11 septembre 1973. Rideau noir sur le Chili et sa démocratie
Onze septembre 1973. Rideau noir sur le Chili et sa démocratie. Mort d'Allende. Quelques milliers d’autres vont suivre – certainement bien plus que les deux milles annoncés. Combien de martyrisés, de « disparus », de blessés ? Combien d’exilés ? Combien de drames ? Quarante ans déjà. J’ai ressorti mes diapos pour revivre et partager ces douloureux événements. Voici ma sélection. Images prises juste avant le « golpe » de Pinochet.
L’atmosphère à Santiago où j'avais été envoyé par Tribune socialiste, l’hebdo du PSU, déjà dégradée depuis plusieurs mois (une tentative de putsch avait eu lieu en juin), se tendait terriblement en ce début septembre. De plus en plus visibles, soldats et policiers occupaient la rue, se faisaient plus arrogants. De même que les milices d’extrême droite, ouvertement menaçantes. Des manifestations sporadiques éclataient ça et là, surtout dans le centre, réprimées à coups de grenades lacrymogènes et de canons à eau. Parfois aussi par balles, on ne savait trop faire la différence. Mais il y avait des corps étendus, des ambulances, des pompiers.
La dernière grande manifestation de l’Unité populaire avait montré des airs de cortège funèbre. Le cœur n’y était plus, et le fameux slogan « El pueblo – unido – jamas sera vencido » avait baissé d’ardeur. Des rumeurs entretenaient l’illusion autour de l’existence de stocks d’armes « secrets » qui allaient permettre de résister aux fascistes. Lesquels étaient à la besogne, à saper la fragile économie (les camionneurs en grève bloquaient les transports), appuyés en sous-main par la vindicte yankee. Nixon, Kissinger, la CIA et leur correspondant sur place, la multinationale des télécommunications ITT s'acharnaient à ruiner l' "expérience chilienne", cet insupportable régime socialiste issu d'élections démocratiques.
Salvador Allende voyait ses marges de manœuvre se restreindre de jour en jour. Les généraux des différentes armes se présentaient de plus en plus souvent pour des audiences au palais présidentiel et des exigences croissantes. Le 23 août 1973, le général Prats démissionne. Commandant en chef de l'armée chilienne, c’est un proche d’Allende, qui le remplace par un autre « proche », Augusto Pinochet. Celui-ci, en effet, a plutôt une réputation de progressiste ; il sera même chargé de la protection de Fidel Castro en visite d’État au Chili ! (des photos les montrent tous deux côte à côte…) Il a la confiance d’Allende. Le « golpe », le putsch, Pinochet ne s’y rallie que tardivement, presqu'à corps défendant, sous la pression de son véritable promoteur, le général d’aviation Gustavo Leigh Guzmán. Anti-marxiste de choc, c’est lui qui ordonna de bombarder le palais de la Moneda. Mais Pinochet devait se rattraper bien vite et dépasser son mentor pendant dix-sept ans de dictature…
Voulant en appeler directement au peuple face à la sédition montante des militaires, Allende avait organisé un référendum pour le 12 septembre, un mercredi. Mais il y eut le mardi. On connaît la suite.
PS. Les circonstances de la mort d’Allende restent troubles, en dépit de la version officielle, celle du suicide. Il n’y a en effet pas eu de témoins directs déclarés, Allende s’étant alors retiré dans un salon du palais présidentiel. Il n’y était cependant peut-être pas seul : on pense à ses gardes du corps cubains, « fournis » par Fidel Castro. L’hypothèse de l’assassinat d’Allende par un de ses gardes n’est nullement farfelue. Je l’ai exposée en 2009 sur ce blog dans l’article : Mort de Hortensia Bussi, la veuve d’Allende. Du Chili à Cuba, de Pinochet à Castro, de troubles jeux mortels
Voici donc une série de photos qu’on peut, quarante ans après, qualifier d’historiques. Cliquer sur l'image pour l'agrandir. © Gérard Ponthieu
Ponthieu reporter, bravo. Voila un 11 septembre qui fait couler moins d’encre que l’autre et qu’il faut garder en mémoire. Peut-on lire ton article de l’époque ?
Merci cher le Fab ! « Je vous parle d’un temps » d’avant le numérique… Donc, j’ai numérisé mes diapos ; pour les articles, faudrait en faire autant, à condition de les retrouver (je les ai archivés ; mais où ?). J’aurais dû m’y prendre avant pour entamer des fouilles… Ce dont je me souviens bien c’est que mes papiers étaient normalement publiés, mais chapeautés par le responsable « international » du Bureau national du PSU. En gros, il prenait de la distance avec ce que je rapportais (ce que je racontais, mes « choses vues », mes témoignages) et ce que j’en déduisais sur l’imminence d’un putsch. C’était, venant d’hommes politiques – même et surtout de gauche – un effet de distorsion, allant jusqu’au déni, dû aux schémas idéologiques. J’avais les miens aussi (du haut de mes 29 ans), mais j’avais un peu appris à m’en méfier. J’avais remarqué que parmi les Chiliens que je rencontrais, beaucoup refusaient aussi l’évidence, alors même que leurs comportements, leurs attitudes, leurs mots mêmes montraient qu’ils savaient.
Merci pour ce rappel à l’Histoire et ce précieux témoignage de reporter. J’avais alors 7 ans, ce fut ma première découverte du totalitarisme victorieux, puis à l’oeuvre durant de si longues années de plomb.
Une autre sélection d’images est-elle possible ? Et l’article ?
Merci Laurence ! Comme je disais déjà au-dessus, je ne sais trop où se trouvent mes articles de l’époque ; à la limite ils sont archivés à la BN, comme toute la presse. J’ai plein d’autres photos (couleur et noir, car j’utilisais deux appareils), mais il faut du temps pour les trier et les retraiter. Bref, une autre fois…
Bonjour,
Merci pour ton témoignage texte et photos.
Je te signale la tenue à Aix le 18 septembre 2013 à 20h, Cité du Livre, d’une Conférence-débat avec Juan Guzman, le juge chilien qui inculpa le général Pinochet et Jac Forton, journaliste indépendant, écrivain, militant d’Amnesty international, spécialiste des droits humains au Chili.
Concernant tes allégations sur le possible assassinat de Allende sur ordre de Castro, je suis allé lire ton article « mort de Hortensia Bussi » et écouter Juan Valdés (qui vivait et vit peut-être toujours à Marseille) dans une émission télé de Thierry Ardison. Le moins que je puisse dire c’est que je n’ai pas été convaincu par la sincérité du bonhomme.
Je te transmets ci dessous ce que j’ai trouvé sur wikipédia dans la biographie d’Allende à propos de sa mort :
« C’est dans le palais que Salvador Allende meurt finalement d’un tir d’AK47 dans le menton. Une anecdote précise que l’arme lui avait été offerte par Fidel Castro, et portait une plaque dorée sur laquelle on pouvait lire : « À mon bon ami Salvador, de la part de Fidel, qui essaye par des moyens différents d’atteindre les mêmes buts59 ».
La thèse officielle, qui sera reconnue par la famille après avoir eu accès aux archives de l’État, est celle du suicide. Cette version a été confirmée par le témoignage oculaire d’un de ses médecins.
Beaucoup de marxistes, dans le feu des déclarations immédiates de Fidel Castro, ont accusé les assiégeants d’avoir tué Salvador Allende.
Selon une version anecdotique, il aurait été assassiné par ses gardes du corps cubains alors qu’il s’apprêtait à se rendre. Cet assassinat aurait été ordonné par Fidel Castro.
Le 23 mai 2011, dans le cadre d’une enquête judiciaire a lieu l’exhumation de la dépouille d’Allende pour établir s’il s’est suicidé. En juillet suivant, le service médico-légal chilien confirme le suicide d’Allende. »
On peut aussi écouter le dernier discours de Salvador Allende :
http://www.youtube.com/watch?v=ufHIrEEl0_o
Je te signale un film intéressant d’Arte concernant le juge Guzman qui a instruit le procès de Pinochet (qui a exercé sous Pinochet semble-t’il sans états d’âme) qui sera à Aix le 18 septembre
http://www.arte.tv/guide/fr/048775 – 000/chili-le-juge-et-le-general
Amitiés
Bernard
Merci Bernard pour tes précisions, liens et avis. J’irai à la conf du 18, on s’y verra sans doute.
Sur la mort d’Allende, je me réfère aux trois bouquins cités. Amar est un journaliste considéré comme crédible ; il est vrai qu’il rapporte des faits de seconde main, comme souvent les journalistes. Juan Vivés est un ancien agent cubain dont les motivations peuvent certes être contestables… Jacobo Machover est aussi cubain, exilé en France (il enseigne à la fac d’Avignon, d’après ce que je sais). Quant à Alarcón Ramirez (« Benigno »), c’est un ex-colonel de l’armée cubaine ; il a participé à la guérilla du Che en Bolivie. Leurs témoignages se recoupent, ce qui ne garantit pas leur véracité, certes ; je ne vais pas les reprendre ici, mais quand je les avais lus, ils m’avaient assez ébranlé. D’un autre côté, si cela était, on expliquerait mal le fait que cette hypothèse n’ait pas été claironnée urbi et orbi par les anti-castristes… Il est vrai aussi que les dernières paroles d’Allende résonnent comme un adieu testamentaire…
Amitiés à toi aussi. Gérard