Société-médias. Voici donc venue l’ère des robots-journalistes ! (On y était presque déjà…)
Journalistes, patrons de médias, sociologues et autres curieux, alerte générale ! Toute affaire cessante, si ce n’est déjà fait, précipitez-vous page 15 du Monde du 10/3/10 dont le titre dit tout : « L’ère des robots-journalistes ». Science-fiction ? Délire techno-azimuté ? Pas du tout ! Ce que raconte Yves Eudes dans sa page bien dénommée « Décryptages », c’est rien moins qu’une nouvelle révolution qui, dans un mois un an,, va toucher la presse – l’ « impacter » comme diraient les militaires –au plus haut point, à savoir la rédaction automatique informatisée du tout-venant journalistique. Des expérimentations poussées sont déjà en cours, portant en particulier sur la rédaction de comptes rendus sportifs. Le confrère du Monde s’est rendu sur le campus d’Evanston, près de Chicago, pour toucher du doigt les premières prouesses en ce domaine de l’intelligence artificielle.
Les premiers menacés par cette révolution imminente, ce sont d’abord les pisse-copie débitant de manière quasi-automatique, déjà, des enfilades de phrases « toutes faites » enfarinées de clichés. Au fond, il n’est pas si étonnant qu’un ordinateur, animé par un programme un tant soit peu futé, parvienne à répliquer cette prose passe-partout. Elle s’applique ainsi sans grandes difficultés aux comptes rendus de matches dont les résultats sont souvent qualifiés de « logiques » – j’adore ! – tandis que les péripéties reviennent à une succession d’événements binaires : bien-mal, but-pas but, du pain béni ultra-fastoche pour puces électroniques. Idem pour les cours de la bourse : langage codé, vocabulaire restreint autour de trois indicateurs basiques : + - = Ça se complique un poil pour la météo, mais à peine.
Bien sûr, l’ordinateur et son programme ne vont pas tout inventer mais moulineront des données quantitatives, et même qualitatives simples, dont on les aura nourris.
Les développements déjà à l’étude, prévoient à court terme d’introduire des modes de traitement de l’information permettant d’exprimer des nuances stylistiques, afin d’obtenir des articles ficelés « à la mode » de tel journal ou même de tel rédacteur. Les programmes d’IA (intelligence artificielle) savent en effet analyser les composantes des styles en question et de les réinjecter dans la rédaction automatisée.
Même des journaux télévisés sont expérimentés, présentés par de « vrais » journalistes-robots ! Voyez d'ici la lignée post-darwinienne à haut rendement néo-libéraliste : PPDA-TF1 -> PPDA-Guignols -> PPDA-robot.
Le blème là-dedans ne réside pas seulement dans le mouron syndical à prévoir… Il se pose surtout en termes de contenu informatif, y compris, à échéance – puisqu’ « on n’arrête pas le progrès » ! – sur des articles très élaborés. Là, je devance les concepteurs de la chose ultra-big-brotherienne, puisque ces derniers prétendent que leur révolution dégagera d’autant les journalistes, les vrais, des tâches fastidieuses qui empêchaient leurs plus belles envolées professionnelles et citoyennes ! Mon cul ! comme dirait Zazie. La seule réponse qui vaille à cet égard restant celle de l’esprit critique de tout un chacun – selon que des résistants refuseront de se coucher. Il en va de l’info comme de la bouffe, de la bonne patate comme de son erzatz ogm-isé : on peut n’y voir que couic ! Jusqu’à l’empoisonnement final. On peut aussi ne pas en mourir et continuer à faire son gras en ronronnant.
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PS. Prochaine étape, le baratin politique ! Là, ce sera ultra-fastoche mais surtout inutile, le programme LDB (langue de bois) ayant fait ses preuves depuis si longtemps. Oui je sais, c'est démago et aussi fastoche. Quoique.
Je crains que cet échange ne soit incompréhensible « de l’extérieur » d’une polémique entre un converti (croyant et à ce titre militant de la cause de Jacques Ellul, lui-même apôtre critique du « système technicien ») et un sceptique désigné ici par l’ « esprit critique », infatué autant qu’aveugle – c’est moi… Risquons cependant quelques tentatives de clarification, sait-on jamais ?
N’étant pas plus adepte du dogme économico-marxiste (entre autres celui des infrastructures déterminant les superstructures) que de tout autre dogme, je n’assimile pas la démission des « journalistes-robots » à une soumission à l’ordre économique, du moins pas entièrement. Leur conformisme me semble bien plus lié, précisément, à une dérobade devant l’exercice actif de ce fameux esprit critique – une sorte de mise en application journalistique (à plus petite « échelle », celle de l’actualité comme reflet d’un présent agité par la futilité de l’Homme) du scepticisme d’un Montaigne (« Que sais-je ? »). Encore faut-il bien rappeler qu’il est ici question des « journalistes-robots », et non pas de l’ensemble d’une catégorie professionnelle aussi diversifiée et donc contradictoire que toute autre. Que les « robots », donc, subissent l’emprise de la « technique sacralisée », c’est probable, comme il en est de la plupart des Terriens nourris à la technique, sinon même gavés par elle. Mais pas plus pour les journalistes que pour l’ensemble de ces Terriens, je ne verrais en la désacralisation de la Technique le remède miraculeux, je pèse mes mots, qui guérirait la souffrance universelle. Seule une foi peut soutenir pareille autre soumission – la foi étant par essence aveugle, puisque vécue du dedans et relevant de l’inexplicable. C’est évidemment là que nous divergeons, Joël et moi, bien au delà, en effet, des questions cléricales – auxquelles pouvaient aussi s’opposer quant à eux Bernanos, Péguy aussi bien qu’Ellul, tous trois, pour ne citer qu’eux, exerçant profession de leur foi (« profession de foi » 😉 ) Je me demande en fait si la Technique n’est pas :
– sacralisée par l’acharnement prosélyte de ceux-là mêmes qui prétendent s’y opposer ;
– sacralisée parce que divinisée par les mêmes (ou diabolisée, ce qui revient au même) qui voient en elle un « un phénomène autonome (dont l’homme n’a plus le contrôle) » – ce qui ressemble sacrément à une définition de divinité maléfique…
Quant aux considérations sur l’éducation comme nouvelle « illusion », j’appelle ça une démission. Ne reste plus alors qu’à tirer l’échelle. Il n’y a donc pas que Jésus à ne pas se dire « de ce monde »