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Mort d’un spéléo. Ces hommes au cœur des ténèbres

Le spéléologue disparu en Ardèche retrouvé mort. Le corps d'Eric Establie, disparu dimanche 3 octobre dans les gorges de l'Ardèche, a été retrouvé sans vie par les deux plongeurs britanniques partis lundi à sa recherche, a annoncé le sous-préfet. (AFP)

Je cherche à savoir pourquoi cette nouvelle m’a bouleversé… Comme si cet homme – inconnu à mes yeux – m’était devenu familier, proche. Comme si ses vrais proches, famille, amis, en luttant pour le sauver, cherchaient aussi à sauver quelque chose de l’humanité, donc de moi.

Et les 33 mineurs chiliens ? Bien sûr… Je suis descendu deux fois dans la mine, en France bien avant qu’elles ferment, dans le Nord et en Lorraine. Expériences marquantes, inoubliables. Mais il me semble que les Chiliens demeurent plus protégés que ne l’était ce spéléologue. Peut-être à cause de la différence entre deux formes de mise en spectacle médiatique; l’une quasi holywoodienne, l’autre plus en retenue, comme voilée ; l’une débordant d’images de toutes sortes, l’autre en quête, justement, de l’invisible. Peut-être aussi en raison des chances de succès des sauvetages respectifs. Les faits, jusqu’à aujourd’hui hélas, ont confirmé cette crainte.

Mais d’autres « raisons » me taraudent. Oui, pas vraiment des raisons, mais quoi ? Le fait, probablement, de considérer comme une quête mystérieuse le geste de s’enfoncer, volontairement, dans les entrailles de la Terre. Pour quoi faire ? A quoi bon ? Justement, pour « rien », comme ça, gratuitement… En apparence. En fait, que cherchait-il, Éric Establie, au fond des gouffres noirs du monde souterrain ? A défier le sort par la tentation, si courue de nos jours, de l’exploit ? Ou bien à étancher sa soif de connaissance ?  A s’adonner à un « sport de l’extrême » où à questionner les origines de la planète ?

Parce qu’il s’enfonçait dans l’obscurité, comme le font évidemment tous les spéléos – même éclairés de leurs modestes lampes –, on ne saurait voir l’explorateur des profondeurs comme ces alpinistes dont le désir d’élévation pourrait ne pas sembler porter aussi « haut » le degré de gratuité. Un spéléo, en ce sens, n’est pas un alpiniste en creux. L’homme qui plonge – Éric Establie était aussi scaphandrier –, qui s’enfonce dans les abysses, c’est celui qui remonte vers ses origines, vers le cœur de ses ténèbres, comme aurait dit Joseph Conrad. On pourrait toutefois rapprocher le spéléo de l’astronaute bravant l’infini de l’univers…

Mais dans tous les cas, on reste loin de nos mineurs du Chili, dont la destinée de travailleur de force ne doit rien à la gratuité. Seraient-ils, on le prétend, mieux payés que le reste de la classe ouvrière chilienne, ils n’en sont pas moins victimes d’une exploitation forcenée. Laquelle n’est nullement étrangère à l’accident qui les a emmurés et que le Spectacle va transformer en icônes héroïques.

Enfin, « ne les oublions pas », ces deux journalistes de France 3, Hervé Ghesquière et Stéphane Taponier, et leurs trois accompagnateurs afghans. Ils étaient partis eux-aussi en éclaireurs et les voici prisonniers de l’obscurantisme et du fanatisme islamiste, ces profondeurs autrement insondables.

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4 réflexions sur “Mort d’un spéléo. Ces hommes au cœur des ténèbres

  • faber

    Purée Ponthieu, tes consi­dé­ra­tions, ça remue en pro­fon­deur. Qu’allait-il creu­ser au fond de quoi, ce spor­tif de la des­cente ? Quand on entend les célé­bra­tions à s’é­le­ver à lon­gueur de radio, de télé, de bour­si­cot­tage, de gagnure ? Nous sommes quelques uns à rêver d’un trou pei­nard à l’a­bri de l’hi­ver et des faits divers aus­si. Sans rien à prou­ver ni entendre que le bat­te­ment de l’âme et du coeur. Ce serait pas plus mal au fond.

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  • Il y a quelques années j’ai pra­ti­qué la spé­léo­lo­gie minière…
    Étranges sensations.…

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  • Sylvie-Anne Mériot

    Entre ceux qui s’en­foncent dans le sol pour la science ou pour le plai­sir, et ceux qui le font pour gagner leur pain, le rap­pro­che­ment de ces 2 faits média­tiques simul­ta­nés était effec­ti­ve­ment ten­tant, et trou­blant. L’analyse pro­po­sée par Gérard est la bien­ve­nue d’au­tant qu’elle poste la ques­tion de leur média­ti­sa­tion respective.

    Personnellement, je reste intri­guée par ce que cher­chait ce spé­léo dis­pa­ru. Cherchait-il sim­ple­ment à tes­ter ses propres limites, qu’il a fini par trou­ver. Ou cher­chait-il à se sur­pas­ser pour ne pas res­ter « un des meilleurs » de sa dis­ci­pline mais deve­nir « le meilleur » ? Quelle est alors la part de res­pon­sa­bi­li­té des médias qui « super­la­tivent » dans un monde d’in­di­vi­dua­lisme et de com­pé­ti­tion ? Ne peut-on pas trou­ver du plai­sir à res­ter un spor­tif ou explo­ra­teur ordi­naire, « médiocre » et fier de l’être, car désintéré ?

    J’ose espé­rer que cette perte humaine n’est pas lié à des visées trop ambi­tieuses, mais sim­ple­ment à une erreur d’ap­pré­cia­tion des condi­tions ou des risques de l’aventure.

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  • Dominique Dréan

    On ne peut qu’é­prou­ver de la com­pas­sion devant la mort d’un homme – quand il n’a­vait pas lui-même choi­si le métier des armes. Je n’ai pas lu dans le détail les cir­cons­tances, mais je pense que se faire sur­prendre par la camarde dans une acti­vi­té que l’on aime ça n’est pas la pire fin qui soit.
    Cela évoque, évi­dem­ment d’autres dis­pa­ri­tions actuelles ou pas­sées. Chez moi, cela ravive la mémoire du visage de Omeyra, la petite Colombienne qu’une huma­ni­té, capable pour­tant d’al­ler sur la lune, n’a pas vou­lu sau­ver. C’était en 1985

    http://www.google.fr/images?q=Omeyra%20sanchez&oe=utf‑8&rls=org.mozilla:fr:official&client=firefox‑a&um=1&ie=UTF8&source=og&sa=N&hl=fr&tab=wi

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