Avis de gros temps sur la démocratie
Mon vieux pote Bernard Langlois consacre presque tout son Bloc-notes dans Politis de cette semaine à un sujet que je me devais de traiter ici-même : le fascisme rampant qui s’insinue dans nos quotidiens comme des cafards dans des arrière-cuisine pas propres.
Langlois intitule sa chronique « L’heure du laitier » et on devine tout de suite qu’il ne cause pas de la crise agricole. Il parle précisément de ces opérations policières fachoïdes qui se multiplient comme jamais depuis que nous vivons en Nouveau régime. A preuve, la hausse phénoménale du nombre des gardes à vue enregistrées dans notre beau pays. Dans son récent rapport, l'Observatoire national de la délinquance (OND) pointe une hausse de 35,42 % en cinq ans, plus rapide que le nombre de personnes poursuivies en justice (22,56 % durant la même période). D'après ce rapport, 577 816 gardes à vue ont eu lieu en 2008 contre 426 671 en 2003. Une forte hausse, qui concerne également les personnes mises en cause, c'est-à-dire poursuivies en justice, dont le nombre a bondi de 956 423 à 1 172 393. [Le Monde, 12/05/09].
Des chiffres qui toutefois ne disent rien de la nature des violences, humiliations, injures et sadismes en tout genre pratiquées par les « garants de l’ordre républicain ». Bref, j’en reviens au papier de Langlois et même que je vais ci-dessous le pomper allégrement, ce qui n’interdit pas de lire le reste de sa chronique et de Politis – au contraire.
« […] On annonçait ce lundi midi que trois « proches » de Julien Coupat avaient été arrêtés dans la région rouennaise et placés en garde à vue. À 14 heures, alors que je m’attaque à la rédaction de ce présent bloc-notes, un coup de fil m’apprend qu’un autre coup de filet a pêché, à Forcalquier, quatre autres suspects de la « mouvance », dont Johanna et François Bouchardeau. Direction Marseille pour interrogatoire à l’hôtel de police (« l’Évêché », comme on continue de dire là-bas, eu égard aux anciennes fonctions de cet édifice qui surplombe le Vieux Port, et où l’on distribue maintenant plus souvent des torgnoles que des bénédictions). En matière de terrorisme, puisque c’est dans cette catégorie qu’on a classé l’affaire qui nous occupe, tous ces braves gens peuvent rester en garde à vue jusqu’à 96 heures, une paille ! Ainsi, le pouvoir judiciaire continue de s’acharner sur des citoyens auxquels, jusqu’à preuve du contraire, on ne peut reprocher que des faits qui relèvent de la liberté de penser et de manifester. Voyons voir : je ne connais pas les embastillés de la région rouennaise, mais je connais bien ceux de Forcalquier.
« François Bouchardeau fut longtemps (depuis l’adolescence, dans les années 1970) un des piliers de la célèbre communauté de Longo Maï, dont le centre est situé sur la colline Zinzine, proche de Limans, à quelques kilomètres de Forcalquier. Il l’a quittée depuis quelques années pour prendre la direction de HB éditions, fondée par sa mère, l’ancienne ministre de l’Environnement Huguette Bouchardeau, dont il a installé le siège à Forcalquier même. Sa femme, Johanna, et leurs deux enfants vivent toujours dans la communauté, où l’on ne se borne pas à cultiver les terres arides de la Haute-Provence : depuis toujours, né de l’éruption de Mai 68, le projet longomaïen est politique, et prône et pratique (dans la vie quotidienne, les rapports de production et d’échanges, par l’exemple vivant, l’essaimage, la transmission, la propagande écrite et orale – Radio Zinzine (1) est une station de qualité qui rayonne sur la région – et tous autres moyens légaux et non violents) un mode de vie et d’organisation sociale en rupture avec la société capitaliste. Internationalisme, autogestion, solidarité, partage, tiers-mondisme : toutes ces choses, là, qui furent au coeur d’un idéal de gauche quand la gauche avait un idéal. Des gauchistes, quoi.
« Le rapport avec les inculpés de Tarnac ? Dans la pratique, je l’ignore. Dans la vision du monde, le rejet de la société marchande, la recherche et la pratique d’un mode de vie différent, il est évident. Lorsque l’affaire de Tarnac a éclaté, souvenez-vous, j’avais du reste fait un parallèle entre les deux groupes. C’est donc tout naturellement que s’est immédiatement posée la question de la solidarité entre Longo Maï et Julien Coupat et ses amis. Ou plutôt qu’elle s’est imposée d’elle-même : dans le mouvement de soutien aux inculpés qui s’est mis en place au plan national, nos Provençaux (interlopes, mais Provençaux quand même !) n’ont pas été les derniers à se mobiliser. Et les Bouchardeau en particulier, qui ont représenté Longo Maï dans les diverses réunions de coordination des comités de soutien […]
« On en est là, les amis. On le savait déjà pour ce qui concerne l’aide aux migrants clandestins (quoi qu’en dise le traître emblématique du gouvernement), mais c’est vrai en général pour toute forme de soutien à des militants en butte à la police et à la justice : la solidarité est désormais un délit. Peut-être même bien un crime ? Va savoir ! Terrorisme, ce mot bien fait pour paniquer le peuple, qu’on ne devrait employer qu’avec d’infinies précautions, est mis à toutes les sauces. On s’en parfume le battle-dress, on s’en gargarise le goitre, on alliot-marise toute la vie sociale. Bientôt, on ne sera plus dans ce qui est censé caractériser une démocratie, selon la formule bien connue : « Une société où, quand on sonne à votre porte à 6 heures du matin, c’est le laitier ! » Pour François et Johanna et les deux jeunes enchristés avec eux, comme pour les gens de Rouen, et peut-être d’autres encore, ailleurs, ce matin ce n’était pas le laitier, mais la police judiciaire. »
Langlois évoque la flicaille de Marseille. Elle est triplement d’actualité. Outre cette affaire-là, celle de l’enseignant et son « Sarkozy, je te vois ! » qui électrise et la force publique et le procureur de la République – lequel ne craint pas le ridicule en requérant 100 euros d’amende ! L’autre, le placement en garde à vue – et encore une ! – au commissariat Noailles de Marseille, pendant plus de 24 heures, d’un syndicaliste de la CGT, Charles Hoareau, suite à une simple convocation dans une affaire de conflit social.
N’allons pas en inférer qu’il y a du Sarko dans tout ça – d’ailleurs l’ « Élysée » dément être intervenu en quoi que ce soit… Pas besoin : c’est la force du pouvoir excessif de conduire ses agents (sbires ou seulement zélés serviteurs) à intérioriser les ordres d’En-Haut sans qu’ils aient à être expressément formulés. L’état démocratique réel d’un régime se mesure précisément à l’aune de tels débordements répressifs et au fait qu’un État les tolère. C’est le meilleur baromètre de la pression autoritaire. Ces temps-ci, la météo politique n’annonce rien de bon.
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(1) Vous me direz que je ne manque pas d’air en pompant un confrère de manière aussi éhontée. J’ai une excuse et même deux : 1) Pourquoi retisser une laine d’aussi haute lice ? 2) Surtout quand le tisserand est consentant.
(2) Radio Zinzine Info, 04300 Limans, www.radiozinzine.org et Longo maï, Révolte et utopie après 1968, vie et autogestion dans les coopératives européennes, Beatriz Graf, Thesis ars historica, 176 p. Écrire à : trixiegraf@yahoo.fr
La violence dans les banlieues, des kalachnikov ? Armons mieux les flics ! Violence à l’école ? Appelons les flics, instaurons les fouilles, les portiques de détection ! Et la dernière du jour : Deux gamins âgés de six et dix ans interpellés, mardi, à la sortie de leur école à Floirac, en Gironde, et interrogés dans une affaire de vol de vélo… Pourquoi pas le GIGN ? Des lois répressives, des flics, quel projet de société !