Reportages

De Djibouti aux Pyramides et là, comme une merveille, Sanaa au cœur du Yémen

MonJOURNAL d’Arabie (9/11/05)

Arrivé hier au Caire, j ai fini par dégoter un cybercafé plutôt correct. Vais tenter de passer des photos. Bonnes pensées aux amis. Et aux blogolecteurs //.

[dropcap]En[/dropcap] à peine quinze minutes, l’avion franchit le golfe de Tadjoura puis l’étroit goulot que forme ici la mer Rouge. Djibouti a disparu deux fois : physiquement d’abord et, plus encore, comme entité africaine. À une traversée de boutre de là, c’est un autre continent, une autre culture, une autre civilisation. Adieu la Corne de l’Afrique, en une heure de vol me voici à Sanaa, capitale du Yémen. En pleine Arabie.

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Du Yémen, je n’avais que le contact déjà ancien avec Aden, alors capitale du Sud-Yémen, ancien comptoir du colonialisme anglais, port fameux tenant le verrou du détroit de Bab el-Mandeb, tout comme Djibouti en face, colonisée par la France. C’était bien avant la réunification du pays en 1990. De Sanaa, je n’avais vu que des photos laissant rêveur. S’y trouver est un choc, comme de changer de planète. Et quelle planète ! Un émerveillement comparable à ma découverte de Venise au sortir de l’adolescence. Je dirais même, pour un type qui a un peu bourlingué, une révélation. Les clichés des Mille et une nuits ne me viennent qu’à l’instant, c’est-à-dire au lendemain de ma journée là-bas. Car sur place, dans ce rêve éveillé, les images en direct, les sons, parfums et autres odeurs n’ont rien de surfait. Je me suis trouvé littéralement envahi par tant de beauté urbaine et populaire. 

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Deux dimensions évidemment imbriquées – c’est bien le mot, dans cet empilement savant et harmonieux de briques couleur de terre cuite, posées une à une par le génie de l’Homme quand il sait être grand. La vieille ville a su se préserver des assauts de la modernité et de ses folies de grandeur envahissante. Les dirigeants ont senti là le trésor à entretenir, aidés par l’Unesco qui l’a classée au Patrimoine de l’humanité. Sanaa est ainsi devenue une perle touristique, encore peu fréquentée mais à « fort potentiel » comme diraient les marchands de voyages. Gare à la suite…

L’autre dimension tient à la gentillesse extraordinaire de la population. Même un Américain y serait bien reçu ! – par la dégaine d’Occidental je pouvais là aussi passer comme tel. Un étranger est bienvenu pour ces Yéménites conquérants et voyageurs, qui en ont connu des aventures arabes dans la région de la mer Rouge et par delà, vers l’Orient et l’Afrique, et jusqu’à nos portes du côté de Poitiers… Les voici aujourd’hui, ces mâles au regard de jais, enturbannés de leur kashida, enveloppés dans la blancheur étincelante de leur topzennah que serre une large ceinture de cuir travaillé. Et surtout – surtout –, bien en avant, dans le travers du ventre, le jambya, ce coutelas à lame courbe d’une vingtaine de centimètres, phallique au possible dans son fourreau recourbé, souvent de couleur vert de jade.

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L’autre choc, conséquence de ce machisme engrammé : la mise sous boisseau de la femme yéménite, enfermée sous la burka noire, parcourant les rues comme une ombre. Comment en être arrivé là ?! Si, comme je le crois, une civilisation digne de ce nom se mesure au degré d’égalité homme-femme, cette société n’est pas civilisée. C’est une culture, certes, liée à son histoire, ses moeurs, coutumes religieuses, traditions et autres archaïsmes – mais pas plus !

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Il se trouvait une quinzaine de ces femmes sous cape dans l’avion allant au Caire. Je les ai observées… Tandis qu’elles s’évertuaient à ne pas croiser mon regard, au travers de la fente du tissu, comme une meurtrière, au sens propre et figuré ; j’en ai vu manger ainsi accoutrée en passant la nourriture sous le voile, tandis que n’y voyant rien, elles renversaient le reste du plateau. J’en ai vu plusieurs descendre la passerelle de l’avion, presque à l’aveugle, quand elles ne manquaient pas de dévaler les marches en se prenant les pieds dans la noire et longue ibayah. Leur homme alors les guidant par la main comme des aveugles. Scène qui m’a rappelé ces mots terribles d’un intellectuel algérien à propos des femmes de son pays, plus que jamais menacées de négation par les ayatollahs alors à l’œuvre : « Elles n’ont jamais vu le jour, elles ne verront pas tomber la nuit. »

Voilà pour aujourd’hui, après un long silence de blog nourri d’obligations et de limites techniques. Je suis aujourd’hui au Caire, ville à la fois monstrueuse (15 millions d’habitants) et fascinante. Je suis à deux pas du Nil dont j’ai connu la source Bleue en Abyssinie. Je vais aller saluer les pharaons d’Al Arham (les pyramides) – c’est une retrouvaille, et comme un impératif.

Ce matin très tôt, dans les rues du Caire, à l’écart des grands axes si tapageurs et fous, j’ai vu la ville et son peuple s’éveiller. J’ai pris un café « turc » à la cardamome en compagnie de Cairotes tirant sur leur premier narguilé ; on a « causé » gestes, sons, angliche… On a surtout sympathisé en simplicité bon enfant. Plus loin, dans un autre « bistrot », j’ai fait la connaissance d’un médecin syrien, exilé ici depuis 40 ans pour raisons politiques, anglophone et francophone. Cette fois on a parlé en profondeur, car il y a des élections aujourd’hui, des législatives si j’ai bien compris. Les rues sont pavoisées de banderoles colorées. Je ne vous raconte pas tout, par manque de temps, mais pendant notre discussion, une voiture haut-parleur est passée en vociférant « L’islam est la solution ! ». C’est mon interlocuteur qui a traduit, sans manquer de me faire part , en tant que musulman, de son rejet violent du slogan proféré. « Par de tels mots, ils me nient en tant que musulman. Ce ne sont pas des musulmans. L’islam ne peut que s’acquérir lentement. Comme un fruit qui mûrit. C’est aussi ce que vous avez fait, vous en France, avec la démocratie qui a demandé des siècles avant d’éclore. »

Ah, il y a de vrais moments de bonheur. Et ce voyage n’en a pas manqué – et en plus ce n’est pas fini…

Post scriptum : je rentre de Gizeh où j’ai revu les grandes pyramides, et pleuré en silence devant tant de beauté. Mais y arriver est éprouvant. Il faut refouler la horde marchande qui vous assaille : taxis, boutiquiers multiples, guides. Le tourisme et ses perversions – déjà évoqué ici-même. Les lieux se trouvent ainsi désacralisés, voire profanés par le spectacle et sa marchandisation. Pourquoi les pharaons auraient-ils échappé à cette fatalité, eux dont les tombes furent pour la plupart sauvagement pillées ? Bref, il faut payer – et cher –, sacrifier au fameux bakchich, refouler les assauts trop gourmands, subir de grands discours faux jetons pour quémander un supplément.

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Depuis mon précédent passage, de multiples attentats ont été perpétrés. Le régime de Moubarak s’est encore durci et, s’agissant de protéger autant que possible la vache à lait touristique, la protection des sites stratégiques a été renforcée. Si bien qu’un mur de trois à quatre mètres de haut a été érigé tout autour du site des pyramides. En une sorte d’ironie de l’histoire, et toutes proportions gardées, on croirait une réplique du « mur de sûreté » édifié par Israël… On entre par une porte fermée par une chaîne et tenue par des policiers ou des militaires armés de fusils mitrailleurs… Partout dans les dunes alentour rôdent des gardiens en uniformes et aussi fortement armés. Qu’ils soient à cheval ou à chameaux n’enlèvent rien à l’atmosphère de siège militaire. Qu’ils viennent récolter leur bakchich à chaque passage de caravane, ne fait que confirmer à petite échelle un système connu pour sa corruption généralisée.

Il n’y a donc plus sur les lieux que de rares touristes accompagnés et des guides désoeuvrés fatiguant leurs purs-sangs à grands coups de cravache, dans des galops de péplum. Le monde est bien déréglé, s’il fallait pour s’en convaincre une preuve de plus. Il l’est pour ça, il l’est pour ces visions de mégapole qui ont fait du Caire un enfer moderne, bruyant, pollué, qui étend des tentacules pleines de bubons de pauvreté jusqu’aux abords immédiats d’une des Merveilles du monde.

Voyez les images – si je parviens à les transmettre. Je n’allais pas envoyer des cartes postales, même si j’ai sacrifié au rite de la photo, moi à cheval devant les pyramides, moi devant le Sphynx, toujours aussi serein. En apparence du moins. Car tourné qu’il est vers le cancer urbain, ça m’étonnerait bien qu’il ne soit saisi par le tourment sur la folie des hommes.

PS. Vous me direz que l’Egypte est en Afrique. Oui et non. Oui de fait, physiquement ; et même historiquement, si on relie l’Egypte à l’entité du Nil – voyez à ce propos le livre tout chaud de mon ami Bernard Nantet, « Histoire du Nil. Au cœur de l’Afrique » (chroniqué ici, demandez à Google). Non dans sa modernité arabique, résolument moyen-orientale.

La ville du pays de Saba, au cœur de l’ « Arabie heureuse »

[dropcap]Capitale[/dropcap] de la république du Yémen (avant 1990 de la seule république arabe du Yémen ou Yémen du Nord), Sanaa est située à environ 2 300 mètres d’altitude au pied du djebel Nukum, au milieu d’une plaine fertile irriguée. Ville du pays de Saba à l’époque sabéenne, passée sous la domination des Hymiarites, elle fut conquise par les Abyssins d’Axoum au début du VIe siècle. En 575, les Perses Sassanides les en chassèrent. Elle entra dans l’orbite islamique vers 630. Le fondateur de la dynastie des Zaydites la prit vers 901 et en fit sa capitale : aussi Sanaa connut-elle une certaine prospérité au Xe siècle.

Mais l’insécurité provoquée notamment par des rivalités entre sectes religieuses la fit peu à peu dépérir. Son artisanat (travail de l’argent), qui s’était maintenu assez florissant, a décliné depuis le départ de la communauté juive, fort importante autrefois. Héritière d’un très riche passé préislamique – au cœur d’une région que les auteurs classiques dénommaient Arabia felix, l’Arabie heureuse – Sanaa a conservé son charme médiéval : enceinte, grandes maisons de huit à dix étages avec leurs fenêtres encadrées d’albâtre, de stuc ou de bois ajouré. L’ouverture du pays au monde moderne a apporté, depuis les années 1960, les premières transformations à Sanaa, qui comptait 277 800 habitants en 1980 et 427 100 en 1986, peut-être plus d’un million aujourd’hui.

Source : Encyclopædia Universalis.

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Une réflexion sur “De Djibouti aux Pyramides et là, comme une merveille, Sanaa au cœur du Yémen

  • pffffff c écoeurant de voir c femmes si belles se cacher…
    on dirai des fantomes , ou mm lencou

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