Anniversaire… Le Mur est mort, vive les murs !
Il y a vingt ans, donc, un mur est tombé. Certes pas n’importe lequel. Le Mur, un monument, avec majuscule. C’est même pour ça qu’on s’en souvient – sens premier du mot monument : ouvrage qui transmet un souvenir à la postérité. Pas sûr cependant que ses bâtisseurs l’aient érigé dans ce but… Ne pas confondre avec les pyramides, ou les cathédrales. D’ailleurs le Mur n’avait rien d’une œuvre d’art ni d’un édifice sacré censé relier les hommes ; c’en est même tout le contraire : une sinistre barrière de triste béton conçue dans les cerveaux atrophiés d’exécuteurs en gris – des idéologues cadavériques – dans le but, précisément, de séparer. Un ouvrage diabolique par conséquent, voulu aujourd’hui symbolique, au nom de la « réunification ».
Réunifier ou réunir ? La différence est de taille ; c’est celle qui caractérise notre Monde en désarroi où, pour un mur renversé, des centaines d’autres, que dis-je des millions, se sont érigés sur la planète. Au-delà des plus visibles et non moins scandaleux – Israël-Palestine, États-Unis-Mexique, Inde et Bangladesh, et ce mur océanique qui enserre Cuba depuis un demi-siècle ; mais aussi les barrières barbelées de Ceuta, Lampedusa, Chypre, Malte et jusqu’à Calais –, au-delà du visible médiatique d’innombrables et silencieuses murailles bien plus étanches ont surgi, en particulier toutes celles qui séparent les « communautés ». Jamais peut-être l’humanité ne s’est, dans l’Histoite, trouvée aussi dépecée en tranches. On nous dit que les « blocs » ont sauté avec la fin de la « guerre froide ». Ils ont en fait éclaté en millions de morceaux, voire en milliards, selon que l’on considère les dégâts du communautarisme ou bien ceux de l’individualisme – une affaire d’échelle. A quoi on nous oppose les créations de nouveaux agrégats, dont cette Europe et ses 27 pièces. Mais quelle image le puzzle donne-t-il à voir ? Celle d’une communauté… d’intérêts économiques. Une féodalité moderne, si on ose dire, constituée de « briques » (les murs) et de « broques » (les combines) et ayant remplacé les rivalités territoriales par les guerres financières. C’est bien plus propre (« moral », « éthique » et compagnie), en tout cas présentable, et ça rapporte autrement plus ! D’autant que les guerres, les bonnes, les vraies bien saignantes et qui rapportent tant, ont été seulement déplacées, parfois avec les murs, vers d’autres « théâtres d’opérations » – l’adorable expression. Voyez, comme dernier épisode médiatisé, ce procès dit de l’Angolagate, mêlant politiciens et voyous dans un méli-mélo de pétro-diamants et de canons. Combien de morts ? Entre 500 000 et un million, dont une majorité de civils, sans compter les autres blessés par centaines de milliers, le plus souvent estropiés sur des mines !
Mais de ces « théâtres » là, ne pas oublier que l’endroit le plus important c’est la caisse ! Je veux dire la Caisse, s’agissant du monument symbole du capitalisme, celui qui relie sans relâche les adeptes de la plus répandue des sectes.. La plus universelle, en somme – c’est bien le mot. Mais, comme dit Régis Debray, les tas ne font pas des tout, au sens d’ensembles vivants, organiques et à but d’humanité. L’universalité de la finance, c’est la généralisation planétaire du vol comme principe de propriété (Proudhon). C’est à qui volera le plus , ou plutôt le mieux : beaucoup, vite et bien. Bien, c’est-à-dire dans les formes, au sens où le capitalisme financier repose sur un système de formes établies entre voleurs s’auto-reconnaissant dans le respect desdites formes, également appelées Lois de la Finance. Mais, comme dans le monde biologique décrit par Darwin, une autre Loi, plus universelle encore, veut que les gros bouffent les petits. Ce n’est pas d’aujourd’hui que datent et sévissent les si redoutables requins de la finance… Ni que par la sélection des espèces soient apparus des spécimens plus ou moins démoniaques ou monstrueux…Hier les emprunts russes, Panama et Stavisky, aujourd’hui un Bernard Madoff, le plus prédateur entre tous, un artiste du genre, juste un peu trop goulu pour ses copains acolytes qu’il a plumés.
Trois séquences radio ce matin [6/11/09] sur France Inter illustrent au mieux la situation. Un : l’humoriste François Morel décrypte le Système à sa manière sur le thème du Grand emprunt, ou comment emprunter pour rembourser un emprunt… – on est bien au cœur de la Crise (majuscule de rigueur). Deux : la station a invité le patron du Crédit agricole qui sort un bouquin intitulé – défense de rire – « Faut-il brûler les banquiers ? » Devinons la réponse à l’angoissante question. Ah ah ah ! Trois : « fait divers » raconté dans les journaux du matin : à Lyon, un convoyeur de fonds s’est tiré avec ce qu’il transportait – plus de 10 millions d’euros. Enfin un prolo qui ne se suicide pas sur son lieu de travail ! On dirait qu’il a « tout compris » – tout pris surtout et selon sa solution à lui, bien individuelle… Retour à la case départ et à celle de la bande à Bonnot, celle de l’anarcho-individualisme, la variante du « je » sur le « nous » des révolutionnaires « culturels » : brûler les banquiers, au-delà de l’esthétisme de l’acte, certes, d’ailleurs feutré dans le point d’interrogation –, ce n’est toujours pas brûler le pognon. Encore moins culbuter le Mur de l’Argent. L’invité banquier de France Inter de ce matin ne s’y est pas trompé avec le titre de son bouquin. Passe de sacrifier quelques boucs émissaires – ils sont faits pour ça. Mais s’en prendre au dieu-Argent ? ça va pas la tête (capital,du latin caput, tête, chef…) D’où la Relance annoncée, les reprises de Profit des banques, la Croissance implorée, la courte mémoire effacée comme l’addition sur l’ardoise – puisque ceux qui casquent, les pauvres, la ferment et baissent la tête. Jusqu’au jour où…
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PS. Mon voisin (de droite) a décrété de séparer nos espaces, que nul litige n'oppose, par une clôture. Du local au global. Du "je" au "nous". De l'universel selon Claude Lévi-Strauss…