L’affaire DSK remporte la palme du Spectacle mondialisé
Si on en doutait encore, l'affaire DSK nous y replonge : notre monde est bien celui de l'empire visuel, du règne absolu – absolutiste – de l'image. L'image sacralisée comme valeur de tout, du bien comme du mal, de la gloire comme de la déchéance, aux deux extrémités du visible – lequel recèle tellement d'invisible.
Et nous sommes là, ballottés dans ce champ à haute tension, le jugement pris entre croyances, convictions, incrédulité, scepticisme, rejet… Qu'on s'en tienne à ces seules dernières semaines : on est alors passés, en termes de célébrations visuelles ultra-spectaculaires, par des phases les plus extrêmes : révoltes arabes ; drame japonais (séisme, tsunami, explosions à la centrale nucléaire de Fukushima) ; guerre civile en Côte d’ivoire ; canonisation de pape ; mariage princier ; mort de Ben Laden ; chute de Strauss-Kahn…
Étrange « film », au montage saccadé, de ce qu’on appelle l’actualité, dont la hiérarchie est portée par le monde du Spectacle considéré comme une sorte de sur-virtualité, un état intermédiaire entre une certaine réalité et ses représentations visuelles surtout médiatiques. Film qui remporte la palme universelle, bien au-delà de Cannes au festival plus que jamais "empailletté".
Notre monde en devient dingue, ça on le savait, mais ses habitants – du moins une frange d’entre eux – s’en trouvent littéralement drogués, rendus addicts à une drogue très dure qui rend dépendants dealers et consommateurs dans un même trafic mondialisé. Une addiction si forte que le fait même de l’évoquer ou encore de l’analyser oblige à consommer encore et encore ces fameuses images.
C’est aussi le cas de cette analyse menée ici par Christian Salmon, grand (d)énonciateur du « storytelling », lorsqu’il démonte la machine à l’ouvrage dans l’affaire DSK. Car son analyse est tenue autant qu’elle tient par l’image, qu’à notre tour nous sommes menés à consommer, voire à savourer…
Funérailles d’une époque, probablement tant on voit mal aujourd’hui les ressorts d’un retournement possible de cette situation qui fait économie. Funeste disparition d’une certaine idée de la civilisation telle qu’elle représente en principe – et doit encore être portée au plus haut – notre ciment commun de la démocratie et du respect de l’individu. Luttons pour que ce ne soit pas le cas.
Et cela vaut au-delà de la différence des systèmes judiciaires qui ont leur logique, les Etats-Unis ne sont pas la France dans beaucoup de domaine, dont celui-là. Mais quel que soit au final le jugement qui, en pleine force de droit (le vrai), sera rendu, la destruction médiatique aura fait son office.
Ici on parle de l’accusé qui, à cette heure, ne peut être que présumé innocent, mais on peut craindre que la même machine médiatique du spectaculaire n’entraîne aussi la plaignante sur des chemins dangereux pour elle, elle qui, ne l’oublions pas, doit être aussi considérée comme victime présumée.
Un conseiller de DSK a publié récemment « La dictature de l’urgence ». Je m’étais promis de le lire. Je le ferai tant il ne croyait pas si bien dire et tant le propos mérite d’être très largement débattu, notamment au niveau « des » politiques et des médias. Sera-ce le cas… ?
Voir aussi le très bon papier d’Hervé Kempf (le monde 18/5/11) où il ose un rapprochement entre Fukushima et l’affaire DSK… :
« Y a‑t-il une relation entre ces deux événements inimaginables ? Oui, car ils participent d’une même logique, celle de la » démesure « , ou hubris, selon un concept grec antique. L’hubris désignait l’orgueil qui pousse l’être à dépasser la mesure, à vouloir au-delà de ce que le destin lui a assigné. Cette idée résonne de nouveau fortement dans notre culture : car celle-ci fait preuve d’une avidité inextinguible alors même que la biosphère atteint sa limite d’absorption sans dommage des effets de l’activité humaine.
« Cette avidité s’observe par l’ampleur de la consommation de matières premières, des émissions de gaz à effet de serre, de la disparition des espèces, de l’artificialisation des sols,… Elle se nourrit de la croyance que la technologie pourra compenser ou éviter le dommage. Jusqu’à ce que l’accident survienne, entraînant des conséquences pires que le mal qu’elle devait éviter. »
D’accord sans réserve avec vos deux commentaires et le papier de Gérard qui les génère.
Une réserve toutefois sur ce passage : « Notre monde en devient dingue, ça on le savait, mais ses habitants – du moins une frange d’entre eux – s’en trouvent littéralement drogués, rendus addicts à une drogue très dure qui rend dépendants dealers et consommateurs dans un même trafic mondialisé. »
Il me semble que Fukushima rend dingue essentiellement le japon et que l’affaire Strauss-Kahn rend dingues essentiellement les Français, mais je pense que tu parlais de « notre monde » dans ce sens, là.
Cette addiction que je ressens personnellement (pour les deux sujets) c’est la fascination du gouffre : comment peut-on arriver à de telles monstruosités, stupidités, inconsciences, folies ? (rayer les mentions inutiles…s’il y en a)
Sauf qu’on ne « sait » pas vraiment le fond de l’affaire, sauf qu’on « pressent », qu’on intuite, qu’on suppute quoi. Mais tout de même…
On est bien d’accord, mais le problème n’est pas guilty or not guilty : Ce scénario auquel nous assistons, rien que les faits, c’est hénaurme !
A propos de supputations, je n’en fais toujours aucune. j’aime bien le côté faux cul des précautions oratoires : si l’on parle de présumée victime, il faut bien mettre en face un présumé coupable. Si on parle de présumé innocent, cela implique nécessairement une présumée menteuse…
On ne saurait mieux résumer et dire !