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Le chemin de Bondy comme Damas journalistique

Une douzaine de journalistes suisses de L’Hebdo [Lausanne, 50.000 exemplaires] se relaient depuis le 11 novembre à Bondy (9-3), où ils viennent scruter la France au fond des yeux de sa banlieue rebelle. Le journal a loué un petit studio dans la cité Auguste-Blanqui ; les reporters y viennent à tour de rôle avec leur sac de couchage. Ils envoient un papier par semaine et animent aussi L’Hebdo Bondy Blog par de courts articles, comme des « choses vues » et même vécues. Ainsi la note sobrement titrée « Agressé » où Paul Ackermann raconte la dure vie d’envoyé spécial sur la ligne de front :

« Hier soir, vers neuf heures un gaillard, la vingtaine, sonne à la porte du local dans lequel je dors depuis jeudi. Il veut savoir si aucun membre du club n’est là. Je lui dis que non. Une demi-heure plus tard, il revient. Sonne. J’ouvre à nouveau. Mais cette fois-ci il est accompagné. Un autre, masqué, surgit de derrière le mur. Je tente violemment de refermer la porte mais ils la bloquent, tendent un bras et giclent du gaz lacrymogène dans toute la chambre. Ils poussent la porte, je la retiens en appelant à l’aide. Je frappe de toutes mes forces avec l’épaule. Effrayés par les cris ou blessés par la porte, ils partent après une minute de lutte qui m’a paru une heure.

« Que voulaient-ils? L’ordinateur ou le départ de L’Hebdo?

« Toujours est-il que j’ai immédiatement téléphoné à notre ami Mohamed qui a rameuté ses contacts dans le quartier. La justice, ils la feront eux-mêmes car ils n’ont pas confiance en la police: "Si on l’appelle, elle va arrêter tout ce que le quartier compte de jeunes noirs." Nous avons aéré le local pendant près d’une heure, mais rien n’y fait. Le gaz est toujours là, agressif. Comme mon épaule douloureuse, mon dos tordu et la peur qui désormais ne me quittera pas. »

Cet hebdo de jeunes journalistes (trentenaires) réussit un joli coup professionnel. En damant le pion à bien des médias dominants. Du coup, on vient les observer à l’ouvrage comme des bêtes curieuses – c’est le cas de le dire : et justement, plus curieuses que la moyenne. Ça fait donc des sujets dans le sujet, une mise en abyme,  du méta-sujet et pour finir, encore et toujours du méta-journalisme.

C’est ainsi que le quotidien du boulevard Auguste-Blanqui (Le Monde, Paris XIIIe) a dépêché une reporter près le provisoire Hebdo de la cité du même Auguste-Blanqui (révolutionnaire à plus d’un titre). Tandis qu’une autre journaliste du Monde interviewe le réd’ chef du journal qui remet la presse à sa juste place : là où se noue la complexité du monde, en l’occurrence « de l’autre côté du périph’ », comme l’avait aussi découvert en son temps le cinéaste Bertrand Tavernier. Extraits des propos d’Alain Jeannet, réd’ chef de l’Hebdo :

« […] Nous sommes arrivés à la conclusion que les médias étaient aussi déconnectés de certaines réalités que les politiques. En fait, on préfère prendre l’avion pour aller en Côte d’Ivoire qu’emprunter le RER pour se plonger dans une réalité finalement plus étrangère. Nous avons moins de réseaux, de contacts, dans les banlieues que dans la plupart des capitales du monde entier.

« Il y a une sorte de presbytie de la part des journalistes. Les projecteurs étaient braqués sur les banlieues tant que les voitures flambaient, et ensuite, plus personne n’en a parlé. »

La leçon est sévère. Parce que juste – d’autant qu’assénée sans forfanterie, comme par la seule force de son évidence. On ne sait si elle sera bien relevée par les patrons de nos médias, tellement tétanisés par la crise qui secoue la presque totalité des médias d’information (j’exclus les magazines pipoles ou de loisirs) et les isole dans des mesurettes portant le plus souvent sur des aménagements formels (formats, maquette, formules…).

Le chemin de Bondy pris par les jeunes journalistes suisses pourra-t-il conduire les responsables français vers une sorte de chemin de Damas médiatique ? Les journalistes de L’Hebdo, eux, semblent avoir retrouvé à Bondy les fondamentaux du métier d’informer : ils ont décidé de louer des appartements en banlieue de Genève et de Lausanne et refaire des blogs. Des blogs, c’est-à-dire des carnets rapides, des blocs-notes, quoi, chauds et vite-faits bien-faits.

C’est encore autre chose, comme expérience journalistique, que de tenter la mode du « bi-média » (tel Libé s’inspirant de quotidiens américains) qui revient à accoler un journal avec un site internet. Tout dépend, il est vrai, de la dynamique qui peut jaillir entre les deux médias. Là, on retrouve bien la donnée humaine – donc la matière journalistique première.

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Une réflexion sur “Le chemin de Bondy comme Damas journalistique

  • Ceci m’évoque un commentaire que j’avais réalisé sur le blog de Corine Lesnes “Big Picture”… et Corine avait marqué son accord avec ma vision des choses. En fait j’évoquais le souvenir de la prestation d’une journaliste-chef de service du “Monde” lors de l’émission Campus sur FR2. Elle expliquait qu’elle était “effrayée” par le recrutement des journalistes au Monde. Ils sortent tous du même moule, du même milieu social, ont eu le même type d’expériences.
    Elle expliquait que quelques années plus tôt ce phénomène n’existait pas et qu’il y avait alors une vraie mixité dans l’origine sociale des nouveaux journalistes du Monde.

    Tant que des journalistes ayant vécu leur jeunesse en banlieue n’auront pas accès aux grands média, on peut craindre que la vision du phénomène banlieues reste biaisé. Car, notamment, il est certain qu’eux auraient de vrai réseaux d’informateurs dans les cités !
    Il faut leur regard et le regard du journaliste élevé à Neuilly pour arriver à une vraie interprétation pluraliste de ce qui se passe dans notre société…

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