Mais vingt dieux, comment ne pas s’indigner ?!
Treize pages d’« Indignez-vous ! ». Heureusement que l’auteur s’appelle Stéphane Hessel, qu’il a 93 ans, qu’il a connu De Gaulle, Cassin, la Résistance, Buchenwald et co-rédigé la Déclaration universelle des Droits de l’homme. Sinon, ça ferait « short » côté indignation. Pour ma part, j’en déverse chaque jour de pleins tombereaux. Ma question-exclamation, juste celle de « c’est pour dire », serait plutôt : « Mais vingt dieux, comment ne pas s’indigner ?! » Alors que le JT déverse à jet continu les misères du monde spectaculaire. Et je resterais inerte, sans gueuler ? Tout de même, il me semble bien que cette dernière décennie aura été la plus horrible : celle de la démolition généralisée de notre édifice social, économique, culturel, politique, écologique – humain !
Tenez, dernières nouvelles du front : je rentre de la poste où j’avais l’intention d’acheter des timbres – ça se fait encore. Je fais la queue entouré d’un bazar de camelotes diverses, jeux, livres de cuisine, babioles… Soit. Dix minutes plus tard, le guichetier m’apprend qu’il ne vend pas (plus) de timbres, « que c’est l’Automate, là derrière vous, qui s’en charge désormais ; que si vous n’avez pas de monnaie, je peux vous en faire… » J’échange donc mon billet de dix – merci m’sieur – et me tourne vers l’Automate (majuscule de rigueur pour les Idoles modernes) pour en comprendre le fonctionnement (pas trop difficile à mon niveau 😉 et lui demander malgré moi, en le gavant de pièces, de piquer le boulot de l’aimable guichetier non-indigné, quoique mes remarques ne l’aient pas laissé de marbre.
Cette machine, certes, a été inventée par les hommes. Pas pour les hommes, au contraire. Elle est là, face au guichetier, pour lui dire t’es condamné mon vieux, compte vite tes abattis et tes pauvres points de retraite restreinte et t’en fais pas pour autant, tu finiras non même pas à l’hospice, y en a plus à portée de ta bourse ; et, t’as vu, le nouveau « grand chantier présidentiel » autour de la question pipée à propos de la dépendance : « solidarité nationale ou assurances privées ? » Réponse dans six mois, qu’ils disent. C’est des automates qui viendront te donner la becquée et te torcher, pépé ?
Stéphane s’en fout malgré tout, lui pour qui « la fin n’est plus bien loin » et qui touche une consistance retraite de diplomate. Aussi peut-il s’offrir le luxe de prêcher l’espérance. Je ne lui reproche pas son optimisme congénital et néanmoins aveugle (à mes yeux, si j'ose dire…). Car c’est précisément l’espérance qui est la plus absente de ce monde pourri. Sinon pourquoi ce jeune Tunisien – et d’autres depuis – se serait-il immolé par le feu ? Et, plus près de nous, ici tout près de chez moi, samedi après-midi, à la moderne gare du TGV d’Aix-en-Provence, ce postier qui s’est jeté sous le train ! Selon le syndicat Sud, il faisait l’objet d’une enquête administrative ordonnée contre lui pour une erreur de 164 € sur… un monnayeur. Un Automate ! Des représentants syndicaux dénonce un « management sauvage » et font état d’« une démoralisation du postier, d’une culpabilisation par rapport à son travail et d’une dévalorisation de sa personne. »
Cent soixante quatre euros d’erreur ! Un Madoff, lui, ne se suicide pas pour les 65 milliards de dollars qu’il a engloutis dans on ne sait trop quelle magouille mondialisée. Quand on en prend pour 150 ans de prison, c’est qu’on a assez d’importance pour oser encore espérer !
Alors s’indigner, c’est bien le moins, et cent fois par jour ! Ainsi, le journal m’apprend qu’il y a cent ans fut créée la « retraite ouvrière et paysanne». Cette ébauche modeste de celle de 1945, on la doit à René Viviani, socialiste indépendant, qui fut de 1906 à 1910 le premier ministre du travail et de la prévoyance sociale. Et ce siècle aura vu deux guerres mondiales, les pires atrocités et la ruine de l’Europe. Et c’est à partir de 1945, au lendemain du plus grand désastre que sont renforcées les grandes mesures de solidarité sociale – santé, retraites, congés payés. Et services publics.
Depuis, on n’a cessé de produire et de produire encore – et d’appauvrir les plus pauvres par détournement des énormes richesses accumulées. Tandis qu’aujourd’hui « on » nous fait accroire – car il s’agit bien de ça : un matraquage des cerveaux – qu’une Malédiction s’est abattue sur la planète sous le nom de Crise – fatidique, imparable, inéluctable, etc. Et chacun, ou presque, de baisser le nez dans sa soupe amère et résignée, mais soupe quand même… tant qu’il en reste et que « moi d’abord », surtout en 4x4, je peux continuer à rouler sur les autoroutes du « développement durable » et autres serinades publicitaires. Où est le problème ?
Je m’indigne, oui, et je n’en peux plus parfois, de buter contre tant de murs qui découpent le monde en parcelles d’indifférence, donc d’impuissance. Ces murs qui nous isolent, ces murs qui nous enferment.
A l’instant, je reçois sur écran, un « message » de La Poste – ça ne s’invente pas, après ce que je viens d’écrire !
Ainsi je n’aurai même plus à me rendre au bureau de poste : plus de guichetier, plus d’Automates, même plus de suicidés, je ferai tout seul dans mon coin « mon timbre » à moi avec ma binette à moi, euh, pour envoyer à qui au fait ? Je ne connaîtrai même plus mes voisins, sinon par écran. Pour ce qu’on aura à se dire…
Heureux Jules Mougin, facteur poète, facteur de poésie comme on dit facteur d’orgue, facteur de vie. Lui qui vient de tirer sa révérence, ayant aussi butiné et pollinisé tout un siècle, ou quasiment, et qui ne manquait pas, sur ses lettres, d’ajouter en connaisseur : « Merci facteur ! ». Il suffira d’écrire désormais « Merci Jules ! » Humour et poésie, ultimes espérances ?
Kiss the fiancée and fuck the Automat !
Je m’indigne avec toi, Gé. Et m’emploie à penser puis à témoigner ma pensée, histoire de rendre un peu utile mon indignation.
Pierrot le fou
Et en plus à la poste bancale, ils nous ont supprimé les belles flammes des tampons qui ornaient nos timbres et nos cartes postales.…ça, je ne m’en remets pas, moi qui collecte des cartes de toute la france avec des beaux timbres de collection : le tout est défiguré par un odieux graff informatisé et anonyme issu d’un putain de robot automate,
et rien que pour ça j’ai envie de faire circuler une pétition de 5 000 000 de signatures pour l’envoyer à la poste et à ce gouvernement de charlots dont j’exige au passage la démission en bloc, la dissolution de l’Elysée une fois pour toutes et l’institution de communautés auto-gérées et pacifiques loin de ces simagrées pseudo-démocratiques…
Oh de Dieu ! tu tapes dans le mille Ponthieu. Ben oui qu’il faut s’indigner, comment faire autrement ? Encore tout à l’heure, je m’indignais contre le nœud de mes lacets de godasses. le Hessel est vach de mieux à écouter qu’à lire. Sont accent métallique, sa patate, son élégance, on dirait presque une réclame pour le bonheur dis donc, le « vivre ensemble » comme disent les ploucs. Mais j’irai pas jusqu’à dire du mal du Stéphane comme le Assouline par exemple. Pas de bol le Assouline, il a pas fait les camps de la mort ni rien. Peinard bavasseux à mater le compteur de son blog, à s’indigner de l’indignation de Hessel. Le Stéphane Hessel est exemplaire d’où le nombre d’exemplaires vendu de son« indignez-vous ! ». Fallait ‑il que ce soit un vieux qui nous rajeunisse ? Oui, fallait ! Il incarne le truc et nous rappelle qu’on peut vivre debout, être digne et indigné. C’est déjà pas mal. Aura t‑il ses chances contre les margoulins aux présidentielles ? À 93 balais, il a toute la vie devant lui.
« Une fois que tu auras vu une iniquité et que tu l’auras comprise – une iniquité dans la vie, un mensonge dans la science, ou une souffrance imposée par un autre -, révolte-toi contre l’iniquité, contre le mensonge et l’injustice. Lutte ! La lutte c’est la vie d’autant plus intense que la lutte sera plus vive. Et alors tu auras vécu, et pour quelques heures de cette vie tu ne donneras pas des années de végétation dans la pourriture du marais. »
Piotr Kropotkine – 1842 – 1921.
(… Et « vains dieux » serait plus en accord avec tes convictions, non?)
Gaby
Ainsi on en revient aux fondamentaux. Kropotkine et vains dieux, certes ça va ensemble – enfin ça pourrait, si ce n’est le champ envahissant des croyances humaines, cimetière de l’espérance ici-bas.
Envies d’Avenirs ?
» Serf, ce peuple, bâtissait des cathédrales ;
émancipé, il ne construit que des horreurs. » (Cioran)
L’autonomie contemporaine –> individualisme –> solitude ; tout ça suivi de l’angoisse des lendemains, devenue, elle, l’angoisse, une « façon de faire société » ; et avec un peu plus loin la perspective d’un retour aux tribalismes (communautaire ?)… (cf. JC. Guillebaud).
Nos »insignifiances » commenceraient-elles à prendre sens ?
Plusieurs personnes m’ont incité à lire ce livre en me présentant leurs voeux.
Stéphane Hessel a donc réussi à atteindre le grand public avec son manifeste.
Ce qu’il faut espérer maintenant et que son message soit entendu, et qu’il provoque des actions concrètes dans la société française, sinon nous pourrions bien avoir à nouveau un(e) Le Pen au second tour des élections présidentielles de 2012.
Alors, au delà de l’épiphénomène « Indignez vous », il nous faut continuer à s’indigner de nos gouvernants actuels, et faire entendre aux futurs gouvernants qu’ils devront agir pour corriger toutes les aberrations ou félonies anti démocratiques des années passées.
Cet écrit tombe à point. Il me fait penser aux libelles qui précédèrent la Révolution. Dans la forme comme dans le fond, c’est bien un libelle. Ça ne veut pas dire que ça annonce une révolution ! D’ailleurs, en faudrait-il une ? Et qui en toucherait les bienfaits à l’heure aactuelle ? Quel programme de vie autrement porteur d’espoir-espérance pourrait nous soulever ? Sans compter du risque d’une répression qui profiterait à la droite la plus autoritaire. C’est sûr, ce qui se passe en Tunisie comme en Algérie et aussi en Cote d’ivoire peut avoir des conséquances en France.