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Niger : Requiem pour intellectuels

Ibbo Daddy Abdoulaye réside actuellement à N’Djamena où il occupe les fonctions de Directeur de l’information, de la communication et des technologies à la Commission du bassin du lac Tchad (CBLT). De cette position privilégiée, il est à l’aise pour suivre les soubresauts qui agitent le cœur de cette région sahélienne frappée par les insécurités et les instabilités. Les derniers événements survenus au Niger lui donnent matière à retremper la plume dans l’encrier et à livrer ainsi son analyse sur les causes et les conséquences de cette fièvre qui atteint son pays.

Avant de rejoindre la CBLT, « Big Dad », comme on l’appelle affectueusement dans le milieu, a travaillé pendant plus de 20 ans comme journaliste indépendant, couvrant des sujets complexes ou rarement traités par les médias dominants.

Par Ibbo Daddy Abdoulaye

Disons-le d’emblée : le ciel des idées s’assombrit sur les bords du Niger. Les nuages s’accumulent. Un vent annonciateur de pensée unique et de musellement de toute voix dissonante souffle très fort ces temps-ci. De plus en plus de gens que l’on croyait intelligents et éclairés sont tentés par le chant des sirènes du régime kaki. Que sont aujourd’hui les vrais intellectuels devenus au Niger ? Ces libres penseurs et ces figures critiques qui, selon la formule d’Edward Wadie Saïd, « engagent et risquent tout leur être sur la base d’un sens constamment critique, qui refusent quel qu’en soit le prix les formules faciles, les idées toutes faites, les confirmations complaisantes des propos et des actions des gens de pouvoir et autres esprits conventionnels…» constituent  une espèce en voie de disparition, sur les rives de ce grand fleuve – depuis l’intrusion des militaires sur la scène politique. 

En surface, ne nagent que « les intellectuels de service », les caboteurs à courte vue, c’est-à-dire toute cette cohorte d’aboyeurs publics, dont la force principale réside dans l’assimilation d’un agenda concocté ailleurs, et qui, par faiblesse ou par opportunisme, sont prêts à semer le chaos dans la société et à noyer le peuple dans un grégarisme dont ils devraient plutôt aider à l'en sortir.  

Á la manière des surfeurs qui manœuvrent à la surface des eaux, cette race « d’intellectuels » peu scrupuleux, mariant l’eau et le feu pour naviguer dans les vapeurs, se fait aujourd’hui le chantre d’une junte militaire ayant pris le pouvoir par le renversement brutal d’un président élu au suffrage universel dans un pays qui, n’en déplaise aux putschistes et à leurs fans, était en train de sortir la tête hors des flots. 

En quête efforcée de reconnaissance et d’un besoin inextinguible de donner un sens à leur vie, ces maquignons de la foire d’empoigne se disputent ainsi les enchères de la colère et des thèses aux relents nationalistes et souverainistes. C’est à qui rameutera le plus, par la posture (ou l’imposture), les fantasmes ou les fadaises bien ciblées, des bataillons de jeunes désespérés, décidés à en découdre et à mettre le feu aux poudres, pour une équipée sauvage sur les nuages des chimères et des vérités alternatives, loin des réalités du monde. Dans les abysses de l’ignorance et la manie de l’évitement des vraies élites, ces borgnes s’autoproclament rois au royaume des aveugles pour propager les ténèbres de l’invective, de l’intrigue et de l’insolence partout où devraient pourtant prospérer la sagesse et la vertu d’une opinion argumentée et fondée sur la raison. Ainsi, au lieu d’impulser le débat ou de tenter de l’élever intellectuellement, ils se contentent de parasiter une opinion publique crédule et parfois artificielle.

Perte des valeurs, éducation au rabais, effets pervers des réseaux sociaux, fake news, pauvretés, chômage endémique d’une jeunesse urbaine prolifique, désœuvrée, semi-alphabétisée, manipulable à volonté et particulièrement sensible aux discours simplistes et complotistes…, les sujets de mécontentement ne manquent pas pour qui sait enclencher ces leviers… Du pain béni pour ces démagogues qui croient avoir la solution miracle pour tous les problèmes qui se posent aux citoyens toute leur vie durant, parlent de long en large et sans profondeur de choses qu’ils ne maitrisent pas en leur donnant un air de solennité politique et intellectuelle. 

Comme ils n’ont pas d’idées, ils brodent sur les opinions en vogue sur le marché, s’acharnent contre tous ceux qui ne pensent pas comme eux, et tombent, à bras raccourcis sur la démocratie, coupable à leurs yeux de tous les malheurs de ce pays, tout en encensant aujourd’hui les putschistes comme des recours crédibles au pouvoir des autorités élues. 

Mais ce réquisitoire à charge sur les pouvoirs civils, bien que séduisant sur le plan du défaussement de ses propres travers, et probablement juste sur plusieurs points omet un facteur fondamental et pose un problème de fond. Les coups d’Etat n’ont jamais rien résolu. Ils ont plutôt davantage contribué à l’aggravation de l’instabilité, de la corruption, des violations des droits humains, de l’impunité et de la pauvreté. Certes, l’on peut orchestrer toutes les campagnes de désinformations possibles, dénoncer la faillite de l’État et son inaptitude face au terrorisme et au banditisme, clouer au pilori populiste tous ceux qui refusent de reconnaitre cette ignominie, cannibaliser tous ceux qui dénoncent ce délire à haut débit, mais il s’agit là d’une donnée avec laquelle l’on ne peut transiger. C’est pourquoi il faut savoir raison garder, engager un dialogue inclusif et constructif, agir rapidement pour rétablir les institutions démocratiques et l’État de droit et à veiller à ce que les libertés et les droits de l’homme soient pleinement respectés. 

A qui profite le crime ? Bien sûr, au quarteron de généraux putschistes qui ont pris en otage la République et dont la stratégie consiste à submerger l’espace public par un bavardage médiatique, sous fond d’excitation des instincts grégaires des foules désespérées et bernées ! La finalité ultime de cette logomachie est de légitimer leur forfaiture en cristallisant et en convergeant les charges vers un bouc émissaire extérieur tout en pointant du doigt des détracteurs intérieurs.

S’étant arrogés les pleins pouvoirs – ceux de l’exécutif, du législatif, du judiciaire, de la police, des médias, de la société civile, et même de l’intelligentsia, qui étaient autrefois distincts et se contrôlaient mutuellement – les nouveaux « sauveurs » du Niger recrutent ou subordonnent, à coups de liasses, de promesses ou de menaces, des aboyeurs publics aux intestins fragiles, des pêcheurs en eaux troubles ou des spécialistes de retournement de boubous pour assouvir des desseins qui n’ont rien à voir avec les principes de la défense de la patrie, de la souveraineté, des libertés, de la démocratie et des droits de l’homme. 

La démocratie ne saurait prospérer là où il n’y a pas d’échange d’idées. Car, sa vocation première est d’élever le commun des mortels à la dignité de citoyen accompli, d’où l’information et la communication en sont la trame essentielle ou la matrice principale.

Mais, en lieu et place de l’occupation du champ public, suivant les principes démocratiques de la représentativité, de l’égalité, de la liberté et de la confrontation responsable et civique des idées, à quoi assistons-nous dans notre pays depuis le renversement des autorités démocratiquement élues de la Septième République ? Une étonnante race d’entrepreneurs politiques et des amuseurs publics, drapés des oripeaux de l’habituelle braderie démagogique, imbus d’eux-mêmes et de plus en plus radicaux, voire belliqueux et haineux, ont investi l’espace public, assénant sans aucun scrupule des contrevérités pour défendre l’indéfendable, contribuant davantage à polluer les esprits et à déboussoler la vie publique.

Investissant la rue, la télé, l’internet, ces « Serial Menteurs » brandissent la morale pour nous faire avaler des couleuvres, distillant des énormités, surfant sur le ressac de la Françafrique, dont le traditionnel serpent de mer du sentiment anti-occidental. 

Campant rarement du côté de la lucidité, étourdis par l’opium des foules fanatisées et lobotomisées, encouragés par le silence coupable des voix discordantes, la radicalité et la violence d’une jeunesse déboussolée et sans repères, ils ont choisi le dénigrement systématique de toutes les valeurs prônées par la démocratie, couvrant d’insultes et de sarcasmes tous ceux qui ont le malheur de ne pas penser comme eux, prêt à fusiller quiconque n’aurait pas le mot juste – c’est-à-dire dithyrambique sur les nouveaux maitres du Niger.

Comme le disait, fort à propos, le philosophe et homme politique Condorcet : « Toute société qui n’est pas éclairée par des philosophes est trompée par des charlatans. » Cette sagesse qui assimile la philosophie au savoir, à la science, est aujourd’hui d’une désolante actualité au Niger !

IDA

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3 réflexions sur “Niger : Requiem pour intellectuels

  • Mouss

    Je ne vois pas une grande dif­fé­rence entre toi et ces put­schistes que tu cri­tiques (ci toute fois elles sont fondées…)lorsque tu parles de gou­ver­ne­ment démo­cra­ti­que­ment élu. Tu étais où lors des élec­tions, quand elles ont été tru­quées ? Vous res­tez dans vos bureaux cli­ma­ti­sés et venez par­ler au nom de je ne sais qui sans aucun fondement.
    Tu parles de pen­sée unique après le 26 juillet ? Tu étais où depuis 2011 ?
    Plus de 10 ans que le nige­rien qui n’adhère pas aux idées tor­dues du régime du par­ti rose n’a aucune valeur et peut être enfer­mé comme un simple pou­let dans une cage… pour­tant tu parles d’un gou­ver­ne­ment dit démocratique…
    Je ne vais pas trop par­ler mais laisse les nige­riens gérer leur problème…
    On est conscient de ces quelques dérives mais c’est une ques­tion de temps, le peuple sou­ve­rain s’en occu­pe­ra au moment opportun.
    Le pou­voir à été don­né aux soient disant poli­ti­ciens et on connaît le résultat…
    Un coup d’é­tat doit être pré­ve­nu par la bonne gou­ver­nance et non autre chose…

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  • Gian

    Niger, 7 gosses par femme (exci­sée) : où est le problème ?

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