Mort de Hortensia Bussi, la veuve d’Allende. Du Chili à Cuba, de Pinochet à Castro, de troubles jeux mortels
[dropcap]La[/dropcap] veuve de Salvador Allende, Hortensia Bussi, est morte ce 18 juin à Santiago-du-Chili, à 94 ans. L’occasion d’honorer sa mémoire, de remuer quelques souvenirs et aussi de revenir au présent. Je l’avais en effet rencontrée pour une interview, à Rome, quelques semaines après le putsch du 11 septembre 1973 qui avait sauvagement mis fin à ce qu’on appelait alors l’ « expérience chilienne ». J’avais couvert, pour Tribune socialiste, l’agonie des dernières semaines du régime d’Unité populaire et c’est pour ce même hebdo du PSU que j’avais donc interviewé celle qui allait devenir la porte-parole la plus connue et aussi parmi les plus battantes de la résistance chilienne en exil. Pinochet venait d’imposer son régime de terreur fasciste, tandis que sur place, au Chili, les forces démocratiques étaient terrassées dans la pire brutalité – plus de 2000 morts, 150 000 arrestations, tortures et emprisonnements par milliers. Hortensia Allende, comme tant de Chiliens alors, voulait croire que le cauchemar ne durerait pas…, enfin pas trop longtemps. Elle devra attendre 17 ans avant de rentrer au Chili en 1990, après le renversement de Pinochet.
En 1977, elle subit une autre terrible épreuve avec le « suicide » à La Havane d’une de ses trois filles, Beatriz. Des guillemets liés au fait que la sécurité d’État cubaine semble avoir tenu un rôle plus que suspect dans cette affaire, notamment en relation avec les conditions de la mort d’Allende dans le palais de la Moneda, où il se trouvait sous la protection de gardes cubains spécialement détachés par Fidel Castro.
Différentes versions circulent toujours concernant la fin d’Allende, dont l’une prétend qu’il ne s’est pas suicidé, pas plus qu’il serait tombé sous les balles des putschistes… Alors ? Voilà : il aurait été liquidé par ses gardes cubains, sur ordre de Castro… Cette thèse, pour stupéfiante qu’elle puisse paraître, se trouve cependant solidement étayée par plusieurs auteurs, témoignages à l’appui*.
C’est un fait que Castro n’appréciait nullement Allende en qui il voyait un bourgeois social-démocrate peu enclin à rejoindre ses théories et celles de Guevara sur le développement des guérillas révolutionnaires en Amérique latine et dans le reste du monde – notamment en Afrique. À l’avènement de l’Unité populaire, Castro finit toutefois par « prendre le train en marche » avec un soutien mesuré en armement et l’envoi de « conseillers » et de gardes-du-corps… dont un certain Patricio de la Guardia, éminence grise du lider maximo. Il vit toujours lui aussi, à Cuba, bien qu’ayant trempé dans l’affaire Ochoa… et n’aurait dû son salut (d'autres ont alors été exécutés, dont son propre frère jumeau…) que pour avoir déposé, dans un coffre à l’étranger, l’ordre direct de Castro d’exécuter Allende – ce qu’il reconnaît avoir commis ! En attestent précisément Juan Vivés, ex agent cubain, et « Benigno », l’un des trois survivants de la guérilla du Che en Bolivie, tous deux témoins des confessions de de La Guardia.
Mais pourquoi diable, Castro aurait-il fait exécuter Allende ? Au moins deux raisons, d’ailleurs étroitement imbriquées. Pour appuyer sa politique « révolutionnaire », surtout en Amérique latine, Castro avait besoin d’une guerre civile au Chili ; c’est pourquoi il misait, en les soutenant très directement, sur les gauchistes du MIR de Miguel Enriquez, opposés à l’Unité populaire. L’autre raison, très liée à la première, c’est qu’une possible reddition d’Allende aux putschistes, ou sa capture, auraient pu faire tâche dans la stratégie latino-américaine de Castro, tout en risquant de faire apparaître au grand jour et par le détail l’ampleur de la mainmise castriste sur la politique chilienne. Pour servir de tels desseins historiques, il ne se pouvait pas qu’un Allende mourût autrement qu’en héros, et en l’occurrence par un suicide-sacrifice, en fidélité à ses engagements. c'est-à-dire, en d’autres termes, en conformité à la geste castriste du héros modèle en qui les « peuples » pouvaient s’identifier, à l’image de ces autres héros, alors bien vivants eux, et pour longtemps ! – suivez mon regard.
De tout cela, il est vraisemblable que Beatriz Allende, mariée à un agent cubain, fût informée. Au point même de devenir bientôt fort gênante. Quant à Hortensia, elle aussi ne pouvait qu’être au courant de ces faits, ce qui ne pouvait que la tenir à distance de Castro. Un jour cependant qu’elle le croisa lors d’un sommet latino-américain à Santiago du Chili, en 1996, elle lui suggéra d’améliorer la situation de l’île en optant pour le pluralisme et des élections libres. Vous dire si le conseil fut apprécié ! Les Cubains, eux, attendent toujours.
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* Voir entre autres sur ces questions, les livres très documentés :
– Cuba Nostra, d’Alain Amar, avec Juan Vivés et Jacobo Machover, 2005
– Les Maîtres de Cuba, de Juan Vivés, 1981
– Vie et mort de la révolution cubaine, de Daniel Alarcón Ramirez (« Benigno »), 1996.
Pendant la guerre d’Espagne, les franquistes n’avaient pas grand chose à faire pour liquider les opposants espagnols : les communistes s’en chargeaient.
Non seulement le communisme a décimé bien plus bien plus que le nazisme mais, après la dénonciation des purges staliniennes par Krouchtchev, il a poursuivi ses crimes à travers le monde.
Alors, pourquoi depuis parle t‑on régulièrement de « l’impérialisme américain » et n’évoque t‑on jamais « l’impérialisme soviétique » ? Pourquoi, quand on aborde la question de la chute d’Allende, est-on davantage enclin à penser à la CIA qu’à Fidel Castro ? Pourquoi, tout simplement, existe t‑il encore de nos jours dans nos pays des partis « communistes » ?
Cherchez l’erreur…