CUBA À L’AN 50 DE LA RÉVOLUTION CASTRISTE (reportage)
« L’espérance était verte,
la vache l’a mangée »
Monde de façades et de double-jeu. Cuba, miroir aux alouettes béates, ces adorateurs exotiques en mal de « Che » ou touristes baladés, pourvoyeurs de devises qui alimentent le premier bizness de l’île, bien avant le cigare et le nickel. La dictature caraïbe tient par ses charmes, eux-mêmes liftés grâce à un art consommé du maquillage. A cinquante ans – ce 1er janvier, elle va fêter ça en grands pompes – la Révolution castriste fait vraiment vieille décatie. C’est ainsi, quand on n’assume pas son âge, ses rides, ses vices.
Trinidad. Croisement d’américaines. Entre les deux ailes de la Plymouth, le gamin en tee-shirt « Miami Beach » tire la langue au photographe… et à un demi-siècle de castrisme [© gp]
La Havane, début novembre. Pedro me montre le bout rafistolé de ses chaussures. Il est médecin psychiatre. « Que penser de cette réalité ? Mes chaussures ont plus de deux ans, elles sont usées mais je n’ai pas les moyens d’en changer car je gagne 450 pesos par mois ! » À moins de 20 euros, son salaire atteint pourtant le triple du revenu minimum cubain (150 pesos, à peine 6 euros). Pedro a la déprime, ancrée au fil des années de sa quarantaine sans espérance. Il n’a qu’un but : manger et faire manger les siens. Comme tout Cubain. Travailler deux fois, l’officielle et l’autre, la combine. « Para comer », pour manger. C’est le leitmotiv. « Si je change de chaussures, insiste Pedro, on ne mange pas à la maison ! Et je suis médecin !»
On s’est assis sur un muret isolé, dans un square proche de l’hôpital où il travaille, dans le Vedado, quartier plutôt chic de la capitale – à deux heures de bus de son domicile, en banlieue lointaine. Terrible désir d’expression – ce sera une constante dans mes rencontres – qui se libère une fois la confiance établie. On vient de marcher durant plus d’une heure, sans autre but que d’avancer en parlant, ne pas rester sur place, risquer les oreilles rapporteuses. On tourne autour de la place de la Révolution, ce grand œuvre stalinien, statue colossale de José Marti – l’Apôtre, comme ils l’appellent –, portrait géant du Che – le Héros –, tribune d’où Fidel a massé les masses – le Pueblo sanctifié – à pleines heures de palabres. Pedro se lâche de plus en plus, lui fils d’un ancien maquisard de la Sierra Maestra, lui qui n’en peut plus de cette logorrhée de slogans pompeux, de ces appels à la mobilisation, à la morale, à la pureté. Il ricane.
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>>> Voici le lien du site de Politis et de l'amorçage de mon article . Vous y trouverez surtout une suite de commentaires dont certains valent le détour…
Gérard, Claudine et moi avons fait ce voyage de mai 1968 avec toi, tu t’en souviens probablement. D’après nos informations, bien que nous n »y sommes pas retournés, des témoignages récents, sont en accord avec ta vision pessimiste. La révolution cubaine qui nous avait enthousiasmés ne vit que par ses slogans. La dépendance forcée à l’URSS n’est plus et cette belle île se meurt dans les spasmes de l’autoritarisme. Le dynamisme et la débrouille de ses sympatiques habitants sera-t-il un ferment suffisant pour un renouveau ?