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J.-P. Chevènement : « Ce qui est menacé, c'est la paix civile elle-même ! »

Temps de lecture ± 2 mn 30

[dropcap]Ancien[/dropcap] ministre de l’Intérieur et aussi de l’Éducation nationale, Jean-Pierre Chevènement n’a jamais manqué de marquer son attachement à la laïcité et de l’affirmer en actes politiques. Ainsi est-il partisan d’une intégration poussée des immigrés, en opposition au communautarisme. Pour cela, il préconise que les immigrés soient assimilés culturellement à la population d’accueil (langue, traditions), de manière à rendre pérenne l’idée d’une nation une et indivisible. Il est de fait opposé au concept de la discrimination positive. Positions très à contre-courant de l’« air du temps », sur lequel il revient notamment dans l’entretien qui suit, accordé ce 30 octobre au quotidien L’Est Républicain.

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Ph. Rémi Jouan, 2014 – CC BY-SA 3.0

Jean-Pierre Tenoux – L’Est Républicain : Que vous inspire cette énième relance du débat sur la laïcité ?

Jean-Pierre Chevènement : On a besoin de concepts clairs sur ces sujets qui sont des sujets minés. Beaucoup de démagogues interviennent avec des vues courtes. Ils ne se rendent pas compte que ce qui est menacé, c’est la paix civile elle-même. L’exemple des guerres de religion nous rappelle que celles-ci avancent à très bas bruit. La première exécution, au temps de François-1er, a eu lieu en 1623. Le massacre de la Saint-Barthélemy, c’est 1672, cinquante ans après. Donc il faut de la modération, de la retenue de part et d’autre, ce qui ne signifie pas le confusionnisme. Aujourd’hui, on voit des actes criminels aussi stupides qu’odieux comme celui qui a visé la mosquée de Bayonne. C’est le fait de gens qui sèment la graine de la guerre civile. Si on encourageait ce type de comportements, on finirait par la récolter.

• Il y a de la confusion, autour du terme laïcité…

Ce n’est pas du tout l’athéisme ou l’agnosticisme comme veulent le faire croire ses adversaires. Elle n’est dirigée contre personne. Ce principe est issu de la Déclaration des droits de l’Homme et du Citoyen qui proclame la liberté d’opinion religieuse. Il a fallu plus d’un siècle pour définir les règles d’une séparation des Etats et des Eglises. La loi de 1905 est pragmatique car elle prévoit des exceptions, les aumôneries militaires notamment.

• Quelle en est votre définition ?

La laïcité sépare le religieux de l’espace commun où les citoyens s’efforcent de parvenir à la définition du meilleur intérêt général à travers un débat argumenté, à la lumière de la raison naturelle, d’où le rôle de l’école laïque dans la République. Et ce débat se déroule en dehors de la révélation propre à chacun, dans laquelle chacun est certes libre de puiser ses motivations mais qu’il ne peut pas imposer aux autres par un argument d’autorité. Chacun est libre d’exercer sa religion dans l’espace public, dès lors qu’il ne trouble pas l’ordre public et ne met pas en cause la cohésion sociale. C’est ma définition.

• Pourquoi est-il si difficile de l’appliquer ?

Ministre de l’Intérieur, j’ai lancé une consultation qui a abouti à la signature d’un texte avec toutes les sensibilités musulmanes. Elles y reconnaissaient la laïcité, la séparation des Eglises et de l’État, l’égalité homme-femme, la liberté de changer de religion. Ce n’est jamais rappelé, on a l’impression que ça fait partie des choses acquises, oubliées. Mais ces engagements ont été pris et ils doivent être tenus. S’agissant de la signalétique vestimentaire ou capillaire, elle ne résulte pas d’une prescription religieuse. Je me le suis fait confirmer par le cheikh d’Al-Azhar, la plus haute autorité de l’Islam sunnite. Donc M. Blanquer a raison d’appeler à la discrétion et je souhaiterais qu’il soit soutenu.

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7 réflexions sur “J.-P. Chevènement : « Ce qui est menacé, <span class="pt_splitter pt_splitter-1">c'est la paix civile elle-même ! »</span>

  • eliette

    Oh ! oui c’est un vrai bouillon ! Mais chacun fait briller son soleil égotique, comme d’habitude ! Y a t-il déjà eu dans notre monde un vrai respect des autres religions comme de la laïcité ? Combien de meurtres, de tortures, d’exactions de tous ordres ont émaillés les siècles et les continents… ? Allez, réveillons nos mémoires ! Pas de démagogie enfantine !

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  • Gérard Bérilley

    Chevènement et la laïcité ?! Oui une laïcité à géométrie variable au service de son patriotisme, car il n’a jamais, bien au contraire, appliqué sa laïcité avec une autre forme d’uniforme, celui des militaires. Rappelons-nous : après le protocole d’accord armée/éducation des Hernu/Savary en 1982, celui des Chevènement /Jospin en 1988. Je me rappelle les tracts et réunions publiques des libertaires contre ces protocoles.
    La vraie laïcité est aussi une séparation de la société civile et de l’Etat. Défendant publiquement cette idée, une fois l’on m’a dit que Condorcet avait défendu la même chose.
    Un autre souvenir, plus ancien. En 1976/77/78, j’assistais avec un ami à une réunion publique de Chevènement, alors très peu connu. J’ai failli me faire sortir de la salle par des gros bras, tout simplement parce que je manifestais – oh bien gentiment, mais c’était déjà de trop – ma désapprobation aux propos qu’il tenait. Alors ce mec là il n’aura jamais mon estime. Un autoritaire pur.
    Ce Chevènement, ensuite, n’a jamais trouvé inadmissible que sous la gauche de 400 à 500 objecteurs de conscience, insoumis, Témoins de Jéhovah ou libertaires pacifistes croupissaient chaque année dans les prisons françaises, reconnus prisonniers d’opinions par Amnesty International. Alors cette gauche là, militariste, autoritaire, ce n’est pas la mienne et ce ne le sera jamais.
    Il faut écouter Tobie Nathan, ethnopsychiatre, qui montre que l’intégration à la manière ancienne des émigrés n’est plus possible, pour la simple raison des techniques de communication. Autrefois l’émigré était géographiquement et temporellement coupé de son pays de départ, il n’avait alors qu’une solution, s’intégrer comme il le pouvait. Aujourd’hui, avec les téléphones portables, les émigrés restent en contact avec leur famille, leur village, leur langue. Ils ont des infos du monde entier. L’intégration prônée par Chevènement est dorénavant une pure utopie, un rêve devenu impossible. Le monde des hommes devient petit. Et c’est à partir de là qu’il faut penser et non rêver d’un retour en arrière.
    Je ne sais, encore une fois, où veut en venir clairement ces propos actuels de Chevènement. Une fois qu’il a dit ce qu’il a dit (je suis loin d’être en désaccord avec tout), on fait quoi ?
    En France, la question du voile devient un truc démentiel qui fait les choux gras de l’extrême-droite à laquelle il faut toujours un ennemi pour exister, l’extrême-droite est foncièrement, radicalement, réactive au sens nietzschéen, et non affirmative.
    Extrait du Canard Enchainé de ce mercredi, en première page, dans le petit texte intitulé subtilement « Il ne faut pas se voiler la face » :
    « Nul ne songe non plus à rendre responsable du climat les autres chaînes d’info qui abusent des débats sur l’islam. Depuis qu’un élu lepéniste a agressé une mère d’élève portant foulard, le 11 octobre, l’info en continu en fait des tonnes. Entre le 11 octobre et le 17, par exemple, les chaînes ont organisé pas moins de 85 débats sur le sujet (« Libération », 18/10). A noter qu’aucune femme voilée n’a jamais été invitée, pendant cette période. Sauf une fois, sur LCI, Latifa Ibn Ziaten, la mère du premier militaire assassiné, en 2012, par le terroriste Mohamed Merah. Encore une victime musulmane… »
    Un tel petit texte donne à penser sur l’intox médiatique sur cette question.

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    • Nolant

      Moins que le bonhomme, je lis ce qu’il dit et, jusque là je ne vois rien à redire. Il me semble que la situation est bien établie et les enjeux avec, y compris et surtout avec la surchauffe médiatique. Concernant ce que dit Tobie Nathan, soit, mais il ne prend pas compte ici (pour ce que vous en dites) de la donnée religieuse. Nos émigrés d'”avant” étaient de culture judéo-chrétienne; on a pu s’arranger avec… une fois passé le rejet normal de l’étranger, du moins la méfiance quant au boulot, au logement, la langue, etc. aujourd’hui c’est toute autre chose ! Voilà la question !

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      • Gérard Bérilley

        Nolant,
        Je suis désolé de vous le dire, mais il me semble que vos propos contiennent une certaine forme de racisme religieux ou autre. De plus vous oubliez le racisme terrible qu’il y eut en France aussi contre des personnes venant de la tradition judéo-chrétienne. Au 19ème siècle, par exemple, en Bourgogne, lors du percement du tunnel ferroviaire de Blaisy-Bas, des ouvriers italiens furent tués par des ouvriers français parce que ceux-ci « prenaient le travail des français » et acceptaient, par force, d’être payés moins, et pourtant ils étaient tous certainement de « bons chrétiens ». Il ne faut surtout pas croire que des italiens (des « ritals »), des polonais (des »pollacks »), des espagnols (des »espingouins »), etc., etc. n’ont pas subi une très forte dose de racisme, et pourtant ils étaient aussi « chrétiens ». Le racisme dans les milieux ouvriers, défavorisés, a toujours existé, malheureusement. Les émirs pétroliers, eux, ne subissent pas le racisme. Pour ma part j’ai des amis musulmans bien plus intégrés, bien plus respectueux et aimant de la tradition et de la culture française que certains européens venus depuis quelques décennies en France, eux aussi très « bons chrétiens » par ailleurs, mais voisins infects.
        Je pose toujours la même question, mais apparemment personne sur ce blog n’a eu encore le courage de me répondre : à ce que vous décrivez, quelle solution concrète vous proposez ? J’avais posé la question autrement, mais c’est la même : quelle est pour vous la façon non-angélique de se comporter avec une femme voilée ? Apparemment ce n’est pas bien facile de signer de ses nom et prénom et de donner une telle réponse.

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        • Gérard. Il me semble que tu confondes racisme et xénophobie. La crainte-rejet de l’étranger en tant que celui qui dérange un ordre précaire, notamment sur la question de l’accès au travail – et aujourd’hui sur l’identité historique et culturelle – est à distinguer du rejet racial, irrationnel, lié à des notions de “pureté” (voir W. Reich notamment sur ces questions, entre autres dans Psychologie de masse du fascisme). L’étranger peut être son semblable qui vient de monter dans le bus ou dans le train, ou même d’entrer dans le bistrot et qui, de ce fait, introduit un élément perturbateur dans un ordre précaire mais établi. Le racisme, lui, est en effet lié à la race, même si le mot de race est désormais banni… sauf chez les animaux. Ce politiquement correct est déplorable ; il vaut racisme à rebours en niant la diversité des “variétés” humaines. (Soit dit en passant, il se passe la même chose avec les genres sexuels quand on prétend les nier…) Ainsi, dès la deuxième génération, ou guère plus, ritals, polacks, espingouins, etc. pouvaient prétendre à l’intégration, puis à l’assimilation. Ainsi en a-t-il été tout particulièrement des Italiens et des Arméniens à Marseille (dans le sud plus généralement, et même au delà). Mais pas des Maghrébins en particulier. On ne peut le nier, sans pour autant avancer sur le terrain racial ! Il faut bien prendre en considération le brouillage introduit par l’islam dans ses fondements coraniques intégristes qui ressurgissent aujourd’hui avec l’irruption sauvage de l’islamisme terroriste. Ce qui a changé considérablement la donne, en elle-même déjà compliquée avec le passé colonial, la guerre d’Algérie, les ghettos urbains, les inégalités sociales, etc. Et aussi, conséquence de tout cela : une xénophobie réelle qui conduit les plus fragiles (économiquement et culturellement) à un racisme effectif. Tes “amis musulmans” que tu qualifies d’intégrés, rejoignent les miens : ils personnifient exactement le problème qui nous sépare. Cette “solution concrète” que tu appelles la voilà : elle leur appartient en grande partie avec l’ensemble des musulmans qui auront le courage de clamer publiquement leur appartenance à la République et à sa laïcité. Et de s’opposer ainsi, pacifiquement et avec détermination, au fanatisme religieux qui mène la guerre à nos lois communes, à la “chose publique” qui fonde notre société. (En passant : quelle est ta “solution concrète” concernant tes “voisins infects” ?)

          J’en reste là sur ce “chapitre”, pour ajouter deux mots sur ce que tu dis dans un commentaire précédent concernant Chevènement. Juste pour te faire remarquer en passant que tu manifestes plus de tolérance envers Marie-France Garaud quand elle te semble juste sur la guerre en Irak, qu’envers Chevènement sur les risques de guerre civile en France – et cela en raison du passif dont tu le charges de manière opportuniste. Je le dis d’autant que je n’ai jamais été spécialement chevènementiste, ni anti d’ailleurs, sinon qu’il m’agaçait jadis, à tort je le reconnais maintenant, sur la question de la nation. J’ai compris depuis, entre autres avec Régis Debray, que “des tas ne font pas des tout”. Voilà ce qui me préoccupe foncièrement sous ce que tu appelles ma “fixation”.

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          • Gérard Bérilley

            Gérard,
            Je te remercie pour ta longue réponse et pour le temps que tu y as consacré. Et je suis d’accord avec nombre d’éléments que tu y mentionnes, cela ne doit pas faire de doute entre nous. Que l’Islam change aussi les données, je ne le nie pas, mais je soutiens que ce n’est pas irrémédiable, contrairement à certains qui pensent que les identités sont figées. Certes, la question est extrêmement complexe, comme tu la décris très bien à mon avis. D’autre part je pense que la frontière entre xénophobie et racisme est vraiment bien ténue, et très souvent, sinon toujours, l’une amène l’autre, et nous connaissons tous il me semble des gens ouvertement racistes, en l’occurrence racistes envers les arabes. Sur tous ces points nous nous rencontrons, il me semble.
            Notre différend n’est donc pas là, et je n’ai jamais prétendu qu’il était là.
            Tu dis :
            « Tes “amis musulmans” que tu qualifies d’intégrés, rejoignent les miens : ils personnifient exactement le problème qui nous sépare. Cette “solution concrète” que tu appelles la voilà : elle leur appartient en grande partie avec l’ensemble des musulmans qui auront le courage de clamer publiquement leur appartenance à la République et à sa laïcité. Et de s’opposer ainsi, pacifiquement et avec détermination, au fanatisme religieux qui mène la guerre à nos lois communes, à la “chose publique” qui fonde notre société. »
            Là tu renvoies la balle aux musulmans, ce qui n’est pas de notre ressort, puisque ni toi ni moi n’y sommes. Dans ce cas ce qui reste c’est une critique de la « passivité » de la « communauté » musulmane contre les intégristes. La question pour moi est tout autre, et c’est celle que je pose dans mes commentaires : Qu’est-ce que nous, non musulmans, pouvons faire, et qui soit une action humainement correcte ? Et c’est là que j’étais et suis toujours complètement critique envers, et opposé à, ton approche critique de l’affiche de la FCPE (car tout a commencé par là dans nos échanges, ne l’oublions pas, et j’y reviens toujours). Je crois ta critique tout à fait contre-productive. C’est par l’échange, les contacts, surtout les partages de vie et d’expérience dans une œuvre commune, avec des femmes non musulmanes que ces femmes voilées vont évoluer, découvrir d’autres réalités, d’autres richesses de la France, et leurs enfants évoluer avec des enfants de non musulmans. Penser leur interdire les sorties scolaires, voire leur interdire de porter le voile dans la rue, comme certains de droite, extrême-droite et courant après l’extrême-droite, le préconisent, c’est enfermer ces femmes dans un ghetto, c’est donc faire le jeu des islamistes qui veulent cela et n’attendent que cela. N’oublions pas : les chrétiens ont évolué en France par le contact, la confrontation intellectuelle ouverte, avec les athées, les libre-penseurs, les agnostiques, etc., tout cela ne s’est pas fait en un jour ! Et ainsi, il y eut des Emmanuel Mounier, des Denis de Rougemont, etc. Maintenant, aucun chrétien évolué ne soutient que la terre a 5000 ans, ce qui est le cas, soit dit en passant, des Evangélistes, qui ne sont pas moins inquiétants pour la démocratie (voir leur soutien à Trump et à Bolsonaro par exemple).
            Et puis, on ne peut pas, comme tu le dis, faire allégeance comme cela à notre République. Moi-même je n’y fais pas, alors je ne vais pas demander à d’autres de le faire. (C’est une question complexe que l’on abordera une autre fois.)
            Ce qui me gêne, c’est que ce qui est demandé ici, c’est aussi une forme de soumission. Mon approche est tout autre, c’est celle de Bakounine à laquelle plus je vieillis et plus je deviens fidèle en en comprenant la profondeur. C’est pourquoi je n’ai jamais aimé ni un Chevènement, ni un Régis Debray, ni combien d’autres. La nation, oui peut-être, mais à la condition qu’elle soit construite à l’envers de celle de maintenant, la jacobine, c’est-à-dire construite de bas en haut : la personne, la commune, la région, la nation, dans un système fédératif égalitaire. Ce qui me gêne aussi, c’est que partout en Europe les « solutions » les plus autoritaires sont avancées, même par ceux qui les auraient critiquées autrefois, et ce sont toujours les approches les plus simplistes, les plus dangereuses.
            PS : Pour mes voisins infects, la solution est venue du médiateur de la mairie, et d’un concours de circonstances inespéré et favorable que je ne peux relater ici.

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  • Gian

    Jean-Pierre Chevènement est avec Jean-Marc Sylvestre un exemple de ce que leur AVC, avertissement valant contumace, ne peut rien pour les idéologiquement rigides. Plutôt que de changer radicalement après avoir frôlé la mort d’aussi près et devenir cools, ils réitèrent leurs credos, ultranaïf chez l’un, ultralibéral chez l’autre. A désespérer de tirer des coups de semonce.

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