Le parler-vrai de Morano prêchant la dés-intégration
Comme en musique, tout étant relatif, la parole vraie surgit souvent de l’improvisation. Mais en politique, c’est presque toujours au détriment de l’instrumentiste guetté par le lapsus ou le dérapage non contrôlé. Spécialement quand on joue sur les modes tonitruants ou démagos. Genre Nadine Morano, virtuose de la nuance pachydermique. Encore jactait-elle à Charmes (Vosges), mais avec ses sabots de Lorraine UMP [je n’ai rien contre les Lorraines, au contraire !, hein Marie-Line ?] Donc, comme tout le monde le sait maintenant, la secrétaire d'État à la famille, à un jeune qui l'interrogeait sur la compatibilité de l'Islam avec la République, a répondu : « On ne fait pas le procès d'un jeune musulman. Sa situation, moi, je la respecte. (...) Ce que je veux, c'est qu'il aime la France quand il vit dans ce pays, c'est qu'il trouve un travail et qu'il ne parle pas le verlan. C'est qu'il ne mette pas sa casquette à l'envers. C'est qu'il essaye de trouver un boulot... »
Que cela est bien envoyé ! L’intégration par la désintégration, voilà bien l’idéal que recouvre l’actuel refrain sur l’ « identité nationale ». Que l’étranger ne soit plus étrange ; que l’autre disparaisse ; que la transparence définisse la stricte limite de l’expression de soi. C’est tout de même anormal et insupportable que ces « autres » se distinguent avec leurs peaux noires, bronzées, jaunes – et pas rosées blanchâtres comme ces petits cochons de laits aux yeux délavés constituant l’espèce franchouillarde ? Notez que les Asiatiques ont toujours été très zélés dans ce sens, à passer presque inaperçus – si ce n’est leurs yeux bridés, dommage. Mais les banania avec leurs boubous, les bicots et leurs têtes de melons !
Sans parler qu’ils ne travaillent pas ! On leur offre pourtant les meilleurs boulots, les mieux payés, et ils préfèrent se prosterner à même le sol, ou encore vendre des montres à trois balles et des marlboro au coin des rues. La madame Morano s’en étrangle d’indignation. C’est bien elle qui devrait s’en retourner la casquette et causer le verlan, ça lui irait si bien, tout en l’empêchant de causer la langue de pouffe vulgos. Ou pire encore la langue facho, celle de l’injonction stupide et grave : « Ce que je veux, c'est qu'il aime la France » ! Jeveux-zé-jexjige, et que ça saute, et que je t’envoie toute cette racaille se faire passer au karcher. On y revient toujours. Laissez la parole courir et trouver son chemin un peu vrai, hors des cabinets de com’, des plumes en bois de conseillers spéciaux, et la voilà, avec ses mots de caniveau qui dévale de sa pente fatale.
Que la France soit seulement aimable, ouverte, à l’image de tous ces étrangers croisés dans les havres touristiques du vaste monde, d’où reviennent ces hordes de barbares à l’empreinte carbone bien chargée mais ravis d’avoir été si bien accueillis, incapables de distinguer le vrai du faux, entre un sourire et un rictus commercial.
Ici le bizness du riche dominant, là la quête du pauvre, paumé, exilé, émigré, désolé, porté par les vagues révoltantes de l’injustice mondialisée qui, sans doute, n’a jamais été aussi criante dans l’Histoire.
Qu’il faille « réguler » ces flux, certes. Harmoniser les différences. Construire des passerelles et des ponts, pas des murs. Ce qui veut dire s’attaquer au désordre du monde, ah le vache de chantier ! Et par quel bout le prendre, de Kaboul à Copenhague, de Téhéran à Johannesburg, de Manaus-Amazonie à Charmes-Vosges ? Parfois j’ai peur.
Aimer la France qu’elle dit, la marchande de poisson, et encore, c’est faire insulte à la marchande. Y en a qui aiment les frites, d’autres le chocolat, certains aiment même leur compagne ou compagnon de vie. Mais aimer la France. Ça se mesure comment ? Ça s’attrape comment ? À coup de matraque ? Dans un charter ? En tout cas, kiffer grave la Morano est impossible.