Coup de cœur

Estivale. La cigale n’est pas celle qu’on croit

Faï brusi tes cimbalettos / E viva l’estiou / Proun de cants ô cigalettos / Valoun pas lou tiou

Fais bruire tes cymbales /  Et vive l’été ! / Bien des chants, ô cigalettes / Ne valent pas le tien
Chanson populaire provençale

La symphonie du monde, ressurgit à chaque solstice d’été en sa variante méridionale. C’est le grand chant de la cigale, immuables – et le chant, et la cigale. Enfin, aimerait-on croire à l’heure où sol invictus atteint son apogée pour décliner déjà. Voici mon cadeau de l'été, cette musique céleste, qu'on trouverait agaçante si elle nous arrivait d'une machine infernale… Écoutez ces 6 mn 28 de Provence, et restez-en là si l'effort vous coûte d'en apprendre davantage sur ce fascinant insecte.

[dropcap]Temps[/dropcap] du farniente, de la sieste, ou d’autres rituels païens – tennis, foot, vélo… Temps aussi de la réflexion possible, comme la lumière solaire dont les rayons illuminent la Terre, stimulent la chlorophylle, dispense la vie, partout, câlinent les corps alanguis, excitent les panneaux voltaïques, repartent en partie vers le ciel, sauf à se faire piéger dans la serre que l’humain a érigée pour son proche malheur.

 cigale fourmi
Deux conceptions du monde et de la vie. [Cliquer sur l’image]
La cigale s’en fout, l’« insouciante ». Elle a tort. La fourmi aussi, macroniste éperdue. Tout le monde (presque) connaît la fable, allégorique et moralisatrice. La Fontaine ignorait le Droit à la paresse. Et également l’entomologie. C’est à ce titre qu’il se fait redresser par l’admirable savant que fut Jean-Henri Fabre (1823-1915). Celui-ci-, dans ses Souvenirs entomologiques relève les erreurs du fabuliste concernant la cigale :

– elle ne dispose pour s'alimenter que d'un suçoir et n'a rien à faire de mouches ou de vermisseaux ;
– la cigale meurt à la fin de l'été et ne peut donc crier famine quand la bise souffle.

Quant à la fourmi, qui dort en hiver dans sa fourmilière, elle ne peut l'entendre ; de plus, elle est carnivore et n'amasse pas le grain... Voilà qui est rectifié.

La cigale, si étrange animal, qui ne semble être au monde que pour chanter, et mourir. [ref]L’humain a bien du mal à la concurrencer sur le plan de cette sagesse toute épicurienne. [/ref] Ses stridulations,  Alphonse Daudet les décrivait comme une « musique folle, assourdissante, à temps pressés, qui semble la sonorité même de cette immense vibration lumineuse » qu'est le soleil du Midi. Dicton provençal : « Li cigalo vivon d'eigagno e de cansoun » – les cigales vivent de rosée et de chansons. Remplaçons la rosée par la sève des arbres, leur seule nourriture.

Mais avant de mériter cette vie de bel canto, quel parcours ! Empruntons le récit de cette aventure à Catherine Vincent et ses Histoires naturelles [ref] La cigale entonne son chant au solstice d'été, Le Monde du 12.06.99. [/ref] :

cigales accouplement
Accouplement de cigales. Ph. Papypierre.

« La cigale aura passé quatre longues et laborieuses années sous terre[ref]Selon les espèces, les larves s’enfouissent dans le sol où elles restent entre 10 mois et plusieurs années. Sa vie aérienne dure entre un mois et demi et deux mois, le temps de la reproduction ; elle pond ses oeufs à la base d’un arbre, qui deviennent des larves l’automne suivant.[/ref], dans une solitude absolue, buvant à l'aide de son rostre la sève contenue dans les racines, creusant avec ses pattes antérieures, transformées en pelleteuses miniatures, d'interminables galeries... Dure vie de mineur, qu'elle entame blanche et aveugle, tel un spectre ignorant la lumière du jour.

« Arrive enfin l'été de la métamorphose, qui verra naître l'insecte parfait. Dans ses Souvenirs entomologiques, Henri Fabre nous conte cette transformation, si souvent observée aux alentours de son village vauclusien. « Tout remueur de terre sait […] comment en été cette larve sort de terre, par un puits rond, son ouvrage ; comment elle s'accroche à quelque brindille, se fend sur le dos, rejette sa dépouille, plus aride qu'un parchemin racorni, et donne la cigale, d'un tendre vert d'herbe rapidement remplacé par le brun. » […]

« Quelques heures encore, et, déjà, elle chante. Cigale commune (Lyristes plebejus, la plus grande de toutes), cigale grise […], cigale rouge ou noire, toutes possèdent leur boîte à musique. Toutes, ou plutôt tous, puisque seuls les mâles émettent des sons. […] Le système acoustique de la cigale mâle n'a plus de secrets anatomiques. En arrière du point d'attache des ailes postérieures, de chaque côté du corps, s'exhibe une petite protubérance, de forme ovale et de couleur noire, dans laquelle se niche la cymbale. Cet instrument fonctionne à peu près comme le « criquet », obsédant gadget que les enfants adorent, formé d'une courte lame d'acier fixé à une extrémité sur une base métallique. Ils appuient dessus avec leur pouce, puis relâchent la lame, qui produit un sec et vigoureux cliquetis. Ainsi bruit, à quelques harmoniques près, la cymbale de la cigale.

« La membrane de chacune d'entre elles comprenant plusieurs nervures, et chacune de ces nervures étant déformée par des muscles se contractant 120 fois par seconde, l'ensemble aboutit à 4 300 « clics » par seconde, soit un train de vibrations d'une fréquence de 4,3 kilohertz. L'intensité du son, elle, provient de deux spacieuses cavités, les chambres de résonance, qui occupent facilement les deux tiers antérieurs de l'abdomen - le tiers restant contenant à lui seul, entassés les uns sur les autres, les organes indispensables à la survie de l'insecte. La cigale est ventriloque, et son art passe avant toute chose.

« Quant à la raison d'être de ces orgies musicales, elle n'est, pour l'essentiel, que trop évidente : attirer, encore et toujours, les femelles nécessaires à la perpétuation de l'espèce. » Cigale, ma si différente semblable…

Pastiche giratoire et chorégraphique, par Gian,
sous les auspices de Jean de La Fontaine (vers 2016)

LA SPIRALE ET LE TOURNIS

La spirale, ayant tourné
Tout’ lestée,
Se trouva sans retenue,
Tombée assise sur le cul.
Pas un seul petit répit
Du mal de tête qui lui prit.
Elle alla prier dans la mine
Le tournis, une vraie turbine,
L’implorant de l’éduquer
Sur la façon de bien tourner
Sans ramasser une gamelle.
« Je vous saurai gré, lui dit-elle
Et pour vous donner ce mal
Vous inviterai au bal. »
Le tournis n’est pas donneur :
C’est là son petit travers.
« Que faisiez-vous à l’envers ?
Dit-il sur un ton moqueur.
- Étant quelqu’un d’entreprenant,
J’ai pris la break dance à l’aise.
- Vous valsiez ? Et votre prothèse ?
Eh bien, tournez en sortant. »

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Gerard Ponthieu

Journaliste, écrivain. Retraité mais pas inactif. Blogueur depuis 2004.

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