Fabienne, 48 ans, a choisi de mourir dans la dignité. Un droit humain reconnu en Suisse, mais pas en France où il mobilise l’hostilité religieuse et morale
Un nouveau (et ancien) débat « de société » s’ouvre en ce moment sur la question cruciale de la fin de vie. Et, il fallait s’y attendre, la bien-pensance se remet aussitôt en ordre de combat au nom des Religions, de la Morale et même de la Civilisation. Et ces jours-ci, une voix singulière s’est élevée contre « ceux qui parlent sans savoir ». La voix d’une morte, Fabienne Bidaux, une femme admirable de courage et de lucidité, selon ce poignant témoignage diffusé par France Inter ce 10 mars. Cette femme de 48 ans, atteinte d’un cancer incurable, a décidé d’aller mourir en Suisse, là où la « mort douce » est autorisée. Cela afin de ne pas affronter la déchéance extrême, ni d’en imposer la vue à ses proches.
Fabienne était bibliothécaire, responsable d'une médiathèque à Colombelles près de Caen. Elle est morte le 16 février selon la pratique du « suicide assisté » – terme qu’elle réfutait d’ailleurs, se prononçant pour l’euthanasie, qu’on accorde pourtant aux animaux !La lucidité de cette femme – enregistrée cinq jours avant sa mort décidée –, la clarté de sa voix, la force de ses propos, ses rires même, rendent ce témoignage on ne peut plus bouleversant. On peut l’écouter ici dans son entretien avec Frédéric Pommier :
Un autre extrait diffusé sur France Inter (13 heures, Claire Servajean) :
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Chrétiens, juifs, musulmans lancent leur fatwa sur la fin de vie
« Chrétiens, juifs, musulmans : l’appel des religions contre la loi sur la fin de vie ». Par ce titre plein pot, « cinq colonnes à la une », Le Monde daté du 10 mars prenait fait et cause contre la loi en projet et pour la position exprimée en tribune par les « dignitaires » des trois monothéismes dominants. Le quotidien dit « de référence » renoue ainsi avec sa tradition et prétention moralisante, liée à sa fondation et plus encore à son fondateur qui, « du point de vue de Sirius », avait prétention à gouverner… le monde.
C’est bien sûr le droit de tout journal et de tout journaliste de prendre position sur tout sujet ; de ce même droit qui n’oblige pas à les suivre, ni même à les lire. L’ambiguïté peut cependant naître d’un abus qui consiste à se présenter comme le parangon de la neutralité, sinon de l’ « objectivité » et, en même temps, donner sa caution, voire son onction, à un groupe de pression dont le but, en l’occurrence, est bien de prétendre gouverner les consciences.Je veux parler des églises, ces multinationales ecclésiales et notamment monothéistes, dont des représentants patentés ont signé dans ledit Monde une fatwa intitulée « L’interdit de tuer doit être préservé ». Reprenant en chœur et comme un seul pénitent le « Tu ne tueras point » – ce commandement le plus bafoué dans l’histoire de l’humanité –, le quarteron de « hauts dignitaires » (ils sont cinq, en fait…) cède une fois de plus à la tentation séculière de la domination de l’ici-bas au nom de l’au-delà.
« Nous demandons que soit encouragé l'accompagnement des personnes en fin de vie, tout en garantissant qu'elles soient clairement protégées par l'interdit de tuer. C'est au regard porté sur ses membres les plus fragiles qu'on mesure le degré d'humanisation d'une société. Au nom de quoi envisagerait-on de légaliser un geste de mort ? Parce que la personne concernée aurait, dit-on, perdu sa dignité humaine ? Parce qu'elle aurait fait son temps ? On lui laisserait entendre qu'elle est devenue inutile, indésirable, coûteuse… L'homme se croit-il en mesure de décerner – pour lui-même ou pour autrui – des brevets d’humanité ? » Voilà ce qu’édictent ces beaux messieurs, à savoir :
Philippe Barbarin, cardinal, archevêque de Lyon; François Clavairoly, president de la Fédération protestante de France; monseigneur Emmanuel, métropolite de France, président de l’Assemblée des évêques orthodoxes de France; Haïm Korsia, grand rabbin de France; Mohammed Moussaoui, président de l’Union des mosquées de France et président d’honneur du Conseil français du culte musulman.
On dira que c’est aussi leurs droits, à ces « sommités » religieuses, de prêcher pour leurs paroisses – sauraient-elles faire autre chose ? C’est en tout cas le mien, de droit, de dénoncer les méfaits des clergés quels qu’ils soient, y compris idéologiques et à commencer par les trois impostures monothéistes. Ces trois là, en l’occurrence, n’ont de cesse d’« enfoncer leurs mains noires jusque dans le ventre des hommes ». Je reprends cette phrase de l’écrivain roumain Panaït Istrati dénonçant ainsi, dès 1927, le stalinisme en germe dans l’Union soviétique. Quel rapport ? Une même et obsessionnelle prétention à régir et enrégimenter la vie des humains, de la naissance à la mort, jusque dans les têtes et les corps et, pour ce qui est des religions au sens strict, en deçà et au-delà.
En deçà de la vie, en effet, si l’on considère l’ancienne fatwa – jamais levée, cela va sans dire – lancée contre la contraception et donc plus précisément contre les femmes, contre la Femme comme alliée du démon, celui de la Tentation, c'est-à-dire du désir et de la sexualité.
Le combat de l'ADMD Depuis trente-quatre ans, l’Association pour le Droit de Mourir dans la Dignité milite pour le droit de choisir les conditions de sa propre fin de vie. Conformément à ses conceptions personnelles de dignité et de liberté. L’ADMD entend obtenir qu’une loi visant à légaliser l’euthanasie et le suicide assisté et à assurer un accès universel aux soins palliatifs soit votée par le Parlement, comme le réclament 96% des Français interrogés par un sondage Ifop en octobre 2014. Avec le vote de cette loi, les Français bénéficieraient de leur ultime liberté, comme les Néerlandais, les Belges, les Luxembourgeois et les Suisses.
Le seul champ que les religions pourraient cultiver avec quelque légitimité serait sans doute (!) celui de l’Au-delà, celui des spéculations infinies et de la Conjecture métaphysique, que la science et les connaissances rationnelles ne lui disputent même plus, au nom même de ses parias scientifiques : les Copernic, Giordano Bruno, Galilée – pour s'en tenir à ces figures historiques.
Mais voilà que les religieux séculiers, débordant de leurs prérogatives conjecturales, s’arrogent aussi le droit de contrôler le passage de vie à trépas, de légiférer selon leurs Lois « divines ». Et cela sous prétexte de leur « regard porté sur ses membres les plus fragiles » et sur le « degré d'humanisation d'une société ».
Voilà qu’ils prétendent enrober de leur attention protectrice ces « plus fragiles », les souffrants en fin de vie, accablés des douleurs les plus intenables, frappés par la plus grande des injustices, celle du mauvais sort jeté par la maladie face à laquelle le nom de Dieu devient pour le moins problématique!
La protection des églises du monde s'applique, c'est bien connu, au bien-être des « plus fragiles », à ces damnés de la terre que sont :
- les enfants : catéchisés, martyrisés, enrôlés, violés, soldatisés, kamikasés ;
- les femmes : exploités, dominées, mutilées (sexuellement), violées, tuées, torturées, lapidées, et culpabilisées pour « péché originel » et condamnées à « enfanter dans la douleur » ;
- et le « reste » des démunis, pauvres, malades, exploités en tous genres et en tous lieux.
Et la liste n’est pas close : il y a du pain sur la planche de la misère du monde (ô, Bourdieu !) pour les « hautes autorités religieuses » avant de dénoncer ce qu’elles osent qualifier, par le plus malhonnête des glissements de sens, le « droit de tuer ». Il s’agit de mourir dans la dignité, rien de moins. D’éviter le naufrage de l’avilissement, de la déchéance, de la souffrance extrême. Il s’agit du droit inaliénable de l’individu à disposer de son corps et de sa vie, jusqu’à la mort y compris.
Certes, le « fait religieux », comme on dit de nos jours, doit aussi être considéré comme fait culturel et, plus largement, anthropologique. L’histoire des sociétés en est imprégnée, « des origines à nos jours ». La religion tente d’apporter des réponses à l’angoisse primale dont l’animal humain peine à se défaire devant les insondables mystères de l’univers. En quoi la raison et ses expressions philosophiques et scientifiques se sont érigées comme antidotes aux croyances superstitieuses. En quoi l’idée révolutionnaire de laïcité a permis (plus ou moins, selon les lieux et les époques…) de séparer les deux domaines en principe inconciliables : la foi et la raison, autrement dit ce qui relève respectivement de l’individu et de la société. C’est là un acquis précieux, envié par ceux qui, de par le monde, ont conscience d’en être privé. Ce monde où, en effet, les églises de toutes obédiences – et il y en a des milliers ! – ont tissé leur emprise sur les réalités séculières, sur les sociétés et ses membres « les plus fragiles ». C’est en leur nom, entre autres, que se sont constitués les théocraties – dans les cas les plus dommageables – et plus ordinairement la plupart des régimes – dits démocratiques, monarchiques ou autres – dans lesquels l’emprise religieuse est subrepticement ou ostensiblement ancrée.
La laïcité ne saurait être une quelconque contre-religion, comme voudraient le faire croire, c’est bien le mot, les religionnaires dogmatiques, sinon prosélytes, pour lesquels la paix sociale passe bien après leur foi individuelle. Ils considèrent les défenseurs de la laïcité comme des ennemis, qu’ils traitent avec mépris de « laïcards » – terme péjoratif qui recouvre à leurs yeux horrifiés les pires espèces de mécréants. Heureusement, il existe aussi des croyants laïcistes, peu audibles cependant dans le brouhaha des sociétés occidentales. Ailleurs, leur existence ne va pas au delà de la prison et, le plus souvent de nos jours, de la décapitation la plus barbare.
« Ailleurs » désigne ici ce que Nietzsche appelait les arrière-mondes, peuplés d’hallucinés. Ceux que, dans leur version contemporaine, ils nous faut bien dénommer islamo-fascistes. C'est-à-dire en désignant précisément le caractère violent et mortifère de ces psychopathes pour qui une insulte contre leur foi – mais laquelle au juste? – est plus grave que l’assassinat de milliers d’êtres humains. La difficulté ici étant de se trouver « amalgamés » dans une même dénonciation avec d’autres variantes de fascistes ordinaires mus par des idéologies du rejet de l'Autre, de tous les autres, y compris d'eux-mêmes.
Petite erreur, ce n’est pas « que » le pouvoir « religieux« qui est contre la fin de vie, consciemment souhaitée par l’individu, de plus contrôlée et assistée. C’est surtout un marché commercial (colossal) qui risque d’être perdu.
En effet, il n’y a pas que le pouvoir religieux à considérer dans cette affaire, où il a tout de même une « sacrée » part de responsabilité ! Je partais de là pour argumenter sous cet angle. Et, bien sûr, il y a le marché, le gain, l’appât du gain, etc. Mais en l’occurrence quel marché au juste ? Celui des pompes funèbres ? Il saura bien se reconvertir sans « état d’âme » ; d’autant moins que, même « douce », la mort n’est pas « donnée » ! Fabienne évoque la facture des Suisses : 8.000 euros !
Il m’est impossible de prétendre commenter un article aussi bien construit … et approuvé en tant qu’adhérent ADMD depuis de nombreuses années.
Mais, en lien avec certains de vos mots clés (intégrismes, islamo-fascisme), oserais-je émettre l’idée ‑dans le contexte de notre contemporanéité- que le positivisme matérialiste de la société occidentale porte une (…) responsabilité ?
Et aussi ‑révolution culturelle- suggérer de disposer nos carte du monde avec le Cap de Bonne-Espérance en haut …?
Bien à tous
Merci ! Tout à fait d’accord pour ce qui est de la responsabilité du matérialisme et en particulier de sa variante positiviste qui a abandonné le champ du spirituel, comme si l” « esprit » ne pouvait qu’être religieux ou lié à la foi. Je ne connais pas assez la pensée d’Auguste Comte pour émettre un avis argumenté sur ce point. Les clergés, en le combattant, ont sans doute bien brouillé les cartes ; notre responsabilité serait alors aussi partagée, du fait d’un manque d’exigence intellectuelle et de curiosité dans ces débats philosophiques. Actuellement, je ne vois que Michel Onfray pour porter haut la spiritualité de l’athée. peut-être aussi André Comte-Sponville (Comte comme Auguste ?…), sans oublier Marcel Conche, ni Albert Camus.
À propos des représentations cartographiques, oui, sujet très intéressant qui questionne sur les « points de vue ». J’ai abordé le sujet ici : « La carte n’est pas le territoire ». Le cas de la Corse, cette presqu’île…
Le positiviste Auguste Comte n’a nullement « abandonné le champ du spirituel ». Son projet était au contraire de construire un « nouveau spiritualisme » non-théiste (plutôt qu’athée), compatible avec, mais non réductible à, la science.
Rien à voir, donc, avec un supposé « positivisme matérialiste de la société occidentale » !
C’est parce qu’ils ne savent pas ce que c’est que de VIVRE que les religieux et politiques de tous bords qui brident la vie dans leur carcan, ne savent pas ce que c’est que de mourir… vivant.
Oui, Gérard c’est un de mes soucis avec les journalistes qui se calent sur « Un Angle ».
…Soit un paragraphe dans un chapitre, chez un écrivain ? Ou une série d’articles suivis « tournant » autour d’un même sujet, dans un média sérieux (irréaliste ?)
Je dis ça pour ne pas mourir, …bête. C’est con, mais je suis trop pauvre pour la Suisse.
Loin d’un clivage entre les croyants dans une religion et les croyants en autre chose, c’est à mon sens un débat de société qui nous est imposé par une minorité et les sondages favorables ne sont pas la démocratie, mais un outil à qui on peut faire dire à peu près n’importe quoi et même induire la réponse que l’on veut lire…
On dirait que certains prennent un malin plaisir à diviser les Français. Le gouvernement a eu la sagesse de faire travailler la droite et la gauche sur le sujet pour arriver à un consensus. Les décisions qui seront prises ne viennent pas des potins du café du commerce, mais en partie d’équipes qui travaillent au quotidien sur les soins, la souffrance et la mort dans la dignité. Après chacun est libre de faire de la récupération, mais ce que je peux vous dire pour avoir été professionnellement confronté à une militante de l’euthanasie, c’est qu’aucun membre de l’équipe de soins palliatifs ne se retrouvait dans ses demandes incohérentes. De plus cette équipe et le médecin m’ont affirmé qu’ils avaient beaucoup de difficulté à imaginer des équipes dont la spécialité serait d’euthanasier… La personne en fin de vie qui avait donné lieu à cette polémique, s’est endormie et éteinte dans la dignité sans avoir bénéficié d’un dérivé du produit dont le Texas s’est fait une spécialité, mais la plupart du temps sans le consentement du bénéficiaire…
C’est avec l’obstination du ténia que les religions s’immiscent par tous les moyens dans la vie des citoyens.
Affligeants monothéismes mortifères.
Ces cultes de la souffrance sont une insulte à la beauté de notre univers…
Il n’existe aucun débat de société, ils nous sont tous imposés, et à 99 %, régis et dirigés par diverses minorités. Seul le marché financier règne (…bien plus vaste que les seules pompes funèbres…), bien accoquiné avec les croyances et superstitions, maîtrisé par les religions.
A en finir, reste la solution système D : une corde pour se pendre d’une bonne hauteur, dans la nef d’une cathédrale habituellement désertée. Bien moins cher que la Suisse, et un bon pied de nez à la calotte. D’une pierre (sur laquelle je bâtis mon éclipse), deux coups !
Bien sûr, faut encore pouvoir se traîner jusque là.
@Gian, c’était tellement usité dans les siècles précédents, surtout en campagnes, on pourrait se demander pourquoi cette « tradition » a disparu. …La télé peut-être ?
@ Martial. Oui, de mon enfance picarde j’ai en mémoire plusieurs cas de pendaison, surtout des paysans qui s’accrochaient à une poutre de grange, au bout d’une ficelle à faucheuse… La « tradition » s’est perdue, on dirait ; en même temps que la population rurale fondait de moitié. On s’y suicide encore beaucoup, mais autrement semble-t-il ; peut-être par manque de ficelle…
Pagnol, Giono…
Ce qui me plait dans ton article, c’est que tu défends à juste titre un athéisme raisonné où l’idée n’est pas de dénoncer les religions par leurs incohérences mais par l’aspect négatif qu’elles infligent à l’humanité. Peu importe qu’une naissance conservant la virginité de la mère soit impossible, le problème n’est pas là mais c’est malheureusement avec de tels arguments que certains athées transforment leurs convictions en une autre religion.
Ce qui ne va pas ds les religions, c’est bien cette volonté de certains dignitaires religieux à vouloir imposer des idées en tant que vérité chez des personnes en recherche pour mieux les manipuler, les dominer. Car les religions ne sont rien d’autres que des mouvements politiques qui, sous couvert de théories humanistes, cherchent à établir un pouvoir sur les autres. Empêcher un individu de répondre lui-même à ses propres questions en lui faisant croire que les réponses que les religions vont lui donner sont les seules bonnes (alors que si on regarde bien, elles ne répondent à rien en profondeur), ce n’est pas faire preuve « d’amour » ou de « charité » mais plutôt « d’autoritarisme »,« de totalitarisme » et considérer l’autre non comme son prochain mais plutôt comme un être inférieur.Religions et politiques sont d’ailleurs le plus souvent étroitement liées même dans les pays dits « laïques » comme la France.
Les religions profitent de la crédulité et du poids des traditions pour enrichir leur commerce. Depuis que les hommes ont la possibilité de se pencher sur leur bien-fondé, les mondes des sciences, des idées, … évoluent. Deux milles ans sous la domination de ses trois monothéismes, c’est peu à l’échelle du monde ; d’autres religions ont vécue plus longtemps puis se sont effacées. La réhabilitation de l’homme en tant qu’Etre à part entière pourra se faire dans les générations futures si nous voulons bien fortifier cette force qui a commencé de se tisser avant nous.