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Chronique d’un été (le mien). 5) À Lodève, l’éblouissant Paul Dardé, tailleur de pierre

 Temps de lecture : 3 mn 30 env.

Nous voici – c’est comme ça – dans l’arrière-pays héraultais, à Lodève. Changement de décor. Sous-préfecture de 7 500 âmes, un centre tristounet en apparent déclin malgré des ressauts méritoires, dont ce musée rénové : une merveille dont je reparlerai plus loin. À noter aussi ce festival annuel, du nom de Résurgence, qui dit assez ce « désir de ». Sale coup pour les festivités de rue, il pleut des cordes ce jour-là…

Entre deux averses, on replace les chaises devant le petit perron de la halle Dardé (un nom à retenir, j’y reviendrai aussi) ; rebranchée, la sono envoie une musique… originale, genre répétitive. Une danseuse apparaît : androgyne, souple, voire hyperlaxe. Ça démarre plutôt bien ; un petit public s’est formé, des curieux attentifs. Mais l’affaire s’effiloche, se répète ; on risque un poil de prétention zartistique.

C’est là que survient Mimile, deus ex machina. Baskets, casquette, musette, chemisette à carreaux, le petit père se met à dansotter face à scène et à la danseuse, tentant de la singer – sans la moindre malice… Patatras pour la danseuse et son spectacle, Mimile pratique sans le savoir l’art du détournement : il détourne l’attention du public et, par ses gesticulations naïves ravit la vedette, remet le Spectacle, grand S, à sa plus juste place, sans majuscule.

Mimile, c'est le ravi du Spectacle. Et celui qui ravit la vedette. [Ph. gp] Cliquer sur l'image, c'est mieux !
Lodève, dont le nom vient du gaulois[ref]La langue des « réfractaires au changement », selon le manager de la start up France.[/ref] Luteva, composé de lut-, marais, boue + suffixe -eva, soit « la ville bourbeuse ou marécageuse », une boue argileuse utilisée dès l'Antiquité pour fabriquer des poteries. De l’argile à la pierre, j’en viens à l’enfant du pays, né non loin de là, à Olmet en 1888, Paul Dardé est mort à Lodève en 1963, dans la misère et l'oubli.

Trop terrien, pas assez parisien pour atteindre la notoriété – même s’il connut quelque gloire avec des œuvres exposées en 1920 au Grand Palais à Paris et aux Etats-Unis, où un journal vit en lui un nouveau Rodin, dont il fréquenta brièvement l’atelier. Trop indépendant pour marcher dans d’autres pas que les siens. Sculpteur, certes, mais pas modeleur. Pioche, pic, piolet, burin sont ses outils qu’il lance à l’assaut de la roche, la dure, celle qui résiste et fait suer. Il le dit crument :

Un tailleur de pierre, pas un modeleur. [dr]
« Faire une maquette de cire ou de terre est besogne trop facile qui me déplaît. Au contraire, la résistance de la pierre excite mon inspiration et la discipline. Il me semble ainsi qu’elle lui donne du caractère et de la grandeur. »
Le Faune, qui lui vaudra une éphémère notoriété, exposé au Salon du Grand Palais en 1920 – Dardé a 32 ans. [Ph. gp]La grandeur, oui, monumentale : on la prend plein cadre dès l’entrée de ce musée de Lodève qui honore ainsi, et pleinement, son génial sculpteur. Dès l’entrée donc ce Faune vous toise du haut de ses quatre mètres, de ses quatorze tonnes de taille directe, de sa posture et de son rictus sardoniques.Un choc. Vous voilà jeté dans un univers inattendu qui occupe tout le rez-de-chaussée de cet ancien musée Fleury, agrandi et entièrement rénové, inauguré cet été : une merveille du genre. Pas seulement pour la remise en lumière de Paul Dardé, mais pour ses deux autres niveaux, tout aussi somptueux en matière de muséologie[ref]Niveaux consacrés à la paléontologie et à la préhistoire, selon des éléments prélevés localement, couvrant quelque 540 millions d’années…[/ref]
Brancardier dès 1914, hospitalisé, marqué par les horreurs de la guerre, de fibre pacifiste, Paul Dardé recevra des commandes pour des monuments aux morts dans plusieurs communes de la région. C’est notamment le cas de celui de Saint-Maurice, une esquisse de poilu particulièrement dépouillée, taillée comme un menhir dans le calcaire du Larzac.

Paul-Dardé-monum-Lodeve
[Ph. gp]
Mais c’est le Monument aux morts de Lodève  qui est sans doute la plus connue des œuvres de Paul Dardé. Rompant avec les canons traditionnels du soldat vainqueur, il représente un poilu, non pas victorieux mais étendu, mort, tandis qu'un groupe de femmes et d'enfants habillés en costume des années vingt assistent debout, les visages graves, à la douleur d'une femme.Le monument, en pierre de Lens (Gard), a été récemment ravalé. Il rayonne de finesse, tranchant avec les autres œuvres, plus brutes, de celui qui se voulait d’abord un tailleur de pierre.

En prime, une galerie de photos pour honorer – mieux vaut tard que jamais – cet artiste de haut-vol. Il y a peu, je parlais ici d’altitude, de hauteur de vue, et même de vision ; autant de manière de décoller tout en restant bien ancré dans le monde, comme le fut Dardé à sa terre natale.

Rendez-vous bientôt au 6e et dernier épisode de ces Chroniques de mon été.

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Gerard Ponthieu

Journaliste, écrivain. Retraité mais pas inactif. Blogueur depuis 2004.

4 réflexions sur “Chronique d’un été (le mien). <span class="numbers">5</span>) À Lodève, l’éblouissant Paul Dardé, tailleur de pierre

  • Gérard Bérilley

    Une vraie décou­verte pour moi. Vu la pho­to le Monument aux Morts de Lodève me semble être l’un des chefs-d’oeuvre de la sculp­ture, de la sta­tuaire. Cela résonne aus­si avec les plus belles Mises au Tombeau du Christ et les Piétas qui appa­raissent au 15ème siècle. (Un article Wikipedia est consa­cré à ce Monument aux Morts.) Merci.

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  • Gian

    L’eau d’Eve le fai­sait darder…

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  • Vincent Boucault

    Bonjour, je suis ce site de loin en loin et là, moi qui aime la sculp­ture, je découvre cette pépite. Merci pour cette exhu­ma­tion tar­dive mais méritée.

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