feu… oui, mais les discours sonnent si faux, plus encore avec l’éloignement ! On en deviendrait sourd au monde.
J’en resterai aujourd’hui sur ce commentaire judicieux d’une « femme de marin », Christine R.-D., posté le 14/11 à propos de mes papiers : « Attention cependant à ne pas dire trop vite que cette vie est merveilleuse...sans mentionner que cette vie est possible de manière équilibrée grâce aux délicates épouses que nous sommes à terre, capable de concilier un métier prenant d'ingénieur à plein temps et l'élevage (euh, l'éducation) de trois jeunes enfants 😉 ! »
Je tacherai de revenir sur cette question cruciale – pas étonnant qu’elle ait été posée par une femme, à propos d’un monde d’hommes.
(toujours à suivre).
J’ai atterri une nouvelle fois sur la planète G. Ponthieu…
Pas déçu du voyage !
Haletant ce voyage sur la mer de « Debussy ». ;o)
Non vraiment, une superbe expérience humaine à ce que j’ai pu lire…
Je regrette de ne plus pouvoir venir ici aussi souvent qu’avant…
a+