Addis-Abeba. Le train pour Djibouti est bien parti à 16 h 41. Avec cinq jours de retard
Carnet de route en Abyssinie (29/10/05)
Des bribes de mon voyage dans la corne de l’Afrique. Pour autant que la technique le permet… Sans trop d’images ni de mise en page.
[dropcap]Prendre[/dropcap] le train d’Addis-Abeba à Djibouti exige souplesse et philosophie. Au vu de la situation, j’admets qu’il m’en a manqué. Le train montant de Djibouti, donné bloqué jeudi vers Dire-Dawa, ville éthiopienne à 470 km d’Addis, est arrivé hier. Au cinquième jour d’un voyage qui, à ce stade, exige la plus grande force intérieure. Ou beaucoup de résignation.. Et plutôt des deux, comme si souvent en Afrique. Pour ce parcours, « entre deux et cinq jours » sont prévus. Finalement, le train d’hier a eu bon, il est dans la fourchette.
Ne pinaillons pas trop sur les jours de retard : le départ était donné pour lundi tandis que jeudi, à « la Hagare » on se bornait à dire que le train « n’est pas venu ». S’ils s’occupaient d’autre chose que de politique, les journalistes éthiopiens (dont quelques-uns sont en prison) pourraient empoigner le sujet et se rendre utiles. Ils pourraient même, à l’occasion, monter en Une un horaire qui aurait été respecté, démontrant ainsi que le journalisme peut ne pas s’intéresser qu’aux trains en retard… Mais ce genre de sujet ne stimule pas les gazettes, et surtout pas le gouvernemental Ethiopian Herald (l’anglais étant la deuxième langue officielle), seul vrai quotidien – au sens de la régularité de parution –, qui ne fait que reprendre les dépêches de l’agence d’État, en plus de son habituel édito étouffe-lecteur (8.000 signes au bas mot). Bref, le chemin de fer peut crever la gueule ouverte. Et vive la route et les camions !
Certes, le directeur-général du Chemin de fer djibouto-éthiopien ne pavoise pas ; il n’est pas non plus atterré par cette dernière défaillance. Ce n’est pas la première fois. Mais peut-être quand même une des dernières. Dans moins d’un an, la compagnie publique bi-nationale va disparaître. Le gouvernement éthiopien, lui aussi saisi par le tout libéral, envoie au diable ces vieilleries folkloriques, tout juste bonnes à des emmerdes syndicales ! Il y a mieux – soit plus de profit – à faire avec les routes, camions et autocars ; surtout quand les dirigeants politiques ont placé leurs billes dans les sociétés de transport ou de BTP.
Un appel à repreneur a donc été lancé, auquel ont répondu deux sociétés, la sud-africaine Comezar, et l’indienne Rits. Un consultant est chargé de veiller au bon déroulement de la transaction, avec mise au point d’une concession qui préserverait, au moins les « intérêts moraux » de la compagnie historique. Le vainqueur sera désigné en septembre 2006, en principe.
Il y croit, ou fait semblant d’y croire dur comme rail le patron en fin de règne. Il me fait penser à ces techno-dirigeants d’EDF qui juraient leurs grands dieux que, de leur vivant, jamais ils ne verraient la grande maison privatisée… La comparaison s’arrête là, l’une étant un fleuron technique à haute rentabilité – et qui, avec sa fameuse soulte, vient même au secours d’un État dans la gène –, tandis que l’autre représente une charge totale dont les gouvernants veulent se débarrasser.
M. Tium Tekie Gebray est donc un patron en sursis ; mais il ne semble guère inquiet de son sort ; on lui offrira sans doute un bon poste, sans avoir a rendre compte de son bilan. Quand je lui demande le pourquoi, selon lui, d’un tel délabrement, il encaisse un peu, mouline à vide dans un bon français langue de bois, avant de lâcher, en anglais cette fois : « mismanagement !». Autocritique tardive ? Pas du tout ! Un DG n’a pas à faire tourner le manège. Il a bien assez à faire avec son ministre des transports.
Un des collaborateurs du DG s’avère autrement pessimiste. Son avenir est moins assuré. Il n’a d’abord pas envie de répondre à mes questions – enfin, ne se sent pas autorisé. Mais on s’apprivoise bientôt. Il s’exprime dans un français fort correct mais un peu rouillé, comme les installations de la gare. Car le français est la langue du chemin de fer. Il a été en quelque sorte fourni avec la voie ferrée, les locos, les installations et jusqu’au moindre tire-fonds – sans parler des ingénieurs et personnels – venus de France à partir de 1897 pour une trentaine d’années de travaux et une soixantaine d’exploitation (1977, indépendance du Territoire français des Afars et des Issas qui devient République de Djibouti).
Ainsi s’est forgée cette sorte de « culture SNCF » que l’on découvre en abordant l’un ou l’autre des employés. D’abord, c’est l’anglais de rigueur. Et bientôt, on se branche dans un éclat de rire de connivence. Depuis le temps qu’ils n’en ont plus vu, des Français ! « C’était bien, la France ! Qu’est-ce qu’ils vont y connaître à notre chemin de fer, les Sud-Africains, ou les Indiens ? » « – Vous ne craignez pas les dégraissages ? – Si, bien sûr! Et il y en aura, qu’on espère limités aux départs à la retraire ou à des départs volontaires. » Là, on sent même le propos syndical, la fédération Cgt des cheminots a dû aussi imprégner les cultures d’ici. Au point que la veille, dans les locaux de la compagnie, je me serais cru à la section Rail de la fédé…, jusqu’aux dégaines de permanent ou de délégué !
Combien de salariés aux Chemins de fer ? Le DG – qui n’est donc pas manager – m’annonce un arrondi de 2.400, dont environ 200 relevant de Djibouti (il s’agit d’une ligne théoriquement bi-nationale). Mon interlocuteur syndiqué tranche : « 2.937. Les repreneurs parlent de n’en garder que 1.400… Ce gouvernement, et celui d’avant, n’ont pas voulu assurer l’avenir du train. Alors que nous avons une demande forte, mais sans les moyens de l’honorer : plus de pièces détachées, plus d’entrepôts en état ! » Le DG confirme : tout passe dans les salaires. Qui ne sont pourtant pas faramineux, on s’en doute. Ça va de 105 birrs [prononcer « beur »] par mois [environ 10 euros] à 2.400 [240 euros] pour un chef de division soit, en moyenne des paies à 50 euros…
La compagnie n’a plus que deux locos qui clopinent, et sans pièces de rechange… D’où les fameux cinq jours de retard, le temps de bricoler une réparation. Pour les marchandises, c’est du même ordre : une dizaine de vieilles « BB » françaises dont seulement cinq sont en service – et aussi sans pièces de rechange. En ce moment, elles remontent du port de Djibouti du blé caritatif expédié par une association de cathos américains, ainsi que du matériel de télécom’.
C’est qu’elles doivent en baver ces grands-mères ! Passer du niveau de la mer aux 2.500 mètres d’Addis, à ces âges-là, faut de bonnes artères. Justement, c’est bien la question. Je vais vérifier ça mardi, mais dans le sens de la descente – pas fou le mec !
(à suivre)
> J’ai trouvé une carte régionale pour y voir plus clair. J’ai renoncé au train de nuit à durée incertaine. Va pour l’avion ce dimanche, d’Addis à Dire Dawa, d’où je fais le crochet-pélérinage chez Arthur R. à Harrar. Si le train est… à peu près à l’heure, je le prendrai mardi pour faire Dire-Dawa-Djibouti : une douzaine d’heures pour 309 km, ça reste compétitif avec le chameau. On verra.
Bon jour…
Enfant j’ai voyagé dans ce train … Le bateau arrivait à quai et les militaires venaient se charger de nos bagages…
Il faut dire que je suis né en 1952 et après quelques redoublements .… je ne sais plus mais bon j’ai redoublé ma huitième en Ethiopie, c’est juste pour vous situer l’époque…
J’ai donc pris ce train souvent et j’avais une amie qui à l’époque était de quelques années plus agée que moi.
Elle était penssionnaire au lycée franco-ethiopien, son père travaillait aux chemins de fer , cette demoiselle merveilleuse est Martine Henneuse.
Je profite de ces quelques ligne pour lui dire combien j’ai été heureux à ces côtés et dans sa famille.
J’ai donc voyagé de nuit en wagon-lit et avec mes yeux d’enfant c’était merveilleux.
De jour aussi j’ai voyagé je me souviens des bananes toutes petites achetées à grands cris entre la fenêtre et le quai, je voyais le cat changer de mains, il passait en bouche puis en crachats par la fenêtre…
Des retards oui mais le train était régulier, on pouvait compter sur lui, avoir un programe était réaliste.
A cette époque là les indigènes s’acrochaient au train pour voyager puis ils sautaient arrivés à destination… j’en ai vu faire des vols planés à en perdre leurs armes…dans la poussière… enfin si vous rencontrez un jour Martine Henneuse demandez lui de vous raconter ses souvenirs, et de m’écrire …
Pawel Reklewski
caraibes-temoin@hotmail.fr
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