De la mort, de la célébrité, de l’actualité et des atrocités
Un mort par jour. Rectificatif : un mort célèbre par jour. Précision : un mort médiatiquement célébré. Affinement : un mort prélevé dans la Société du Spectacle. Développement.
Le hasard – ici heureuse et infaillible coïncidence – a fait que mon ami Robert Blondin ait, outre-Atlantique, cousu au même moment quelques profondes réflexions autour de la mort, de la célébrité et des trompettes de la renommée fustigées par le lumineux Brassens. Double occasion de « mourir moins bête », comme le clame un grinçant feuilleton quotidien sur Arte, se terminant invariablement par : « …oui, mais bon, vous mourrez quand même ! »
J’ai, exprès, mis les noms de famille en tête, comme sur les monuments aux morts et comme on les appelle à chaque célébration de massacres.
Ne pas manquer non plus de citer Allen Woody quand, ayant énuméré les morts successives de Jésus, Marx, Mao, il ajoute, goguenard : « …Et moi-même, je ne me sens pas très bien… »
Liste ouverte, limitée à la sphère cultureuse ou presque, franco-centrée – bien qu’il y ait là dedans des sportifs, un pilote, des Canadiens, un industriel, un Cubain, une franco-Marocaine…
Le plus marrant, si j’ose dire, c’est la liste complète établie et tenue au jour le jour sur Wikipedia. Vaut le détour, c’est ici.
Où l’on voit que le degré de célébrité relève de facteurs multiples, surtout culturels et marchands. Ce qui définit bien la notion de « spectacle » – même si on ne l’étend pas à la critique de la société selon Debord Guy (mort lui aussi – en 1994).
Où l’on voit qu’il y a un degré de plus entre popularité et pipolarité, cette dernière tendant à devenir la seule vraie échelle de « valeurs », propulsée en cela par la machine médiatique à fabriquer de l’idole selon des recettes aussi fluctuantes que les cours de la bourse. Fluctuations qui n’altèrent en rien la solidité du Capitalisme, au contraire. Tout comme la célébration des morts célèbres assurent les valeurs des célébrités (provisoirement) vivantes. Ainsi ce flux morbide se trouve-t-il pieusement entretenu. Il fait partie du fond de commerce des gazettes et autres rédactions nécrologiques, voire nécrophiliques.
Ainsi Le Monde – pour ne citer que lui – renferme dans son frigo quelque 300 notices prêtes à démouler après réchauffage à l’actualité. Mais c’est sans doute l’Agence France Presse qui détient la plus garnie des chambres froides – modèle Rungis (gros et demi-gros). Partant de là, la célébration mortuaire vivra sa vie, si l’on peut dire, au gré de l’« actu », selon qu’elle sera, ce jour-là, maigrichonne ou pléthorique ; ou selon le degré de pipolarité.
Ainsi un Michel Delpech a-t-il « bénéficié » de 20 minutes en ouverture du JT de 20 heures de France 2 ! Boulez un peu plus de cinq, et en fin de journal. Bley ? Même pas mort, selon la même chaîne. Galabru, ah le bon client que voilà ! Bien moins cependant que Bowie – record absolu, tous supports, sur plusieurs jours (prévoir des « résurrections » type Michael Jackson).
Tels sont aujourd’hui les rites modernes qui entourent la mort, cette donnée du vivant, sans laquelle la vie, en effet, serait bien fade et nos médias plus encore…
Où l’on voit enfin que ladite célébrité recouvre la froide – c’est bien le mot – réalité de la mort : « La mortalité dans le monde correspond à 1,9 décès à chaque seconde sur Terre, soit 158 857 décès par jour, soit près de 59 millions de décès chaque année. » C'est beaucoup, mais inférieur au nombre de naissances. Ce qu’on peut regretter en termes strictement démographiques et en particulier sous l’angle malthusien… Comptabilité développée ici, c'est amusant…
« Tout ça » pour en venir à quoi ? À cette quête de l’immortalité qui semble avoir saisi l’animal humain depuis la nuit des temps. Cette nuit qui l’effraie tant ; pour (ou contre) laquelle l’homo erectus s’est redressé, jusqu’à tenter de devenir sapiens – du moins par moments, selon les lieux et les circonstances…
Pour ce faire, il aura érigé des totems, bramé des incantations, bricolé des rites, des mythes, des cultes et par dessus le marché des religions avec des dieux, des saints, des curés de tous ordres et obédiences se disputant leur Dieu pourtant devenu unique. Il aura brandi des textes « sacrés » aux fables infantilisantes et, aussi, nourri les arts les plus sublimes, en même temps que les bûchers et innombrables supplices ; puis lancé des hordes de guerriers, tous barbares réciproques et également fanatiques, semeurs de mort, assassins de vie. Dans cette profonde nuit auront surgi, sublimes éclairs isolés ou sporadiques, les torches vacillantes et fières des Lumières.
Nous en sommes là, si incertains. « Tout ça » au nom de l’Amour, sans doute et avec tant de doutes quant à l’avenir de cet homo habilis, si doué pour la souffrance et le massacre. Amen.
Bowie, David… Major Tom. Un de mes piliers.
Une de mes racines qui disparait.
…Encore.
« Ovni » qui était, en 1974, bien loin d’être intéressant, voir assez connu, pour les sarcastiques bien-pensants du si laid XXIème s.
Perso, mourir seul, c’est à dire non reconnu du peuple, terrien, me ferait bien « suer ».
Sinon, c’est un métier : chaque vrai journaliste, sérieux, spécialisé, expert, a d’avance dans sa besace, les nécros de ces poulains.
Jazzophile compris.
L’Amour de la Mort est Amer !
Je vois bien l’intérêt pour la mort : elle est sans illusion, sans risques, radicale, définitive, purement nihiliste, au sens de la pureté qui purifie, enfin ! Sauf pour les croyants et leur certitude de l’au-delà avec retour « sur investissements » (vie de sacrifice, etc.)
Oui, dans la litanie des oraisons funèbres, le Bowie tenait le haut du pavé, il en était même chez les bien-pensants une sorte de parangon définitif de l’Art Universel : même sur France-Cul, ils y sont allés à qui mieux-mieux de vibrants dithyrambes en obits psalmodiés, en nous remettant à l’envi les scies de l’émacié déjà précadavérique. Un comble, pour ce sous-beatle chlorotique, à l’image de l’ectoplasme A. Warhol (également mort-vivant) qu’il admirait tant, pour s’être inspiré de son « j’aurais tant aimé être une machine ».
Oui, je sais, ni Zemmour, ni Finkie, ni Onfray ne trouveraient à redire…
Quant aux Beatles faits lords par la reine, c’est dire tout le potentiel révolutionnaire de ces Tino Rossi d’outre-Manche, on devine que l’iman de Brest ne me contredirait pas.
Les Beatles, ces « ces Tino Rossi d’outre-Manche » ! On ne saurait mieux dire de façon poilante ! Encore de la « légende », du « culte », tout ça pour de la zizique de centre commercial !
J’aime votre Blog,je le lis régulièrement et il m’incite à la réflexion.Merci.
Merci, touché !
à Gian, je m’escusse comme dirait l’autre, mais rectif”, seul le Paul Bealtle est médaillé. le John ayant même, lors d’un concert, encouragé le gratin à secouer les breloques dorées. Pas grave. J’attends simplement le temps des monuments aux vivants pour remplacer les listes de pauvres diables tombés sous les balles pour pas grand chose. Qu’ils soient émaciés, ectoplasmiques ou pas.
Merci de la rectif, je présente mes escusses.
Ce qui ne change rien au fond : Beatle, Bowie et consorts, tous aménageurs de la société du spectacle, en bons chantres de la soumission librement consentie, et tous businessmen.
Et après la critique, le mot d’ordre : tous artistes, tous joueurs, fin des rôles séparés !
Je comprends l’idée du chapô. Mais je pense que le « développement »,(usité en Photographie argentique), est raté.
Bonjour Gérard, content de vous lire de temps à autres,
(ce qui me permet de « réfléchir » 😉
J’espère que ce genre de liste, pour une fois de l’information sobre et sans effet stylistique, sur les principales victimes (inconnus reconnus) ne vous gêne pas ? :
http://www.lemonde.fr/attaques-a-paris/article/2015/11/15/guillaume-quentin-marie-les-victimes-des-attentats-du-13-novembre_4810428_4809495.html
http://www.liberation.fr/france/2015/11/15/attaques-de-paris-qui-sont-les-victimes_1413563
Bonjour Martial. En quoi ces listes pourraient me gêner ? J’en ai publié une aussi, hélas réactualisée à la hausse, ici même le 18 novembre.
http://c‑pour-dire.com/attentats-de-paris-que-de-morts-que-de-drames/
Effectivement Gérard et vous aviez commenté : » Penser, au delà du réflexe, c’est tenter de comprendre la complexité. Si on simplifie par commodité, ça coince.…/… »
Je rajoute à votre nomenclature des VIP médiatiques, « morts célèbres actuels du spectacle » : « Dona Summer », si ça ne vous chagrine pas trop.
Je ne suis pas certain qu’il faille se braquer sur un intérêt généralisé quasi commun, envers une empathie nécrophile publique et éphémère.
Se braquer, non pas ! Ce que vous appelez, judicieusement, « empathie nécrophile » pose la question du manque à vivre, par surdétermination du morbide – quand l’empathie (manifestée lors d’un deuil, par exemple) se transfome en pathologie.
La mort inspire autant le spectacle, en général, et les arts, que la religion. Je me demande si tout ça n’est pas étroitement lié. Quoi de « mieux » alors, de semer la mort dans une salle de spectacle au nom de la religion ?
Galabru… Galabru… Mais oui, bien sûr… C’était le frère du médecin (à Troyes, dans l’Aube, Faubourg Croncels) qui m’a guéri de ma seule et unique chaude-pisse en 71.… Comme le temps passe. Ça, ça n’apparaitra jamais dans une biographie.
Très bon article !!! Bravo !
😉