La « guerrémondio » frappe à Bobo-Dioulasso
Bobo-Dioulasso. Deuxième ville du Burkina Faso, à cinq heures au sud-ouest de Ouagadougou, route à moitié défoncée, avec bouts de pistes, détrempées par la mousson. Un déluge toute la nuit dernière. Les tôles de l'hôtel ensorcelées comme des djembé -- Bobo en est une des capitales, ainsi que du balafon.
« Bobo » et « Dioula » sont deux tribus réunies ici sous le même toit, « so » en dioula. L’Afrique profonde, aux confins du Mali et de la Côte d’ivoire, dont la guerre civile a tout chamboulé, jusqu’ici même. Reflux forcé de milliers de Burkinabé, renvoyés « chez eux » pour cause de danger mortel et au nom de l’ « ivoirité ». Alors qu’Ivoiriens ils sont devenus génération après génération, les uns et les autres parlant une même langue, vivant une même culture. Victimes « post-colatérales » des frontières coloniales.
Donc, à Bobo, ce n’est pas la joie – sauf celle assez spontanée des Bobolais. Le mal se nomme pauvreté, hurle au long de rues qu’on peut encore imaginer pimpantes, jadis, en des temps plus fastes. Des rues à la française, tracées au cordeau militaire, tatouées de nos plaques bleu-émaillées où alternent le « gouverneur Faidherbe », « Mamourou Konaté », « Révérend Père Nadal », l’ « avenue de la Révolution »… Car le Burkinabé est généralement de bonne composition, souriant et drôle souvent, pas revanchard pour deux ronds. Il pourrait l’être, lui dont les ancêtres ont nourri des bataillons de travailleurs forcés, bêtes de somme à pousser le chemin de fer depuis Abidjan jusqu’à Ouaga, combattant de « nos » guerres, les grandes et aussi l’Indo et l’Algérie, tous classés « tirailleurs sénégalais » puisque nègres, à quoi bon nuancer.
Des temps coloniaux, outre les cicatrices sociales, morales, culturelles, politiques, il demeure quelques aspects… « positifs » - je mets les pincettes, songeant aux derniers déboires d’Alain Rey, tandis que des « indigènes » éclairés s’encombrent moins pour reconnaître certains « bienfaits ». Et de citer les parcs naturels sans lesquels les forêts seraient déjà parties en fumées – c’est le cas tout autour de Ouaga –, avec lions, éléphants et gazelles ; ou encore ces avenues de Bobo, si heureusement ombragées par la grâce de manguiers et kapokiers, magnifiques.
Bref, avec son côté provincial, Bobo-Dioulasso serait un possible et paisible havre. Oui mais : ses mendiants, enfants ou plus vieux (de vieillards, point ou bien peu, tous déjà morts, espérance de vie : 47 ans), ses désoeuvrés innombrables qui harponnent le Blanc jusqu’à l’exaspérer… Parcourir une rue comme une variante de Hans-l’enchanteur, en terre de misère. Se réfugier à l’abri d’un vigile, repartir jusqu’au suivant.
La guerre ivoirienne a perverti jusqu’au commerce des gens, comme il en est des marchandises. On croise ainsi des jeunes à la mode abidjanaise, allure de rappeurs US ou rasta , tee-shirts à l’effigie du Che ou de Bob Marley, tout dans la dégaine, écouteurs, CD, colliers à vendre. Ils interpellent le toubab – le Blanc – parlant un argot des banlieues parisiennes comme si, désormais dans leurs têtes, ils habitaient « là-haut ».
La crise, c’est peu dire, ajoutée à celle du pétrole et de la « guerrémondio », comme chante Zao, le Congolais. Cette mondialisation à tout va comme je te pousse, qui frappe toute la petite économie d’Afrique, à commencer par les transports. Même le deux-roues – modèle dominant, quasi unique, bourricot moderne – voit s’accomplir une révolution : les Chinois, invisibles pourtant, ont débarqué, déversant des hordes de « jakarta », ces motocyclettes clinquantes, qui en jettent, chrome et couleurs fluo, qu’on dirait des « filles d’amour » -- et surtout trois, voire quatre fois moins chères que les françaises (Peugeot) et japonaises (Yamaha) montées ici, à Bobo même, dans sa presque seule usine (une centaine de salariés, plus les boulots induits), menacée de faillite et de fermeture.
Voilà, en passant, cette carte postale, avec instantané pris ce dimanche à la gare routière de Bobo. Et à propos d’images : ici, nulle effigie visible de Ben Laden (comme j’en ai vu sur d’autres tee-shirts à Niamey, au Niger), un islam à l’africaine, bordé d’animisme et de chrétienté – mélange semblant tenir face à la nécessité de survivre. Le seul vrai culte, chaque jour imposé.
» Oumarou : J’ai dû mal regarder… Quant à porter des tshirts « à l’effigie d’Osama » « sans aucune autre arrière pensée que de se couvrir le corps »… je doute quand même. Je sais que c’est le cas de « Che » Guevara. De là à comparer…