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En prison à Niamey, deux journalistes nigériens et deux français face au risque maximum

A Niamey, au Niger, quatre journalistes sont en prison. Deux Nigériens : Moussa Kaka, directeur de la radio privée Saranouya FM et correspondant à Niamey de Radio France International (RFI), et Ibrahim Diallo, directeur du bimensuel Aïr Info. Ils sont emprisonnés depuis plus de trois mois. Deux Français, incarcérés depuis maintenant quinze jours : Pierre Creisson et Thomas Dandois, reporters de l’agence Camicas Productions, travaillant en l’occurrence pour Arte. Leur chauffeur, Al Hassane Abdourahmann est aussi emprisonné.

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De gauche à droite et de haut en bas: Moussa Kaka, Ibrahim Manzo Diallo, Pierre Creisson, Thomas Dandois.

Concernant les Français, « nous avons pu les contacter par téléphone et, apparemment, ils sont bien traités, a déclaré à L’ Humanité Marc Dandois, le frère de Thomas. Malheureusement, il semble que la procédure judiciaire soit enclenchée, l’instruction pouvant, à elle seule, prendre jusqu’à trente mois. »

Le Niger se trouve en guerre contre une rébellion touareg dans le nord du pays, région d’autant plus sensible qu’on y exploite la première richesse du pays, à savoir l’uranium – l’un des tout premiers approvisionnements du nucléaire français sous la conduite d’Areva.

Pour l’État nigérien, ces journalistes ont porté atteinte à la sûreté de l’État, rien de moins. Tel est leur chef d’inculpation. Ils risquent de lourdes peines d’emprisonnement et les Français encourent même la peine de mort pour avoir eu des contacts avec des « groupes armés et illégaux ».

Ces nouveaux cas de journalistes emprisonnés tombent dans la pire période: entre dinde et champagne, dans cette Afrique décidément si « spéciale » avec son Darfour incompréhensible, plus encore brouillé par cette histoire des aventuriers de l’Arche de Zoé…

La mobilisation en faveur de ces quatre journalistes apparaît bien difficile ; il y manque quelques ingrédients… médiatiques. Un comble, mais c’est ainsi : le Niger et ses touaregs ne font pas vraiment recette. Une pincée d’Al-Qaïda les propulserait sur la scène du spectacle mondial (des traces du GSPC – Groupe Salafiste pour la Prédication et le Combat, rebaptisé « Al-Quaïda au Maghreb » – semblent avoir aussi été relevées au Nord du Niger, comme au Mali et, tout récemment en Mauritanie). La relative indifférence actuelle à l’égard des revendications des Touaregs – elles ne datent pas d’aujourd’hui, ni ne se limitent au seul Niger mais à toute la zone saharienne et sahélienne – pourrait conduire à leur radicalisation. Tout étant relatif, ce conflit contient les prémices de celui du Darfour, à savoir le refus d’un pouvoir central de partager les « mannes divines » : là-bas le pétrole, ici l’uranium. Ce processus guerrier prévaut en bien d’autres endroits du monde, de l’Irak au Congo et aux Grands Lacs, via l’Asie centrale, etc.

Les quatre journalistes emprisonnés se situent donc dans un contexte très défavorable, plus encore pour les Nigériens qui ne peuvent espérer, comme les Français, d’une possible protection diplomatique et d’opinion internationale.

En août 2004, Moussa Kaka avait déjà été emprisonné. Sa radio, Saraounya FM avait diffusé une interview d’un membre du Front de libération de l’Aïr et de l’Azaouk (FLAA), un groupe armé touareg ayant revendiqué une attaque contre trois bus (trois morts, onze blessés, deux gendarmes enlevés.)

Cette nouvelle affaire aggrave sa situation à l’égard d’un régime se voulant démocratique, mais dans certaines limites, notamment s’agissant de l’exercice du métier de journaliste. L’objectivité, soit, mais pas jusqu’à donner la parole aux adversaires… Les deux Français se trouvent pareillement confrontés à ce refus brutal d’un appareil étatique déstabilisé dans ses intérêts politiques et économiques.

Pour tous les quatre, la mobilisation internationale sera déterminante pour tenter d’atténuer la gravité de leur situation. En France et sur place, des initiatives de soutien ont été lancées, notamment par RSF, la Ligue des droits de l’homme ; un blog a été ouvert. On peut y prendre des nouvelles des deux journalistes et des mouvements de soutien. La Fédération internationale des journalistes s’est aussi mobilisée ainsi que des syndicats de journalistes.

2007 aura été une année des plus calamiteuses sur le plan du désordre mondial. Et pour les journalistes, par conséquent. 86 d’entre eux et 20 collaborateurs tués, 135 reporters emprisonnés dans le monde – selon les comptes de Reporters sans frontières. A monde instable, terrains minés. L’Afrique est de ceux-là, un continent jamais sans risques quand il s’agit de tenter d’y voir plus clair.

Note perso : J’ai connu Moussa Kaka en 1994 lors d’un stage de formation organisé par la Coopération française. Je l’ai revu plus récemment, en 2002 à Niamey, toujours aussi fougueux, ayant lancé sa radio Saraounya FM.

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Une réflexion sur “En prison à Niamey, deux journalistes nigériens et deux français face au risque maximum

  • Jacques

    Bonne année itou, à tous les journalistes qui investiguent et bien sûr à Gérard 😉
    Au fait, à peine a-t-on parlé de Creisson et Dandois dans les médias (et encore plus rarement si ce n’est jamais de leurs confrères locaux, merci Gérard). D’où l’importance du blog de soutien. Décidément, avec le Kenya en plus, ça va de plus en plus mal en Afrique !

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