Aix-en-Provence. Quand politiques et médiatiques célèbrent la Connivence sur l’air du référendum
« Pour "sauver" le référendum il faut reprendre l'initiative. C'est ce que l'Open de la Presse propose à travers des débats honnêtes où toutes les questions pourront être posées. Et les réponses données ne seront pas "pipées". "L'élite" politique en a pris un sérieux coup, espérons qu'il ne sera pas fatal à la décision finale, au soir du 29 mai. »
Débats honnêtes et réponses non pipées… On ne rigole pas ! Ces lignes, qui allient contradiction et candeur apparente, sont extraites de la présentation des festivités qu’organise ces jours-ci à Aix-en-Provence le «Réseau Européen du Monde de l'Information» (REMI), sorte de comité Théodule monté par le Club de la presse de Toulon. On s’en foutrait royalement si ce n’était cette esbroufe à la mode « com’ », mêlant enjeux politiques et prestations médiatiques, le tout dans une parfaite célébration de la Connivence. Au programme, tourisme, gastronomie, spectacles, le tout agrémenté de quelques «dîners-débats» entre notables et gogos prêts à sacrifier 55 euros pour diluer l’ennui d’une soirée.
Au fait, pourquoi tenir ces agapes à Aix ? Réponse sur le site : «Parce qu'Aix, "campus" universitaire avec ses 800.000 étudiants de 65 pays différents [sic !] est aussi la capitale régionale européenne choisie pour développer le projet ITER porté et défendu par les collectivités territoriales du Pays d'Aix. Faisant concurrence aux intérêts des grandes puissances économiques, États-Unis et Japon, il sera installé à Cadarache grâce au soutien du Conseil de l'Union Européenne.» Que voilà des propos fleurant bon l'indépendance journalistique ! Au moins comprend-on ainsi d’où vient le financement d’une telle manifestation «événementielle», sans parler des inévitables «sponsors» commerciaux.
Consolation – si j'ose dire – pour Florence Aubenas qui se verra sacrée « Plume d’or de l’association des journalistes du Press-club de France ». Comme si ta peine ne suffisait pas ! Allez, courage Florence !
? Si ça vous dit : www.openpresse.com
Florence Aubenas « Plume d’or », si c’est pour avoir écrit ceci, bravo :
« Il ne s’agit donc pas de poser le problème en termes faussement shakespeariens : informer ou ne pas informer, voilà la question. L’enjeu pour la presse se situe ailleurs : comment comprendre, pour pouvoir le dépasser, ce dispositif qui crée le monde de la représentation auquel nous sommes tous devenus extérieurs ? Ce problème ne peut être résolu de façon technique, pour les plus « radicaux » en désignant quelques « bons » coupables (grands médias ou grands patrons), ou pour les plus « professionnels » en décidant d’une nouvelle formule, d’une nouvelle grille, de l’ouverture de tribunes à ceux qui se plaignent de ne pas avoir assez la parole.
« Pour les journalistes, la question n’est donc pas de faire autrement ou mieux. La ligne de rupture traverse certes la presse, mais elle ne s’y arrête pas : elle trace la frontière entre ceux qui s’accommodent du monde virtuel de la communication, et donc de la société néolibérale qui la produit, et ceux qui s’engage dans une véritable alternative. Mais résister à la virtualisation ne consiste pas seulement à se « positionner » contre elle. Le journalisme doit opérer une révolution en son sein, comme celle qui a agité il y a quelques décennies le monde des historiens. Certains d’entre eux se sont battus, on l’a vu, pour briser la dimension unidimensionnelle que présentait les images des rois de France comme la seule façon possible de raconter l’histoire. Cette remise en cause ne fut nullement le résultat d’un développement de la science de l’histoire. Des chercheurs l’ont engagée pour s’opposer aux conséquences d’une telle démarche, pour rompre clairement avec un fonctionnement qui s’abîmait dans la représentation.
« Aujourd’hui, une rupture de ce type est nécessaire pour résister à la domination écrasante du monde spectaculaire de la communication. Pour autant, il serait absurde de tracer dans les cieux un plan de bataille détaillé d’une presse « non communicante ». Plus modestement, le journalisme se doit de rendre compte d’un monde multiple à des individus multiples, de parler de choses qui ne « représentent » rien, au sens propre du terme. Il doit s’ouvrir aux pratiques sociales concrètes de l’ensemble des citoyens, aux brèches d’un monde non utilitariste et non capitaliste. Pour cette société-ci, le « journalisme réel » d’aujourd’hui est parfait. Mais vouons-nous de cette société-ci ? »
[En conclusion du livre qu’elle a co-écrit avec Miguel Benasayag (« La fabrication de l’information », éd. La Découverte, coll. Sur le vif).]
Mais il ne semble pas qu’une telle remise en cause des pratiques journalistiques soit à l’ordre du jour des clubs de la presse. Il faut plutôt voir, je le crains, la récupération d’un brevet humanitaire bien consensuel.