Régine Deforges : « La littérature érotique ? – Je la conseille à tout le monde, à tous les âges ! »
L’auteure et éditrice Régine Deforges est morte hier, 3 avril, à l’âge de 78 ans. Je l’avais rencontrée en février 1999, voilà donc quinze ans, en préparation d’un livre co-écrit avec mon ami Roger Dadoun, Vieillir & jouir, Feux sous la cendre (Éd. Phébus, 1999). Notre entretien devait porter sur la sexualité face au vieillissement, un sujet qui ne pouvait que la concerner – comme tout un chacun, question de temps… – en tant que femme, bien sûr, et en particulier comme éditrice d’ouvrages érotiques (éditions L’Or du temps).
• Vous avez, en tant qu’éditrice, une vue particulière sur la littérature dite érotique. Trouve-t-on, dans cette littérature, des acteurs vieillards et, si oui, quelle image en est-il donné ?
– Régine Deforges : Non, à ma connaissance, il n’y a rien. Si ce n’est un livre érotique, excellent, écrit par une femme – d’ailleurs ce sont presque uniquement des femmes qui écrivent des textes érotiques à l’heure actuelle. Il s’agit de Métro Ciel, chez Actes Sud; c’est l’histoire d’une rencontre dans le métro d’une femme qui n’est plus jeune avec un homme qui n’est pas jeune non plus. C’est une histoire très érotique et très belle, la seule qui me vienne à l’esprit.
• Des acteurs âgés de scènes érotiques, on en trouve tout de même chez Sade…
– Oui, mais ils sont tous, non seulement vieux, mais impuissants ! Et ils commettent quelques exactions ou quelques excès pour se redonner de la vigueur. Sade, en effet, a traité de la question mais comme quelqu’un qui avait été enfermé et qui souffrait assez de tout ça – il avait lui-même des problèmes d’érection.
…Les femmes, elles, peuvent tomber amoureuses d’un homme plus âgé car elles n’ont pas ce regard critique négatif des hommes. Et elles peuvent aussi avoir ce même rapport avec les femmes. C’est une différence de comportement très nette.
– Exactement : comme recours à des stimulations psychiques.
• Comment alors interpréter cette sorte de vide dans les littératures ?
– L’érotisme et l’amour, c’est quand même lié à la jeunesse ! Les messieurs recherchent des jeunes femmes et les dames des jeunes hommes. C’est lié à la beauté aussi. Vous me direz que toute l’humanité n’est pas belle – c’est dommage. Justement, il me revient une scène qui m’a particulièrement choquée : Je devais avoir une vingtaine d’années, c’était par un jour de printemps, en bas des Champs Elysées, là où se trouvent des jardins. Et, sous un arbre en fleurs, il y avait un couple : une vieille femme et un jeune homme enlacés, qui s’embrassaient à qui mieux-mieux. Ce qui était terrible, pour moi, c’est que la vieille femme avait des bas comme en portaient mes institutrices quand j’étais gamine, des bas de coton gris. Le contraste m’est apparu comme quelque chose d’effrayant, comme une insulte au printemps, une insulte à l’arbre en fleurs, une insulte à la jeunesse. Je m’en suis voulue par la suite, du fait que c’était une attitude un peu raciste. Mais j’avais été choquée parce qu’il y a des femmes de 60-70 ans qui sont encore sexy, désirables. Mais alors là, je ne sais pas, ou c’était une vraie perverse, ou… Mais je m’en suis fait le reproche de cette attitude.
Sinon, dans ce registre, il y a toujours ce fameux couple d’Harold et Maude. Mon fils me racontait qu’un de ses copains, de 25 ans, était tombé raide amoureux d’une femme de 60 qui se refusait à lui, s’estimant trop vieille. Mais lui, vraiment, il la désire ! Ça existe, et tant mieux !
[Régine Deforges, qui vient de séjourner à Cuba, allume un havane; c’est un Roméo et Juliette… :]
• Et ces deux-là, comment auraient-il vieilli ?
– Mal, comme tout le monde ! Il n’y a pas de secret…
• C’est quand même curieux qu’il y ait une telle carence, voire un tel rejet des vieillards dans la littérature érotique, qu’on aurait crue plus ouverte, par définition…
– On est bien obligé de le constater : on met plus facilement en scène des hommes plus âgés, comme dans Lolita, par exemple, que l’inverse, une vieille femme et un jeune homme. Ah oui, il y a eu Chéri, de Colette !
• Mais vieillir, est-ce vraiment si difficile ? Ne voit-on pas de ces vieux satisfaits, peut-être pas du nombre de leurs années, mais assez heureux ?
– Ce sont des sages ! Comme vous n’avez pas le choix, autant prendre la chose le moins mal possible… Enfin, on ne me fera jamais croire que c’est facile, pour un homme ou pour une femme, de renoncer à séduire ! Je n’y crois pas !
• Pourquoi renoncer ?
– Parce qu’on se rend bien compte, à un certain moment, que ça ne correspond plus à rien ! Moi, je connais des femmes d’un certain âge qui continuent à draguer le minet. C’est pitoyable ! Et qui font des grâces comme si elles étaient encore jolies – souvent, d’ailleurs, ce sont celles qui n’ont pas été belles qui se comportent ainsi : vieilles, elles sont moins moches que les belles devenues vieilles !
• Ça se nivelle…
– Eh oui ! C’est en fait un peu triste. Êtes-vous allés voir Dominique Rollin ? [Ndlr : le grand amour de Philippe Sollers] 90 ans ! Moi, je la trouve très belle; ça ne me choquerait pas qu’elle séduise encore avec cette beauté qu’elle garde en elle.
• Vous dites des femmes âgées et de l’amour que c’est plutôt triste. Ne voyez-vous rien de plus réjouissant ? Et pour une vieille qui minaude, combien d’autres peuvent vivre une relation profonde ?
– Ah oui, tout à fait !
• Tout n’est donc pas désespéré pour vous…
– Je ne sais pas…
• Benoîte Groult nous a parlé de sa souffrance à propos de cette absence de regard des hommes sur les femmes qui vieillissent. Qu’en dites-vous ?
– Il est vrai que l’attirance opère en direction d’objets séduisants – c’est humain. On peut être attendri par une vieille dame, on est rarement séduit…
• Ne faut-il pas alors beaucoup, beaucoup de charme pour compenser cette sorte de déficit de beauté extérieure ?
– Certainement. Souvent, de très jeunes hommes tombent amoureux de femmes plus âgées. Mais, encore une fois, ça ne se trouve pas dans la littérature, mais dans la vie.
• Nous en avons d’ailleurs rencontré un, qui nous parle des attraits des vieilles femmes, de la beauté des rides qu’il oppose…
– … En bien, vous me le présenterez, ce jeune homme ! [Rires].
• Vous n’êtes peut-être pas assez vieille à son goût ! De la beauté des rides, donc, qu’il oppose à l’aspect conquérant de la jeunesse.
– Il y a des hommes qui sont alors rassurés : là, tout d’un coup, ils dominent la situation, en toute sécurité. C’est bien rare qu’on enlève à un jeune homme sa maîtresse âgée…
• Ce qui est quand même très beau, c’est qu’une telle relation n’est pas uniquement focalisée sur le génital, les organes sexuels. Le corps tout entier, dans ses différentes parties, ses différentes formes, même un corps ridé, une peau un peu flasque, peut avoir son charme pour un véritable érotisme ?
– Tout à fait. On est troublé par quelqu’un sans toujours savoir pourquoi. Toujours est-il que nous vivons dans le culte de la jeunesse; les mannequins mêmes, hommes ou femmes, sont de plus en plus jeunes. On maquille une fille de 13 ans pour en faire une femme paraissant en avoir 30 ! En même temps, on vit de plus en plus vieux; il va sans doute falloir introduire cette notion du désir qui dure avec la vie… À Cuba, une femme de 30 ans est considérée comme une vieille femme. Celles qui divorcent à cet âge savent qu’elles ne trouveront plus personne ! Et, en contrepartie, il y a aussi beaucoup d’homosexualité féminine.
• On trouve donc, là aussi, chez certaines femmes âgées, la découverte de l’homosexualité ?
– Oui, qui découvrent ainsi un nouveau plaisir physique. Il faut noter une chose, c’est que les femmes, elles, peuvent tomber amoureuses d’un homme plus âgé car elles n’ont pas ce regard critique négatif des hommes. Et elles peuvent aussi avoir ce même rapport avec les femmes. C’est une différence de comportement très nette.
• Une femme [interviewée pour l’ouvrage. Ndlr] nous dit aussi cela, qu’elle attache une importance plus forte à la valeur de l’être qu’à son apparence.
– Eh, il faut bien trouver des solutions !
• Nécessité fait loi ?
– Exactement !
• Les femmes «décrochent» de plus en plus tard, sans la barrière autrefois fatidique de la ménopause, c’est un grand bouleversement, non ?
– Elles se connaissent mieux et connaissent mieux aussi le corps de leurs partenaires. Ça les rend plus aptes, et plus longtemps, à la sensibilité érotique.
• Vous conseillez la littérature érotique aux vieux ?
– Je la conseille à tout le monde, à tous les âges !
• La vieillesse et l’amour, est-ce un sujet susceptible de vous inspirer en tant qu’auteure ?
– Oui. J’y pense, d’ailleurs. Ça se rapporterait plutôt à une femme âgée affrontée à ce désir pour des hommes plus jeunes qu’elle. Il y a un véritable désir chez certaines femmes, justement de cette fraîcheur que n’a évidemment plus un homme de 60 ans.
• «Paris-Match» avait sorti une de ses couvertures avec des femmes qui ont épousé des hommes plus jeunes qu’elles. Vous étiez du lot, comme dans une catégorie ainsi créée. C’est curieux, non ?
– Parce que ça reste encore un vrai tabou. Qu’il s’agisse d’aventures, bon. Mais là, des liaisons qui durent, c’est autre chose ! Claire Bretécher me disait : On a beau les prendre de plus en plus jeunes, ils ne sont toujours pas à la hauteur ! Elle n’a pas tort..
• Elle fait partie du club, si on ose dire ?
– Ah oui ! elle a un mari qui doit avoir pas loin de 20 ans de moins qu’elle.
• En quoi ne sont-ils pas à la hauteur, ces hommes ?
– Ils ont tendance à s’embourgeoiser, à être beaucoup plus popotes que les femmes. J’ai un mari bien plus jeune que moi mais j’ai l’impression qu’il est beaucoup plus vieux !
• Popote, c’est-à-dire ?
– Ils aiment bien rester à la maison : pantouflards !
• Mais dans la sexualité, on peut se sentir bien dans ses pantoufles, non ? [Rires].
– C’est vrai, ils ne sont pas mal dans leurs pantoufles… Mais ils sont installés, vous voyez… Alors qu’une femme ne s’installe pas – enfin, c’est plus rare; elle reste plutôt à l’affût, beaucoup plus disponible. D’ailleurs les hommes quittent rarement les femmes – ou alors un mec qui a rencontré une petite secrétaire dans le couloir de son bureau. Autrement, il faut presque les foutre dehors ! Ils s’accrochent ! [Rires].
• Selon vous, on ne retrouve pas chez les hommes cette attitude désirante sur les autres, dès lors qu’ils possèdent leur femme, leur conquête ?
– Voilà : ils s’installent, ils ne repartent pas chaque jour à la conquête de la femme, qui est alors un acquis – c’est «ma femme». Le genre de mari qui tire sur votre jupe parce qu’il la trouve trop courte, qui vous ferme votre décolleté… Alors là, ils sont légion !
• Mais pas le vôtre ?
– Si ! Et ils vont plonger dans le décolleté de la voisine ! Ils sont très bourgeois.
• Vous en faites une généralité? Il y a des hommes différents quand même !
– Ah oui, où ça ? [Rires].
• De nos jours, par des moyens multiples, on peut se maintenir en forme de plus en plus tard. On peut désormais envisager une société où le vieil âge pourrait être un âge d’amour, un âge pleinement érotique…
– Mais oui ! Et je le souhaite vivement, moi qui vais rentrer dans mon vieil âge…
• Oh, vous n’avez que 62 ans…
– Oui, mais enfin, il n’est jamais trop tôt pour y penser !
• C’est juste : c’est même à la maternelle qu’il faudrait y penser ! [Rires]. Je ne blague pas, hein ! Parce que la vision qu’on a de la vieillesse est celle que l’on se fait dès le début de l’existence.
– Quand on pense que François 1er et Henri 1er, le père et le fils, ont eu la même maîtresse, Diane de Poitiers, tous les espoirs nous sont permis !
Entretien avec Gérard Ponthieu, 09/02/99
Respects… Elle était sympa, elle aussi.
Mais c’était avant. Même interview, avec d’autres d’aujourd’hui.
« 50 nuances de gris ? »
Oui cher Ponthieu. Cet entretien me fait penser à un film sur le sujet : « tous les autres s’appellent Ali » de Fassbinder. Un film émouvant sur une histoire d’amour entre un homme encore vaillant et une vieille femme. le fossé est d’autant plus grand que l’homme est Marocain et la femme Allemande. Un film sur la différence, le regard des autres. Bref du lourd et du fort.
C’est amusant au Lycée et même après aucun professeur de lettres ne nous parlait de cette Dame ?
( Heureusement qu’il y avait une culture érotique parallèle ! )
De mémoire, pour compléter la bibliographie « Vieillesse, amour, sexualité » :
Mishima : « Les amours interdites » (un vieil universitaire amoureux d’un jeune homosexuel)
Tanikazi : « Un amour insensé », et surtout « La confession impudique, journal d’un vieux fou »
Sabato : « Senilita »
Hérouard : à paraitre !
Vous semblez avoir travaillé la question ! Et connaissez-vous, dans un registre plus « soft » : » Amour et vieillesse », de Chateaubriand ?
J’oubliais de signaler une réflexion très intéressante ici : http://www.esculape.com/sexualite/sexe_senior.html