Le titre qu’Éric Le Boucher (Le Monde) n’a pas osé : « Airbus : vive les licenciements !»
S’il vous manquait – sait-on jamais – un bon argumentaire néolibéral pour briller, façon éclipse de lune, dans une tchatche péri-présidentielle, voyez Le Monde de ce samedi [03/03/07]. Dans sa chronique légèrement à la droite de Minc, son mentor, et sous le titre « Airbus : l'envol des bêtises », – lire « conneries » – Éric Le Boucher prône carrément pour la France une généralisation du plan Power 8 et ses 10.000 licenciements.
[dropcap]En[/dropcap] fait, Le Boucher s’en prend tout spécialement au PS et à sa candidate, une fois de plus considérés l’un et l’autre comme indécrottablement passéistes : « […] Ce que révèle, enfin, la crise d'Airbus est désolant à voir : la gauche n'aime que le rétro. [...] Le PS réclame "un débat parlementaire", alors que la session est suspendue à cause des élections. Vive le théâtre ! Ségolène Royal déclare qu'elle imposera un " moratoire" des licenciements si elle est élue. Qui y croit ? Et, apothéose, huit régions ont annoncé vouloir entrer au capital d'Airbus pour en contrôler la stratégie. » En effet, quelle horreur : vouloir contrôler le capital en folie !On connaît la rengaine du Marché-tout-puissant qui finit par arranger tous les coups du sort…à son Profit. Comme si depuis 2002 le gouvernement de droite n’était pas aux manettes – à toutes les manettes – pour manœuvrer selon les préceptes de monsieur Le Boucher… Sans parler de la période antérieure où même un gouvernement « de gauche » s’était aussi laissé séduire par les fameuses sirènes du Dieu-Marché – et ce qu’il lui en coûta d’ailleurs en certaines élections de 2002 !
« L'Etat peut faire beaucoup dans ce secteur stratégique », semble concéder le chef du service économique du Monde, qui nous rassure aussitôt, à sa manière : « Elargir les routes et les ponts pour que les morceaux de carlingue rejoignent Toulouse, développer la recherche-développement en amont, accorder des facilités d'emprunt pour financer les futurs appareils […], passer des commandes militaires. Mais il ne peut pas espérer que sa présence au capital permette de bloquer les licenciements, de "défendre l'emploi", selon la gauche rétro. »
La voilà bien dans sa splendeur l’antienne libérale revenant en d’autres termes, une fois les catastrophes accomplies, à mutualiser les pertes une fois les profits privatisés.
« Faut-il rappeler, ajoute encore Le Boucher, que les nationalisations de 1982 n'ont évité aucun licenciement, ni dans la sidérurgie, ni dans la chimie, ni dans les télécommunications, ni dans les banques, ni nulle part ? » En effet, c’est bien l’État qui a pourvu aux plans de reconversion des bassins miniers et sidérurgiques du Nord et de Lorraine, pour ne parler que de ceux-là.
Le journaliste du Monde « attend des idées autres que théâtrales ». Pour cela il va puiser dans ses auteurs favoris, dont un certain Eric Chaney, économiste de la banque Morgan Stanley. Un vrai pas rigolo, un grand humaniste sans nul doute qui se propose à lui tout seul d’expliquer « le décrochage de l'industrie française […] par trois causes. Un, une perte de compétitivité-coût par rapport à l'Allemagne (Airbus aurait alors raison d'y transférer du travail). Deux, un défaut d'innovation : seules un tiers des entreprises françaises s'y livrent, contre 43 % en Grande-Bretagne, 51 % en Allemagne, selon Eurostat. Trois, bouclez vos ceintures : un manque de sous-traitance dans les pays à bas coûts de main-d'oeuvre, comme l'a compris l'industrie allemande, redevenue championne mondiale de l'export. »
Un-deux-trois donc. En foi de quoi – il ne lui en faut pas davantage –, Éric Le Boucher persiste, signe et chute : « La France ne délocalise pas assez ! Le PS devrait proposer un immense plan Power 8 pour la France entière. Ce que révèle la crise d'Airbus est, décidément, vraiment instructif. » Vraiment, oui. Mais que n’ait-il eu le courage de titrer « Airbus : Vive les licenciements!»
Ainsi Le Boucher a civilement croisé le fer sur… Airbus, avec… Sarkozy lors de l’émission de jeudi soir sur France 2. (Serait-il la doublure de Duhamel mis au piquet ?) Propos convenus entre « spécialistes », mais bien entendu mon cher, après vous, je n’en ferai rien. Avec ce qu’il fallait d’une ou deux saillies de picador programmé – olé ! – et la queue du foot et les deux oreilles du PSG offertes par Arlette pour se faire pardonner sa « mauvaise humeur » de patronne de rédaction indépendante… Tellement indépendante que, enfin, ouf !, sur la grande chaîne du service public, rien, pas la moindre allusion sur l’affaire immobilière dénoncée la veille par Le Canard enchaîné – rien moins, en termes juridiques qu’une « prise illégale d’intérêt » avec « corruption passive ». Aux États-Unis, pays référent s’il en est pour le candidat de l’UMP, la machine médiatico-politique se serait autrement emballée – et même pour moins que cela ! (Et même si, par ailleurs, ledit système médiatique étatsunien souffre de plus d’un travers…)
Peut-être faut-il, en l’occurrence, incriminer la mise en scène télévisuelle actuelle – la mode en vigueur, ce qui se fait de nos jours « sur les plateaux », ce qu’on nous y sert comme dans les cocktails mondains : l’Invité, l’Hôte-Hôtesse-journaliste-animateur, un ou des « spécialistes » bien coincés dans leur spécialité, et enfin, pour saupoudrer le tout, quelques « basiques » témoins, genres « vrais gens » qui font ce qu’ils peuvent, souvent pas mal, mais si peu face au Grand Méchant Loup rompu aux effets de caméra, le cuir tanné aux multiples autant que coûteuses journées de média-training – au tarif des fameux « ménages » de journalistes-vedettes, les mêmes qui, ensuite, passent du training aux travaux appliqués…, la boucle est bouclée.