11 novembre. Les derniers poilus désertent la troisième guerre mondialisée
Republication. Cet article date de 2006. Douze ans de plus, le revoici, toujours aussi dramatiquement actuel. Hommage aux « morts pour rien », à mon grand-père qui en est revenu. Temps de lecture ± 3 mn + vidéo de 10 mn
Il n’a pas voulu claquer un jour d’armistice. Cette paix-là, le plus vieux des derniers poilus n’a pas dû y croire plus que ça ; ou alors, après en avoir tant vu, le 11 novembre, pff ! il pouvait s’en foutre. Alors Maurice Floquet est parti le 10, à 111 ans. Pied de nez aux médias en tout cas. Voyez l’effet de titre perdu à jamais : LE PLUS VIEUX DES DERNIERS POILUS MEURT LE 11 NOVEMBRE A 111 ANS !, avec point d’exclamation de rigueur. Ne sont plus que quatre. Terrible décompte. Les derniers grains du sablier mortifère : une dizaine de millions à y être passés[ref]Les pertes humaines de la Première Guerre mondiale s'élèvent à environ 18,6 millions de morts : 9,7 millions de morts pour les militaires et 8,9 millions pour les civils. Les Alliés comme les Empires centraux perdent approximativement plus de 9 millions de vies chacun. Sans parler de la grippe de 1918, conséquence indirecte de la guerre.[/ref], 1,35 million de Français sur les 8,4 qui combattirent. Dont mon grand-père maternel, Adrien, paysan picard, planteur de tabac, qui passa sa blague à un galonné en visite à Verdun, dans les tranchées. [dropcap]Voici[/dropcap] l’histoire, telle que racontée au fil des générations : Verdun, en 1916. Un type débarque en tournée d’inspection. Les naseaux émoustillés, il envoie à la cantonade : « Ça sent rudement le bon tabac, ici ! Qui fume un tabac pareil ? – Ché mi. T’in veux ? répond mon grand-père picard en lui tendant sa blague. Et l’autre, de le remercier tout en bourrant sa pipe : – Tu pourras dire que t’as offert du tabac au général Mangin ! Voilà comment mon aïeul est entré dans l’histoire, petite et sans majuscule. Surtout, il en sera sorti debout, à la différence des 700.000 victimes de la boucherie de Verdun. Et voilà comment j’en suis là à raconter son histoire. Grâce à lui, grâce à la chance, grâce à la vie qui a pu continuer. Adrien avait survécu à l’enfer, il avait échappé à la grande faucheuse et voilà-t-il-pas que, rentré à la ferme des parents, à sa première moisson, en 19, il perd les doigts d'une main dans une faucheuse… Plus que quatre. René, Jean, Lazare, Louis. Étrange de me voir écrire ces lignes, après avoir tant charrié les anciens combattants. A coup de Coluche, par exemple – « Ah nondédjeu ! » Ou, bien avant, en parodiant les défilés de bérets et de porte-drapeaux. Du temps où le débat sur les guerres venait heurter les discours revanchards. Les guerres, depuis, se sont « normalisées » ; elles n’en sont pas moins horribles, mais on les a délocalisées après la Seconde : Indochine, Algérie, et les innombrables fronts où la mort œuvre en douce, au loin : Angola, Rwanda, Burundi, Congo, Darfour [ajouté depuis, liste non exhaustive : Ukraine, Syrie, Yémen, sans parler des fronts permanents] – pour dire vite, côté africain ; et aussi : Amérique du sud, Tchétchénie, Afghanistan, Iran-Irak, Koweït, Irak toujours, et ces innombrables « petites » guerres, les guérillas exotiques… On a aussi délocalisé vers un autre front, une autre guerre : la guerre de l’économie en folie, la guerre mondiale de la mondialisation sauvage ; la plus insidieuse, rampante, sournoise, délétère. La guerre de tous contre tous. Elle laisse sur le carreau des millions de victimes, désemparées dans un monde de riches, où jamais autant de richesse n’a été produite et accumulée en si peu de coffres-forts ! La troisième guerre mondiale a été déclenchée sans tambours ni trompettes, sinon ceux de la modernité, chantée en des clips de pub, sur l’air de la consommation heureuse pour un bonheur de pacotille. On ne compte plus les victimes qui, souvent d’ailleurs, mettent du temps à crever. Elles tombent en quasi silence, au fil des JT, les dernières chassant les précédentes dans des mémoires saturées de messages anesthésiants. Peut-être est-ce cela qui me prend aux tripes en pensant à « nos » derniers poilus : pressentir qu’après eux, demain, on passera à « autre chose », et qu’ayant effacé une leçon de l’horreur, on sera vierges, en somme, pour de nouvelles « der des ders ».
En prime et en hommage à l'Armée noire des troupes coloniales, les fameux "tirailleurs sénégalais" qui venaient, en fait, de toute l'Afrique-Occidentale française. Sur 200 000 de ces combattants, 30 000 sont morts au front[ref]Selon l'historien Pascal Blanchard, les pertes des « indigènes » des colonies françaises (y compris, bien sûr, l'Indochine française : Viêt Nam, Laos, Cambodge) sont de 97 100 tués et disparus sur les près de 600 000 mobilisés.[/ref] Prenez donc dix minutes pour partager cette grande parodie pacifiste, Ancien combattant, créée et chantée par le Congolais de Brazzaville, Zao. Il donnait un concert au Centre culturel français de Brazzaville en novembre 2013, en clôture du festival "Images et Histoire".
Image - Hadrien Courtier. Son - Corto Vaclav
Oui mais la conclusion de tout ça c’est constater que tou ceux qui ont eu la « chance » de sortir vivants de la guerre 14 sont .… tous morts quand même à présent, alors ?
N’y a‑til en France plus de métaphysiciens, ni d’existentialistes, ni tout simplement de gens qui ont le courage de raisonner et de sentir les choses ?
Chateaubriand simplement, ou Ionesco, ou Beckett qui disait « elles accouchent à cheval sur une tombe ouverte »
Mon grand père a vécu l’horreur, tortures et traquenard des tranchées, tortures physiques dans ces trous à rats, tortures morales : il venait de se marier il y avait trois mois et sa femme ma grand mère était enceinte. Il est mort emporté par un obus sur le chemin des Dames . Bien sûr il. serait mort maintenant !
C’était un homme droit , bon et généreux, un artiste. Ayant été blessé , il aurait pu revenir chez lui, mais patriote il est reparti au front pour que cette guerre soit la dernière et que son fils qui venait de naitre ne la connaisse jamais .Son fils, mon père est parti pour celle de 39 40 , autre horreur !
Ma grand mère a vécu sans amour dans ce chagrin toute sa vie et mon père fils unique d’un héros, en a gardé des séquelles jusqu’à sa mort.