Pour saluer Diderot, à l’occasion de ses 300 ans
Débarquant de la gare de Lyon à Paris, suivez-moi, j’emprunte sans tarder le boulevard Diderot, puis celui de la Bastille, pour traverser le Pont d’Austerlitz. Là, je salue Lamarck, sur son socle haut perché, à l’entrée du Jardin des Plantes et, parcourant l’allée Buffon, me voici à la Grande galerie de l’Évolution.Vous en connaissez beaucoup, vous, des endroits de la planète où, en un demi-kilomètre, vous aurez parcouru autant de pages d’histoire ?
Salut Diderot, salut Denis !
Je m’étais promis d’écrire ce modeste hommage à l’occasion du trois centième anniversaire de sa naissance. Il est né à Langres le 5 octobre 1713 (je sais, on est en décembre… et à la veille de 2014 !).
J’allais embarquer vers la coutellerie familiale, mais tout ça se trouve à portée de clics, en maints endroits de la vaste toile et en particulier sur Wikipédia, fille techniquement magnifiée de sa déjà grandiose ancêtre, L’Encyclopédie. Si loin de l’ordinateur, Diderot n’en fut pas moins le grand ordonnateur, coordinateur et co-auteur, avec d’Alembert et plus de cent cinquante autres contributeurs, érudits et pionniers. L’Encyclopédie fut l’objet d’un combat politique contre des adversaires et censeurs farouches ; ainsi la condamnation de l’ouvrage en 1759 par le pape Clément XIII qui le met à l'Index, et « enjoint aux catholiques, sous peine d'excommunication, de brûler les exemplaires en leur possession ». Ce fut enfin une aventure économique qui mobilisa un millier d'ouvriers pendant vingt-quatre ans !
Une œuvre monumentale, au plein sens, un pas décisif mené contre l’obscurantisme dominant dans ce siècle qu’on appellerait « des Lumières ». Une oeuvre qui continue à nous éclairer, depuis plus de deux cent cinquante ans, non pas tant directement par ses contenus désormais en partie dépassés, que par la démarche et l’esprit qui l ont nourrie.
L’Encyclopédie, donc, comme pivot de cette première rencontre, due à l’école de la République, son héritière directe !
Deuxième rencontre, littéraire et filmique, quand Jacques Rivette adapte La Religieuse en 1967. Sous la pression d’Alain Peyrefitte, ministre de l'Information de de Gaulle, et sur décision de son secrétaire d’État Yvon Bourges*, le film est interdit aux moins de dix-huit ans, à la distribution et à l’exportation. Autant dire condamné. André Malraux, cependant, alors ministre de la culture, soutient la présentation du film à Cannes… Ramdam général de la réaction bigote. Le film sort à Paris dans cinq salles et enregistre 165 000 entrées en cinq semaines, tandis que le roman de Diderot bénéficie de ce succès et est réédité plusieurs fois. J’en profite aussi, découvrant une œuvre bouleversante, nullement sulfureuse comme les ligues cathos avaient voulu le faire croire, mais assurément contre le système d’enfermement dans les couvents. La Religieuse est une ode à la liberté de choisir son destin. Une nouvelle adaptation – très réussie – est sortie en 2013 (film de Guillaume Nicloux avec Pauline Étienne).
Troisième rencontre, littéraire et théâtrale, avec la version de Jacques le fataliste et son maître, donnée par Milan Kundera (sous le titre Jacques et son maître), pièce montée notamment au Colibri à Avignon, dans une remarquable mise en scène dont j’ai oublié l’auteur [Je l’avais vue avec mon pote metteur en scène Alain Mollot, mort depuis.]
Quatrième étape et on en restera là, car elle dure toujours : c’est la parution des Œuvres de Diderot à la Pléïade, cette collection sur papier bible, qui se prêterait à la dévotion si on n’y prenait garde… S’y trouvent rassemblés des textes magnifiques à haute portée philosophique, dont les seuls énoncés sont déjà gages de promesses inépuisables – sélection pêle-mêle : Les Bijoux indiscrets, Supplément au voyage de Bougainville, Le Neveu de Rameau, Le Rêve de D'Alembert, Entretien d'un philosophe avec la maréchale de ***, De la suffisance de la religion naturelle, La Promenade du sceptique, Paradoxe sur le comédien, Regrets sur ma vieille robe de chambre…
Au sens originel de l’expression « libertin d’esprit », Diderot peut en effet être considéré comme un libertin ; c'est-à-dire un libre penseur qui remet en cause les dogmes établis et s’affranchit en particulier de la métaphysique et de l’éthique religieuse. Diderot professe un matérialisme assuré et un athéisme serein, qui lui vaudront tout de même d’être emprisonné trois mois au donjon de Vincennes en 1749 suite à la publication de la Lettre sur les aveugles. Invoquant la connaissance, il revient sur le sujet dans Le Rêve de d’Alembert : « Croyez-vous qu’on puisse prendre parti sur l’intelligence suprême, sans savoir à quoi s’en tenir sur l’éternité de la matière et ses propriétés […] ? » Mais pour autant, amoureux de la science, il redoute le scientisme et un rationalisme qui assécherait les passions et la part de spiritualité chez l’homme.
Autant de questionnements qui nourrissent des dialogues les plus subtils, dans une dialectique où il ne craint pas, comme dans Le Neveu de Rameau en particulier, de s’interpeller, de se mettre en contradiction avec lui-même ou du moins de se pousser dans ses ultimes retranchements, d’exposer jusqu’au paradoxe ses creux et ses bosses à la crudité… des lumières.
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* Des habitants de Bourges ont proposé de débaptiser leur ville pour l'appeler « Diderot » ou « Rivette » !
> > > Écouter "Les Murs indiscrets" sur le blog de Frank Lovisolo-Guichard. Lire au même endroit la Lettre sur les aveugles à ceux qui voient. Quant aux sourds, ben…
Le destin littéraire de Diderot semble préfigurer celui des écrivains clandestins des samizdat. D’ailleurs Kundera lui consacra une oeuvre. La censure saisit en 1749 la « Lettre sur les aveugles à l’usage de ceux qui voient ». L’œuvre fut condamnée et Diderot ‑suspect de libre-pensée et surveillé depuis longtemps- incarcéré trois mois au château de Vincennes. Sa libération résultât d’une négociation où il s’engageait ne plus avoir de vie publique. D’où son investissement quasi invisible du public dans l’aventure de 20 ans de l’Encyclopédie. D’où aussi l’ignorance de ses oeuvres par le grand public de son époque, ce qui par ailleurs lui donna une grande liberté de ton, résigné qu’il fût à n’être reconnu que par la postérité.
Pas un parangon de fidélité amoureuse, il fut très épris de Sophie Volland, et ses Lettres sont une merveille de tendresse, de sensualité et d’humour.
Salut DD !que la lecture de tes oeuvres connaisse un Développement Durable ! (plus durable que l’oxymore !)
C’est beau, tout de même, la culture !
J’ai un Diderot sur mon blog !
Je vais mettre ton lien sur le mien !!!!
( ici : http://frank-lovisolo.fr/WordPress/diderot-les-murs-indiscrets/ )
Et lycée de Versailles. On va finir par se reproduire…