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Hervé Gourdel assassiné. Ce ne sont pas des hommes

Hervé GourdelHervé Gourdel. Je pars de sa bonne tête de brave homme, au regard droit. C’est par un tweet que, lundi, je découvre son enlèvement. Puis, par la vidéo qui l’exhibe flanqué de deux gardiens masqués et armés, je le vois et l’entends, désespéré, lire son message de secours, sous la contrainte.

Et ils l’ont décapité.

Les salauds.

Ils se font appeler « Soldats du Califat », se disent affiliés à « Daech » ou « État islamique ». Leur pouvoir de nuisance extrême porte atteinte à l’ensemble de l’humanité, dont ils se trouvent exclus.

Car ce ne sont pas des hommes. Ou alors d’une sous-espèce particulièrement dégradée. Ou encore en raison, si on peut dire, de la plus profonde des perversions. Et il est vrai, hélas, que l’Homme, majuscule, sait aussi atteindre cette dégradante petitesse assassine – lui, l’unique spécimen du règne animal capable d’un tel génie dans le mal. Dans le Mal, majuscule, il a su œuvrer au plus bas de la bassesse – et au nom d’idéaux déments, mêlés de pureté et de haine, impliquant les dieux ou des guides suprêmes, trouvant toujours à leur service des générations de Torquemada experts en torture, habiles à arracher les langues hérétiques – de juifs ou de musulmans, selon le balancier de l’Histoire, selon l’urgence liée au besoin d’obscurité. La liste serait inépuisable, on la limitera ici à trois évocations emblématiques :

Giordano Bruno mis au bûcher pour avoir soutenu l’infinité des mondes face au champ de l’Ignorance ;

les terribles guerres de religion entre protestants et catholiques au nom du Christ (XVIe siècle) ;

la langue arrachée, le corps torturé, démantelé et – aussi – décapité du Chevalier de la Barre, 20 ans, pour « blasphème et sacrilège ». Il n’avait pas ôté son chapeau devant une procession (Abbeville, 1765).

Il nous fallut bien du temps, du temps de luttes pour nous extraire de ces arrière-mondes. Et les chutes parsèment l’Histoire, lourde de malheurs et d’atrocités, jusqu’à la déportation esclavagiste, jusqu’aux génocides « modernes » des Arméniens, Juifs, Tutsis.

De ce temps si âpre, il ne nous en faudrait bien moins aujourd’hui pour y sombrer à nouveau.

Guide de haute montagne, Hervé Gourdel était attiré par les sommets. Sans doute avait-il de l’Humanité une idée élevée.

Il a été jeté dans les ténèbres par des fanatiques, de ces hallucinés qui renvoient à ceux qu’évoque si puissamment le Zarathoustra de Nietzsche dont voici quelques extraits :

DES HALLUCINÉS DE L’ARRIÈRE-MONDE

 Ainsi moi aussi, je jetai mon illusion par delà les hommes, pareil à tous les hallucinés de l’arrière-monde. Par delà les hommes, en vérité ?

"Hélas, mes frères, ce dieu que j’ai créé était œuvre faite de main humaine et folie humaine, comme sont tous les dieux.

Il n’était qu’homme, pauvre fragment d’un homme et d’un « moi » : il sortit de mes propres cendres et de mon propre brasier, ce fantôme, et vraiment, il ne me vint pas de l’au-delà !

[…]

Ce furent des malades et des décrépits qui méprisèrent le corps et la terre, qui inventèrent les choses célestes et les gouttes du sang rédempteur : et ces poisons doux et lugubres, c’est encore au corps et à la terre qu’ils les ont empruntés !

Ils voulaient se sauver de leur misère et les étoiles leur semblaient trop lointaines. Alors ils se mirent à soupirer : Hélas ! que n’y a-t-il des voies célestes pour que nous puissions nous glisser dans un autre Être, et dans un autre bonheur ! » — Alors ils inventèrent leurs artifices et leurs petites boissons sanglantes !

[…]

Il y eut toujours beaucoup de gens malades parmi ceux qui rêvent et qui languissent vers Dieu ; ils haïssent avec fureur celui qui cherche la connaissance, ils haïssent la plus jeune des vertus qui s’appelle : loyauté.

Ils regardent toujours en arrière vers des temps obscurs : il est vrai qu’alors la folie et la foi étaient autre chose. La fureur de la raison apparaissait à l’image de Dieu et le doute était péché.

Je connais trop bien ceux qui sont semblables à Dieu : ils veulent qu’on croie en eux et que le doute soit un péché. Je sais trop bien à quoi ils croient eux-mêmes le plus.

Ce n’est vraiment pas à des arrière-mondes et aux gouttes du sang rédempteur : mais eux aussi croient davantage au corps et c’est leur propre corps qu’ils considèrent comme la chose en soi.

Mais le corps est pour eux une chose maladive : et volontiers ils sortiraient de leur peau. C’est pourquoi ils écoutent les prédicateurs de la mort et ils prêchent eux-mêmes les arrière-mondes.

Écoutez plutôt, mes frères, la voix du corps guéri : c’est une voix plus loyale et plus pure.

Le corps sain parle avec plus de loyauté et plus de pureté, le corps complet, carré de la tête à la base : il parle du sens de la terre. —

Ainsi parlait Zarathoustra."

 

Friedrich Nietzsche

Ainsi parlait Zarathoustra
Un livre pour tous et pour personne
Traduction par Henri Albert.
Mercure de France, 1903 [sixième édition] (Œuvres complètes de Frédéric Nietzsche, vol. 9, pp. 40-45).

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À Michel Germaneau, mort au nom de l’Homme, victime du fanatisme

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Gerard Ponthieu

Journaliste, écrivain. Retraité mais pas inactif. Blogueur depuis 2004.

12 réflexions sur “Hervé Gourdel assassiné. Ce ne sont pas des hommes

  • Bianco Michel

    Profond dégoût. Pas seule­ment des extré­mismes, mais des reli­gions qui les sécrètent.

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  • Les imbé­ciles les plus vils veulent obte­nir le pou­voir par la force. Hélas, ce n’est pas nouveau…
    Il n’y là une bande de psy­cho­pathes de plus en plus dan­ge­reux car finan­cés. A croire que beau­coup ne sont atti­rés que par la démence.

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  • Dominique Dréan

    Une bonne gueule, un bon Français…Cet assas­si­nat prend un relief consi­dé­rable pour nous. C’est un crime épou­van­table. Va-t-on raser les vil­lages du Djurdjura ?

    Tirer au canon des enfants sur une plage de Palestine, est-ce plus humain ? Ils ont dû avoir très peur, les enfants. On connait les cou­pables, quelle sera la puni­tion ? Tuer 2000 per­sonnes avec un ren­de­ment de 1% de ter­ro­ristes. Quelle sera la punition ?

    On vit juste dans un monde de fous, pol­lué par toutes les reli­gions, où cha­cun envoie ses « valeurs » à la tête de l’autre sans l’é­cou­ter. Tout ça me dégoûte.

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  • Relire « La psy­cho­lo­gie de masse du fas­cisme » ou « L’homme dans l’État » de Wilhelm Reich.

    Cet ani­mal qui se nomme lui-même humain (et il a rai­son de le faire, car il en a la pos­si­bi­li­té !) tombe dans un piège lorsque la peur lui étreint les lombes ; et cette peur qu’il ne peut sup­por­ter, il s’en croit supé­rieur et se croit supé­rieur à tous ceux, sous la forme d’une hié­rar­chie des peurs, qui la lui rap­pelle : la LIBERTÉ de vivre sans cette peur.
    Que se pré­sente à lui un fétu de paille de cette liber­té qu’il ché­rit et qu’il ne peut atteindre à cause de cette peur, il lui faut la détruire, avec le plus d’i­gno­mi­nie pos­sible pour bien « spec­ta­cli­ser » qu’il ne craint pas cette peur de la dou­ceur des lombes.
    Aussi, un cercle se forme de ce qu’on nomme « inhu­ma­ni­té », mais il ne s’a­git seule­ment qu’une ques­tion de degré ; et ici une limite est dépas­sée d’ab­surde, de stu­peur et d’hor­reur. C’est révol­tant, oui.
    L’homme est un che­val pour l’homme, un loup pour la femme et un tigre pour l’enfant.

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  • Ça me vient main­te­nant : cet acte dément a été pra­ti­qué en Algérie, qui a dû affron­ter la bar­ba­rie des hal­lu­ci­nés d’Allah dans la pire guerre civile. La « bête immonde », comme aurait dit Brecht de sa variante isla­miste, demeure tapie dans les maquis de Kabylie, et plus pré­ci­sé­ment dans le mas­sif de Djurdjura que par­cou­rait Hervé Gourdel. C’est aus­si un coup dur pour l’Algérie.

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  • Gian

    Il n’y a plus de Jaurès pour pré­co­ni­ser la paix, la longue marche vers le chaos est deve­nue iné­luc­table… En sus de la légi­time recom­man­da­tion de s’ar­mer et s’en­traî­ner, il convient de s’in­ter­ro­ger sur le sens de la tue­rie en cours de pro­li­fé­ra­tion : n’est-ce pas une néces­saire mesure contre l’ab­surde car sui­ci­daire délire démographique ?
    Accessoirement : G. Bruno, contem­po­rain de Galilée, mais net­te­ment plus cos­taud que lui. N’avait-il pas en outre pré­dit l’exis­tence des exo­pla­nètes, 400 ans avant qu’on en fasse la démons­tra­tion ? Il ne s’est pas renié sous la tor­ture inqui­si­to­riale, et a été brû­lé vif : il est mécon­nu, Galilée s’est renié, il est célèbre. Terrible injustice.

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  • Binoit

    Zara­thous­tra, Zoroastre nous ren­voie aux Yésides, pro­tec­teurs des chré­tiens armé­niens en 1915 mas­sa­crés par les Jeunes-Turcs de Talaat Pacha, aujourd’­hui par Daech (l” « État isla­mique ») , excrois­sance des Frères musul­mans – Front isla­mique du Salut, Hamas et tant d’autres – dont les défi­lés des mili­tants mas­qués de noir ren­voient aux sombres pro­ces­sions des péni­tents de nos heures sombres. Un Ébola de l’esprit !

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  • Binoit

    Précision à Gérard : le zoroas­trisme et le yési­disme, reli­gions ancienne et moderne de cer­tains Kurdes, ont des racines communes.

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  • gonzalez

    Relire aus­si « le ser­ment des bar­bares » de Boualem Sansal.

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  • Jean-Pierre Pleuvry

    Idéaux

    Si des Hommes on cherché
    A tra­vers les âges
    Un sem­blant de libre pensée
    Alliée à leurs actes

    Si des Hommes depuis des millénaires
    Se sont bat­tus, défen­dant la cause de l’injuste

    Si des Hommes, au tra­vers d’idéaux
    Ont cen­su­ré le droit d’exister

    Si des Hommes au nom de Dieu, des Dieux
    Et encore d’autres Dieux se sont fait martyrs

    Si des Hommes au nom de l’injustice
    Se sont fait leur justice

    Si d’autres Hommes s’attribuent
    Le droit de vie sur l’Homme
    Et de toute autre vie

    Alors

    Quels sont ces êtres doucereux
    Qui se nour­rissent en notre sein
    S’affermissent aux éoles
    Pour deve­nir l’animal retrouvé
    S’abreuvant de sang pur

    Jean-Pierre Pleuvry

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  • DomTour

    Tout ça parce, qu’à l’o­ri­gine, des mino­ri­tés euro­péennes ont mas­sa­crés, indus­triel­le­ment, d’autres mino­ri­tés euro­péennes… Le pro­blème revient à l’Europe.

    Répondre

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