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Envoyé spécial en Somalie, au cœur du chaos

Reportage de Grégoire Deniau et Alexandre Berne

C’est titré « Somalie, le chaos ». Brutal et sans fioritures comme le reportage lui-même, diffusé jeudi soir [19/01/06] dans Envoyé spécial, France 2. C’est un carnet de route de Grégoire Deniau et Alexandre Berne auxquels je tire mon chapeau. Il fallait oser, et le faire. A part l’Irak peut-être, je n’imagine pas d’endroit plus dangereux au monde. On dira que la pétaudière est largement démultipliée sur la planète. À ce point de concentration, sûrement pas !

Somalii_2La Somalie n’existe plus comme pays depuis plus de dix ans, l’État ayant cédé devant la violence et la corruption générales. Une guerre civile a ravagé cette ancienne colonie italienne et tout particulièrement sa capitale Mogadiscio. Casques bleus et soldats américains en firent les frais en 1993-94, avant de quitter le pays, l’abandonnant au chaos qui, donc, dure depuis. Ce qui nous ramène au reportage : une plongée dans ce gouffre terrifiant de la drogue, des armes, de la violence instituée, omniprésente, tueuse, ravageuse de toute vie.

Les journalistes s’enfoncent peu à peu au centre de l’indicible. Avec eux, on passe par l’hôpital Melina, sans doute le seul bâtiment encore à peu près en état. « C’est relativement calme en ce moment, dit un médecin. On ne reçoit qu’une centaine de blessés par balle chaque mois ». Celui-là, un taxi, a pris une balle dans la mâchoire. Cet autre vient d’être amputé de la jambe. En 15 ans, on estime entre 300.000 et un million le nombre de personnes tuées dans les affrontements entre clans et environ trois millions le nombre de déplacés vivant aujourd’hui dans des camps de fortune. Un gouvernement et un parlement somaliens existent… mais ils siègent au Kenya, députés et ministres vivent en exil, l’insécurité générale à Mogadiscio leur interdit tout retour. Pendant ce temps-là, les trois hommes qui règnent sur la capitale se partagent le butin.

Somalii_3La caméra nous emmène sous des abris minables où femmes et enfants tentent de survivre, des jeunes femmes, et même très jeunes, telle celle-ci avec ses jumelles de moins d’un kilo, au pronostic de vie « improbable ». Le père est parti, il se droguait… peut-être un de ces gamins fascinés par les armes, la « vie » facile sous la coupe des chefs de guerre qui se sont répartis les quartiers,  à la force du fusils-mitrailleurs, à coups d’argent mafieux, comme ceux-là qu’on voit ensuite lors d’une  sorte de réunion de parrains en plein air…

Filmé aussi le « chef de guerre » Kanyaré, pérorant comme un nabab entouré de ses milices. « L’ordre est leur principal ennemi » – que personne, surtout, ne vienne déranger ce beau chaos qui les engraisse, à jamais dirait-on tant le désordre semble devenu une autre « nature politique ».

D’ici que des gouvernements, des armées pacifistes, quelque organisation internationale osent s’aventurer dans ce coupe-gorge effrayant! Miracle que ces images de journalistes rapportées d’une sorte de planète satellite oubliée au fin fond d’une chaotique galaxie dénommée Misère.

Quiconque a fréquenté certains zones à risques – même de bien moins exposées que la Somalie –, sait le courage dont il faut s’armer, a fortioti si c’est avec une caméra ou un appareil photo, pour rapporter de tels témoignages. Ce reportage honore la profession.

>> Images tirées du reportage. Les miliciens font la loi, les chefs de guerre se concertent… Le reportage est encore visible (jusqu’à quand ?) sur le site de France 2, Envoyé spécial.

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Une réflexion sur “Envoyé spécial en Somalie, au cœur du chaos

  • C’est vrai que l’on parle rare­ment, voire pas du tout de la Somalie et du chaos dans laquelle elle se trouve. Ayant vécu deux avec une réfu­giée soma­lienne, j’ai décou­vert, à tra­vers son his­toire, un uni­vers de vio­lence, de gens tués au bord des routes sans rai­sons, de la fuite d’une grande par­tie des soma­liens vers Djibouti, de la condi­tion des femmes exci­sées et affi­bu­lées (le pays des femmes cou­sues)… Pourtant, quand elle en par­lait, ce pays sem­blait éga­le­ment très beau. Mais tout le monde s’en fout. Même Safia Otokoré, pour­tant ori­gi­naire de ce pays, n’en fait jamais men­tion. S’il existe un endroit du monde où le diable à son ter­rain de jeu, c’est bien là-bas.

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