ActualitéReportages

Et la révolution à Cuba, c’est pour quand ?

Les révoltes-révolutions arabes en cours ont provoqué un tel retournement historique (révolutions donc) qu’elles ont ringardisé – j’allais dire démonétisé – les plus emblématiques. Je pense à la chinoise, certes, et plus encore à Cuba dans la mesure où celle-ci continue à donner le change auprès de quelques illusionnés d’arrière-garde. J’y pense aussi parce que j’ai gardé là-bas quelques attaches épisodiques (internet étant des plus restreints et surveillés dans l’île des Castro), après un reportage qui, en 2008, me valut quelques accusations d’ « agent de la CIA »  de la part d’idolâtres pro-castristes*.

 

Peut-être le début d'un commencement : des antennes illicites se sont multipliées, comme ici à La Havane.

A quand la révolution à Cuba ? est évidemment une question iconoclaste, et cependant des plus pertinentes. Car elle appuie bien là où ça fait mal, en particulier pour qui considère, avec un minimum de réalisme, à quel point ce demi-siècle d’agitation tropicalo-castriste fut une sinistre mascarade qui aura plombé cette île et son peuple magnifiques.

 

Journaliste spécialiste de Cuba au Monde, Paulo A. Paranagua se l’est aussi posée, cette question qui dérange. Et il s’est donc rendu sur place pour tenter de trouver des réponses [Le Monde, 6/3/11].

 

Son article s’intitule : « A Cuba, les dissidents ne s'attendent pas à une contagion révolutionnaire » C’est une synthèse de quelques entretiens avec des opposants connus, à commencer par Yoani Sanchez, célèbre par son blog Generacion Y – dont j’ai souvent parlé ici [cliquer ici pour le visiter ; il est traduit en plusieurs langues, dont le français – et qui illustre au quotidien la dure réalité de la vie des Cubains confrontés à une lutte permanente pour la survie, la dignité, la liberté.

 

Pour cette femme de 35 ans, assignée dans l’île comme la quasi totalité des Cubains, ainsi qu’elle le raconte au reporter du Monde, « Nous avons tous fait des rapprochements, [mais] la situation n'est pas mûre ici pour une place Tahrir »,

Je continue à citer Le Monde : « Le gouvernement cubain a annoncé 500 000 licenciements au cours du premier trimestre de 2011 et la réduction des subventions. Cependant, ajoute la blogueuse, " l'insatisfaction sociale est canalisée vers l'émigration ou la survie dans une sorte de bulle domestique. La société cubaine est malade de peur. Cette île n'est quasiment pas connectée au reste du monde. Internet est réservé à des happy few. " En d'autres mots, les acteurs et les vecteurs qui ont mobilisé la rue arabe manquent. »

 

Du haut de ses 70 ans, Oscar Espinosa Chepe ne partage pourtant pas ce pessimisme. Condamné à vingt ans de prison en 2003, puis relâché en liberté conditionnelle pour raison de santé, cet économiste a été un proche collaborateur de Fidel Castro dans les années 1960. Il raconte à Paulo A. Paranagua : « L'appareil de répression est la seule chose qui fonctionne en ce pays, mais les gens ont moins peu. Le gouvernement se vante d'avoir formé un million de Cubains dans ses universités (sur une population de 11 millions), mais ces diplômés sont sous-payés ou obligés de travailler à des emplois sous-qualifiés. " Il estime qu’une tendance social-démocrate finira par se dégager au sein du Parti communiste (parti unique). Il prévoit aussi le surgissement d'un courant social-chrétien autour des publications catholiques et de la formation de jeunes menée par l'Église. Tel Roberto Veiga, 46 ans, qui dirige Espacio Laical, revue éditée par les laïcs de l'archidiocèse de La Havane. Pour lui, " Les Cubains ne sont pas prêts à sortir dans la rue. Le peuple veut des changements, mais il veut que ce soit le gouvernement qui les fasse. La crise qui frappe le pays depuis vingt ans ne favorise pas des évolutions brusques, mais graduelles. "

 

Autre avis, celui d’Elizardo Sanchez, 66 ans, qui anime la Commission cubaine pour les droits de l'homme et la réconciliation (non reconnue par les autorités). « " Mon téléphone est sur écoute depuis quarante-trois ans ", confie-t-il.[…] Derrière son bureau, deux cartes de Cuba comparent les 14 prisons de 1958 (4 000 détenus) avec les 200 centres de détention existant aujourd'hui (avec une population pénale estimée à 80 000 âmes). »

 

" Cuba n'est pas une dictature comme les régimes arabes, explique M. Sanchez. Le régime castriste mêle le modèle soviétique et la tradition du caudillo latino-américain. Malgré son échec, le charisme opère encore : à la mort de Fidel, les Cubains vont le pleurer, par nostalgie de l'utopie et peur de l'avenir. "

 

La transition vers la démocratie peut prendre plusieurs années, comme en Espagne, souligne Elizardo Sanchez. " Mais la mort de Franco a signifié la fin du franquisme, rappelle-t-il. Le scénario le plus probable serait le remplacement du régime actuel par une dictature militaire, suivie d'une évolution vers un Etat de droit. " Et de préciser : " L'armée castriste n'a jamais réprimé, laissant la sale besogne à la Sécurité de l'Etat, qui dispose de 100 000 agents ".

 

Des exilés cubains, rappelle Paulo A. Paranagua, avaient lancé un appel à manifester lors de l'anniversaire de la mort d'Orlando Zapata Tamayo, prisonnier politique décédé le 23 février 2010, à la suite d'une grève de la faim. Cette consigne n'a pas été reprise, ni par la dissidence ni par les blogs de l'île. " Ce n'est pas la même chose de s'exprimer librement et de descendre dans la rue ", justifie la blogueuse Claudia Cadelo, 27 ans. " Je ne me sens pas le droit de convoquer qui que ce soit à manifester au péril de son intégrité physique ou même de sa vie ", conclut-elle, estimant toutefois que " dans trois ou quatre ans " les réseaux sociaux permettront aux Cubains d'imiter les contestataires tunisiens et égyptiens."

 

* «  « L’espérance était verte, la vache l’a mangée » Article publié en décembre 2008 dans Politis.

 

Taper "Cuba" dans les mots-clés sur ce blog, et lire aussi

https://c-pour-dire.com/2011/02/le-caire-–-la-havane-les-paralleles-peuvent-elles-se-rejoindre/

 

 

 

https://c-pour-dire.com/2008/12/cuba-a-l’an-50-de-la-revolution-castriste-reportage/

 

 

http://www.desdecuba.com/generaciony/

La connexion avec le blog de Yoani Sanchez est parfois coupée, comme c'est le cas en ce moment-même (7/3/11)

Partager

5 réflexions sur “Et la révolution à Cuba, c’est pour quand ?

  • LAGUNE Bernard

    J’ai pris cette pho­to à Dakar. Qu’est-ce qui jus­ti­fie 20 ans après la chute du mur de Berlin et l’ef­fon­dre­ment du sys­tème sta­li­nien l’embargo Etats Uniens. Qu’est-ce qui jus­ti­fie le main­tien 10 ans après le 11 sep­tembre le main­tien de la pri­son états-unienne de Guantanamo ? Qu’est ce qui jus­ti­fie que Georges Bush père et fils ne soient pas pas­sible d’un tri­bu­nal international ?

    C’est bien sûr (je vais employer un gros mot pas­sé de mode) l’im­pé­ria­lisme amé­ri­cain et ses alliés euro­péens. Certes le régime cas­triste per­dure par la peur mais aus­si par la peur que génère « l’empire » voi­sin. Et Barak Obama ne semble pas enga­gé dans une voie qui per­mette de des­ser­rer l’é­tau qui pèse sur la popu­la­tion cubaine.

    Bernar Un illu­sion­né d’ar­rière garde

    Répondre
    • Gérard Ponthieu

      @ Bernard, les pho­tos ne passent pas dans les com­men­taires… Envoie-là moi direc­to via émil.
      Sur le fond : ok pour presque tout ; sauf que l’empire US, s’il sert à mas­quer l’é­chec cas­triste, est aujourd’hui deve­nu le modèle qui fas­cine las jeunes Cubains ! Fringues « made in us » (du moins des copies comme en Afrique), modèles cultu­rels (cinés, rock, rap, etc.), donc « idéaux » de consom­ma­tion – comme à Berlin-Est avant la chute du mur ! Je me ver­rais plu­tôt comme un dés­illu­sion­né d’a­vant-garde… (modes­te­ment hein!)

      Répondre
    • Gérard Ponthieu

      @ Bernard. Ça y est, j’ai pla­cé ta pho­to. J’en pro­fite pour enfon­cer le même clou : la ques­tion de l’embargo états-unien est le leit­mo­tiv pré­fé­ré des Castro ; outre qu’il a été contour­né depuis long­temps (sauf sur les tran­sac­tions finan­cières, j’ai mon­tré ça dans Politis et aus­si ici-même), il a sur­tout per­mis, dès l’o­ri­gine – en 1962, je crois bien : oui, après la crise des fusées sovié­tiques – de déchar­ger les diri­geants de leurs res­pon­sa­bi­li­tés dans l’é­chec de la révo­lu­tion (sur­tout sur le plan éco­no­mique, agri­cole en par­ti­cu­lier); l’embargo a offert le bouc émis­saire rêvé, ce méchant voi­sin impé­ria­liste à qui tant de maux ont pu être impu­tés. Mais à Cuba, ça n’é­meut plus guère tant la ficelle est archi usée.
      Quant à Obama sur cette ques­tion : je crois qu’il ne demande qu’à assou­plir, voire à nor­ma­li­ser en par­tie les rela­tions avec Cuba ; c’est déjà amor­cé. Il est vrai qu’il ne lâche pas sur les 47 der­niers pri­son­niers de Guantanamo, mais là c’est pour des rai­sons de poli­tique intérieure.

      Répondre
  • Olga Martinez

    Exilée depuis 96 (mariée à un fran­çais), mes contacts avec mon pays sont res­tés nom­breux. Aussi avec des par­ti­sans du régime mais qui ne se font plus d’illu­sion et consi­dèrent au fond de leurs yeux que la revo­lu­cion cubaine est morte depuis bien des années (moi, je crois qu’elle n’a pas vécu long­temps en vrai… mon mai est res­té plus pro cas­tro que moi ! (ancien com­mu­niste), il croie que c’est mieux que la sarkozie………

    Répondre
  • Emilio Z

    « Desdecuba » est en par­tie répa­ré on dirait, la panne serai­ty due au bri­co­lage de leur site ; c’est un groupe de blogs asso­ciés ; mais tous ne sont pas joi­gnables. En tout cas, c’est un sacré début de resis­tance, peu tetre même LE début (pour dans x années); les cubains sont armés (de patience)

    Répondre

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *


Translate »