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Au Nègre bien Aimé

Tant d’hommages ! C’est à qui fera dans le plus compatisseur. Obsèques nationales, décrète-t-« on » sans tarder. Panthéon, surenchérit telle autre entre deux volées de bois mièvre sur le « chantre de la négritude». Et s’ensuivent les chapelets de… platitudes.

A vrai dire c’est la loi du genre, celle de l’homélie hommageante. On ne parle pas de l’homme Césaire ici. Mais de son usage. C’est qu’il a eu le chic d’offrir à la médiasphère une mort modèle : on ne peut mieux annoncée et plutôt deux fois qu’une. D’abord par le grand âge, qui a laissé aux rédactions de France, de la Navarre antillaise et des francophonies, le temps de remplir les frigos de bons sujets bien mijotés. L’heure venue il suffirait de servir comme sur un plateau fraîchement rapporté du marché. Ensuite, le grand homme eut même l’élégance de sonner la mobilisation une semaine à l’avance, permettant ainsi une moins brusque décongélation. La cérémonie médiatique put donc commencer dans le bon ordre, en harmonie avec celui du politique qui, de son côté, agissait de concert.

Ah, le bel élan consensuel ! Que la République est belle dans son vol de corbeaux unanimes. Au Nègre bien Aimé, que n’a-t-elle à se faire pardonner ? Par exemple les restes toujours tenaces, coriaces, d’une mauvaise conscience – ou plutôt in-conscience, postés dans l’arrière-fond historique du colonialisme et, sans doute plus encore, de l’esclavage. Trois siècles d’un déni d’humanité pendant lesquels, aidés de collabos indigènes, des acteurs blancs – marchands, militaires, religieux et politiques de toutes obédiences – ont organisé, actionné et entretenu en système le plus terrifiant des crimes contre l’humanité. Sans s’égarer sur l’échelle des horreurs, on pourrait toutefois trouver une sorte de début d’excuse à l’extermination des juifs au motif de la démence meurtrière de ses concepteurs et exécuteurs nazis… Mais que dire du froid programme tranquillement dénommé « commerce triangulaire » par lequel des millions de Noirs d’Afrique ont été déportés, décimés et pour les survivants déculturés et surexploités – parfois jusqu’à nos jours ?!

Car aujourd’hui encore, le Noir demeure le nègre. Et les mots ne sont toujours pas « blanchis » ; ils restent imprégnés du lourd tribut d’un peuple de « sous-hommes », encore et toujours rabaissé à la fatalité de la « race », ainsi qu’on le voit sur les stades de foot, à l’ordinaire du racisme. Ce n’est sans doute pas le concept de « négritude » qui aura changé quoi que ce soit à cette réalité. Sauf à rejoindre aujourd’hui, en le nourrissant, certaines formes de communautarisme, autres manières d’entretenir le racisme basique empêchant d’accéder à la seule race, celle de l’humanité.

Elle est donc lancée, la course vers la Martinique. A qui y arrivera le premier pour occuper la meilleure place au spectacle sur-télévisé des obsèques nationales. Pendant ce temps, des centaines de nègres traversent les sables et les mers dans l’espoir de goûter aux rêves du Nord. Comme des esclaves « volontaires » s’offrant corps et âmes. Pendant ce temps, par centaines – moins les naufragés –, ils seront refoulés au nom des lois de cette même République et de la « Patrie des Droits de l’Homme ». Des risques bien réels, connus de tous les candidats au grand départ vers les mirages du Nord. « Oui mais, m’avait répondu l’an dernier, implacable, un jeune Burkinabé sous le manguier de son village, on ne peut pas empêcher les hommes de rêver ».

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Une réflexion sur “Au Nègre bien Aimé

  • Bonjour,

    Merci d’abord à Christian de m’avoir envoyé sur cet article! Je souhaitais simplement dire que lorsque quelqu’un homme public meurt, c’est son oeuvre qui est saluée, pas lui effectivement!

    Concernant le commerce triangulaire, lire à ce sujet: Olivier Pétré Grenouilleau qui enseigna à l’Université Bretagne Sud. Traité de tous les noms, il n’empêche que son travail a été salué par les historiens. Des vidéos sont disponibles aussi sur le net…

    Là encore, je ne lui rendrais pas d’hommage puisque je ne l’ai pas lu (du moins en entier)!!!

    Kenavo (ivez)

    Gael.

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